Johan Nguyen
Jean-Marc Stéphan recommande
donc la désinfection à l'alcool des points de puncture, ce qui semblera
à beaucoup comme une évidence. Mais j'ai personnellement un avis et
une pratique opposés. Pour illustrer les risques d'une désinfection
insuffisante, Jean-Marc Stéphan nous rappelle quelques uns des nombreux
cas d'infection bactérienne ou mycobactérienne après acupuncture rapportés
dans la littérature mondiale. Mais tous ces cas ne peuvent être attribués
à une désinfection cutanée insuffisante. Il peut s'agir tout aussi bien,
plus simplement et à mon sens plus probablement, de l'utilisation d'aiguilles
non stériles. Les analyses épidémiologiques sur les sources des hépatites
B et C montrent le plus souvent en Asie une corrélation avec l'acupuncture
mais aussi avec les injections IM ou IV et il est signalé jusqu'à la
dernière décennie l'utilisation de matériel non stérile [1] (aiguille
d'acupuncture, mais aussi tout autre matériel d'injection). De telles
pratiques sont plus sûrement sources de contamination bactérienne ou
virale (à partir d'une flore non résidente fortement virulente) qu'une
absence de désinfection cutanée (à partir d'une flore résidente faiblement
virulente [2]). Il est de nombreux arguments allant dans le sens de
l'inutilité de la désinfection cutanée. Le plus spectaculaire
est une étude clinique publiée en 1997 [3]. Elle étudie chez 50 diabétiques
insulino-dépendants (1 à 4 injections par jour) l'injection d'insuline
classique avec désinfection de la peau à l'injection sans désinfection
et à travers les vêtements (!). Sur 20 semaines de suivi et 7.275
injections, il n' y a eu aucune complication cutanée. Les seuls inconvénients
ont été la difficulté à traverser certains vêtements et quelques taches
de sang sur les vêtements ! Cette étude est commentée dans le Concours
Médical [4] par le Pr Grimaldi (diabétologue de la Pitié-Salpêtrière)
qui parle d'un "tabou de la pratique académique diabétologique
qui tombe". En fait le Pr Grimaldi parle de l'injection à travers
le vêtement et précise que l'on savait déjà "qu'il n'y a pas
lieu de désinfecter la peau avant injection, mais qu'il suffit qu'elle
soit raisonnablement propre, bénéficiant d'une hygiène corporelle".
Cette étude confirme une étude non contrôlée de 1978 portant sur 13
diabétiques suivis sur 3 à 5 mois (1700 injections sans désinfection
de la peau) sans aucune complication infectieuse [5]. Ce qui est vrai
pour des sujets à risque dans des conditions péjoratives (à travers
les vêtements) me semble applicable dans notre pratique courante. Sur
une population tout venant cette fois, l'analyse de 5.000 injections
sans désinfection cutanée montre l'absence de cas d'infection [6]. Dans
un essai contrôlé randomisé désinfection à l'alcool versus absence de
désinfection dans des ponctions veineuses on observe deux cas d'abcès,
mais dans le groupe avec désinfection (!), toutefois sans signification
statistique [7].
Une étude expérimentale
(dans des conditions éthiques anciennes !) montre que chez le sujet
sain, pour obtenir une infection cutanée, l'inoculeum minimal est de
7.500.000 Staphylocoque dorés [8], alors que le nombre de bactéries
par mm2 de peau saine est 1000 fois moindre. "Compte tenu de
la surface négligeable nécessaire à l'insertion de l'aiguille, il est
clair que le nombre de bactéries injectées à travers une peau saine
non désinfectée est très en dessous de ce qui est nécessaire à la formation
de pus [3]". Hoffmann (Central Public Health Laboratory [1])
calcule qu'une une aiguille d'acupuncture ne peut entraîner en profondeur
que 660 germes (au maximum 10.000 en cas de passage sur une micro- colonie).
Il conclut que le risque d'infection lié à l'absence de désinfection
cutanée est très faible.
Jean-Marc Stéphan parle
d'un délai de 20 secondes après l'application d'alcool (c'est le temps
d'action nécessaire pour obtenir l'antisepsie). Mais que tous ceux qui
désinfectent la peau observent leur pratique : je doute que ce délai
soit respecté, 20 secondes c'est très long ! Wolkenstein [3] parle d'un
temps de préparation habituel d'un site d'injection (toute injection)
de l'ordre de cinq secondes, et sur un récent séjour à l'hôpital, c'est
ce que j'ai pu observer sur toutes les injections ou prélèvements effectués
sur moi : cela relève du rituel et non plus de la conduite médicale
efficace. En pratique, les conditions de désinfection de la peau correspondent
à une absence de désinfection sans qu'il ait été noté de complication
particulière.
De même Jean-Marc Stéphan
parle d'un délai de 20 secondes et 60 secondes chez certains patients.
Il ne s'agit pas en fait du temps applicable à certains patients, mais
du temps nécessaire à l'élimination des mycobactéries alcoolo-résistantes.
Ce qui veut dire que si on considère les cas rapportés dans la littérature
comme effectivement un risque lié à l'absence de désinfection cutanée,
il importe de respecter pour tous les patients un délai d'action de
60 secondes (ce qui est 5 fois le délai couramment prescrit qui n'est
déjà pas appliqué).
Il est effectivement
des recommandations (comme ceux de l'Australian Acupuncture Association)
préconisant la désinfection cutanée avant acupuncture. Mais ces recommandations
me paraissaient plus du domaine de l'habitude et du dogme que d'une
analyse précise du risque. Toute analyse amène à des conclusions opposées
: il est par exemple très évocateur que les pédiatres anglais (Royal
College of Paediatrics and Child Health) dans leurs recommandations
déclarent explicitement comme inutile la désinfection de la peau avant
vaccination [8].
En conclusion, je pense
que la désinfection cutanée dans les conditions de pratique habituelles,
et en dehors des patients à risque (groupe qu'il faudra redéfinir puisque
les diabétiques n'en font plus partie) est inutile et que le Collège
Français d'Acupuncture devrait exprimer un avis de cet ordre. Ceci n'empêcherait
nullement ceux qui veulent continuer à désinfecter la peau de le faire
: dans un hôpital anglais où la décision d'abandon de la désinfection
cutanée a été prise, 78% du personnel la continue par habitude ! [7].
Une prise de position contraire mettrait à tort en faute ceux dont la
pratique est conforme aux données scientifiques.
Une prévention efficace
des complications infectieuses liées à l'acupuncture passe par l'utilisation
stricte d'aiguille à usage unique et l'hygiène des mains du praticien.
correspondance : Dr Johan Nguyen, johan.nguyen@wanadoo.fr
Références 1. Nguyen J, Gerlier JL. L'hépatite C parait corrélée à Taiwan à la pratique
de l'acupuncture avec du matériel non stérile. Acup & mox 2002;1(3-4):111. 2. Hoffman P. Skin disinfection and acupuncture.
Acupunct Med. 2001 Dec;19(2):112-6 3. Fleming DR, Jacober SJ, Vandenberg MA, Fitzgerald
JT, Grunberger G. The safety of injecting insulin through clothing.
Diabetes Care. 1997 Mar;20(3):244-7.
4. Lemaire V, Grimaldi A, Wolkenstein P. L'injection d'insuline à travers
les vêtements peut-elle être recommandée ? Le Concours Médical 1998;120(37):2591-2.
5. Koivisto VA, Felig P. Is
skin preparation necessary before insulin injection? Lancet. 1978 May
20;1(8073):1072-5. 6. Dann TC. Routine skin preparation before injection:
an unnecessary procedure. Lancet. 1969 Jul 12;2(7611):96-8. 7. Sutton CD, White SA, Edwards R, Lewis MH. A
prospective controlled trial of the efficacy of isopropyl alcohol wipes
before venesection in surgical patients. Ann R
Coll Surg Engl. 1999 May;81(3):183-6. 8. Elek SD. Experimental staphylococcal infections
in the skin of man. Ann N Y Acad Sci. 1956 Aug 31;65(3):85-90. 9. Royal College of Paediatrics and Child Health.
Position
Statement on Injection Technique. March 2002. http://www.rcn.org.uk/publications/pdf/injection-technique.pdf
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