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Mise au point
Les jingbie
ou Méridiens Distincts
Jean-Marc Stéphan et Florence Phan-Choffrut
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Note : les caractères chinois afférents aux mots
sont en caractères traditionnels. Ceux entre crochets sont en caractères
simplifiés. Tous les mots chinois sont en pinyin excepté pour les
citations. Les points shu antiques sont aussi retranscrits en pinyin.
OBJECTIF
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Les jingbie sont des Vaisseaux Secondaires comme les jingjin. Il s’agit de comprendre leur apparition dans la Médecine Traditionnelle Chinoise de manière épistémologique, de connaître leur trajet ainsi que la symptomatologie occasionnée par leur atteinte ; enfin de savoir les utiliser dans des pathologies courantes. |
Connaître à la lumière des traductions françaises des Textes classiques le trajet, la structure et l’utilisation thérapeutique des jingbie. |
A la source des Textes Classiques et problématiquesLes
douze jingbie, 經別 [经别], encore dénommés méridiens distincts, se séparent des douze
méridiens principaux au niveau d'une grosse articulation, deviennent
intra-thoraciques ou intra-abdominaux (liaison avec la profondeur,
entraille ou organe) puis émergent au cou, à la nuque ou à la face
et relier exclusivement des méridiens yang. Ils assurent donc
une liaison surface-intérieur (biao/li). Leurs trajets superficiels
et profonds sont décrits par couple dans le Lingshu 11 (« Les
méridiens et les vaisseaux secondaires ») et le Zhenjiu
jiayi jing II-1 (« Les douze méridiens, les luo
et les branches collatérales ») et dans l'ordre suivant :
V/R, VB/F, E/RP, GI/P, IG/C, TR/MC [[1],[2]].
Le Suwen 63 décrit leur symptomatologie et traitement dans
les chapitres intitulés : « De la piqûre miu »
(Husson) ou « La piqûre à l'opposé du côté affecté (la piqûre
fausse) » (Chamfrault) ou « Les méridiens distincts »
(Chamfrault et Nguyen Van Nghi) [[3],[4],6]. On pourra ainsi constater que quatre méridiens
distincts ont des trajets superficiels très courts : les jingbie
d'Intestin grêle, de Coeur, de Maître du Coeur et de Poumons. « Le
méridien de Chéou Taé Inn (poumons) - Son vaisseau annexe part
du point Iuann Ié 22VB et rentre dans les poumons à ce point.
Des poumons, il s'intègre dans le méridien de Taé Yang, remonte
à la clavicule, suit la gorge et se relie à Yang Ming »
(Lingshu) [1]. De ce fait, on ne connaît pas de symptomatologie
propre pour ces quatre méridiens distincts à trajet essentiellement
interne. Les symptômes sont ceux des méridiens principaux. Par
contre, les huit autres ont des manifestations pathologiques intermittentes,
unilatérales à type de syndrome douloureux associé à des signes d'atteinte
de l'organe ou de l'entraille correspondant. « Quand le xie
est installé parmi les viscères, une douleur suit le trajet du vaisseau
de celui qui est atteint. Si le mal est épisodique, on fait la piqûre
miu (sur le point jing) au-dessus de l'angle du pied
ou de la main correspondant au vaisseau du viscère malade». (Suwen
63 : « De la piqûre miu ») [3]. Les
jingbie peuvent faire l'objet de controverse. En
effet, d'après Chamfrault et Nguyen Van Nghi, le terme « vaisseau
secondaire » doit être traduit par « Méridien distinct ».
Ainsi la citation précédente issue cette fois-ci du tome VI devient :
« Si l'énergie perverse se loge dans un des cinq organes,
la douleur peut suivre le trajet du méridien principal ou du vaisseau
secondaire (méridien distinct). Il faut bien reconnaître le caractère
intermittent de la maladie et savoir employer le procédé du traitement
à l'opposé » [[5]]. Selon
le Zhenjiu jiayi jing de Huangfu Mi, chapitre: « La piqûre
miu » traduit par Milsky et Andrès [2], les vaisseaux
secondaires représentent les vaisseaux luo (luomai).
De même Husson les appelle les vaisseaux secondaires, « vaisseaux
de liaison » ou « grandes liaisons » selon le cas [3].
Ainsi donc le traitement de la piqûre miu que Chamfrault et
Nguyen Van Nghi appliquaient pour les jingbie serait en fait
un des traitements des vaisseaux luo. On peut alors se poser
la question de savoir s'il n'y a pas incohérence dans la traduction
des termes luo et bie. Effectivement Auteroche et Navailh appellent les grosses ramifications « bie luo » alors que les petites ramifications sont nommées « fu luo » et « sun luo », tout en les différenciant des jingbie [[6]]. Le Zhenjiu jiayi jing, chapitre 1 du livre II, reprenant intégralement le chapitre 10 du Lingshu va décrire tous les vaisseaux luo et ceux-ci seront dénommés luo bie [2]. Ce chapitre décrit également le trajet des méridiens distincts et les appellent « bie ». Plusieurs notes mettront toutefois le lecteur en garde contre les confusions. « Le luo (bie) de taiyin de main s'appelle lieque& » La note rappelle : « Ici le luo est appelé bie, ce qui veut dire "se séparer" ou "trajet séparé". A ce sujet Lingshu zhuzheng fawei dit : "& on ne dit pas luo mais bie parce qu'au niveau de ce point [le luo] se sépare de son méridien propre pour aller au méridien voisin. » Ming
Wong, dans sa traduction du chapitre 10 du Lingshu fera d'ailleurs
l'amalgame en parlant de : Vaisseau secondaire Luo ou
« méridien distinct » [[7]]. Dans le texte, il traduira d'autre part le terme
« vaisseau secondaire » de Chamfrault par « embranchement
distinct ». Dans le chapitre 11 du Lingshu, Ming Wong
reprend le terme « méridien distinct », en parlant cette
fois-ci des jingbie [5]. Giraud
et Lafont, pour leur part, considèrent que l'utilisation thérapeutique
de la piqûre à l'opposé concerne les affections d'origine externe
localisées en biao, c'est-à-dire dans les « grandes liaisons »,
sans atteinte du méridien principal [[8],[9]]. Il
semble donc que les Vaisseaux Secondaires soient réellement des vaisseaux
luo. De ce fait, le traitement des jingbie par la piqûre
miu préconisée par Chamfrault et Nguyen Van Nghi est-il erroné ?
Ne s'agit-il pas uniquement d'un traitement des vaisseaux luo ? Oui
et non, serait-on tenté de répondre. Ainsi Kespi prétend que les jingbie
n'ont ni symptomatologie, ni traitement [[10]]. Cependant les
méridiens distincts ne sont-ils pas couplés en biao/li ?
N'assurent-ils pas une régularisation entre le méridien principal
et la profondeur ? Or notons que les vaisseaux luo ont
également des connexions viscérales (luo longitudinal), et
des connexions avec le méridien couplé (luo transversal). Mais
Michau précise que ces liaisons biao-li sont différentes car
les « méridiens distincts renforcent surtout les liaisons
avec l'interne, les organes et les entrailles » alors que
les luo « raffermissent l'union des méridiens qui se
ramifient aux membres et au corps » [[11]]. « Les
jingbie relient les organes et les textures du corps, au sens
histologique, que n'atteignent pas les trajets des jingmai.
Ils complètent l'action des jingluo, ils renforcent et harmonisent
dans l'intervalle médian des méridiens ce système de liaison et de
libre communication entre intérieur et extérieur... » [[12]]. Trajet et structuresLe
rôle des jingbie, chargés également d'énergie wei, énergie
de défense, est de permettre au même titre que les jingjin de
lutter contre les énergies perverses [[13]]. Mais à la différence
des jingjin, qui ont un trajet superficiel, les méridiens distincts
pénètrent dans les entrailles ou les organes. Comme
les jingjin, les méridiens distincts commencent donc aux extrémités
ou plutôt au niveau des grosses articulations (genou, hanche, épaule),
circulent dans la profondeur, et se terminent tous à la tête, dans
les méridiens yang. De là, existent des branches secondaires
qui se croisent au sommet du crâne au point 20VG (baihui), encore
appelé « Cent réunions ». L'étude des trajets des jingbie permet de déduire les zones de jonction qui unissent un méridien distinct yang à un méridien distinct yin, mais aussi à un ou deux méridiens principaux yang. On aurait ainsi deux zones d'union, jonctions inférieures et supérieures [[14]] (tableau I) : Tableau I. Zones d'union, jonctions inférieures et supérieures selon Mrejen [14].
Cependant, tous les auteurs
ne sont pas d'accord. Selon Borsarello, les jingbie quittent
leur méridien respectif au point he pour pénétrer dans le corps.
Ainsi, le jingbie de Coeur s'enfoncerait au 3C pour ressortir
au 3IG, le jingbie d'Estomac débuterait au 36E pour ressortir
à la jonction supérieure du 1E, le jingbie de Foie s'enfoncerait
au 8F pour ressortir au 1VB etc..[[15]].
Cobos et Vas considèrent que les jingbie se séparent du méridien
principal dans une zone située généralement sur les membres et dénommée
li. Ils précisent aussi que les textes antiques ne spécifient
pas avec exactitude leur origine [[16]]. Enfin,
il est intéressant de constater que tous les méridiens yin ou
yang se terminent, selon Chamfrault, au niveau de la tête ou
du cou, et que d'autre part, le 20VG est le point de passage obligé
de la circulation des méridiens yang de droite vers les méridiens
yang de gauche, et vice-versa [5].
SymptomatologieLa
symptomatologie décrite dans le chapitre 63 du Suwen, décrivant
la piqûre miu [3,5]
a longtemps été attribuée aux jingbie. On la retrouve
attribuée aussi aux vaisseaux luo, ce qui s'explique par leur
même action physiologique (Zhenjiu jiayi jing V-3) (voir tableau
II). Tableau II. Indications de la piqûre miu selon le Suwen 63 et le Zhenjiu jiayi jing V-3.
Proposition thérapeutiqueLa
piqûre miu s'applique à ces maladies irrégulières (jibing)
maladies douloureuses unilatérales, d'origine externe, et sans
atteinte du méridien proprement dit. Le
blocage de l'énergie perverse peut se réaliser aussi au niveau des
zones de jonction et du point « Cent réunions ». Et si le
xie n'est pas chassé d'un méridien distinct, il passera automatiquement
dans celui opposé. D'où
la technique du traitement à l'opposé qui utilise les deux points
jing (ting) ou jing distal du couple gauche de jingbie,
si l'atteinte est à droite. Piquer les points jing (ting) à
l'opposé permet, d'une part, de rétablir l'équilibre des deux parties
du corps droite et gauche par la circulation organes/entrailles ;
d'autre part, d'attirer l' énergie wei dans le méridien distinct
perturbé, afin de combattre le xie situé en profondeur. Exemple : 1R+67V gauche
pour une sciatique droite anarchique, évoluant par intermittence avec
signes viscéraux associés (génito-urinaires, céphalées). Il faudra rajouter les points shu
(iu) à piquer de chaque côté. En
outre les points de tonification du méridien principal et de son méridien
couplé seront piqués du côté atteint. En effet, le jingbie étant
en excès, le méridien principal se retrouve en déficit énergétique.
Piquer aussi les points de jonction. Enfin,
ne pas oublier de disperser l'énergie perverse superficielle aux points
ashi. Le tableau III résume le traitement.
Tableau III. Tableau récapitulatif
du traitement des jingbie.
Application thérapeutiqueToutes les affections évoluant
unilatéralement par intermittence avec des signes viscéraux associés - sciatique anarchique
intermittente - coxartrose - céphalées et migraines - zona thoraco-abdominal
ou ophtalmique - épicondylite - névralgie cervico-brachiale
- hyperplasie prostatique
[[17]]
etc..
Références
[1]. Huangdi neijing lingshu. Traduction Nguyen VN, Tran VD, Recours-Nguyen C. Marseille: Nguyen Van Nghi; 1994. [2]. Huangfu Mi. Zhenjiu jiayi jing. Traduction Milsky C, Andrès G. Paris: Trédaniel; 2004. [3]. Huangdi neijing suwen. Traduction Husson A. Paris: éd. ASMAF; 1973. [4]. Chamfrault A. Traité de médecine chinoise, Les livres sacrés. Angoulême: Chamfrault; 1992. [5]. Chamfrault A, Nguyen VN. Traité de médecine chinoise: L'énergétique humaine en médecine chinoise. tome 6. Angoulême: éd. Chamfrault; 1981. [6]. Auteroche B, Navailh P. Le diagnostic en médecine chinoise. Paris: Maloine; 1983. [7]. Ming Wong. Lingshu, base de l'acupuncture traditionnelle chinoise. Paris: Masson; 1987. [8]. Giraud JP, Lafont JL. Principes de la piqûre à l'opposé. Méridiens. 1984;65-66:89-103. [9].
Lafont JL. Pratique
acupuncturale. Grands principes thérapeutiques. Paris: Encycl. Méd.
Nat; 1989. IA-8a.
p.1-11. [10].
Kespi N, Kespi
JM. Fondements de la physiologie traditionnelle chinoise. Paris:
Encycl. Méd. Nat; 1989. IA-4a. p.1-9. [11] Michau A. Les luo longitudinaux en pratique quotidienne. Revue française d'acupuncture. 2007;130:16-31. [12]. Oury C. Essai sur les jingbie. Revue française d'acupuncture. 1986;45:7-15. [13]. Stéphan JM. Les jingjin, Méridiens Tendino-Musculaires ou Muscles des Méridiens. Acupuncture & Moxibustion. 2007;6(2):177-182. [14]. Mrejen D. L'acupuncture en
rhumatologie. Techniques traditionnelles, bases scientifiques. 2ème
ed. Paris: Maloine; 1982. [15]. Borsarello JF. Traité d'acupuncture.
Paris: Masson; 2005. [16].
Cobos R, Vas J. Manual de Acupuntura y Moxibustión (libro de Texto).
Volumen 1. Beijing: ediciones Morning
Glory Publishing; 2000. [17]. Johnstone PA, Bloom TL, Niemtzow RC, Crain D, Riffenburgh RH, Amling
CL. A prospective, randomized pilot trial of acupuncture of the
kidney-bladder distinct meridian for lower urinary tract symptoms.
J Urol. 2003 Mar;169(3):1037-9.
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© Stéphan JM et Phan-Choffrut F. Les jingbie ou Méridiens Distincts. Acupuncture & Moxibustion. 2007;6(3):278-281.