analyse d’un cas de
céphalées
Dans ce Forum est présenté un cas clinique analysé par le Pr B. Yp, Président d'une Université de Beijing, et rapporté par Hervé Le Blais. Il a été demandé à plusieurs membres du Comité de rédaction de la revue de faire part de leurs réflexions et commentaires.
Observation clinique | Analyse Pr B Yp | HERVÉ Le Blais | Jean-Louis Lafont | Gilles Andrès | |
Johan Nguyen | Robert Hawawini | Pierre Sterckx |
Si vous désirez intervenir dans ce forum, envoyez votre
commentaire à l'adresse courriel : forum@acudoc2.org
Dès réception et acceptation par le comité de rédaction, votre commentaire prendra place dans ce forum clinique.
CAS CLINIQUE (rapporté par Hervé Le Blais)
Une femme de 35 ans présente depuis de nombreuses années
des migraines.
Par périodes, celles-ci peuvent être quotidiennes et
intenses entraînant la prise d’antalgiques majeurs dont des morphiniques. Elle
est dépressive depuis 5 ans avec souvent des idées suicidaires et consomme des
hypnotiques et anxiolytiques. Pas d’autres antécédents notables.
Les céphalées sont souvent extrêmement intenses, localisées
aux régions temporale et occipitale, majorées par l’anxiété, l’insomnie, la
chaleur, le vent froid et la coexistence d’une autre douleur, accompagnées de
nausées et de vomissements incoercibles d’eau et de mucosités et de spasmes de
la bouche et des mains ; au cours de la crise, la patiente décrit une sensation
de froid aux pieds, jambes, mains et avant bras ainsi que des sensations
vertigineuses et depuis peu des troubles de la vue avec perception de tâches
noires ; son entourage a remarqué dans ces moments une veine très saillante dans
la région temporale.
Les insomnies sont fréquentes et anciennes avec un
endormissement difficile et des réveils nocturnes fréquents. Des palpitations
surviennent lors des changements rapides dans la vie quotidienne ou d’une
frayeur. Elle a moins d’appétit, s’alimente sans horaire fixe, éprouve un dégoût
de la viande. Les selles sont dures. Il survient fréquemment des aphtes de la
langue et de la joue. Une soif de boissons froides coexiste avec une frilosité.
Elle transpire facilement, le jour et la nuit, surtout lors des efforts. Il
existe une rhinorrhée chronique majorée par le décubitus et accompagnée d’une
obstruction nasale. Un goût de métal est fréquent. Les règles sont régulières
tous les 28 jours, durent 3 jours, sont peu abondantes et non douloureuses. Elle
urine 3 à 4 fois par nuit.
A l’examen, la langue est grosse, tremblante, avec des
marques de dents et des crevasses ; l’enduit est mince et blanc. Le pouls est
glissant (hua),
profond (chen) et
sans force (wu li).
DISCUSSION CLINIQUE
(Pr B. Yp, rapportée par Hervé Le Blais).
Il s’agit d’un cas complexe car ancien et de ce fait les
équilibres énergie-sang et yin-yang ont été
modifiés. S’agit-il d’une plénitude (shi) ou
d’une déficience (xu) ? Il
s’agit en fait d’un mélange des deux. Quel aspect domine l’autre ? La plénitude
l’emporte ici sur le vide. La plénitude en se chronicisant aboutit à une
déficience. Quelle est la nature de cette plénitude ?
Tout d’abord l’humidité (shi) qui
constitue le qi pervers
(xieqi) non
pas d’origine externe mais interne. Les mucosités (tan) et la
stagnation de sang (yuxue) sont
les autres éléments constitutifs de ce syndrome de plénitude. Ces deux pervers
internes sont fréquents et souvent secondaires à des troubles émotionnels. Les
émotions déréglées sont en effet responsables d’une stagnation de qi qui,
dans les vaisseaux sanguins peut aboutir à une stase de sang et, hors des
vaisseaux, dans les tissus, produire une stagnation des liquides du corps
(jinye)
souvent responsable de la production de tan. Selon
l’adage "le tan est à
l’origine de beaucoup de pathologies". La stagnation de qi, puis
de sang, de liquides et de tan peut
aboutir à un déséquilibre du qi-xue puis,
ultérieurement, à celui du yin-yang de tous
les organes.
Dans la situation présente, la plupart des organes sont
atteints : le Cœur avec l’insomnie, les réveils fréquents, les palpitations, le
pouls faible à gauche au pouce ; le Foie Vésicule Biliaire avec la tristesse
liée à la dépression, la constipation et les ballonnements liés à une stagnation
de qi, les
douleurs localisées au shaoyang au
niveau de la tête ; la Rate-Estomac avec l’absence de faim et les aphtes, les
règles courtes et peu abondantes ; la Vessie pour les localisations occipitales
des céphalées ; le Rein avec les mictions nocturnes fréquentes.
Les sensations de froid aux mains et aux pieds ne sont pas
dues ici à une déficience du yang des
Reins mais à une stagnation du yangqi consécutive à la stagnation du qi du Foie
et à la présence d’humidité. Le yangqi n’irrigue alors plus correctement le corps et surtout les
extrémités. Les mains et les pieds donnent une sensation subjective de froid qui
n’est pas observée à la palpation comme c’est le cas dans la déficience du
yang des
Reins.
Diagnostic
Maladie : céphalées (toutong)
Syndromes :
- nouure du qi du Foie
entraînant une stagnation du qi et une
stase de sang
-
humidité d’origine interne avec stagnation de mucosités
- déséquilibre yin- yang des zang-fu.
principe thérapeutique
- faire
circuler le qi du
Foie
- éliminer les mucosités
- faire circuler le sang et réduire les stases de sang
méthode thérapeutique
- Les points utilisés sont principalement ceux du
Foie-Vésicule Biliaire et du dumai :
baihui (20DM),
shangxing (23DM),
fengfu (16DM),
taiyang,
hegu (4GI),
taichong (3F),
yanglingquan (34VB),
xuehai (10Rte)
et fenglong (40E) à
utiliser en dispersion modérée.
- C’est aussi une bonne indication au massage (tuina) qui
possède les mêmes effets que l’acupuncture en particulier pour faire circuler le
qi.
Il convient également de réduire progressivement les hypnotiques jusqu’à les arrêter.
COMMENTAIRES.
1-
Hervé Le Blais (Paimpol)
J’ai choisi de rapporter ici le déroulement d’une
consultation effectuée par le professeur B. Yp. Elle illustre le cheminement de
la pensée si particulière et subtile de cet art du soin. Cette observation
complexe illustre la difficulté du diagnostic en MTC. Elle met aussi en lumière
certaines notions fondamentales de la physiopathologie : rôle du Foie sur la
circulation du qi,
notion de pervers interne, syndromes de déficience, plénitude et stagnation,
rôle de l’humidité et des mucosités.
1- Le rôle du Foie.
Cet organe occupe pour les Chinois une position essentielle
dans la physiopathologie du fait de son rôle dans la libre circulation du
qi et la
régulation des émotions. Dans cette observation, la stagnation du qi consécutive à un blocage du Foie d’origine émotionnelle
aboutit à une stagnation de liquides puis à la formation de mucosités (tan). A un
degré de plus survient la stase de sang (yuxue) qui
peut être diffuse ou localisée à un organe. C’est ainsi que les émotions sont
largement prises en compte dans l’origine de nombreuses pathologies. Les
médecins chinois insistent souvent sur l’importance de faire circuler le
qi avant
même de tonifier un état de déficience.
2- La notion de pervers interne.
Liquides stagnants, mucosités et stase de sang sont
eux-mêmes causes d’un dysfonctionnement interne (li) et donc
responsables d’une pathologie. C’est pourquoi ils sont appelés pervers internes
par opposition aux pervers externes dont l’atteinte concerne d’abord la
superficie (biao) de
l’organisme.
3- Déficience et plénitude.
L’accumulation de ces substances dans le li constitue un syndrome de plénitude. C’est pourquoi le Pr B.
Yp parle de plénitude alors que les signes de déficience sont importants.
Habituellement, lorsque les 2 types de signes, déficience et plénitude,
coexistent, c’est la langue et le pouls qui permettent de trancher. Ici la
langue grosse et indentée indique la présence d’humidité de même que le pouls
glissant (hua). Le
pouls profond (chen) et sans
force (wuli) démontre la déficience.
La douleur constitue en soi, selon le professeur Bai
Yongpo, un signe de plénitude. Il s’agit de fait d’un blocage de la circulation
du qi, des
liquides organiques (jinye) et
parfois aussi du sang, provoquant une plénitude en amont. La plénitude est ici
importante avec des douleurs intenses bien que chroniques. C’est pourquoi le
médecin chinois retient avant tout cette plénitude même si elle est consécutive
à une stagnation et aboutit à un état de déficience global. Bien entendu un état
de déficience peut être à la base d’un syndrome douloureux chronique comme on
l’observe dans les lombalgies. Il s’agit alors d’un syndrome de plénitude de la
cime (biao) et
déficience de la racine (ben).
4- Le rôle de l’humidité (shi) et des mucosités (tan).
Dans le même ordre d’idées, beaucoup de médecins chinois
insistent sur le rôle majeur de l’humidité et des mucosités internes dans
l’entrave à la libre circulation du qi. Beaucoup de maladies parfois graves peuvent en résulter. La
nature stagnante et collante de l’humidité et du tan oblige
à des traitements longs et opiniâtres.
5- conclusion.
Le diagnostic traditionnel est parfois complexe. Il
nécessite de recenser tous les signes actuels de la
maladie, de les organiser de façon rigoureuse. Le succès
d’un traitement est à ce prix.
En présence de cette observation clinique, je propose une
série de réflexions qui sont plus des éléments de discussion qu'une véritable
solution à ce problème clinique. En face de son patient et, parfois même à son
insu, le médecin valorise spontanément certains signes qui l'orientent sûrement
vers la solution, alors qu'un compte rendu en l'absence du malade reste toujours
sujet à controverses. Si l'observation du professeur B. Yp et son choix de
points ont conduit à une amélioration satisfaisante de son patient c'est qu'il
avait raison dans son diagnostic et son choix de points. Cela seul est suffisant
pour réduire au silence toutes les critiques.
1- "s'agit-il d'une plénitude ou d'une déficience?"
Pour affirmer une plénitude il faudrait que la douleur soit
aggravée à la pression, ce qui n'est mentionné nulle part. A mon avis il s'agit
d'un vide et d'une stagnation. En principe le mécanisme de la stagnation est
différent de celui de la plénitude. Il faudrait que l'on s'entende sur la
terminologie technique.
2- "Les mucosités et la stagnation de sang sont les autres
éléments constitutifs de ce syndrome"
Pour affirmer une stase de sang sur quels signes se
base-t-on ? Dans l'observation, la couleur du corps de la langue n'est pas
mentionnée. Par ailleurs aucun des signes relevés à l'examen du pouls n'oriente
vers une stase de sang. De plus les règles ne sont pas douloureuses et il n'y a
pas de caillots. Où sont les signes de stase de sang ?
3- "Diagnostic: syndrome de nouure du qi du Foie"
Sur quels signes cette affirmation ? La langue tremblante
évoque un vent et non une stagnation du qi. Le
pouls ne présente aucun signe dans ce sens. Si certaines émotions jouent un rôle
déterminant dans une stagnation du qi du Foie
on ne peut en déduire que toutes les émotions entraînent une stagnation du
qi. Il y
a là un raccourci édifiant.
4- "La douleur localisée sur shaoyang au niveau de la tête (...) la Vessie pour les localisations
occipitales"
Il me semble que l'entrecroisement du territoire des
méridiens sur l'extrémité cervico-céphalique doit rendre prudent dans le
diagnostic de l'atteinte d'un méridien à partir de la seule topographie de la
douleur.
5- Je note l'absence de description de la forme corporelle
(xing), du
teint, de la couleur du corps de la langue, de l'aspect des différentes loges du
pouls (pourtant l'observation mentionne "le pouls faible à gauche au pouce". Et
les autres ?).
Au total j'ai l'impression que la démarche intellectuelle
qui conduit au diagnostic consiste en un découpage commode où chaque signe est
rattaché de façon exclusive à un tableau clinique (zheng) :
céphalée occipitale = Vessie, miction nocturne = Rein, insomnie = Cœur etc.
Cette démarche se retrouve fréquemment à l'heure actuelle dans bon nombre de
publications chinoises. J'ai des doutes quand à la validité de cette
démarche.
La critique est aisée... je me dois donc de proposer
quelque chose, une autre lecture de la même chose. La langue est grosse avec des
marques de dents, l'enduit est mince et blanc, le pouls est glissant, profond,
sans force.
On peut sur ces signes d'examen et sur les signes cliniques
affirmer qu'il s'agit d'un vide de qi d'Estomac avec stagnation d'humidité. Ces symptômes sont à
mettre en relation avec : crises de céphalées accompagnées de vomissements d'eau
et de mucosités, sensations vertigineuses, troubles visuels, diminution de
l'appétit, aphtes, goût de métal, rhinorrhée chronique, obstruction nasale,
transpirations aggravées à l'effort, frilosité.
L'interrogatoire ne précise pas si les crises de céphalées
existaient avant la dépression où sont apparues depuis. Dans l'hypothèse où
elles existaient avant, la dépression est venue compliquer un tableau
préexistant où dominait un vide de qi, une
stagnation d'humidité et un reflux. Dès lors on peut proposer le mécanisme
physiopathologique primitif suivant : vide de qi d'Estomac -> stagnation d'humidité -> blocage de la
descente -> reflux -> froid des extrémités. L'abondance des facteurs
favorisants les crises de céphalées (anxiété, insomnie, chaleur, vent froid,
coexistence d'une autre douleur (?)) est plus en faveur d'une baisse de l'état
général (aggravation du vide de qi) en
tant que facteur déclenchant que d'une stagnation du qi du Foie
en rapport avec des émotions. La présence de ce reflux est une priorité du
traitement (cf. SW.65 Ramure et tronc).
En présence d'un tableau intriqué de ce type je pense qu'il
faut envisager un "débordement" sur un vaisseau extraordinaire et je suis étonné
que cette éventualité ne soit pas sérieusement discutée dans les explications
qui suivent l'observation. Un tableau de ce type évoque renmai (accumulations et entassements) et pour confirmation il
faudrait savoir l'aspect du pouls au pouce à droite. Si l'aspect du pouls
confirmait cette hypothèse je piquerai à la première séance : P7, RM12.
Cette observation, pour intéressante qu'elle soit, ne nous
dit pas quelles ont été les modalités pratiques du traitement, ni son résultat.
Le type d'analyse présenté, ainsi que les principes thérapeutiques énoncés, nous
paraissent plus proches de la phytothérapie que de l'acupuncture. Si les
mécanismes pathogéniques de la maladie semblent bien explorés, nous ne sommes
aucunement éclairés sur les causes originelles des céphalées. Ceci explique
peut-être pourquoi aucune explication n'est donnée quant au choix des
points.
1- Il est décrit un pouls à trois qualificatifs : glissant,
profond et sans force. L'identification d'un pouls glissant sur un pouls par
ailleurs profond et sans force me semble cliniquement très aléatoire. Dans
quelle mesure un examen du pouls réalisé après l'interrogatoire est-il influencé
par les données déjà recueillies ? Le caractère glissant est-il réel (et
cliniquement identifiable) ou ne sert-il consciemment ou inconsciemment qu'à
affirmer la présence de glaire-humidité ?
2- Le syndrome de déséquilibre yin-yang des
zang-fu me
semble particulièrement imprécis. Chez cette patiente je porterai le diagnostic
de vide de yang (langue
œdémateuse avec empreintes dentaires, frilosité, sudation spontanée et d'effort,
règles courtes et peu abondantes, pollakiurie nocturne, pouls profond, sans
force) du Cœur (dépression, insomnies, palpitations, anxiété) et de la Rate
(anorexie). Les céphalées intenses et localisées font effectivement référence
classiquement à une stase de qi et de
sang (rapportée à la stase du qi du
foie). Je dirais que nous avons une patiente avec vide de yang du Cœur
et de la Rate (en intercrise) avec associée en période critique une stase de
qi et de
sang.
3- Un autre syndrome identifié par le Pr B. Yp est Humidité
d'origine interne avec stagnation de mucosités. Il me semble qu'il y a là une
absence de différentiation claire entre 1) diagnostic et 2) processus
physiopathologique. On peut éventuellement évoquer une stagnation des glaires en
tant que processus physiopathologique, mais en tant qu'entité clinique, il y a
peu d'arguments en dehors de vomissements en période critique (qui ne peuvent
avoir une valeur univoque) et du pouls glissant dont nous avons vu que l'on
pouvait s'interroger sur sa signification.
4- L'analyse physiopathologique avec la trilogie "émotions
déréglées", stagnation des liquides du corps, et stagnation du qi et du
sang relève de processus généraux, peu spécifiques et d'implication
quasi-constante dans les analyses cliniques de cas chroniques.
5- Mes commentaires se rapportent bien sur à l'observation
telle qu'elle est présentée. Il faudrait tenir compte des conditions du recueil
de l'observation (non précisées) et du décalage obligatoire entre la réflexion
du clinicien, la traduction (probable) et la transcription écrite.
Tout d'abord j'insiste sur le fait que mes commentaires
n'engagent que ma propre expérience, qui ne peut se comparer à celle d'un
professeur de médecine chinoise.
1-
Ce qui frappe de prime abord dans cette observation est
l'importance que prend le vide associé à la plénitude et le fait que ce vide
soit complètement négligé malgré ; d'une part, toutes les recommandations
d'auteurs et de textes anciens et modernes ; d'autre part, le Pr B. Yp
lui-même.
2-
J'ai du mal à admettre qu'un pouls profond (chen) et
sans force (wuli),
associé à une telle crainte du froid, soit seulement dû à une stase du qi du Foie
et des mucosités, et n'ait pas été pris en compte dans le traitement. Bien que
ce fait soit décrit par d'autres auteurs, je n'ai jamais vu un froid régresser
par la seule dispersion de la stase du qi du Foie
et des mucosités, permettant ainsi au yang de se
mobiliser pour arriver aux extrémités. Il y a toujours un froid quelque part,
dans les Reins et/ou la Rate, qui nécessite une calorification. Ce que je
rencontre parfois est un froid-humide de la Rate avec stase de mucosités et de
qi du
Foie, ce froid-humide peut ou non s'accompagner d'un vide de yang des
Reins (et même de Rate) ; mais il y a toujours un froid quelque part. Dans ce
cas, un pouls profond et sans force avec un enduit lingual blanc et mince,
confirme le froid-vide. Ce froid peut mal se mobiliser à cause de la stase du
qi du
Foie, cependant, il est là quand même.
3-
La stase du qi du Foie
n'a jamais été une cause de céphalée, qui est un contre-courant. Pour que la
stase devienne une céphalée, il faut une transformation en yang ou feu
du Foie. Dans cette observation où le vide est présent, il s'agit sûrement d'une
élévation du yang du Foie
(chaleur-vide), ce qui n'est pas mentionné dans l'observation. De plus : d'une
part, au vu du vide, il y a sûrement un vide de yin des
Reins sous-jacent ; d'autre part, au vu du froid, un vide de yang des
Reins associé. Enfin, le vide de yin des
Reins qui ne nourrit pas le yin du Foie
; d'une part, s'accompagne d'une élévation de son yang ;
d'autre part, d'une transformation en vent interne authentifiée par la langue
tremblante et les spasmes de la bouche et des mains.
La céphalée temporale certifie le yang du
Foie, appelée ici céphalée du shaoyang car il
s'agit en fait du Foie et de la Vésicule Biliaire. Cependant, il y a une
céphalée occipitale, soit, du taiyang en
rapport biao/li avec
les Reins du shaoyin. Ceci
montre que les Reins sont impliqués, expliquant en grande partie le vide, ce qui
n'est pas évoqué explicitement.
4-
Il est fait mention d'une "autre douleur" accompagnée de
nausées et de vomissements, dont nous n'avons aucun détail. Dans un tel contexte
de mucosités il pourrait s'agir d'une douleur frontale du yangming,
ramenant donc sur la Rate en rapport biao/li avec
l'Estomac du yangming. Qu'en
est-il ? De ce point de vue, pourquoi la Rate n'a pas été tonifiée afin de
faciliter la dispersion des mucosités par le fenglong 40E ?
Tous les auteurs insistent sur le fait que les mucosités ne peuvent être
dissoutes par leur seule dispersion, dans un contexte de vide.
5-
Si la cause de la céphalée était une stase, comme cela est
dit, il pourrait s'agir effectivement d'une stase de qi et de
sang, puisque la stase du qi du Foie
est cause de stase de sang. Pourquoi y a-t-il une stase de sang (il a été piqué
xuehai 10Rte),
alors qu'il n'y a ni pouls tendu (xian) ni
pouls rugueux (se) ni
langue mauve ou avec des tâches mauves ? Déjà dans l'observation il est donné
une grande place à la stase du qi du
Foie, alors qu'aucun pouls tendu (xian) n'y
figure.
6-
Enfin, nous aurions aimé savoir ce que la patiente est
devenue. A-t-elle réagit positivement à la séance ? A-t-on observé une
modification des pouls et de la langue ? D'autre part, le traitement d'une
céphalée n'est pas celui d'un symptôme, mais d'un terrain, nécessitant un bilan
par la différentiation selon les syndromes. Autrement-dit le traitement se
déroule au moins à moyen terme, a-t-on ce recul nécessaire pour juger du
résultat thérapeutique ? Nous n'avons aucune information à ce sujet.
Il faut insister sur le fait que toutes ces considérations concernent l'observation telle qu'elle est écrite. Cependant, nous n'avons pas vu personnellement la patiente et nous n'avons pas assisté à l'entretien avec le Pr B. Yp. Peut-être que les critiques que je fais ont été évoquées lors de la consultation ?
Pierre Sterckx
Il est bon parfois de se référer d’abord à la langue et au pouls, qui sont réputés traduire
l’état général du qi et du sang du corps. La langue est grosse, tremblante, avec
des marques de dents et de crevasses. Cela suggère un vide de yang et une
rétention d’humidité, le tremblement répercutant soit le vent, soit
l'instabilité du qi suite au vide. Le pouls glissant, profond et sans force,
évoque la rétention interne de glaires ou d’eau humidité lié à une désactivation
du yang. La racine de la maladie serait donc un vide du yang.
En traitant les deux extrêmes du méridien du foie (Dadun et
Baihui) avec principalement le moxa, on réchauffe le foie, disperse le froid,
fait monter le clair et descendre le trouble . Zhongwan, le point mu du
méridien de l’estomac, avec moxibustion forte, permet de réchauffer l’estomac,
disperser le froid et transformer les liquides pathologiques. Zusanli, le point
he du méridien de l’estomac, avec piqure plus moxa, fortifie la rate, harmonise
l’estomac et régularise la montée et la descente.
Reformulation des problèmes : questions
Le diagnostic posé dans l'observation était :
- Stase de qi du Foie avec stase de qi et stase de sang.
- Humidité interne avec stagnation des mucosités
- Déséquilibre Yin Yang des Zang-Fu
Suite aux différentes interventions, nous avons listé un certain nombre de questions précises :
Regroupées en deux catégories :
- I- formulation du diagnostic,
- II- autres problèmes posés.
Il est demandé aux intervenants :
- de répondre brièvement aux questions de leur choix et si nécessaire avec des références bibliographiques précises.
- ou encore d'adresser un commentaire plus général sur le diagnostic en Médecine traditionnelle chinoise sur la base de l'observation commentée.
1. Y-a-t-il une plénitude ?
- Contesté par Jean-Louis Lafont : la plénitude est différente de la stase, dans la plénitude la douleur est aggravée par la pression, ce qui n'est pas le cas.
2. Y-a-t-il une stase de sang ?
- Contesté par Jean-Louis Lafont en l'absence de signe pulsologique et lingual, en l'absence de règles douloureuses et de caillot.
3. Y-a-t-il une stase de qi du foie ?
- Contesté par Jean-Louis Lafont devant l'absence de signe pulsologique et lingual, le déclenchement par les émotions étant insuffisant pour affirmer la stase de qi du foie.
- Contesté par Robert Hawawini : la stase de qi du foie n'est jamais une cause de céphalées. La céphalée ne peut exister que s'il y a transformation en yang ou feu du foie.
- Contesté par Robert Hawawini devant l'absence de pouls tendu.
4. Y-a-t-il un syndrome glaire ?
- Contesté par Johan Nguyen, non en tant que mécanisme mais en tant que syndrome patent.
- Robert Hawawini (17/11/02) : je ne comprends pas la différence entre "mécanisme" et "syndrome patent".
5. Y-a-t-il un vide de qi de l'estomac avec reflux.
- Affirmé par Jean-Louis Lafont
- Affirmé par Pierre Sterckx (montée contraire d'eau froide de l'estomac et du foie)
6. Y-a-t-il un débordement du Renmai ?
- Affirmé par Jean-Louis Lafont (la confirmation serait sur l'aspect du pouls au pouce à droite).
7. Y-a-t-il un vide de yang ?
- Réfuté dans l'observation sur le caractère subjectif de la sensation de froid aux pieds et aux mains rapporté à une stagnation de yangqi, qui s'oppose au caractère objectif (palpation d'extrémités froides) du vide de yang.
- Affirmé par Johan Nguyen (langue oedématiée avec empreinte dentaire, frilosité, sudation spontanée d'effort, pollakiurie nocturne, pouls profond, sans force)
- Affirmé par Robert Hawawini, (pouls profond, sans force, enduit lingual mince et blanc, crainte du froid).
- Affirmé par Pierre Sterckx (langue grosse, tremblante, avec marque des dents et crevasses, pouls profond, sans force).
8. Y-a-t-il un vide de yang du cœur ?
- Affirmé par Johan Nguyen (dépression, insomnies, palpitation, anxiété)
- Affirmé par Johan Nguyen (anorexie)
- Affirmé par Pierre Sterckx
- Affirmé par Pierre Sterckx.
- Affirmé par Robert Hawawini.
- Affirmé par Pierre Sterckx en référence au shanghanlun (art 309- 378).
12. Y-a-t-il une montée du Yang du Foie avec transformation
en Vent interne ?
- Affirmé par Hawawini devant la céphalée du shaoyang. Les signes de vide suggèrent une montée du yin du foie, associée à un vide de yin des reins qui ne nourrissent plus le foie. Des signes de transformation en vent interne sont notés (langue tremblante, spasmes de la bouche et des mains).
13. La localisation des céphalées est-elle suffisante pour
affirmer une atteinte d'un organe ?
- Contesté par Jean-Louis Lafont.
- Relativisé par Pierre Sterckx (le qi-froid suit la voie qui lui convient).
- Affirmé par Robert Hawawini : atteinte Foie et Vb (céphalées temporales) et Reins (occipitales) et éventuellement rate (frontales).
14. Le vide est-il sous-évalué ? (Robert Hawawini)
15. Pourquoi l'aspect du pouls dans les différentes loges n'est-il pas précisé alors qu'il est fait référence dans les commentaires à un pouls faible au pouce à gauche? (Jean-Louis Lafont)
16. La multiplication des qualificatifs du pouls ne limite-t-elle pas d'autant sa valeur ? (Johan Nguyen)
Robert Hawawini (17/11/02) : que veut dire le terme "multiplication des qualificatifs du pouls" ? A partir de combien de critères un pouls est multiple, ce qui lui ferai perdre sa valeur ?
17. Niveau du diagnostic : peut-on se contenter d'un diagnostic de déséquilibre des zang-fu ? (Johan Nguyen)
Robert
Hawawini (17/11/02) : on ne peut pas se
contenter d'un diagnostic des Zang/Fu. Il faut déterminer les Energies (au sens
large) atteintes, ainsi que les méridiens.
- Pour deux
maladies touchant un même Zang, le diagnostic peut être différent et le
traitement bien sûr. On ne diagnostique ni ne traite de la même manière un Yang
du Foie (Chaleur-Vide), d'un Feu du Foie (Chaleur-Pleine), d'une
Humidité-Chaleur du Foie. De même, un Vide de Yin des Reins est différent d'un
Vide de Yang des Reins. Dire donc qu'il s'agit du Foie ou des Reins, ne suffit
pas.
- Un Vide de Yin des Reins (Li) peut donner une
céphalée occipitale (rapport Reins-Vessie) et/ou une céphalée temporale par
l'intermédiaire d'un Yang du Foie. Il faut donc différentier le méridien sur
lequel se manifeste la céphalée pour traiter sa manifestation (Biao). Idem pour
une sciatique provenant d'un Vide des Reins et se manifestant sur Vessie ou
Vésicule Biliaire.
18. Critique de la pathogénie des zheng : émotion, stase des liquides, stase de qi et de sang ne sont-ils pas trop systématiquement évoqués ? (Johan Nguyen)
19. Critique des zheng: un signe clinique est-il et peut-il être attaché de façon exclusive à un syndrome ? (Jean-Louis Lafont)
Robert
Hawawini (17/11/02): non, a priori on
ne peut rattacher un symptôme à un syndrome. Pour un seul symptôme, à cause de
la dualité Yin-Yang, je pense, il y a toujours au moins deux possibilités
syndromiques. Dans le cas contraire il faudrait avoir un symptôme
pathognomonique d'un syndrome, mais je n'en ai jamais entendu parler.
20. Les causes originelles des céphalées ne sont-elles pas ignorées ? (Gilles Andres).
21. La différentiation des syndromes-zheng s'applique-t-elle essentiellement à l'utilisation de la phytothérapie et non à l'acupuncture ? (Gilles Andres)
22. Dans un syndrome glaire-humidité la dispersion des glaires est-elle suffisante (dispersion du 40E) ou doit-on également tonifier la rate ? (Robert Hawawini, Pierre Sterckx)
23. Le choix des points dans l'observation est-il explicité ? (Gilles Andres)
24. Dans une céphalée doit-on traiter le symptôme céphalée ou le terrain. Le syndrome- zheng correspond-il à la notion de terrain ? (Robert Hawawini)
date de création 10/11/2002
Animateurs : Hervé Le Blais, Johan Nguyen, Jean-Marc Stéphan
Modérateur : Pierre Dinouart-Jatteau.