Jean-Marc Stéphan
Les deux études chinoises commentées par Henning Strøm dans ce numéro [1], ont essayé d’objectiver une corrélation entre épisodes épidémiques et cycles du calendrier chinois. La première étude de Zhang Nianshun conclut qu’il n’y a pas de corrélation sûre. La deuxième étude de Chen Bixian montre par l’astuce de regrouper les Troncs Célestes deux par deux selon l’appartenance aux « 5 mouvements » que les épidémies sont en accord avec la cause, c’est à dire le Feu. Henning Strøm fait remarquer avec justesse que ces chiffres sans évaluation statistique ne sont pas convaincants. Certes, il pourrait y avoir un certain intérêt à utiliser les Branches Terrestres et les Troncs Célestes afin de concevoir un système de prévisions météorologiques. Cependant, il apparaît hasardeux de prétendre que prévoir la météorologie sous nos latitudes à la lumière des théories chinoises soit plus efficace par exemple que les prévisions réalisées par Météo France. Il y a des analogies entre le climat de la France et certains climats de la Chine, en particulier toute la zone du berceau de la Médecine Traditionnelle Chinoise, mais aussi de la philosophie chinoise qui se situe dans la région des cours moyen et inférieur du Fleuve Jaune, de la région de Zhengzhou dans la province du Henan à celle de Jinan ou de Qingdao dans la province du Shandong. J’avais décrit la climatologie sur une période de cinq ans (1987 à 1992) selon les prévisions chinoises [2] et réalisé une corrélation avec les mesures météorologiques occidentales de la même période relevées par Météo France précisant hauteur des précipitations, température moyenne et degré Celsius. Cette étude avait été réalisée de manière statistique avec moyenne sur 5 ans et calcul de l’intervalle de confiance à 95%. J’en avais conclu qu’il y a une concordance de 56,45% entre les prévisions météorologiques chinoises et celles observées par Météo France, bref à peu près une chance sur deux d’être dans le vrai. Henning Strøm s’interroge de la réalité des pluies plus abondantes pendant la période de l’élément Terre qui prédominerait 18 jours avant chaque commencement de saison. Il me semble qu’il faut plutôt envisager la 5ème saison comme un sous-ensemble de l’été, période allant du 1 août au 31 août. La médecine traditionnelle chinoise décrit 5 saisons, ou du moins, 4 saisons et une 5ème saison complémentaire. Dans le Suwen chapitre 29 « du taiyin et du yangming », Huang Di demande : « Pourquoi la Rate n'a-t-elle pas la souveraineté d'une saison ? ». Qi Bo répond : « La Rate est Terre, elle gouverne le Centre. En toute saison elle est "' soutien de famille " pour les quatre autres viscères qui lui délèguent chacun 18 jours de commandement. Elle n'a donc pas de saison propre.. » [3]. Il apparaît donc que la cinquième saison est constituée de 4 périodes intermédiaires de 18 jours se situant entre les quatre saisons, centrées sur les équinoxes et les solstices. Et pourtant le chapitre 9 du Suwen nous en donne une autre interprétation avec une cinquième saison appelée « été de croissance » : « Le printemps prévaut sur "'l'été de croissance" (zhangxia – 6ème mois), celui-ci prévaut sur l'hiver, l'hiver sur l'été, l'été sur l'automne et l'automne sur le printemps. Tel est le cycle des prédominances des saisons conformément aux 5 éléments donc chacun commande un viscère » [3]. Ainsi la cinquième saison semble être à ce niveau qu'une seule période se situant entre l'été et l'automne, bref la fin de l'été, ou le fameux "été indien" pour les Nord-Américains. Une étude faite par Choisnel et Dinouart a permis d'avancer des arguments solides en faveur de la seconde hypothèse [4]. Pour eux, la cinquième saison, associée à l'humidité, coïncidant avec le maximum du contenu en vapeur d'eau de l'atmosphère se situe au mois d'août. Néanmoins, j’avais montré que les moyennes de précipitations sont à peu près semblables quelle que soit la saison. Mais ce qui pourrait faire la différence, c’est effectivement la valeur de saturation de la vapeur d’eau dans l’air qui est beaucoup plus élevée en été que durant les autres saisons, du fait de la chaleur [5]. D'autre part, les deux études chinoises ont essayé de démontrer que l’on pourrait prévoir les épidémies, car elles reviendraient de manière cyclique et surtout pendant les années Bois « qui produisent du Feu, les années Feu qui produisent un excès de Feu.. », le tout en accord avec la cause : le Feu. Il eût été judicieux d’utiliser la méthode de cosinor appliquée à cette période de 1200 ans qui aurait permis de déterminer un éventuel rythme biologique. Ainsi une étude épidémiologique sur 5 ans de type cas-témoins portant sur 7342 actes médicaux avec analyse de variance des saisons comparées deux par deux et test t de student avait constaté une différence significative (p=0,012) entre le nombre de maladies infectieuses apparues entre l’été et l’hiver, ce qui semble évident, mais pas de rythme détecté par la méthode de cosinor. Idem pour les problèmes infectieux ORL et pulmonaires. On a pu néanmoins noter que la pathologie infectieuse ORL survenait essentiellement en automne, de manière statistiquement significative (p=0,004), conforme donc aux données de la médecine traditionnelle chinoise [5]. En conclusion cette étude, bien que limitée dans le temps et ne concernant que des épisodes infectieux et non les épidémies (quoique durant cette période, il y eut aussi une épidémie de grippe et de gastro-entérites), objective qu’il n’y a pas de rythme sur 5 ans. Et malheureusement, les deux études chinoises dont l’intérêt était justement de rechercher un éventuel rythme sur une période de 1200 ans semble aller dans ce sens. On peut penser comme Henning Strøm qu’une épidémie dépend de trop de variables pour être prévisible en fonction des Troncs Célestes et des Branches Terrestres.
Références 1. Strøm H. Les épisodes épidémiques sont-ils corrélés aux cycles du calendrier chinois ? Acupuncture & Moxibustion. 2006,5(2):154-158.2. Stéphan JM. A propos des troncs célestes et des branches terrestres : réflexions sur les rythmes biologiques, la chronopathologie et les prévisions météorologiques selon les conceptions chinoises (2ème partie). Méridiens. 1995;104:37-74. 3. Husson A. Huang Di Nei Jing Su Wen. 3ème éd. Paris: ASMAF; 1987. 4. Choisnel E, Dinouart P. A propos de la cinquième saison chinoise: Premiers éléments de réflexion. Méridiens. 1986;73-74:125-139. 5. Stéphan JM. A propos des troncs célestes et des branches terrestres : réflexions sur les rythmes biologiques, la chronopathologie et les prévisions météorologiques selon les conceptions chinoises (3ème partie). Méridiens. 1995;105:33-58. |