Le protocole de sevrage des addictions à l’héroïne du professeur Nguyen Tai Thu décrit dans le numéro précédent par Pierre Moal, s’appuie sur l’intérêt de l’utilisation des dosages des bêta-endorphines comme moyen de suivi ou de guérison de la toxico-dépendance [1]. Quelle en est la problématique ? La déplétion des endorphines suite à la prise d’héroïneNotre organisme utilise naturellement des substances similaires aux opiacés comme neurotransmetteurs. Il s’agit des bêta-endorphines, des enképhalines, des endomorphines et de la dynorphine, que l’on désigne souvent sous l’appellation d’opioïdes endogènes. Les effets très puissants des opiacés comme l’héroïne ou la morphine s’expliquent par le fait que ces substances exogènes vont se fixer sur les mêmes récepteurs que nos opioïdes endogènes. Les opiacés freinent entre autres, les cellules de l’hypophyse qui sécrètent de la bêta-endorphine. De ce fait, le sevrage des opiacés, par exemple de l’héroïne (naturellement présente dans l'opium, suc du pavot somnifère, papaver somniferum, voir figure 1) produit au bout de deux jours une augmentation statistiquement significative des endorphines [2].
Un usage quotidien d'héroïne engendre donc une diminution importante de la production des bêta-endorphines par activation des récepteurs opioïdes μ (mu) et κ (kappa). Une étude a montré que le sevrage, la prise de naloxone ou la désintoxication par méthadone (agoniste des récepteurs opioïdes μ, mu) la fait remonter [3]. Wen et coll. en 1979 objectivèrent que l’électroacupuncture associée à la naloxone chez les héroïnomanes entraînait une élévation dans le sang de 130% de l’ACTH, de 83% du cortisol et de 24% de l’AMP cyclique par rapport au début du traitement, mais cette augmentation des dosages n’était pas corrélée avec une amélioration des symptômes de sevrage. Ils en concluaient que la stimulation des endorphines par l’électroacupuncture était inhibée par la naloxone [4], ce que l’on savait déjà grâce aux études de Pomeranz et coll. en 1976 [5], Sjolund et coll. [6] en 1977 ou Mayer et coll. pour en citer quelques unes [7]. La naltrexone est comme la naloxone un antagoniste des opiacés. Elle agit par compétition avec la morphine et les opiacés sur les récepteurs μ (mu), κ (kappa) et δ (delta) localisés principalement dans le système nerveux central et périphérique. Une étude a étudié le taux des bêta-endorphines chez 21 anciens héroïnomanes prenant de façon chronique de la naltrexone. Ils en concluaient que des taux de bêta-endorphines pouvaient s’accroître durant les traitements chroniques d’antagonistes aux opiacés comme la naltrexone [8]. On peut comprendre cela par le fait que les antagonistes aux opiacés s’opposent ici aux opiacés exogènes, comme l’héroïne, mais va aussi s’opposer à l’électroacupuncture qui libère des opioïdes endogènes, d’où l’inefficacité de l’action de l’électroacupuncture sur les syndromes de sevrage en cas de prise concomitante d’antagoniste des opiacés comme la naloxone ou la naltrexone. Fréquences d’électroacupuncture : modèle expérimental animalUn autre point important à souligner dans le reportage de Moal sur la technique de Tai Thu, concerne les fréquences d’électroacupuncture. En effet, l’efficacité de l’électroacupuncture à supprimer les effets de l’abstinence morphinique a été étudiée chez des rats dépendants à la morphine. Han et coll. ont démontré qu’en fonction de la fréquence basse (2 Hz) ou élevée (100 Hz) de l’électroacupuncture, l’effet diffère sur la libération des neuropeptides opioïdes endogènes [9]. L’électroacupuncture à fréquence basse (2 Hz) entraîne une libération d’enképhaline, de bêta-endorphine et d’endomorphine qui sont en relation avec les récepteurs opioïdes μ (mu) et ont la même action que la méthadone sur les héroïnomanes. Par contre, la fréquence élevée de 100 Hz libère un autre type d’endorphine : la dynorphine qui se fixe sur les récepteurs κ (kappa), d’où une action complémentaire dans le sevrage [10]. Dans ce contexte, Zhang et coll, utilisant les découvertes de Han ont permis une détoxication de 121 héroïnomanes au bout de 14 jours suite à une électroacupuncture pluri-quotidienne alternées de 2 et 100 Hz. A noter que 8 indices servaient à déterminer l’efficacité du traitement, tous cliniques (fréquence cardiaque, poids corporel, anxiété, insomnie etc..) et aucun biologique [11]. Les endorphines ne doivent pas être un marqueur du sevrage chez les héroïnomanesDe ce fait, le dosage des endorphines peut-il servir de marqueur de l’efficacité du traitement électroacupunctural et du sevrage complet ? En 1979, l’équipe de Clement-Jones montrait ainsi que lors du sevrage des toxicomanes à l’héroïne, une élévation du taux des bêta-endorphines était objectivée à la fois dans le sang et le liquide céphalo-rachidien. Mais l’application de l'électroacupuncture n’élevait pas de manière statistiquement significative les bêta-endorphines par rapport au taux basal alors que les effets cliniques dus au sevrage étaient supprimés. Avant électroacupuncture, les niveaux dans le sang ou dans le liquide céphalo-rachidien de met-enképhaline n’étaient pas élevés, mais après traitement électroacupunctural, on rencontrait néanmoins une élévation des met-enképhalines dans le LCR, mais pas dans le sang [12]. En 1980, une autre étude a entrepris d’évaluer si le niveau des bêta-endorphines dans le sang ou le liquide céphalo-rachidien pouvait augmenter après électroacupuncture chez trente héroïnomanes. Aucune élévation ne fut obtenue au bout de 30 mn de stimulation. En dépit de cela, les symptômes liés au sevrage furent atténués et les auteurs concluaient que l’on ne pouvait pas exclure l’implication des bêta-endorphines dans l’action de l’électroacupuncture [13]. Tai Thu donne la valeur normale comprise entre 58 à 65 picogrammes par millilitre de sang selon la corpulence et l’ethnie. Il donne un taux de 43 pg/ml bas à l’entrée du drogué et considère le patient guéri lorsque le taux revient à 58 pg/ml. Or l’on sait depuis 1989 que la sécrétion des bêta-endorphines suit un rythme circadien et donc que le dosage varie en fonction de l’heure de 16-18 pg/ml jusqu’à 62 pg/ml à l’acrophase avec une amplitude de 6 +/-1 pg/ml [14]. D’où l’intérêt du choix de l’heure du dosage des bêta-endorphines et donc la difficulté de s’affranchir de ces données circadiennes ! Par ailleurs, le dosage des bêta-endorphines comme marqueur de la guérison, ne semble pas être le seul. Une équipe a aussi proposé en 1978 d’utiliser le dosage de l’AMP cyclique plasmatique qui diminue lors de l’électroacupuncture [15]. La mesure de la sécrétion de GH (hormone de croissance) assujettie au récepteurs B gabaergiques est altérée chez les héroïnomanes et peut être un marqueur d’une addiction persistante après deux mois d’abstinence [16]. Une étude plus récente en 2004 préconise de doser l’expression des récepteurs de l’ARNm de la dopamine D4 qui est diminuée de manière persistante chez les héroïnomanes abstinents [17]. En conclusion, si l’électroacupuncture élève le taux des endorphines aussi bien dans le sang que dans le liquide céphalo-rachidien, cette élévation est aussi le reflet de son élévation naturelle lors de tout sevrage. Il est donc difficile d’en faire un marqueur du sevrage de l’addiction de l’héroïne par électroacupuncture. Pour terminer, une revue systématique des études cliniques s’intéressant à l’efficacité de l’acupuncture dans les addictions aux opiacées a démontré qu’il n’y avait pas de preuve statistiquement significative de son efficacité [18]. La plupart des essais cliniques randomisés montrant une efficacité résultait des études à méthodologie non randomisée, non contrôlée et non aveugle ou provenait d’études en langue chinoise dont l’évaluation méthodologique reste difficile à apprécier. De ce fait, souhaitons que le professeur Nguyen Tai Thu réalise dans son hôpital à Hanoi un essai positif satisfaisant à tous les critères rigoureux de la méthodologie.
Références 1. Moal P. Traitement
acupunctural des addictions aux opiacés à Hanoi. Acupuncture
& Moxibustion. 2006;5(2):185-187.
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© Jean-Marc STEPHAN & Acupuncture & Moxibustion
septembre 2006
Stéphan JM. Electroacupuncture, addiction à l'héroïne et endorphines.
Acupuncture & Moxibustion. 2006;5(3):239-242.