Jean-Marc Stéphan
Asthénie
: intérêt de l’acupuncture au cours d’un protocole de chimiothérapie (carboplatine-paclitaxel)
Résumé :
Les protocoles de chimiothérapie entraînent des effets secondaires difficiles à
éviter, apparaissant dès le début du traitement anticancéreux et pouvant
persister même des mois après la fin de ce traitement. Ainsi, qu’elle soit en
rapport avec la chimiothérapie ou la radiothérapie, l’asthénie liée au cancer
est un problème très fréquent. La description d’un cas clinique d’un cancer de
l’ovaire suivi pendant quatre mois montre l’intérêt de l’acupuncture associée à
la moxibustion et l’électroacupuncture sur la fatigue
mais aussi les troubles neuropathiques et gastro-intestinaux
en fonction de la différenciation des syndromes (zheng). Nous proposons un
protocole de traitement acupunctural qui permet
d’améliorer l’état du patient tout au long de son traitement chimiothérapique.
Ainsi l’acupuncture qui objective dans des essais contrôlés randomisés
préliminaires un bénéfice certain, nécessitant néanmoins la confirmation par
des essais cliniques de grande puissance, semble efficace dans la fatigue liée
au cancer quel que soit son stade et se doit donc
d’entrer dans le panel de soins de santé que l’oncologue peut offrir à son malade.
Mots clés : Acupuncture – cancer
ovaire - fatigue liée au cancer – zheng – carboplatine - paclitaxel
Summary: The
protocols of chemotherapy
have side effects difficult to prevent, occuring from the beginning of cancer treatment and
may persist even for months after the end of this treatment. Thus, whether it is
related to chemotherapy or
radiation, cancer-related fatigue is
a common problem.
The description of a clinical case of an ovarian cancer followed-up for
four months shows the value of acupuncture and
moxibustion combined with electroacupuncture on fatigue but also
neuropathic and gastrointestinal
disorders according to differentiation of syndromes (zheng). We
propose a protocol of acupuncture treatment
that improves the patient's condition throughout his chemotherapy. So the
acupuncture, which shows objective definite benefits in preliminary randomized controlled trials, appears to be effective in cancer-related
fatigue regardless of its
stage. However, it requires the confirmation by clinical trials of great statistical power, and therefore must be included in the panel of health
care that the oncologist can provide to his patient. Keywords: Acupuncture – cancer –ovary
- cancer-related
fatigue - zheng – carboplatine – paclitaxel
Introduction
Une
patiente de 55 ans présentant un adénocarcinome ovarien à cellules claires de
type IIIC souhaita réaliser des séances d’acupuncture
dans le but de limiter les effets secondaires d’un protocole de chimiothérapie.
La recherche d’amélioration de la qualité de vie est effectivement une
constante pour les patients souffrant de cancer comme le relève une étude
sociologique réalisée en convention avec l’Institut national du cancer [[1]].
On relève ainsi que 69,9% des attentes des patients concernent la diminution
des effets secondaires des traitements oncologiques, notamment les nausées et
vomissements, le stress, la fatigue et les douleurs [[2]].
Parmi ces effets secondaires, la fatigue est la mieux soulagée (58,1% des cas)
selon l’étude de Triadou et al. [[3]].
Il apparaît alors intéressant d’analyser durant toute la cure de chimiothérapie
l’évolution de l’état de santé de la patiente. Par ailleurs à la lumière des
données de la littérature, l’intérêt de cette étude de cas est de déterminer si
l’acupuncture peut réellement être une aide bénéfique autant pour le patient
que pour l’oncologue.
Observation
Présentation du
cas clinique
Au décours d’une annexectomie
bilatérale réalisée sous cœlioscopie pour kyste de l’ovaire gauche chez une
femme ménopausée depuis deux ans, l’examen histologique retrouvait, en fait, un
adénocarcinome à cellules claires nécessitant une seconde intervention
chirurgicale complète en février 2012 avec curage ganglionnaire. Du fait d’une
atteinte péritonéale, l’adénocarcinome était classé au stade IIIC. Le CA125 est dosé à 9 U/mL
après chirurgie.
On objectivait dans les antécédents essentiellement
une primo-infection tuberculeuse dans l’enfance, une conisation
et une rupture du ligament croisé droit traité chirurgicalement en 2007.
En réunion de concertation pluri-disciplinaire,
il était décidé d’entreprendre une chimiothérapie adjuvante associant carboplatine® et paclitaxel
(taxol®) pour un total de six cures, par cycle de 21 jours.
Protocole de
traitement acupunctural
Lors de la première consultation d’acupuncture en
mars 2012 qui a lieu quatre jours avant la première cure, Madame R.E présente un état général satisfaisant. Son poids est
stable à 58kg pour 165cm. Pas de plainte algique. Elle se dit légèrement
fatiguée avec évaluation estimée à 3 sur une échelle visuelle analogique (0 :
aucune fatigue et 10 : fatigue maximale). Par contre, elle présente des
troubles du sommeil, de l’angoisse. Les pouls sont fins (xi) et rapides (shuo). La langue est rouge et en particulier la pointe. Un
Vide combiné de yin des Reins et de yin du Cœur est diagnostiqué selon la
différenciation des syndromes (zheng).
En conséquence, les points puncturés pendant 20 mn sont : MC6 (neiguan), CO7 (shenmen), CO5 (tongli), PO7 (lieque),VE23 (shenshu) et RM4 (guanyuan) en moxibustion à l’armoise, RE3 (taixi), RE6 (zhaohai), RA6 (sanyinjiao), DM20 (baihui) et RM17 (shanzhong) en électroacupuncture à la fréquence de 100Hz (durée d’impulsion rectangulaire asymétrique de 0,5ms d’un courant pulsé alternatif à moyenne nulle) par l’intermédiaire d’un stimulateur électrique Agistim duo Sédatelec® à une intensité supportable par le patient. Par ailleurs, en raison de la présence du paclitaxel qui entraîne une neurotoxicité fréquente avec les neuropathies périphériques, une partie du traitement préconisé en préventif par Jeannin [[4]] est utilisé au niveau des mains, à savoir une aiguille au milieu de chaque dernière phalange des mains et des pieds. De même le RM14 (chengjiang) est puncturé en prévention de l’inflammation des muqueuses, en particulier pour éviter les aphtes comme l’indique aussi Jeannin [[5]].
La
deuxième séance d’acupuncture est réalisée vingt-quatre heures après la première
cure de chimiothérapie. Celle-ci a été bien supportée : pas de
vomissements mais quelques nausées malgré l’aprépitant
(Emend®)
125mg pris une heure avant la cure et l’ondansétron (zophren®) 8 mg pris le matin même. Pas de fatigue ni d’aphtes non
plus, pas de neuropathies. Cependant, outre l’inappétence et les selles
devenues molles, son état psychologique s’est détérioré : anxiété avec
idées noires, humeur dépressive avec insomnie et agitation mentale et fatigue
plus marquée (4 à l’EVA). La langue a toujours la pointe rouge ; ailleurs
elle est plus pâle. Les pouls sont toujours fins (xi), mais faibles (ruo). Son état correspond encore à un Vide de yin de Cœur auquel se surajoute un Vide
de qi de Rate. Le traitement reprend
les points précédents. Sont ajoutés ES36 (zusanli) et GI4 (hegu) stimulés en
électroacupuncture à la fréquence de 2Hz.
La troisième séance d’acupuncture est réalisée en
inter-cure de chimiothérapie, soit dix jours avant la deuxième cure de
chimiothérapie. Une évaluation de sa fatigue est réalisée en utilisant
l’échelle unidimensionnelle BFI (Brief
Fatigue Inventory) qui analyse par un questionnaire neuf items
(chiffré de 0 à 10 sur une échelle numérique) avec trois questions sur la
sévérité de la fatigue et six questions sur le retentissement dans la vie
quotidienne dans les 24 heures qui précèdent : activité générale, humeur,
capacité de marche, travail, relations avec autrui, joie de vivre. La fatigue
est considérée comme modérée pour des chiffres compris entre 4 et 6 ; et sévère
si compris entre 7 et 10. Madame R.E évalue sa
fatigue à 6,3.
Lors de la quatrième séance qui a lieu 24h après la
date de sa deuxième cure de chimiothérapie, la fatigue s’est amendée, puisque
que chiffrée à 4,5 sur l’échelle BFI. Par contre, la
deuxième cure a été reportée d’une semaine en raison de l’apparition d’une neutropénie
à 1300/mm3. Le traitement de cette quatrième séance est identique à
la précédente. La cinquième séance qui a lieu 48h avant la deuxième séance
effective de chimiothérapie montre que la fatigue s’est bien stabilisée car
évaluée à 3,5 sur l’échelle BFI.
La sixième séance, 24h après la deuxième cure
retrouve à nouveau une fatigue très sévère à 8 sur l’échelle BFI. Les polynucléaires neutrophiles sont à 2800/mm3 mais
l’oncologue a prévu une injection de pegfilgrastim (neulasta®) à faire systématiquement 24h après chaque cure de chimiothérapie.
De ce fait, cette sixième séance s’intercale entre
cure de chimiothérapie et l’injection de la cytokine (facteur de croissance de
la lignée granulocytaire, G-CSF Granulocyte-Colony Stimulating Factor humain).
Madame R.E présente toujours un zheng combiné de Vide de yin
de Cœur et Vide de qi de Rate et le traitement acupunctural reste identique aux trois précédentes séances.
Cependant, du fait d’un début de paresthésies des doigts, le traitement
concernant la neuropathie est intensifié avec ajout de nouveaux points selon le
protocole de Jeannin [4].
La septième séance a lieu début mai en inter-cure et
la huitième 24h avant la 3ème cure de
chimiothérapie. Durant cette période d’inter-cure, la fatigue s’est amendée
complètement, car évaluée à 1,5 sur l’échelle BFI.
Par contre, cette période est marquée par une diarrhée malgré la prise de lopéramide (imodium®)
et racécadotril (tiorfan®)
et par des douleurs musculo-squelettiques à type de myalgies
et d’arthralgies importantes évaluées à 7 sur l’échelle EVA en rapport aux
injections de neulasta®. Le poids est à
53kg. L’examen clinique retrouve un Vide de yang
des Reins avec une langue pâle, un pouls fin (xi) et profond (chen). Le traitement acupunctural
reprend les mêmes points que les séances précédentes sauf RE6 et RM17. Sont
ajoutés : FO13 (zhangmen) ; GI11 (quchi) ; RM6 (qihai), RM12 (zhongwan) et ES25 (tianshu) en moxibustion à l’armoise et TR5 (waiguan), IG3 (houxi), VE62 (shenmai) et VB41 (zulinqi), points
clés des Merveilleux Vaisseaux [[6]].
La diarrhée a disparu lors de la neuvième séance,
intercalée entre 3ème cure de chimiothérapie et injection de neulasta®. Par contre, la fatigue est remontée à
5,2 au BFI, qui s’atténuera lors de dixième séance
marquée par un début de reprise de ses activités professionnelles.
Et les séances d’acupuncture vont alterner jusqu’à
la dernière cure de chimiothérapie en juillet 2012 sous le rythme d’une séance
48 à 72 heures avant la cure de chimiothérapie, une séance 24h après la cure de
chimiothérapie, et une autre séance en inter-cure, vers le dixième jour du
cycle. Les différents points sont utilisés en fonction des symptômes, mais
aussi selon la différenciation des
syndromes zheng.
Résultats
Au terme des six cures de chimiothérapie, Madame R.E avait retrouvé la joie de vivre. L’anxiété et l’humeur
dépressive avait disparu. A la dernière séance d’acupuncture, 24h après la
dernière cure, la fatigue était évaluée à 4,8 sur l’échelle BFI
alors que 72h avant la cure, elle était à 0. La neuropathie périphérique
toujours au niveau des doigts n’avait jamais dépassé le stade de paresthésies
non invalidantes. Quelques épisodes de diarrhées sont encore survenus, mais
jamais autant qu’après la deuxième cure ; quelques aphtes sans caractère
de gravité. Par contre l’alopécie était totale. Les arthralgies et myalgies en
rapport avec le neulasta® qui avaient duré
quatre à cinq jours lors de la première injection ne duraient plus que deux à
trois jours.
Discussion
Définitions de la fatigue et modalités
épidémiologiques
L’asthénie
liée au cancer est une sensation subjective, pénible et persistante de fatigue
physique, émotionnelle et/ou cognitive, un épuisement en rapport avec le cancer
ou le traitement du cancer, non proportionnelle à l'activité récente, non
améliorée par le repos et qui interfère avec le fonctionnement habituel du
malade [[7]]. La fatigue touche très fréquemment
les patients cancéreux bénéficiant d’une chimiothérapie cytotoxique, de radiothérapie,
de greffe de moelle osseuse ou de traitements avec des modificateurs de réponse
biologique [[8]].
Elle affecte 70% à 100% des patients cancéreux selon le National Comprehensive Cancer Network (NCCN).
Il
faut distinguer la fatigue au cours de la prise en charge thérapeutique et
celle qui survient après la fin du traitement.
Une
revue de la littérature publiée entre 1989 et 2001 concernant le cancer du sein
a objectivé que des taux élevés et fluctuants de prévalence de la fatigue sont
trouvés non seulement pendant, mais aussi après l'administration d'une
chimiothérapie adjuvante. Les études de la littérature montrent que l'intensité
de la fatigue reste stable tout au long des cycles de traitement. Par contre,
la fatigue qui suit les deux premiers jours après l'administration de la
chimiothérapie semble être la pire [[9]].
La
fatigue persiste aussi bien souvent alors que le traitement anticancéreux est
terminé [[10]]
et dans une étude longitudinale, on objective que 34% des sept-cent-soixante
patientes interrogées rapporte une fatigue importante cinq à dix ans après le
diagnostic du cancer du sein [[11]].
L’évaluation de la fatigue doit se faire au cours du temps par des
questionnaires spécifiques comme le MFI 20 (multidimensional Fatigue Inventory),
le FACIT-F (Functional assessment of chronic illness-Fatigue subscale) ou le BFI (Brief Fatigue Inventory) [[12]].
La prise en charge préconisée habituelle
La
fatigue est un symptôme à la fois multifactoriel et multidimensionnel. Il
s’agira tout d’abord de découvrir les causes réversibles facilement
identifiables par un bilan biologique, comme une anémie, une infection, des
troubles métaboliques, endocriniens, ou par une comorbidité :
syndrome dépressif, dénutrition, causes iatrogènes, récidive du cancer,
douleurs chroniques etc.
Sans
étiologie précise, il est recommandé en fonction de la prise en charge (durant
le traitement par chimiothérapie/ radiothérapie etc., en post-thérapie ou en
fin de vie) de favoriser les techniques d’économie d’énergie sans conseiller le
repos et la sieste qui sont délétères, favoriser la réhabilitation physique
(marche, jogging, natation) avec des exercices physiques modérés et réguliers [[13]],
d’avoir une approche psychologique et/ou enfin d’intervenir par thérapeutiques
purement pharmacologiques tels que les psychostimulants : méthylphénidate, modafinil, dexamphétamine, guarana. Cependant, même si ces
psychostimulants augmentent la vigilance, le niveau de preuves est insuffisant
pour qu’ils soient systématiquement recommandés, sans compter que les effets
secondaires sont loin d’être négligeables [7,[14]].
Durant
la phase de traitement anticancéreux, le NCCN [7] avait rapporté des effets
positifs de l’acupuncture, mais du fait de la faible population étudiée, recommandait
des ECR de plus grande puissance.
Prise
en charge de la fatigue par acupuncture
En
effet, bien qu’une métaanalyse de la collaboration
Cochrane réalisée à partir de cinq études (n=205) montre que le méthylphénidate puisse être efficace dans la fatigue, il a
été conseillé de réaliser de plus grands essais [[15]].
De la même manière, même si quatre essais d’acupuncture portant sur une
population globale de 127 patients objectivent un certain bénéfice, il n’en
demeure pas moins que la réalisation d’ECR de plus
grande puissance est nécessaire.
Fatigue liée à la radiothérapie
Une
étude préliminaire a objectivé que douze séances d’acupuncture réalisées chez
des patients (n=16) durant tout leur protocole de radiothérapie ont le
potentiel de prévenir la fatigue liée à ce traitement [[16]].
Mieux,
car dans cette étude toujours préliminaire mais en double aveugle et portant
sur vingt-sept patients randomisés, il apparaît que le groupe de sujets
recevant l’acupuncture ont une meilleure amélioration de la fatigue que dans
celui du groupe acupuncture factice [[17]]. Il s’agit d’une étude pilote de
bonne qualité méthodologique avec un score de Jadad à
5 (tableau I) [[18]].
On observe que l’acupuncture est plus efficace sur la fatigue, que
l’acupuncture factice, même si la différence entre les deux n’est pas
significative (p=0,37). En fait, les auteurs ont calculé que pour montrer une
différence significative entre les deux groupes et objectiver un effet
spécifique, il était nécessaire d’augmenter la puissance d’une étude future et
d’inclure soixante-quinze patients par groupe. Quoi qu’il en soit les auteurs
observaient que l’acupuncture véritable était plus bénéfique pour les patients
que l’acupuncture factice.
Tableau
I. Evaluation d’une qualité méthodologique de l’essai
contrôlé randomisé de Balk.
Score de Jadad
: 1. randomisation citée, décrite et
appropriée : 2 points 2. insu-patient prouvé par un questionnaire
demandant à la 3ème et 10ème semaine de suivi dans quel
groupe d'acupuncture le patient se situe : 1 point 3. insu-évaluateur. L'évaluateur est une
infirmière, donc différente du thérapeute, et ignore à quel groupe appartient
la patiente dont elle recueille les informations : 1 point 4. sorties d'essai : analyse en
intention de traiter, car 27 patientes en début de traitement et 4 sorties d’essai
décrits et incluses dans les calculs statistiques en fin d'essai : 1
point Score : 5/5, c'est à dire
étude de haute qualité. |
Fatigue en post-chimiothérapie
L’étude
ouverte de Vickers et al. [[19]]
a été conduite chez trente-sept sujets, dont trente et
un ont bénéficié de l’évaluation complète (six perdus de vue). Il s’agissait de
patients ayant eu pour la plupart un cancer du sein (32%), mais aussi un cancer
gynécologique (16%), poumon (23%), hématologique (16%) etc.
Ces
malades avaient fini leur cure de chimiothérapie depuis plus de deux ans et
avait une fatigue persistante évaluée au départ à 6,47 sur l’échelle BFI. Une première cohorte (n=25) avait bénéficié du
traitement acupunctural deux fois par semaine pendant
quatre semaines et la seconde (n=12), une fois par semaine pendant six semaines.
La moyenne d’amélioration du niveau de fatigue a été de 31,1% et aucune
différence entre les deux cohortes. Par contre, la réponse était moins bonne à
partir de 65 ans. Cette étude de basse qualité méthodologique (Jadad=1) non contrôlée a le mérite de montrer que
l’acupuncture peut entraîner une bonne amélioration de la fatigue, et, selon
les auteurs, a le mérite d’attirer l’attention sur le fait que des ECR sont nécessaires pour le confirmer.
De
ce fait, encouragés par ces résultats, Molassiotis et
al. [[20]]
ont réalisé un essai contrôlé randomisé contre placebo de haute qualité
méthodologique (Jadad=5) à trois bras : un bras
acupuncture (n=15), un autre acupression (n=16) et
enfin un bras acupression factice « sham » (n=16) chez des patients cancéreux (lymphomes,
cancers mammaires, cancer poumon, gastro-intestinaux etc.) souffrant de fatigue
après avoir achevé un mois auparavant leur cycle de chimiothérapie (CHOP, anthracycline, cisplatine etc.). Par
l’évaluation de la fatigue selon l’échelle MFI 20, ils
confirment les résultats précédents en trouvant une moyenne d’amélioration à la
fin du traitement de 36% des niveaux de fatigue dans le groupe acupuncture, 19%
dans le groupe acupression et 0,6% dans le groupe
placebo, le tout maintenu pendant deux semaines. L’acupuncture est plus
efficace de manière statistiquement significative (p=0,01) que l’acupression ou l’acupression
factice.
Deux
semaines après la fin du traitement acupunctural, une
seconde évaluation par MFI 20 a permis de constater
que l’amélioration de la fatigue était moins forte qu’à la première évaluation
(22% dans le groupe acupuncture, 15% dans le groupe acupression
et 7% pour le groupe acupression placebo) et imposait
donc la nécessité de prolonger le traitement pour maintenir l’effet antifatigue
de l’acupuncture. Malgré l’efficacité nette de l’acupuncture et dans une
moindre mesure celle de l’acupression qui pourra être
utilisée chez les personnes pusillanimes, cette étude préliminaire objective la
nécessité d’un ECR de grande puissance.
Johnston
et al. [[21]]
ont étudié l’utilisation de l’acupuncture dans le
cadre de la médecine intégrative, c’est à dire intégration de l’acupuncture à
un programme de prise en charge à la fois physique, psychologique et diététique
chez des patientes ayant bénéficié d’une chimiothérapie pour cancer du sein.
Elles souffraient d’une fatigue évaluée à une moyenne de 6,33 points selon
l’échelle d’évaluation BFI. Les auteurs les ont
randomisées en deux groupes : un groupe acupuncture intégré à la prise en
charge habituelle (n=7) et un groupe uniquement de prise en charge habituelle (n=6).
L’étude contrôlée randomisée préliminaire, de bonne tenue méthodologique (Jadad=3, car n’étant pas en insu) suit les recommandations
CONSORT [[22]]
et STRICTA [[23]].
On observe que l’intervention acupuncturale est
associée à une baisse de 2,38 points (p=0,08) mesurée sur l’échelle BFI par rapport au groupe témoin. Ainsi du fait de la
faible puissance de l’étude, les auteurs proposent de réaliser un ECR de plus grande taille pour confirmer l’efficacité de
l’acupuncture.
Le
tableau II récapitule les caractéristiques de ces études cliniques.
Tableau
II. Caractéristiques des principales études
cliniques d’acupuncture utilisée en cas de fatigue.
Auteurs |
type d'étude et nombre de patients |
Jadad |
Protocole |
Points utilisés |
Résultats |
Balk (2009) |
ECR en double
aveugle préliminaire contre placebo à deux bras (n=27) |
5 |
-
durant période des six semaines de traitement de radiothérapie -
séances de 30mn 2
fois par semaine - recherche du deqi. - évaluation : FACIT-F |
-
groupe acupuncture : taixi (RE3),
sanyinjiao (RA6), hegu (GI4), zusanli (ES36), qihai (RM6). RE3
et ES36 : EA à 1Hz (30 mn) + RM6 est chauffé. - groupe
acupuncture factice : idem mais aiguilles placebo de type
Park + simulation
d’électroacupuncture (EA)
(électrodes non reliées) et simulation de chaleur avec une lampe à émission
de chaleur. |
acupuncture plus efficace sur la fatigue que
l’acupuncture factice mais non significatif (p=0,37) |
Vickers (2004) |
Etude
ouverte (n=37) |
1 |
- 2 ans après fin de la cure de chimiothérapie - premier groupe : 2 fois par semaine (20 mn)
- protocole modifié dans le deuxième groupe :
puncture 1 fois par semaine - recherche du deqi - évaluation : BFI |
1er
groupe : diji (RA8), yinlingquan (RA9), zusanli (ES36), guanyuan (RM4), qihai (RM6) et quchi (GI11). 2ème groupe : taixi (RE3), sanyinjiao (RA6), zusanli (ES36), guanyuan (RM4), qihai
(RM6) et shufu (RE27) |
- amélioration du niveau de fatigue : 31,1%
(IC 95%, 20,6% à 41,5%) - pas de différence significative entre les deux cohortes |
Molassiotis
(2007) |
ECR en double
aveugle préliminaire contre placebo à trois bras (n=47) |
5 |
- 1 mois après fin de la cure de chimiothérapie -
6 sessions de 20 mn pendant quinze jours (3 fois par semaine) - recherche du deqi - évaluation : MFI 20 |
groupe
acupuncture : hegu (GI4), zusanli (ES36) et sanyinjiao (RA6) groupe acupression :
mêmes points utilisés avec pression d’une minute par le patient lui-même tous
les jours pendant quinze jours groupe
placebo : utilisation
de pression sur des points inactifs dans la fatigue : zhouliao (GI12), xiyangguan (VB33), pucan (VE61) |
-amélioration du niveau de
fatigue de 36% par acupuncture, 19% par acupression
et 0,6% dans le groupe placebo -maintien pendant 2 semaines. -acupuncture plus efficace (p=0,01) que l’acupression ou l’acupression
factice. |
Johnston (2011) |
ECR sans placebo à
2 bras (n=13) |
3 |
- après fin de la cure de chimiothérapie - 8
sessions de 50 mn (1 fois par semaine) - recherche du deqi - évaluation : BFI |
groupe
acupuncture et prise en charge habituelle : hegu (GI4), zusanli (ES36), sanyinjiao (RA6) et taixi (RE3) + -en cas de
symptômes gastro-duodénaux : neiguan (MC6), gongsun
(RA4) - en cas de symptômes de la sphère
psychologique : lieque (PO7), dazhong (RE4), taichong (FO3),
yintang
et baihui (VG20) - en cas de troubles du sommeil shenmen
(CO7), dazhong
(RE4) et shenmai (VE62); - en cas de symptômes douloureux et en fonction du
site de la douleur : fengchi (VB20), xiaxi (VB43), juliao (VB29), huantiao (VB30), qiuxu (VB40), shenmai (VE62), waiguan (TR5) et houxi (IG3) groupe
témoin (prise en charge habituelle seule) : mêmes points utilisés avec pression d’une
minute par le patient lui-même tous les jours pendant quinze jours |
-acupuncture diminue la fatigue
de 2,38 points versus groupe témoin (IC 90% 0,586-5,014 ; p=0,0776) |
Les principaux effets indésirables du traitement
anticancéreux
Outre
l’action sur la fatigue, le traitement acupunctural
devra essayer de limiter certains effets secondaires des différentes molécules utilisées
durant le cycle de chimiothérapie. En particulier, l’acupuncture agira sur les douleurs
musculo-squelettiques, les troubles
gastro-intestinaux, les neuropathies périphériques et même la leucopénie comme
le suggère la métaanalyse de Lu et al. [[24]].
Le carboplatine
Cette
molécule présente essentiellement une toxicité rénale (néphropathie avec augmentation
de la créatininémie, diminution de la clairance de la
créatinine, troubles hydroélectrolytiques), hématologique
(risque d’anémie, de leucopénie, neutropénie), digestive (nausées,
vomissements, diarrhées) et neurologique (neuropathie périphérique avec
paresthésies), alopécie et altération de l'état général.
Le paclitaxel
Avant
l'administration du taxol®, la prémédication préconisée à base de corticoïdes,
d'antihistaminiques et d'antagonistes des récepteurs H2 est administrée
systématiquement pour éviter les réactions d'hypersensibilité sévères, parfois
fatales. Les autres effets secondaires rencontrés de manière très fréquentes
sont : alopécie, neuropathies périphériques sévères (85% de neurotoxicité avec une perfusion de 175mg/m² sur 3 heures),
myalgies et arthralgies (60% des patients), myélosuppression
(une neutropénie sévère (< 500 /mm3) a été observée chez 28 % des patients)
et bien sûr les troubles gastro-intestinaux (nausées, vomissements, diarrhées,
inflammation des muqueuses). L’asthénie est rapportée aussi mais non retrouvée
de façon fréquente.
Le pegfilgrastim
Les
effets indésirables les plus fréquents sont les douleurs osseuses, douleurs musculo-squelettiques (myalgies, arthralgies, douleurs des
membres, dorsalgies, cervicalgies), céphalées, nausées.
Conduite
à tenir
L’efficacité
de l’acupuncture dans la fatigue immédiate survenant en cours de traitement a
été peu étudiée, excepté durant la période de radiothérapie [17]
et dans certaines études de cas [5,[25],[26],[27]].
Ainsi, on s’aperçoit que ces différents protocoles de chimiothérapie ou de
radiothérapie seront d’autant mieux supportés, d’un point de vue fatigue et
qualité de vie, si le suivi par acupuncture se fait durant tout le cycle
thérapeutique.
Ce
qui a été réalisé dans ce cas clinique.
L’intervention
acupuncturale a ainsi été réalisée en règle générale
24 à 48 heures avant la cure de chimiothérapie (séance de 20 mn), puis une
autre le lendemain de la perfusion suivie d’une autre en inter-cure (en moyenne
au 10ème jour pour un cycle de 21 jours de cure). Jeannin et al. préconisent une séance par semaine par exemple pendant toute
la durée de la radiothérapie [5].
Lors
de chaque consultation, le protocole du choix des points concernant la fatigue
n’est pas rigide, mais est adapté en fonction de l’évolution ou de l’apparition
de symptômes ou des effets secondaires. De ce fait cette souplesse permet
également d’améliorer la qualité de vie des patients. Le tableau III récapitule
un protocole de traitement à adapter en fonction du cadre clinique zheng.
Tableau
III. Protocole de traitement de la fatigue
lié au cancer et adapté aux zheng pour un cycle de chimiothérapie de 21 jours.
Traitement
commun à réaliser 48
à 72h avant la cure de chimiothérapie, 24h
après et au10ème jour du cycle |
MC6, CO7, CO5, PO7, VE23 et RM4
en moxibustion, RE3, RE6, RA6, DM20, RM14, aiguilles des dernières phalanges
mains et pieds |
Si
Vide de yin de Cœur et Vide de qi de Rate |
ES36
(zusanli)
et GI4 (hegu)
stimulés en électroacupuncture à la fréquence de
2Hz. |
Si
Vide de yang des Reins |
FO13 (zhangmen) ;
GI11 (quchi) ;
RM6 (qihai),
RM12 (zhongwan)
et ES25 (tianshu)
en moxibustion à l’armoise et TR5 (waiguan), IG3 (houxi), VE62 (shenmai) et VB41 (zulinqi)
|
Conclusions
Cette
étude de cas montre que l’acupuncture peut apporter un bénéfice certain dans la
fatigue persistante liée au traitement anticancéreux. En outre, l’acupuncture a
l’avantage d’accompagner le patient tout au long de sa chimiothérapie et peut
de ce fait anticiper et même améliorer nombre d’effets secondaires comme les
troubles gastro-intestinaux et neurologiques. En ce qui concerne la fatigue, des
études contrôlées randomisées de haute qualité méthodologique sont encore
nécessaires. Mais il est clair, ainsi que le soulignent les différents auteurs,
que ce n’est pas sans poser des problèmes pratiques. Il faudra bien sûr tenir
compte de la difficulté de recrutement afin d’atteindre la population
suffisante. En effet, Johnston et al. [[28]]
montrent que pour obtenir une puissance statistique suffisante de l’ECR en phase III, il serait nécessaire de randomiser dans
deux bras au moins 101 sujets (52 par bras) si l’on s’attend à un effet
important de l’acupuncture, voire 235 (118 par bras) si l’effet est supposé
plus modéré. Il faudra aussi faire le choix du placebo, tenir compte de la
variabilité des symptômes, du type d’acupuncture (moxibustion,
auriculothérapie, électroacupuncture, acupression etc.) qui peuvent entraîner une certaine
hétérogénéité des études. Quoi qu’il en soit, il en ressort qu’il y a très peu
d’effets secondaires et pas de réelles contre-indications [[29]],
surtout si l’on suit les recommandations émises par la Haute Autorité de Santé
[[30]].
D’autre part, la recherche clinique ne faiblit pas si l’on en croit le
méta-registre d’essais cliniques contrôlés (mRCT) qui
comptabilise à ce jour cinq études en phase II ou III, et deux études
préliminaires [[31]].
L’acupuncture
se doit donc d’entrer dans le panel de soins de santé que l’oncologue peut
offrir à son malade.
|
Dr Jean-Marc Stéphan Co-directeur de la revue « Acupuncture & Moxibustion » Co-coordinateur du DIU acupuncture obstétricale Lille 2 Chargé d'enseignement à la faculté de médecine Paris Sud XI et Rouen Médecin acupuncteur attaché au CHG de Denain 59220 Secrétaire Général de l’ASMAF-EFA * : jm.stephan@acupuncture-medicale.org Conflit d’intérêts : aucun |
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© Stéphan JM. Asthénie : intérêt de l’acupuncture au cours d’un protocole de chimiothérapie (carboplatine-paclitaxel). Acupuncture & Moxibustion. 2012;11(3):201-209.
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