L’acupuncture
est-elle réellement efficace dans le tabagisme de la femme enceinte ?
Jean-Marc Stéphan
Les recommandations de l'Anaes
(Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé) concernant le tabagisme en cas de grossesse ont été publiées
ce 30 novembre 2004. Comme on pouvait s'y attendre, elles occultent
l'intérêt de l'acupuncture et la placent au même niveau que l'hypnothérapie. « Les résultats sur l'efficacité de l'acupuncture dans la population
générale sont contradictoires selon les études : un effet spécifique,
différent de l'effet placebo, n'est pas clairement démontré. Il n'y
a pas d'études spécifiques à la femme enceinte pour l'hypnothérapie
et l'acupuncture, ni d'accord professionnel pour les recommander. » Ce texte fait suite à la conférence de consensus « Grossesse
et Tabac » qui a eu lieu le 7 et 8 octobre 2004 à Lille [
[1]
]. Le jury était composé de douze membres
(aucun médecin acupuncteur) et placé sous la présidence du Dr Dequidt,
gynécologue-obstétricien. Il est vrai que les françaises sont nombreuses à fumer, même quand
elles sont enceintes. Le lien de causalité (association statistiquement
significative, relation dose - effet, réversibilité à l'arrêt, mécanisme
physiopathologique pour expliquer l'effet) entre tabagisme maternel pendant la grossesse et la survenue de troubles
de la fertilité masculine et féminine, d'anomalies du déroulement
de la grossesse (prématurité, retard de croissance intra-utérin, hématome
rétro-placentaire, rupture prématuré de membranes) est maintenant
bien établi, sans oublier les risques accrus de mort foetale in utero, de grossesses extra-utérines, d'avortements spontanés. Et
pourtant le nombre de françaises fumeuses a triplé en l'espace de
trente ans et reste un sujet d'inquiétude pour les gynéco-obstétriciens. A noter cependant que même si la nicotine a été suspectée d'être
à l'origine de tous ces effets délétères durant la grossesse et chez
le foetus, toutes ces données ont été principalement observées chez
les animaux. De ce fait, il n'existe aucune preuve convaincante à
ce jour des dangers de la nicotine pure pour l'espèce humaine et des
études objectivant l'absence d'effets nocifs chez l'Homme restent
à faire [
[2]
]. En réalité, c'est l'ensemble des toxiques présents dans la fumée
des cigarettes qui a un effet toxique lors de la grossesse. Aucune
substance isolée, telle la nicotine, n'est entièrement responsable
des complications de la grossesse, mais c'est l'association des différentes
substances qui agissent de façon additive ou synergique [
[3]
]. Les toxiques les plus préoccupants pour
la femme enceinte sont le monoxyde de carbone (CO), les substances
oxydantes (goudron, oxydes d'azote etc..), le cyanure d'hydrogène,
le cadmium, le chrome, l'arsenic, le nickel, le plomb etc.. Ainsi,
le monoxyde de carbone est le toxique le plus impliqué. Cela a été
prouvé par une exposition accidentelle au CO qui peut provoquer la
mort in utero ou des séquelles neurologiques
irréversibles [
[4]
]. Bref, le tabagisme des femmes enceintes est devenu un problème de
santé publique et a été inscrit parmi les mesures prioritaires du
Plan Cancer.
Quelles sont donc les interventions
efficaces d'aide à l'arrêt du tabac chez la femme enceinte retenues
au cours de cette conférence de consensus et inscrites dans les recommandations ?
Les approches psychologiques et/ou comportementales peuvent être
recommandées en première intention aux différentes étapes de la prise
en charge de la femme enceinte fumeuse ou qui vient d'accoucher, comme
par exemple : - le conseil minimal (grade B) (voir tableau I) : il doit être effectué
systématiquement à la première consultation et renouvelé par les différents
professionnels de santé à chaque rencontre avec la femme enceinte
fumeuse ; - l'intervention brève (grade B) ; - l'entretien motivationnel (grade B) ; - la thérapie comportementale et cognitive : TCC (grade B) ; - la consultation psychologique.
Tableau
I. les différents
niveaux de preuve.
Une recommandation de grade A est fondée sur une preuve
scientifique établie par des études de fort niveau de preuve (niveau
1). Une recommandation de grade B est fondée sur une présomption scientifique
fournie par des études de niveau de preuve intermédiaire (niveau 2).
Une recommandation de grade C est fondée sur des études de faible
niveau de preuve (niveau 3 ou 4). En l'absence de précisions, les
recommandations reposent sur un consensus exprimé par le jury.
Notons que ces interventions (conseil minimal, intervention brève,
conseil motivationnel) ont montré une efficacité statistiquement significative
sur le taux d'arrêt du tabac par rapport à l'absence d'intervention,
dans la population générale et chez la femme enceinte. Mais le conseil
minimal ne semble pas aussi efficace chez la femme enceinte que chez
le fumeur en général. Sur 100 femmes enceintes fumant lors de leur
visite prénatale, 10 arrêtaient de fumer grâce au conseil minimal,
6 ou 7 supplémentaires y arrivaient avec un suivi plus intense (par
un tabacologue) [
[5]
]. De même chez la femme enceinte, la TCC
n'a pas montré une efficacité supérieure à d'autres techniques d'aide
ou d'accompagnement psychologique et/ou comportemental. Bref, on s'oriente très rapidement vers le traitement substitutif
nicotinique (TSN). Les auteurs recommandent de l'instaurer le plus
rapidement possible au cours de la grossesse, même en association
avec une approche psychologique et/ou comportementale. Par ailleurs,
le TSN prescrit doit être personnalisé avec une dose de nicotine et
une répartition sur le nycthémère suffisants pour obtenir et maintenir
un arrêt du tabac. Cependant, par mesure de précaution, le rapport bénéfique/risque
du TSN au 3e trimestre de la grossesse est à apprécier au cas par
cas, car bien que le TSN ne soit probablement pas sans risque, ce
risque est très négligeable par rapport à celui associé au tabagisme
si la femme enceinte continue de fumer pendant sa grossesse. La nicotinémie
sous TSN est 2 à 3 fois moins élevée que la nicotinémie liée au tabagisme.
En tout état de cause, le TSN qui n'apporte que de la nicotine, évite
la toxicité des autres composants de la fumée de cigarette, en particulier
le CO. Toutefois, remarquons que l'intérêt de l'utilisation du TSN repose
sur une seule étude clinique qui a évalué l'efficacité du TSN chez
la femme enceinte en comparant timbre transdermique actif et timbre
transdermique placebo. Le pourcentage d'arrêt pour les femmes traitées
par patch actif était de 28% et 25% avec le patch placebo ; et
respectivement 15% et 14% un an après la naissance de l'enfant !
Bref, le TSN n'a pas fait la preuve d'une efficacité supérieure en
terme de pourcentage darrêt, mais il semblerait selon les auteurs
que l'observance ait été insuffisante dans les 2 groupes étudiés.
En revanche, le poids moyen des enfants nés après 37 SA était significativement
plus élevé dans le groupe traité par TSN que dans celui traité par
placebo. La faible efficacité du TSN sur l'arrêt du tabac pourrait
être due au métabolisme plus rapide de la nicotine chez la femme enceinte.
Il se peut qu'un traitement standard (15 mg sur 16 heures) ne soit
pas suffisant chez les femmes fortement dépendantes au tabac [
[6]
]. Terminons avec le dernier produit sur le marché : le bupropion
(Zyban®). Selon les recommandations de l'Afssaps publiées en 2003,
le bupropion est déconseillé pendant la grossesse. Bien que les données
recueillies sur un registre portant sur 668 grossesses et 333 suites
de grossesse, mis en place en 1997 aux États-Unis par le laboratoire
pharmaceutique fabricant, ne suggèrent pas que le bupropion soit tératogène,
il existe un accord professionnel pour déconseiller sa prescription
chez la femme enceinte. Notons aussi que Benowitz et Dempsey concluaient
leur revue par une mise en garde contre l'utilisation du bupropion
chez la femme enceinte [
[7]
]. En résumé, il
semblerait que toutes les méthodes préconisées par ces recommandations
ne montrent pas une réelle garantie d'efficacité et de sécurité. Mais
il est impératif d'obtenir l'abstinence tabagique de ces femmes. Mettre
les patchs permet essentiellement d'éliminer surtout les autres toxiques
nettement plus préjudiciables à la santé du foetus, en particulier
le monoxyde de carbone et de ce fait, le bénéfice sera global sur
la grossesse.
Et l'Acupuncture dans tout cela ?
Au cours de la
conférence de consensus à Lille et comme nous avons pu le constater
sur place, jamais l'acupuncture n'a été notifiée comme moyen antitabagique. De ce fait, le
Docteur Stéphan, ayant été mandaté par le Conseil d'Administration
du Collège Français d'Acupuncture (CFA) et invité par le Professeur
Delcroix, a pu ainsi être le porte-parole de notre profession, qui
comme nous l'avons dit plus haut, n'était pas du tout représentée
au sein du Jury. Il a donc
fait remarquer cet état de fait à l'assemblée et notifier que la conférence
de consensus française de l'Anaes en 1998 [
[8]
] et surtout celle de l'AFSSAPS en 2003 [
[9]
] n'avaient pas intégré les travaux réalisés
par les médecins acupuncteurs, ceux-ci n'ayant pas été invités par
ailleurs. Ces différentes conférences se basaient essentiellement
sur les résultats de la méta-analyse de Cochrane [
[10]
] qui concluaient à une inefficacité de l'acupuncture. Or, la dernière
méta-analyse réalisée par Castera et coll. [
[11]
] en avait mis en évidence les biais méthodologiques
et surtout principalement la non-utilisation d'un essai clinique randomisé
français de Vibes [
[12]
]. En introduisant ces nouvelles données,
l'acupuncture offrait une efficacité statistiquement significative. On fit remarquer
au Dr Stéphan que cet ECR n'avait pas la qualité méthodologique requise.
Mais si une conférence de consensus doit se borner à entériner les
données ou recommandations anglo-saxonnes, autant en faire l'économie.
Notons aussi qu'il est étonnant qu'une conférence de consensus française refuse
de prendre en compte des données publiées en langue française. On se doit de
considérer qu'à partir du moment où des données nouvelles sont apportées,
elles doivent être analysées et discutées. Néanmoins, cette
intervention n'aura pas été vaine, car l'acupuncture apparaît dans
le texte des recommandations ! Pourtant au final, une impression
désagréable, subsiste. Il semble exister
deux poids, deux mesures : aucune étude de niveau de preuve 1
pour les différentes techniques d'arrêt du tabagisme avec une efficacité
somme toute bien faible et une sécurité non absolument prouvée, nonobstant
cela, on va les recommander. L'acupuncture quant à elle, fournit une
efficacité et une sécurité reconnues, et malgré tout, elle est ignorée !
Dr Jean-Marc Stéphan
Références :
[1]
. Texte des recommandations. Conférence de consensus.
Grossesse et tabac. 7 et 8 octobre 2004. Lille (Grand Palais) Available
from: URL: http://www.anaes.fr/
[2]
. Le Houezec J. Comment prendre en charge les femmes fumeuses
? Quelles sont les différentes techniques efficaces d'aides à l'arrêt
du tabac ? Proceedings of the Conférence
de consensus Grossesse et Tabac, 7 et 8 octobre 2004; Lille France
2004; p.191-208.
[3]
. Dempsey DA, Benowitz NL.Risks and benefits of nicotine
to aid smoking cessation in pregnancy. Drug Saf 2001;24(4):277-322.
[4]
. Koren G, Sharav T, Pastuszak A, Garrettson LK, Hill
K, Samson I, Rorem M, King A, Dolgin JE. A multicenter, prospective study
of fetal outcome following accidental carbon monoxide poisoning
in pregnancy. Reprod Toxicol 1991;5(5):397-403.
[5]
. Coleman T. ABC of
smoking cessation. Special groups of smokers. BMJ 2004 Mar 6;328(7439):575-7.
[6]
. Wisborg K, Henriksen
TB, Jespersen LB, Secher NJ. Nicotine patches for pregnant smokers:
a randomized controlled study. Obstet Gynecol 2000;96(6):967-71.
[7]
. Benowitz N, Dempsey
D. Pharmacotherapy for smoking cessation during pregnancy. Nicotine
Tob Res 2004;6 Suppl 2:S189-202.
[8]
. ANAES. Conférence de consensus sur l'arrêt de la consommation
du tabac. Paris: Editions EDK; 1998.
[9]
. Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits
de Santé. Les stratégies thérapeutiques médicamenteuses et non médicamenteuses
de l'aide à l'arrêt du tabac argumentaire. Mai 2003.
[10]
. White AR, Rampes
H, Ernst E. Acupuncture for smoking cessation (Cochrane Review).
In: The Cochrane Library, Issue 4, 2004. Chichester, UK: John Wiley
& Sons, Ltd.
[11]
. Castera Ph, Nguyen J, Gerlier JL, Robert S. L'acupuncture
est-elle bénéfique dans le sevrage tabagique, son action est-elle
spécifique ? Une méta-analyse. Acupuncture et Moxibustion 2002;1(3-4):76-85.
[12]
. Vibes J. Essai thérapeutique sur le rôle de l'acupuncture
dans la lutte contre le tabagisme. Acupuncture 1977;51:13-20.
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