Jean-Marc Stéphan
De nombreux acupuncteurs considèrent que la désinfection de la peau n’est pas primordiale. Cependant, la contamination par des micro-organismes non saprophytes peut entraîner un haut risque d'infection. En 2001, Hoffman a réalisé une revue de littérature afin de déterminer si la désinfection de la peau avant la pose de l’aiguille d’acupuncture était nécessaire et en concluait qu’elle n’était pas absolument utile. Il montrait qu’il existait une analogie avec les différentes formes d’injections (vaccinations, intra-musculaires etc..). Tous les micro-organismes présents sur la peau devraient être désinfectés disait-il, car ceux ci peuvent être inoculés dans les tissus stériles par l’insertion de l’aiguille. Mais heureusement, les bactéries de la flore habituelle ont un faible potentiel d’infection sauf si le patient est immunodéprimé, diabétique, porteur d’un matériel prothétique ou traité par chimiothérapie pour un cancer par exemple. Par ailleurs continuait-il, si la peau est visiblement salie, elle doit être lavée ; de même, si l'insertion de l'aiguille est située près d'un site infecté ou contaminé, la désinfection doit être faite à l'alcool 1 .
Quels sont les germes susceptibles d’entraîner une
infection cutanée suite à l’insertion de l’aiguille ?
Les germes présents sur la peau peuvent être classés en deux groupes : la flore permanente, résidente et la flore transitoire.
La flore résidente se développe dans les plis microscopiques de la peau, sur
les couches supérieures de l’épiderme et dans les canaux des glandes sébacées
et des follicules pileux. Ces micro-organismes sont enchâssés et adhérents à la
surface de la peau. Les espèces composant la flore résidente sont
essentiellement les staphylocoques à coagulase négative et les corynébactéries
saprophytes. De là, cette flore se développe vers la surface et se confond à la
flore transitoire qui se trouve sur les couches épithéliales superficielles. La
virulence de la flore résidente est peu élevée. Elle est rarement à l'origine
d'infections, si ce n'est lorsqu'elle est introduite dans le corps lors de
procédures invasives telles qu'une intervention chirurgicale, une ponction, un
cathétérisme, ou une piqûre par aiguille d'acupuncture... Le staphylocoque doré
peut être présent sur la peau saine au niveau des mains ; cette situation
serait plus fréquente chez les personnes portant de façon inapparente ce
staphylocoque au niveau du nez (soit 25% de la population générale).
La flore transitoire comprend, outre cette "émergence" de la flore
résidente, également les germes en provenance de personnes et d'objets
environnants. La composition de la flore transitoire dépend donc des contacts
auxquels la peau est soumise et est, par conséquent, très variable. Cette flore
transitoire est la principale cause d'infections croisées. La flore transitoire
est donc une flore de passage acquise au contact de patients, d’objets ou
surfaces au cours des gestes quotidiens. C’est la flore transitoire des mains
qui est à l’origine du plus grand nombre d’infections acquises. Elle est
constituée de bactéries par exemple staphylocoque doré, entérobactéries (pseudomonas,
acinetobacter), de champignons (candida albicans) et de virus (rotavirus). Les
bactéries multirésistantes aux antibiotiques sont un élément essentiel de la
flore transitoire des mains en particulier dans les établissements de soins
pour personnes âgées où les patients sont très fréquemment porteurs de ces
micro-organismes. Le port de bijoux
constitue des zones non accessibles au lavage des mains et favorisent la
constitution de niches bactériennes.
Bref, tous ces germes sont susceptibles par l’intermédiaire de l’effraction cutanée acupuncturale de provoquer une infection.
Quels sont les risques encourus décrits dans la
littérature en cas de désinfection insuffisante ?
Après une séance d’auriculothérapie, une femme de 54
ans développa une périchondrite au niveau de l’hélix de l’oreille à staphylococcus aureus 2 .
En 1977, a été décrit le premier cas de coagulation
intravasculaire disséminée suite à une septicémie staphylococcique engendrée
par une séance d’acupuncture 3 .
Trois cas de septicémie staphylococcique mortels ont
été observés suite à une banale séance d’acupuncture 4 , 5 .
Un homme de 67 ans, diabétique non insulino-débutant
bénéficia de nombreuses séances d’acupuncture suite à une périarthrite
scapulo-humérale. Quelques jours après une séance au niveau de la région
cervicale, il développa une fébricule et des céphalées, puis une détresse
respiratoire. Les auteurs concluaient que l’acupuncture devait être évitée chez
les personnes diabétiques insuffisamment contrôlées 6 .
Un cas de septicémie à streptoccoque A et d’érysipèle de la jambe a été dépeint chez un
diabétique nécessitant une hospitalisation en soins intensifs. Là encore les
auteurs mettaient en garde les acupuncteurs du risque d’infection chez les
patients à hauts risques infectieux tels les diabétiques 7 .
Une sacro-iléite unilatérale développée suite à une
insuffisance de désinfection de la peau avant l’acupuncture est relatée par
d’autres auteurs. Six semaines de traitement à l’oxacilline a été nécessaire
pour une guérison complète. Les auteurs insistaient sur l’importance des
procédures de désinfection de la peau 8 .
Ici, c’est un abcès péri-temporo-mandibulaire qui
est décrit suite à une séance d’acupuncture 9 ;
là c’est un autre cas d’infection liée à une contamination bactérienne par
acupuncture : arthrite du genou rapportée par une équipe irlandaise 10 .
En fait, il s’agissait d’une femme de 45 ans qui avait bénéficié d’un
traitement chirurgical avec greffe osseuse et matériel d’ostéosynthèse suite à
une fracture du plateau tibial externe. Six mois après cette intervention et
suite à une séance d’acupuncture, elle présentait une arthrite à staphylococcus
aureus en rapport selon les auteurs à la puncture trop proche du site de la
prothèse avec désinfection inadaptée. Anita Bui et Johan Nguyen en concluaient
dans leur commentaire de l’article qu’une vigilance renforcée chez les patients
porteurs de matériel orthopédique était nécessaire 11 .
Autre cas : une méningite survenue chez une
femme de 48 ans après avoir bénéficié une semaine auparavant d’acupuncture pour lombalgies au niveau de
deux premières vertèbres lombaires 12 .
Woo a rapporté le premier cas d’infection par
mycobactérie suite à une séance d’acupuncture en 2001 13 .
Dans un autre article publié en 2002, Woo montre à Hong Kong l’émergence d’une
pathologie propre à l’acupuncture, à savoir l’apparition d’infections cutanées
à mycobacterium chelonae multirésistant
aux antibiotiques.
Il y a quelques années, l'acupuncture était associée et citée comme cause étiologique dans certaines infections virales : sida, hépatite C et B. On en parle de moins en moins car tous les acupuncteurs ou presque utilisent maintenant les aiguilles stériles à usage unique.
Cette publication rapporte ici quatre cas
d'infections liés à l'acupuncture découverts sur une période de deux ans. Les
localisations des points piqués C7 (shenmen), MC7 (daling)
expliquent l’observation de ténosynovite du poignet ayant entraîné l’hospitalisation. Aucune autre étiologie comme une plaie antérieure traumatique
n’avait pu être imputée. Des études histologiques des spécimens de lésions
biopsiées avaient objectivé une inflammation chronique granulomateuse due à
mycobacterium chelonae. Plus grave, ces germes étaient nettement plus
résistants à l’alcool à 75° que les autres germes de la flore cutanée
habituellement rencontrée. Les auteurs recommandaient de revoir les procédures
de désinfection cutanée préalablement édictées par les acupuncteurs australiens
14 .
Voilà ce qu’ils proposent : les mycobactéries
étant résistantes à la chlorhexidine, ils recommandent aux acupuncteurs de se
laver les mains avec une solution alcoolique de chlorhexidine (Biseptine Ò) ou de povidone iodée (BétadineÒ). Si l’hygiène du patient n’est pas
correcte, se laver préalablement les mains avec du savon. La peau du patient
doit être désinfectée ensuite avec de l’alcool à 75 % parfaitement titrée. Les
directives de l’association d’acupuncture australienne ne préconisent pas de
laps de temps d’attente avant la puncture ; tout au plus proposent-ils que
la peau soit sèche avant de piquer. Cependant, Woo recommande un temps de
désinfection de peau d'au moins 60 secondes 15 . A
noter que le consensus n’existe pas en France, où Johan Nguyen et Anita Bui,
s’appuyant sur l’article de Hoffmann préconisent quant à eux, une désinfection
à recommander uniquement chez les patients immunodéprimés ou en cas de puncture
au niveau d’une lésion infectée ou s’il existe un matériel d’ostéosynthèse 16 .
Autre article paru en 2003 qui confirme le précédent :
Cet article décrit la survenue en 1999 de nodules
sous cutanés suppuratifs suggérant une panniculite chez une patiente de 58 ans
traitée 3 mois auparavant par acupuncture pour un problème d'obésité. Deux
biopsies ont permis d'objectiver une infection à mycobacter chelonae
multirésistante aux antibiotiques mais sensible heureusement à la
clarythromicine 500 mg (Zéclar®). Trois mois ont été
néanmoins nécessaires pour faire disparaître l'infection. La cause très
probable et évoquée par les auteurs espagnols : l'acupuncture avec une
désinfection inadaptée 17 .
Une femme de 42 ans avec un syndrome de
Marfan et une prothèse valvulaire aortique a présenté suite à des séances
d’acupuncture une septicémie à staphylococcus aureus. Le traitement
antibiotique entrepris ne suffit pas dans un premier temps à stopper
l’infection. Après une échographie trans-oesophagienne, une endocardite avec
végétations importantes et abcès valvulaire est découvert qui nécessite un
remplacement valvulaire en urgence. Les auteurs recommandent de ce fait, la
nécessité d’une prophylaxie antibiotique systématique chez les patients
porteurs de prothèses valvulaires 18 .
Johan Nguyen et Jean-Luc Gerlier notent néanmoins que cette recommandation est
excessive. Ils s’appuient sur les conférences de consensus française du 27 mars
1992, et américaine de 1997 concernant la prophylaxie des endocardites et qui
préconisent que l’antibioprophylaxie de l’endocardite infectieuse chez les
cardiaques ne doit être recommandée que dans « les gestes cutanés portant
sur un tissu infecté ». Ils proposent néanmoins de ne pas utiliser
d’aiguilles semi-permanentes et de procéder à la désinfection dans les règles
de l’art 19 .
Plus récemment, car paru en avril 2003, Woo rapporte
le cas d’un abcès cutané à staphylococcus aureus centré sur le jizhong (VC6) chez un patient
traité pour dorsalgie. Le patient bénéficia d’une mise à plat chirurgicale,
drainage et 5 semaines de traitement antibiothérapique à la cloxacilline
(OrbénineÒ). L’auteur a réalisé de ce
fait une revue de littérature de 1996 à 2002
et rapporte donc que dans les 16 cas d’infections bactériennes
compliquant l’acupuncture et décrits dans la littérature anglo-saxonne de 1996
à 2002, le S. aureus est l’agent causal dans 9 cas (56%). Trois patients ont déclenché une arthrite
septique, deux ont développé une ostéomyélite chronique, 2 ont eu une formation
abcédée, un a eu une chondrite et enfin un autre une endocardite. Cinq patients
ont eu une septicémie à staphylococcus aureus. Tous ont bénéficié d’un
traitement antibiotique prolongé de 5 à 6 semaines, six ont bénéficié d’un
drainage et/ou d’un débridement. Enfin trois patients (30%) sont morts.
staphylococcus aureus est la cause d’une morbidité et d’une mortalité
significative chez les personnes traitées par acupuncture 20 .
Enfin pour terminer, sachez que Norheim a étudié les effets adverses de l’acupuncture de 1981 à 1994 et a démontré que la plupart de ces effets étaient à relier à une insuffisance des connaissances basiques de la médecine, une hygiène très insuffisante et des connaissances limites en acupuncture 21 .
Il paraît donc judicieux de rappeler qu’outre l'utilisation de matériel à usage unique, avant chaque acte médical, le lavage des mains du thérapeute est nécessaire.
Se laver les mains
Effectivement, si les mains sont souillées, il est nécessaire de se laver les mains à l'eau et au savon antiseptique ou non. Si les mains ne sont pas souillées macroscopiquement, on peut utiliser une solution hydro-alcoolique (DHA) car mêmes propres, elles peuvent être toujours contaminées par un contact soit avec les malades, soit avec des objets. En d'autres termes :
On recourt à la DHA dans toutes les indications de l'hygiène de la surface cutanée du patient et du thérapeute, à l'exception des situations de souillures macroscopiques par des liquides biologiques ou des éléments organiques. En effet l'action détergente d'un savon est nécessaire dans ces cas pour éliminer les souillures. La désinfection hygiénique avec la DHA élimine en une vingtaine de secondes 99,999% de la flore transitoire et 99% de la flore résidente, c’est ce qui est préconisé en milieu hospitalier 22 .
Il s’avère donc que la plupart des cas d’infections
survenues après acupuncture concerne des personnes diabétiques, porteurs d’endoprothèse,
présentant une déficience immunologique ou simplement obèses. Notons d’autre
part que certains points d’acupuncture se prêtent mal à une désinfection
locale, en particulier tous les points du cuir chevelu. Donc à éviter chez les
personnes à risque.
En conclusion, même si le risque d’infection
chez un patient indemne de toute pathologie immunodépressive est faible, il
me paraît souhaitable, dans l’attente d’un consensus, de procéder
aux règles élémentaires d’hygiène, à savoir enlever tous les bijoux,
se laver les mains avant chaque séance, ou utiliser un gel ou une solution
hydro-alcoolique. Ensuite désinfecter la peau du patient simplement avec une
compresse imbibée au préalable par de l’alcool à 70-75°
23
. Laissez sécher une vingtaine
de secondes ou davantage (60 secondes pour certains patients) avant de puncturer.
Eviter aussi les aiguilles semi permanentes chez les personnes à risques.
Ceci dit, il faut préciser qu' effectivement,
il n'y a pas de consensus en l'état actuel sur la conduite à tenir, et il
appartiendra à la société savante de acupuncteurs, à savoir le Collège Français
d'Acupuncture d'élaborer des recommandations précises. Je ne manquerai pas de
vous tenir au courant de ces évolutions.
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disinfection and acupuncture. Acupunct Med. 2001;19(2):112-6.
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11 Bui A, Nguyen J. Attention,
c’est déjà arrivé ! Incidents et accidents attribués à l’acupuncture.
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12 Chen, CY, GC Liu, RS Sheu, and CL Huang. Bacterial meningitis and
lumbar epidural hematoma due to lumbar acupunctures: a case report. Kaoshiung J
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16
Bui A, Nguyen J.
Attention, c’est déjà arrivé ! Incidents et accidents attribués à
l’acupuncture. Acupuncture & Moxibustion 2003;2(1-2),102
17 Ara M, de Santamaria CS,
Zaballos P, Yus C, Lezcano MA. Mycobacterium chelonae
infection with multiple cutaneous lesions after treatment with acupuncture. Int
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18 Nambiar P, Ratnatunga C.
Prosthetic valve endocarditis in a patient with Marfan's syndrome following
acupuncture. J Heart Valve Dis 2001;10(5):689-90.
19 Nguyen J, Gerlier JL. Attention, c’est déjà arrivé ! Incidents et accidents attribués à
l’acupuncture. Acupuncture & Moxibustion 2002 ;1(3-4),111-112
20 Woo PC, Lau SK, Wong SS, Yuen KY. Staphylococcus
aureus subcutaneous abscess complicating acupuncture: need for implementation
of proper infection control guidelines. New
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21 Norheim AJ. Adverse effects of acupuncture: a study of the
literature for the years 1981-1994. J Altern Complement
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22
Haxhe JJ, Zumofen
M. Notion d’hygiène hospitalière : hygiène des mains : Available
from : URL :
http://www.md.ucl.ac.be/didac/hosp/cours/HH0.htm
23 Hygeniosa. Prévention du
risque infectieux nosocomial. Formation des professionnels de santé :
Available from : URL: http://www.hygienosia.com