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Asthénie : intérêt de l’acupuncture au cours d’un protocole de chimiothérapie (carboplatine-paclitaxel)

André Fougeron (1913-1998). La cuisinière endormie 1947 – Roubaix Musée de la Piscine
André Fougeron (1913-1998). La cuisinière endormie 1947 – Roubaix Musée de la Piscine


Résumé :
 Les protocoles de chimiothérapie entraînent des effets secondaires difficiles à éviter, apparaissant dès le début du traitement anticancéreux et pouvant persister même des mois après la fin de ce traitement. Ainsi, qu’elle soit en rapport avec la chimiothérapie ou la radiothérapie, l’asthénie liée au cancer est un problème très fréquent. La description d’un cas clinique d’un cancer de l’ovaire suivi pendant quatre mois montre l’intérêt de l’acupuncture associée à la moxibustion et l’électroacupuncture sur la fatigue mais aussi les troubles neuropathiques et gastro-intestinaux en fonction de la différenciation des syndromes (zheng). Nous proposons un protocole de traitement acupunctural qui permet d’améliorer l’état du patient tout au long de son traitement chimiothérapique. Ainsi l’acupuncture qui objective dans des essais contrôlés randomisés préliminaires un bénéfice certain, nécessitant néanmoins la confirmation par des essais cliniques de grande puissance, semble efficace dans la fatigue liée au cancer quel que soit son stade et se doit donc d’entrer dans le panel de soins de santé que l’oncologue peut offrir à son malade. Mots clés : Acupuncture – cancer ovaire – fatigue liée au cancer – zheng – carboplatine – paclitaxel

Asthenia: the benefits of acupuncture during a chemotherapy protocol (carboplatin-paclitaxel)

SummaryThe protocols of chemotherapy have side effects difficult to prevent, occuring from the beginning of cancer treatment and may persist even for months after the end of this treatment. Thus, whether it is related to chemotherapy or radiation, cancer-related fatigue is a common problem. The description of a clinical case of an ovarian cancer followed-up for four months shows the value of acupuncture and moxibustion combined with electroacupuncture on fatigue but also neuropathic and gastrointestinal disordersaccording to differentiation of syndromes (zheng). We propose a protocol of acupuncture treatment that improves the patient’s condition throughout his chemotherapy. So the acupuncture, which shows objective definite benefits in preliminary randomized controlled trials, appears to be effective in cancer-related fatigue regardless of its stage. However, it requires the confirmation by clinical trials of great statistical power, and therefore must be included in the panel of health care that the oncologist can provide to hispatient. Keywords: Acupuncture – cancer –ovary – cancer-related fatigue –  zheng – carboplatine – paclitaxel

Introduction

 Une patiente de 55 ans présentant un adénocarcinome ovarien à cellules claires de type IIIC souhaita réaliser des séances d’acupuncture dans le but de limiter les effets secondaires d’un protocole de chimiothérapie. La recherche d’amélioration de la qualité de vie est effectivement une constante pour les patients souffrant de cancer comme le relève une étude sociologique réalisée en convention avec l’Institut national du cancer [[1]]. On relève ainsi que 69,9% des attentes des patients concernent la diminution des effets secondaires des traitements oncologiques, notamment les nausées et vomissements, le stress, la fatigue et les douleurs [[2]]. Parmi ces effets secondaires, la fatigue est la mieux soulagée (58,1% des cas) selon l’étude de Triadou et al. [[3]]. Il apparaît alors intéressant d’analyser durant toute la cure de chimiothérapie l’évolution de l’état de santé de la patiente. Par ailleurs à la lumière des données de la littérature, l’intérêt de cette étude de cas est de déterminer si l’acupuncture peut réellement être une aide bénéfique autant pour le patient que pour l’oncologue.

Observation

Présentation du cas clinique

Au décours d’une annexectomie bilatérale réalisée sous cœlioscopie pour kyste de l’ovaire gauche chez une femme ménopausée depuis deux ans, l’examen histologique retrouvait, en fait, un adénocarcinome à cellules claires nécessitant une seconde intervention chirurgicale complète en février 2012 avec curage ganglionnaire. Du fait d’une atteinte péritonéale, l’adénocarcinome était classé au stade IIIC. Le CA125 est dosé à 9U/mL après chirurgie.

On objectivait dans les antécédents essentiellement une primo-infection tuberculeuse dans l’enfance, une conisation et une rupture du ligament croisé droit traité chirurgicalement en 2007.

En réunion de concertation pluri-disciplinaire, il était décidé d’entreprendre une chimiothérapie adjuvante associant carboplatine® et paclitaxel (taxol®) pour un total de six cures, par cycle de 21 jours.

 Protocole de traitement acupunctural

 Lors de la première consultation d’acupuncture en mars 2012 qui a lieu quatre jours avant la première cure, Madame R.E présente un état général satisfaisant. Son poids est stable à 58kg pour 165cm. Pas de plainte algique. Elle se dit légèrement fatiguée avec évaluation estimée à 3 sur une échelle visuelle analogique (0 : aucune fatigue et 10 : fatigue maximale). Par contre, elle présente des troubles du sommeil, de l’angoisse. Les pouls sont fins (xi) et rapides (shuo). La langue est rouge et en particulier la pointe. Un Vide combiné de yin des Reins et de yin du Cœur est diagnostiqué selon la différenciation des syndromes (zheng).

En conséquence, les points puncturés pendant 20 mn sont : MC6 (neiguan), CO7 (shenmen), CO5 (tongli), PO7 (lieque),VE23 (shenshu) et RM4 (guanyuan) en moxibustion à l’armoise, RE3 (taixi), RE6 (zhaohai), RA6 (sanyinjiao), DM20 (baihui) et RM17 (shanzhong) en électroacupuncture à la fréquence de 100Hz (durée d’impulsion rectangulaire asymétrique de 0,5ms d’un courant pulsé alternatif à moyenne nulle) par l’intermédiaire d’un stimulateur électrique Agistim duo Sédatelec® à une intensité supportable par le patient.  Par ailleurs, en raison de la présence du paclitaxel qui entraîne une neurotoxicité fréquente avec les neuropathies périphériques, une partie du traitement préconisé en préventif par Jeannin [[4]] est utilisé au niveau des mains, à savoir une aiguille au milieu de chaque dernière phalange des mains et des pieds. De même le RM14 (chengjiang) est puncturé en prévention de l’inflammation des muqueuses, en particulier pour éviter les aphtes comme l’indique aussi Jeannin [[5]].

La deuxième séance d’acupuncture est réalisée vingt-quatre heures après la première cure de chimiothérapie. Celle-ci a été bien supportée : pas de vomissements mais quelques nausées malgré l’aprépitant (Emend®) 125mg pris une heure avant la cure et l’ondansétron (zophren®) 8 mg pris le matin même. Pas de fatigue ni d’aphtes non plus, pas de neuropathies. Cependant, outre l’inappétence et les selles devenues molles, son état psychologique s’est détérioré : anxiété avec idées noires, humeur dépressive avec insomnie et agitation mentale et fatigue plus marquée (4 à l’EVA). La langue a toujours la pointe rouge ; ailleurs elle est plus pâle. Les pouls sont toujours fins (xi), mais faibles (ruo). Son état correspond encore à un Vide de yin de Cœur auquel se surajoute un Vide de qi de Rate. Le traitement reprend les points précédents. Sont ajoutés ES36 (zusanli) et GI4 (hegu) stimulés en électroacupuncture à la fréquence de 2Hz.

La troisième séance d’acupuncture est réalisée en inter-cure de chimiothérapie, soit dix jours avant la deuxième cure de chimiothérapie. Une évaluation de sa fatigue est réalisée en utilisant l’échelle unidimensionnelle BFI (Brief Fatigue Inventory)  qui analyse par un questionnaire neuf items (chiffré de 0 à 10 sur une échelle numérique) avec trois questions sur la sévérité de la fatigue et six questions sur le retentissement dans la vie quotidienne dans les 24 heures qui précèdent : activité générale, humeur, capacité de marche, travail, relations avec autrui, joie de vivre. La fatigue est considérée comme modérée pour des chiffres compris entre 4 et 6 ; et sévère si compris entre 7 et 10. Madame R.E évalue sa fatigue à 6,3.

Lors de la quatrième séance qui a lieu 24h après la date de sa deuxième cure de chimiothérapie, la fatigue s’est amendée, puisque que chiffrée à 4,5 sur l’échelle BFI. Par contre, la deuxième cure a été reportée d’une semaine en raison de l’apparition d’une neutropénie à 1300/mm3. Le traitement de cette quatrième séance est identique à la précédente. La cinquième séance qui a lieu 48h avant la deuxième séance effective de chimiothérapie montre que la fatigue s’est bien stabilisée car évaluée à 3,5 sur l’échelle BFI.

La sixième séance, 24h après la deuxième cure retrouve à nouveau une fatigue très sévère à 8 sur l’échelle BFI. Les polynucléaires neutrophiles sont à 2800/mmmais l’oncologue a prévu une injection de pegfilgrastim (neulasta®) à faire systématiquement  24h après chaque cure de chimiothérapie.

De ce fait, cette sixième séance s’intercale entre cure de chimiothérapie et l’injection de la cytokine (facteur de croissance de la lignée granulocytaire, G-CSF Granulocyte-Colony Stimulating Factor humain). Madame R.E présente toujours un zheng combiné de Vide de yin de Cœur et Vide de qi de Rate et le traitement acupunctural reste identique aux trois précédentes séances. Cependant, du fait d’un début de paresthésies des doigts, le traitement concernant la neuropathie est intensifié avec ajout de nouveaux points selon le protocole de Jeannin [4].

La septième séance a lieu début mai en inter-cure et la huitième 24h avant la 3ème cure de chimiothérapie. Durant cette période d’inter-cure, la fatigue s’est amendée complètement, car évaluée à 1,5 sur l’échelle BFI. Par contre, cette période est marquée par une diarrhée malgré la prise de lopéramide (imodium®) et racécadotril (tiorfan®) et par des douleurs musculo-squelettiques à type de myalgies et d’arthralgies importantes évaluées à 7 sur l’échelle EVA en rapport aux injections de neulasta®. Le poids est à 53kg. L’examen clinique retrouve un Vide de yang des Reins avec une langue pâle, un pouls fin (xi) et profond (chen). Le traitement acupunctural reprend les mêmes points que les séances précédentes sauf RE6 et RM17. Sont ajoutés : FO13  (zhangmen) ;  GI11 (quchi) ; RM6 (qihai), RM12 (zhongwan) et ES25 (tianshu) en moxibustion à l’armoise et TR5 (waiguan), IG3 (houxi), VE62 (shenmai) et VB41 (zulinqi), points clés des Merveilleux Vaisseaux [[6]].

La diarrhée a disparu lors de la neuvième séance, intercalée entre 3ème cure de chimiothérapie et injection de neulasta®. Par contre, la fatigue est remontée à 5,2 au BFI, qui s’atténuera lors de dixième séance marquée par un début de reprise de ses activités professionnelles.

Et les séances d’acupuncture vont alterner jusqu’à la dernière cure de chimiothérapie en juillet 2012 sous le rythme d’une séance 48 à 72 heures avant la cure de chimiothérapie, une séance 24h après la cure de chimiothérapie, et une autre séance en inter-cure, vers le dixième jour du cycle. Les différents points sont utilisés en fonction des symptômes, mais aussi  selon la différenciation des syndromes zheng

Résultats

Au terme des six cures de chimiothérapie, Madame R.E avait retrouvé la joie de vivre. L’anxiété et l’humeur dépressive avait disparu. A la dernière séance d’acupuncture, 24h après la dernière cure, la fatigue était évaluée à 4,8 sur l’échelle BFI alors que 72h avant la cure, elle était à 0. La neuropathie périphérique toujours au niveau des doigts n’avait jamais dépassé le stade de paresthésies non invalidantes. Quelques épisodes de diarrhées sont encore survenus, mais jamais autant qu’après la deuxième cure ; quelques aphtes sans caractère de gravité. Par contre l’alopécie était totale. Les arthralgies et myalgies en rapport avec le neulasta® qui avaient duré quatre à cinq jours lors de la première injection ne duraient plus que deux à trois jours.

Discussion

Définitions de la fatigue et modalités épidémiologiques

 L’asthénie liée au cancer est une sensation subjective, pénible et persistante de fatigue physique, émotionnelle et/ou cognitive, un épuisement en rapport avec le cancer ou le traitement du cancer, non proportionnelle à l’activité récente, non améliorée par le repos et qui interfère avec le fonctionnement habituel du malade [[7]]. La fatigue touche très fréquemment les patients cancéreux bénéficiant d’une chimiothérapie cytotoxique, de radiothérapie, de greffe de moelle osseuse ou de traitements avec des modificateurs de réponse biologique [[8]]. Elle affecte 70% à 100% des patients cancéreux selon le National Comprehensive Cancer Network (NCCN).

Il faut distinguer la fatigue au cours de la prise en charge thérapeutique et celle qui survient après la fin du traitement.

Une revue de la littérature publiée entre 1989 et 2001 concernant le cancer du sein a objectivé que des taux élevés et fluctuants de prévalence de la fatigue sont trouvés non seulement pendant, mais aussi après l’administration d’une chimiothérapie adjuvante. Les études de la littérature montrent que l’intensité de la fatigue reste stable tout au long des cycles de traitement. Par contre, la fatigue qui suit les deux premiers jours après l’administration de la chimiothérapie semble être la pire [[9]].

La fatigue persiste aussi bien souvent alors que le traitement anticancéreux est terminé [[10]] et dans une étude longitudinale, on objective que 34% des sept-cent-soixante patientes interrogées rapporte une fatigue importante cinq à dix ans après le diagnostic du cancer du sein [[11]]. L’évaluation de la fatigue doit se faire au cours du temps par des questionnaires spécifiques comme le MFI 20 (multidimensional Fatigue Inventory), le FACIT-F (Functional assessment of chronic illness-Fatigue subscale) ou le BFI (Brief Fatigue Inventory) [[12]].

La prise en charge préconisée habituelle

La fatigue est un symptôme à la fois multifactoriel et multidimensionnel. Il s’agira tout d’abord de découvrir les causes réversibles facilement identifiables par un bilan biologique, comme une anémie, une infection, des troubles métaboliques, endocriniens, ou par une comorbidité : syndrome dépressif, dénutrition, causes iatrogènes, récidive du cancer, douleurs chroniques etc.

Sans étiologie précise, il est recommandé en fonction de la prise en charge (durant le traitement par chimiothérapie/ radiothérapie etc., en post-thérapie ou en fin de vie) de favoriser les techniques d’économie d’énergie sans conseiller le repos et la sieste qui sont délétères, favoriser la réhabilitation physique (marche, jogging, natation) avec des exercices physiques modérés et réguliers [[13]], d’avoir une approche psychologique et/ou enfin d’intervenir par thérapeutiques purement pharmacologiques tels que les psychostimulants : méthylphénidate, modafinil, dexamphétamine, guarana. Cependant, même si ces psychostimulants augmentent la vigilance, le niveau de preuves est insuffisant pour qu’ils soient systématiquement recommandés, sans compter que les effets secondaires sont loin d’être négligeables [7,[14]].

Durant la phase de traitement anticancéreux, le NCCN [7] avait rapporté des effets positifs de l’acupuncture, mais du fait de la faible population étudiée, recommandait des ECR de plus grande puissance. 

Prise en charge de la fatigue par acupuncture

 En effet, bien qu’une métaanalyse de la collaboration Cochrane réalisée à partir de cinq études (n=205) montre que le méthylphénidate puisse être efficace dans la fatigue, il a été conseillé de réaliser de plus grands essais [[15]]. De la même manière, même si quatre essais d’acupuncture portant sur une population globale de 127 patients objectivent un certain bénéfice, il n’en demeure pas moins que la réalisation d’ECR de plus grande puissance est nécessaire.

Fatigue liée à la radiothérapie

Une étude préliminaire a objectivé que douze séances d’acupuncture réalisées chez des patients (n=16) durant tout leur protocole de radiothérapie ont le potentiel de prévenir la fatigue liée à ce traitement [[16]].

Mieux, car dans cette étude toujours préliminaire mais en double aveugle et portant sur vingt-sept patients randomisés, il apparaît que le groupe de sujets recevant l’acupuncture ont une meilleure amélioration de la fatigue que dans celui du groupe acupuncture factice [[17]]. Il s’agit d’une étude pilote de bonne qualité méthodologique avec un score de Jadad à 5 (tableau I) [[18]]. On observe que l’acupuncture est plus efficace sur la fatigue, que l’acupuncture factice, même si la différence entre les deux n’est pas significative (p=0,37). En fait, les auteurs ont calculé que pour montrer une différence significative entre les deux groupes et objectiver un effet spécifique, il était nécessaire d’augmenter la puissance d’une étude future et d’inclure soixante-quinze patients par groupe. Quoi qu’il en soit les auteurs observaient que l’acupuncture véritable était plus bénéfique pour les patients que l’acupuncture factice.

Tableau I. Evaluation d’une qualité méthodologique de l’essai contrôlé randomisé de Balk.

Fatigue en post-chimiothérapie

L’étude ouverte de Vickers et al. [[19]] a été conduite chez trente-sept sujets, dont trente et un ont bénéficié de l’évaluation complète (six perdus de vue). Il s’agissait de patients ayant eu pour la plupart un cancer du sein (32%), mais aussi un cancer gynécologique (16%), poumon (23%), hématologique (16%) etc.

Ces malades avaient fini leur cure de chimiothérapie depuis plus de deux ans et avait une fatigue persistante évaluée au départ à 6,47 sur l’échelle BFI. Une première cohorte (n=25) avait bénéficié du traitement acupunctural deux fois par semaine pendant quatre semaines et la seconde (n=12), une fois par semaine pendant six semaines. La moyenne d’amélioration du niveau de fatigue a été de 31,1% et aucune différence entre les deux cohortes. Par contre, la réponse était moins bonne à partir de 65 ans. Cette étude de basse qualité méthodologique (Jadad=1) non contrôlée a le mérite de montrer que l’acupuncture peut entraîner une bonne amélioration de la fatigue, et, selon les auteurs, a le mérite d’attirer l’attention sur le fait que des ECR sont nécessaires pour le confirmer.

De ce fait, encouragés par ces résultats, Molassiotis et al. [[20]] ont réalisé un essai contrôlé randomisé contre placebo de haute qualité méthodologique (Jadad=5) à trois bras : un bras acupuncture (n=15), un autre acupression (n=16) et enfin un bras acupression factice « sham » (n=16) chez des patients cancéreux (lymphomes, cancers mammaires, cancer poumon, gastro-intestinaux etc.) souffrant de fatigue après avoir achevé un mois auparavant leur cycle de chimiothérapie (CHOP, anthracycline, cisplatine etc.). Par l’évaluation de la fatigue selon l’échelle MFI 20, ils confirment les résultats précédents en trouvant une moyenne d’amélioration à la fin du traitement de 36% des niveaux de fatigue dans le groupe acupuncture, 19% dans le groupe acupression et 0,6% dans le groupe placebo, le tout maintenu pendant deux semaines. L’acupuncture est plus efficace de manière statistiquement significative (p=0,01) que l’acupression ou l’acupression factice.

Deux semaines après la fin du traitement acupunctural, une seconde évaluation par MFI 20 a permis de constater que l’amélioration de la fatigue était moins forte qu’à la première évaluation (22% dans le groupe acupuncture, 15% dans le groupe acupression et 7% pour le groupe acupression placebo) et imposait donc la nécessité de prolonger le traitement pour maintenir l’effet antifatigue de l’acupuncture. Malgré l’efficacité nette de l’acupuncture et dans une moindre mesure celle de l’acupression qui pourra être utilisée chez les personnes pusillanimes, cette étude préliminaire objective la nécessité d’un ECR de grande puissance.

Johnston et al. [[21]] ont étudié l’utilisation de l’acupuncture dans le cadre de la médecine intégrative, c’est à dire intégration de l’acupuncture à un programme de prise en charge à la fois physique, psychologique et diététique chez des patientes ayant bénéficié d’une chimiothérapie pour cancer du sein. Elles souffraient d’une fatigue évaluée à une moyenne de 6,33 points selon l’échelle d’évaluation BFI. Les auteurs les ont randomisées en deux groupes : un groupe acupuncture intégré à la prise en charge habituelle (n=7) et un groupe uniquement de prise en charge habituelle (n=6). L’étude contrôlée randomisée préliminaire, de bonne tenue méthodologique (Jadad=3, car n’étant pas en insu) suit les recommandations CONSORT [[22]] et STRICTA [[23]]. On observe que l’intervention acupuncturale est associée à une baisse de 2,38 points (p=0,08) mesurée sur l’échelle BFI par rapport au groupe témoin. Ainsi du fait de la faible puissance de l’étude, les auteurs proposent de réaliser un ECR de plus grande taille pour confirmer l’efficacité de l’acupuncture.

Le tableau II récapitule les caractéristiques de ces études cliniques.

Tableau II. Caractéristiques des principales études cliniques d’acupuncture utilisée en cas de fatigue. 

Auteurstype d’étude et nombre de patientsJadadProtocolePoints utilisésRésultats
Balk(2009)ECR en double aveugle préliminaire contre placebo à deux bras (n=27) 5– durant période des six semaines de traitement de radiothérapie- séances de 30mn2 fois par semaine
 – recherche du deqi.
– évaluation : FACIT-F
– groupe acupuncture : taixi(RE3), sanyinjiao (RA6), hegu(GI4), zusanli (ES36), qihai(RM6).RE3 et ES36 : EA à 1Hz (30 mn) + RM6 est chauffé.
– groupe acupuncture factice : idem mais aiguilles placebo de type Park + simulation d’électroacupuncture (EA) (électrodes non reliées) et simulation de chaleur avec une lampe à émission de chaleur.
acupuncture plus efficace sur la fatigue que l’acupuncture factice mais non significatif (p=0,37)
Vickers (2004)Etude ouverte (n=37)1– 2 ans après fin de la cure de chimiothérapie
– premier groupe : 2 fois par semaine (20 mn)
– protocole modifié dans le deuxième groupe : puncture 1 fois par semaine- recherche du deqi
– évaluation : BFI
1er groupe : diji (RA8), yinlingquan (RA9), zusanli(ES36), guanyuan (RM4), qihai(RM6) et quchi (GI11).
 2e groupe : taixi (RE3), sanyinjiao (RA6), zusanli(ES36), guanyuan (RM4), qihai(RM6) et shufu (RE27)
– amélioration du niveau de fatigue : 31,1% (IC 95%, 20,6% à 41,5%)
– pas de différence significative entre les deux cohortes
Molassiotis(2007)ECR en double aveugle préliminaire contre placebo à trois bras (n=47)5– 1 mois après fin de la cure de chimiothérapie
– 6 sessions de 20 mn pendant quinze jours (3 fois par semaine)
– recherche du deqi
– évaluation : MFI 20 
groupe acupuncture : hegu(GI4), zusanli (ES36) et sanyinjiao (RA6)
groupe acupression : mêmes points utilisés avec pression d’une minute par le patient lui-même tous les jours pendant quinze jours
groupe placebo : utilisation de pression sur des points inactifs dans la fatigue : zhouliao (GI12), xiyangguan (VB33), pucan(VE61)
-amélioration du niveau de fatigue de 36% par acupuncture, 19% par acupression et 0,6% dans le groupe placebo
-maintien pendant 2 semaines.
-acupuncture  plus efficace (p=0,01) que l’acupression ou l’acupression factice. 
Johnston(2011)ECR sans placebo à 2 bras (n=13)3– après fin de la cure de chimiothérapie – 8 sessions de 50 mn (1 fois par semaine)- recherche du deqi– évaluation : BFI groupe acupuncture et prise en charge habituelle : hegu (GI4), zusanli (ES36), sanyinjiao(RA6) et taixi (RE3) +
 -en cas de symptômes gastro-duodénaux : neiguan (MC6), gongsun (RA4)
 – en cas de symptômes de la sphère psychologique : lieque(PO7), dazhong (RE4), taichong(FO3), yintang et baihui (VG20)
– en cas de troubles du sommeil shenmen (CO7), dazhong (RE4) et shenmai (VE62);
– en cas de symptômes douloureux et en fonction du site de la douleur : fengchi (VB20), xiaxi (VB43), juliao (VB29), huantiao (VB30), qiuxu (VB40), shenmai (VE62), waiguan (TR5) et houxi (IG3)
groupe témoin (prise en charge habituelle seule) : mêmes points utilisés avec pression d’une minute par le patient lui-même tous les jours pendant quinze jours 
-acupuncture diminue la fatigue de 2,38 points versus groupe témoin (IC 90% 0,586-5,014 ; p=0,0776)

Les principaux effets indésirables du traitement anticancéreux

Outre l’action sur la fatigue, le traitement acupunctural devra essayer de limiter certains effets secondaires des différentes molécules utilisées durant le cycle de chimiothérapie. En particulier, l’acupuncture agira sur les douleurs musculo-squelettiques, les troubles gastro-intestinaux, les neuropathies périphériques et même la leucopénie comme le suggère la métaanalyse de Lu et al. [[24]].

 Le carboplatine

Cette molécule présente essentiellement une toxicité rénale (néphropathie avec augmentation de la créatininémie, diminution de la clairance de la créatinine, troubles hydroélectrolytiques), hématologique (risque d’anémie, de leucopénie, neutropénie), digestive (nausées, vomissements, diarrhées) et neurologique (neuropathie périphérique avec paresthésies), alopécie et altération de l’état général.

 Le paclitaxel

Avant l’administration du taxol®, la prémédication préconisée à base de corticoïdes, d’antihistaminiques et d’antagonistes des récepteurs H2 est administrée systématiquement pour éviter les réactions d’hypersensibilité sévères, parfois fatales. Les autres effets secondaires rencontrés de manière très fréquentes sont : alopécie, neuropathies périphériques sévères (85% de neurotoxicité avec une perfusion de 175mg/m² sur 3 heures), myalgies et arthralgies (60% des patients), myélosuppression (une neutropénie sévère (< 500 /mm3) a été observée chez 28 % des patients) et bien sûr les troubles gastro-intestinaux (nausées, vomissements, diarrhées, inflammation des muqueuses). L’asthénie est rapportée aussi mais non retrouvée de façon fréquente.

 Le pegfilgrastim

Les effets indésirables les plus fréquents sont les douleurs osseuses, douleurs musculo-squelettiques (myalgies, arthralgies, douleurs des membres, dorsalgies, cervicalgies), céphalées, nausées.

Conduite à tenir

L’efficacité de l’acupuncture dans la fatigue immédiate survenant en cours de traitement a été peu étudiée, excepté durant la période de radiothérapie [17] et dans certaines études de cas [5,[25],[26],[27]]. Ainsi, on s’aperçoit que ces différents protocoles de chimiothérapie ou de radiothérapie seront d’autant mieux supportés, d’un point de vue fatigue et qualité de vie, si le suivi par acupuncture se fait durant tout le cycle thérapeutique.

Ce qui a été réalisé dans ce cas clinique.

L’intervention acupuncturale a ainsi été réalisée en règle générale 24 à 48 heures avant la cure de chimiothérapie (séance de 20 mn), puis une autre le lendemain de la perfusion suivie d’une autre en inter-cure (en moyenne au 10ème jour pour un cycle de 21 jours de cure). Jeannin et al. préconisent une séance par semaine par exemple pendant toute la durée de la radiothérapie [5].

Lors de chaque consultation, le protocole du choix des points concernant la fatigue n’est pas rigide, mais est adapté en fonction de l’évolution ou de l’apparition de symptômes ou des effets secondaires. De ce fait cette souplesse permet également d’améliorer la qualité de vie des patients. Le tableau III récapitule un protocole de traitement à adapter en fonction du cadre clinique zheng.

 Tableau III. Protocole de traitement de la fatigue lié au cancer et adapté aux zheng pour un cycle de chimiothérapie de 21 jours. 

Traitement commun à réaliser  48 à 72h avant la cure de chimiothérapie, 24h après et au 10e jour du cycle MC6, CO7, CO5, PO7, VE23 et RM4 en moxibustion, RE3, RE6, RA6, DM20, RM14, aiguilles des dernières phalanges mains et pieds
Si Vide de yin de Cœur et Vide de qi de RateES36 (zusanli) et GI4 (hegu) stimulés en électroacupuncture à la fréquence de 2Hz. 
Si Vide de yang des ReinsFO13  (zhangmen) ;  GI11 (quchi) ; RM6 (qihai), RM12 (zhongwan) et ES25 (tianshu) en moxibustion à l’armoise et TR5 (waiguan), IG3 (houxi), VE62 (shenmai) et VB41 (zulinqi)

Conclusions

 Cette étude de cas montre que l’acupuncture peut apporter un bénéfice certain dans la fatigue persistante liée au traitement anticancéreux. En outre, l’acupuncture a l’avantage d’accompagner le patient tout au long de sa chimiothérapie et peut de ce fait anticiper et même améliorer nombre d’effets secondaires comme les troubles gastro-intestinaux et neurologiques. En ce qui concerne la fatigue, des études contrôlées randomisées de haute qualité méthodologique sont encore nécessaires. Mais il est clair, ainsi que le soulignent les différents auteurs, que ce n’est pas sans poser des problèmes pratiques. Il faudra bien sûr tenir compte de la difficulté de recrutement afin d’atteindre la population suffisante. En effet, Johnston et al. [[28]] montrent que pour obtenir une puissance statistique suffisante de l’ECR en phase III, il serait nécessaire de randomiser dans deux bras au moins 101 sujets (52 par bras) si l’on s’attend à un effet important de l’acupuncture, voire 235 (118 par bras) si l’effet est supposé plus modéré. Il faudra aussi faire le choix du placebo, tenir compte de la variabilité des symptômes, du type d’acupuncture (moxibustion, auriculothérapie, électroacupuncture, acupression etc.) qui peuvent entraîner une certaine hétérogénéité des études. Quoi qu’il en soit, il en ressort qu’il y a très peu d’effets secondaires et pas de réelles contre-indications [[29]], surtout si l’on suit les recommandations émises par la Haute Autorité de Santé [[30]]. D’autre part, la recherche clinique ne faiblit pas si l’on en croit le méta-registre d’essais cliniques contrôlés (mRCT) qui comptabilise à ce jour cinq études en phase II ou III, et deux études préliminaires [[31]].

L’acupuncture se doit donc d’entrer dans le panel de soins de santé que l’oncologue peut offrir à son malade.


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Stéphan JM. Asthénie : intérêt de l’acupuncture au cours d’un protocole de chimiothérapie (carboplatine-paclitaxel). Acupuncture & Moxibustion. 2012;11(3):201-209. (Version PDF)

Stéphan JM. Asthénie : intérêt de l’acupuncture au cours d’un protocole de chimiothérapie (carboplatine-paclitaxel). Acupuncture & Moxibustion. 2012;11(3):201-209. (version 2012)

Intérêt de l’acupuncture dans la fatigue liée au cancer

Paul Sérusier – Les Porteuses d’eau ou la Fatigue (1897) – Musée des Beaux-Arts de Brest
Paul Sérusier – Les Porteuses d’eau ou la Fatigue (1897) – Musée des Beaux-Arts de Brest

Résumé : Qu’elle soit en rapport avec la chimiothérapie ou la radiothérapie, la fatigue liée au cancer est un problème très fréquent apparaissant dès le début du traitement anticancéreux et pouvant persister même des mois après la fin de ce traitement. Son dépistage et son évaluation devraient donc être recommandés systématiquement. A l’exclusion des thérapies des causes facilement identifiables comme une anémie ou une dépression, le traitement habituel fait appel à une prise en charge favorisant les techniques d’économie d’énergie, une approche pharmacologique, psychologique et une réhabilitation physique. Une autre possibilité souvent ignorée fait intervenir l’acupuncture qui objective dans des essais contrôlés randomisés préliminaires un bénéfice certain qui doit être confirmé par des essais cliniques de grande puissance. L’acupuncture semble ainsi efficace dans la fatigue liée au cancer quel que soit son stade et se doit donc d’entrer dans le panel de soins de santé que l’oncologue peut offrir à son malade. Mots clés : Acupuncture, cancer, fatigue liée au cancer, traitement  alternatif.

Introduction

 La demande d’acupuncture chez les patients souffrant de cancer est motivée par une recherche d’amélioration  de la qualité de vie comme le relève une étude sociologique réalisée en convention avec l’Institut national du cancer ([1]). On relève ainsi que 69,9% des attentes des patients concernent la diminution des effets secondaires des traitements oncologiques, notamment les nausées et vomissements, le stress, la fatigue et les douleurs ([2]). Parmi ces effets secondaires (tableau 1), la fatigue est la mieux soulagée (58,1% des cas) selon l’étude de Triadou et al. ([3]) et il importe de faire le point sur l’état actuel des connaissances.

 Tableau 1. Effets secondaires les mieux soulagés par acupuncture des patients d’acupuncteurs médecins (reproduction réalisée avec l’aimable autorisation de la revue Acupuncture & Moxibustion).  

Définitions de la fatigue

L’asthénie liée au cancer est une sensation subjective, pénible et persistante de fatigue physique, émotionnelle et/ou cognitive, un épuisement en rapport avec le cancer ou le traitement du cancer, non proportionnelle à l’activité récente, non améliorée par le repos et qui interfère avec le fonctionnement habituel du malade ([4]). Elle est à la fois physique avec une asthénie prédominant en fin d’après-midi voire le soir, et psychique survenant le matin avec une dimension psycho-pathologique entraînant détresse, émotions, tristesse, irritabilité etc. Elle va entrainer des stratégies d’adaptation avec une diminution des capacités physiques et/ou psychologiques ([5]).

La fatigue touche très fréquemment les patients cancéreux bénéficiant d’une chimiothérapie cytotoxique, de radiothérapie, de greffe de moelle osseuse ou de traitements avec des modificateurs de réponse biologique ([6]). Elle affecte 70% à 100% des patients cancéreux selon le National Comprehensive Cancer Network ( NCCN). 

 Modalités épidémiologiques

 La prévalence de la fatigue a d’ailleurs été comparée à celle de la population générale. Selon la revue de Minton et al., elle varie beaucoup en fonction des questionnaires d’évaluation mais reste néanmoins significativement plus élevée que dans la population générale, chiffrée par exemple entre 39% et plus de 90% durant le traitement et de 19% et 38% après la fin du traitement anti-cancéreux ([7]).

Il est important aussi de savoir si la fatigue est bien la conséquence directe ou indirecte du cancer ou de son traitement. Il s’agira donc d’en faire un diagnostic précis selon des critères spécifiques et de la différencier d’une comorbidité psychiatrique. Cella et al. ([8]) ont établi différents critères afin de confirmer un diagnostic comme la fatigue significative, la diminution de la concentration, le sommeil non réparateur, le fait de devoir lutter pour surmonter la tendance à l’inactivité, la tristesse ou l’irritabilité, la perte de mémoire à court terme etc.

On distingue en outre la fatigue au cours de la prise en charge thérapeutique et celle qui survient après la fin du traitement.

Une revue de la littérature publiée entre 1989 et 2001 concernant le cancer du sein a objectivé que des taux élevés et fluctuants de prévalence de la fatigue sont trouvés non seulement pendant mais aussi après l’administration d’une chimiothérapie adjuvante. A l’inverse de la perception commune qui sous-entend que davantage de traitements de chimiothérapie peuvent conduire à une plus grande fatigue, les études de la littérature montrent au contraire que l’intensité de la fatigue reste stable tout au long des cycles de traitement. Par contre, la fatigue qui suit les deux premiers jours après l’administration de la chimiothérapie semble être la pire et les praticiens doivent en informer leurs patients ([9]).

La fatigue persiste aussi bien souvent alors que le traitement anticancéreux est terminé. Ainsi Broeckel et al. ont trouvé que la fatigue des patientes était en moyenne 50% plus élevée seize mois après la chimiothérapie que celle rapportée dans un groupe comparatif des femmes n’ayant pas eu le cancer du sein ([10]). A plus long terme, une étude longitudinale objective que 34% des sept-cent-soixante patientes interrogées rapporte une fatigue importante cinq à dix ans après le diagnostic du cancer du sein, presque identique à celle observée de un à cinq ans après le diagnostic (35%), soulignant ainsi l’absence de changement dans ce symptôme au fil du temps ([11]).

De ce fait, les patients sont en demande d’une utilisation plus fréquente des services de santé, y compris des thérapies alternatives, comme le montre une étude canadienne portant sur 913 patients, où l’asthénie est le symptôme le plus fréquemment rapporté (78%) avec l’anxiété (77%) ([12]). 

 Les échelles d’évaluation de la fatigue

 Si le diagnostic de la fatigue ne pose pas trop de problème, son évaluation au cours du temps nécessite des questionnaires spécifiques déterminés par l’intérêt que l’on porte au symptôme. S’il s’agit d’explorer la fatigue en évaluation de routine, une échelle unidimensionnelle de type visuelle analogique (EVA) graduée de 0 à 10 cm peut suffire. Par contre, en cas de recherche clinique, d’études contrôlées randomisées ou si le chiffrage à l’EVA est supérieur à 6 avec un impact sévère sur la vie quotidienne, les questionnaires doivent être spécifiques de type uni ou multidimensionnels, c’est à dire permettant d’étudier les différentes composantes de la fatigue à la fois physique et psychologique ([13]). On peut retenir le MFI 20 (multidimensional Fatigue Inventory) qui s’intéresse à vingt items et cinq dimensions : fatigue globale, physique, mentale, réduction de l’activité, réduction de la motivation ; le FACIT-F (Functional assessment of chronic illness-Fatigue subscale) mesurant à la fois la qualité de la vie (sur vingt-six items) et treize items spécifiques de la fatigue. Les référentiels interrégionaux (5) préconisent l’échelle de fatigue révisée de Piper datant de 1998 qui étudient vingt-deux items évalués sur une échelle numérique de 0 à 10, sur quatre dimensions : comportementale/intensité, affective, sensorielle et cognitive/humeur. Plus simple, car unidimensionnelle, la BFI (Brief Fatigue Inventory) évalue dans son questionnaire neuf items (chiffré de 0 à 10 sur une échelle numérique) avec trois questions sur la sévérité de la fatigue et six questions sur le retentissement dans la vie quotidienne dans les 24 heures qui précèdent : activité générale, humeur, capacité de marche, travail, relations avec autrui, joie de vivre. La fatigue est considérée comme modérée pour des chiffres compris entre 4 et 6 ; et sévère si compris entre 7 et 10. 

La prise en charge préconisée

 La prise en charge symptomatique doit tenir compte que la fatigue est un symptôme à la fois multifactoriel et multidimensionnel. Bien sûr il s’agira de découvrir les causes réversibles facilement identifiables par un bilan biologique, comme une anémie, une infection, des troubles métaboliques, endocriniens, ou par une comorbidité : syndrome dépressif, dénutrition, causes iatrogènes, récidive du cancer, douleurs chroniques etc.

Sans étiologie précise, il est recommandé en fonction de la prise en charge (durant le traitement par chimiothérapie/ radiothérapie etc., en post-thérapie ou en fin de vie) de favoriser les techniques d’économie d’énergie sans conseiller le repos et la sieste qui sont délétères, favoriser la réhabilitation physique (marche, jogging, natation) avec des exercices physiques modérés et réguliers ([14]), d’avoir une approche psychologique et/ou enfin d’intervenir par thérapeutiques purement pharmacologiques tels que les psychostimulants : méthylphénidate, modafinil, dexamphétamine, guarana. Cependant, même si ces psychostimulants augmentent la vigilance, le niveau de preuves est insuffisant pour qu’ils soient systématiquement recommandés, sans compter que les effets secondaires sont loin d’être négligeables (4,5).

Durant la phase de traitement anticancéreux, le NCCN (4) avait rapporté des effets positifs de l’acupuncture, mais du fait de la faible population étudiée, recommandait des ECR de plus grande puissance. 

Prise en charge de la fatigue par acupuncture

 En effet, bien qu’une métaanalyse de la collaboration Cochrane réalisée à partir de cinq études (n=205) montre que le méthylphénidate puisse être efficace dans la fatigue, il a été conseillé de réaliser de plus grands essais ([15]). De la même manière, même si quatre essais d’acupuncture (Figure 1) portant sur une population globale de 127 patients objectivent un certain bénéfice, il n’en demeure pas moins que la réalisation d’ECR de plus grande puissance est nécessaire.

Figure 1. Aiguille d’acupuncture implantée sur le point hegu (GI4). 

Fatigue liée à la radiothérapie

Une étude préliminaire a objectivé que douze séances d’acupuncture réalisées chez des patients (n=16) durant tout leur protocole de radiothérapie ont le potentiel de prévenir la fatigue liée à ce traitement ([16]).

Mieux, car dans cette étude toujours préliminaire mais en double aveugle et portant sur vingt-sept patients randomisés, il apparait que le groupe de sujets recevant l’acupuncture ont une meilleure amélioration de la fatigue que dans celui du groupe acupuncture factice ([17]). Il s’agit d’une étude pilote de bonne qualité méthodologique avec un score de Jadad à 5 (Tableau 2) ([18]). Les patientes sont traitées deux fois par semaine durant les six semaines de radiothérapie. Le recueil des mesures se fait selon l’échelle FACIT-F à trois et six semaines durant le traitement et quatre semaines après la fin. On observe que l’acupuncture est plus efficace sur la fatigue que l’acupuncture factice, même si la différence entre les deux n’est pas significative (p=0,37). En fait, les auteurs ont calculé que pour montrer une différence significative entre les deux groupes et objectiver un effet spécifique, il était nécessaire d’augmenter la puissance d’une étude future et d’inclure soixante-quinze patients par groupe. Quoi qu’il en soit les auteurs observaient que l’acupuncture véritable était plus bénéfique pour les patients que l’acupuncture factice.

 Tableau 2. Evaluation d’une qualité méthodologique de l’essai contrôlé randomisé de Balk.

Fatigue en post-chimiothérapie

L’étude ouverte de Vickers et al. ([19]) a été conduite chez trente-sept sujets, dont trente et un ont bénéficié de l’évaluation complète (six perdus de vue). Il s’agissait de patients ayant eu pour la plupart un cancer du sein (32%), mais aussi un cancer gynécologique (16%), poumon (23%), hématologique (16%) etc.

Ces malades avaient fini leur cure de chimiothérapie depuis plus de deux ans et avait une fatigue persistante évaluée au départ à 6,47 sur l’échelle BFI. Une première cohorte (n=25) avait bénéficié du traitement acupunctural deux fois par semaine pendant quatre semaines et la seconde (n=12), une fois par semaine pendant six semaines. La moyenne d’amélioration du niveau de fatigue a été de 31,1% (IC 95%, 20,6% à 41,5%) et aucune différence entre les deux cohortes. Par contre, la réponse était moins bonne à partir de 65 ans. Cette étude de basse qualité méthodologique (Jadad=1) non contrôlée a le mérite de montrer que l’acupuncture peut entraîner une bonne amélioration de la fatigue, et, selon les auteurs a le mérite d’attirer l’attention sur le fait que des ECR sont nécessaires pour le confirmer.

De ce fait, encouragés par ces résultats, Molassiotis et al. ([20]) ont réalisé un essai contrôlé randomisé contre placebo de haute qualité méthodologique (Jadad=5) à trois bras : un bras acupuncture (n=15), un autre acupression (n=16) et enfin un bras acupression factice « sham » (n=16) chez des patients cancéreux (lymphomes, cancers mammaires, cancer poumon, gastro-intestinaux etc.) souffrant de fatigue après avoir achevé un mois auparavant leur cycle de chimiothérapie (CHOP, anthracycline, cisplatine etc.). Par l’évaluation de la fatigue selon l’échelle MFI 20, ils confirment les résultats précédents en trouvant une moyenne d’amélioration à la fin du traitement de 36% des niveaux de fatigue dans le groupe acupuncture, 19% dans le groupe acupression et 0,6% dans le groupe placebo, le tout maintenu pendant deux semaines. L’acupuncture est plus efficace de manière statistiquement significative (p=0,01) que l’acupression ou l’acupression factice.

Deux semaines après la fin du traitement acupunctural, une seconde évaluation par MFI 20 a permis de constater que l’amélioration de la fatigue était moins forte qu’à la première évaluation (22% dans le groupe acupuncture, 15% dans le groupe acupression et 7% pour le groupe acupression placebo) et imposait donc la nécessité de prolonger le traitement pour maintenir l’effet antifatigue de l’acupuncture. Malgré l’efficacité nette de l’acupuncture et dans une moindre mesure celle de l’acupression qui pourra être utilisée chez les personnes pusillanimes, cette étude préliminaire objective la nécessité d’un ECR de grande puissance.

Johnston et al. ([21]) ont étudié l’utilisation de l’acupuncture dans le cadre de la médecine intégrative, c’est à dire intégration de l’acupuncture à un programme de prise en charge à la fois physique, psychologique et diététique chez des patientes ayant bénéficié d’une chimiothérapie pour cancer du sein. Elles souffraient d’une fatigue évaluée à une moyenne de 6,33 selon l’échelle d’évaluation BFI. Les auteurs les ont randomisées en deux groupes : un groupe acupuncture intégré à la prise en charge habituelle (n=7) et un groupe uniquement de prise en charge habituelle (n=6). L’étude contrôlée randomisée préliminaire, de bonne tenue méthodologique (Jadad=3, car n’étant pas en insu) suit les recommandations CONSORT ([22]) et STRICTA ([23]). On observe que l’intervention acupuncturale est associée à une baisse de 2,38 points (p=0,08)  mesurée sur l’échelle BFI par rapport au groupe témoin. Ainsi du fait de la faible puissance de l’étude, les auteurs proposent de réaliser un ECR de plus grande taille pour confirmer l’efficacité de l’acupuncture.

Le tableau 3 récapitule les caractéristiques de ces études cliniques.

 Tableau 3. Caractéristiques des principales études cliniques d’acupuncture utilisée en cas de fatigue. 

Auteurstype d’étude et nombre de patientsJadadProtocoleRésultats
Balk(2009)ECR en double aveugle préliminaire contre placebo à deux bras (n=27) 5– durant période des six semaines de traitement de radiothérapie
– séances de 30mn2 fois par semaine
 -recherche du deqi.
– évaluation : FACIT-F
– Bras acupuncture : avec électroacupuncture (EA)
– Bras acupuncture factice avec aiguilles placebo de type Park  +simulation d’ électrodes non reliées
acupuncture plus efficace sur la fatigue que l’acupuncture factice mais non significatif (p=0,37)
Vickers (2004)Etude ouverte (n=37)1– 2 ans après fin de la cure de chimiothérapie
– premier groupe : 2 fois par semaine (20 mn)
– protocole modifié dans le deuxième groupe : puncture 1 fois par semaine
– recherche du deqi
– évaluation : BFI 
– amélioration du niveau de fatigue : 31,1% (IC 95%, 20,6% à 41,5%)
– pas de différence significative entre les deux cohortes
Molassiotis (2007)ECR en double aveugle préliminaire contre placebo à trois bras (n=47)5– 1 mois après fin de la cure de chimiothérapie – 6 sessions de 20 mn pendant quinze jours (3 fois par semaine)
-recherche du deqi
– évaluation : MFI 20
groupe acupuncture
groupe acupression groupe placebo : utilisation de pression sur des points inactifs dans la fatigue   
-amélioration du niveau de fatigue de 36% par acupuncture, 19% par acupression et 0,6% dans le groupe placebo
-maintien pendant 2 semaines.
-acupuncture  plus efficace (p=0,01) que l’acupression ou l’acupression factice. 
Johnston(2011)ECR sans placebo à 2 bras (n=13)3– après fin de la cure de chimiothérapie
 – 8 sessions de 50 mn (1 fois par semaine)
-recherche du deqi
– évaluation : BFI
– groupe acupuncture et prise en charge habituelle
– groupe témoin (prise en charge habituelle seule)
-acupuncture diminue la fatigue de 2,38 versus groupe témoin (p=0,08)

Conclusions 

La fatigue persistante liée au traitement anticancéreux est un symptôme pour lequel l’acupuncture peut apporter un bénéfice certain. Bien sûr des études contrôlées randomisées de haute qualité méthodologique sont encore nécessaires. Mais il est clair, ainsi que le soulignent les différents auteurs, que ce n’est pas sans poser des problèmes pratiques. Par exemple, il faut tenir compte de la difficulté de recrutement afin d’atteindre la population suffisante. En effet selon l’étude de Johnston et al. ([24]) pour obtenir une puissance statistique suffisante de l’ECR en phase III, il serait nécessaire de randomiser dans deux bras au moins 101 sujets (52 par bras) si l’on s’attend à un effet important de l’acupuncture, voire 235 (118 par bras) si l’effet est supposé plus modéré. Il faudra aussi faire le choix du placebo, tenir compte de la variabilité des symptômes, du type d’acupuncture (moxibustion, auriculothérapie, électroacupuncture, acupression etc.) qui peuvent entraîner une certaine hétérogénéité des études. Quoi qu’il en soit, il en ressort qu’il y a très peu d’effets secondaires et pas de réelles contre-indications ([25]), surtout si l’on suit les recommandations émises par la Haute Autorité de Santé ([26]). D’autre part, la recherche clinique ne faiblit pas si l’on en croit le méta-registre d’essais cliniques contrôlés (mRCT) qui comptabilise à ce jour cinq études en phase II ou III, et deux études préliminaires ([27]).

L’efficacité de l’acupuncture dans la fatigue immédiate survenant en cours de traitement a été peu étudiée, excepté durant la période de radiothérapie (17) et dans certaines études de cas ([28],[29],[30],[31],[32]). Ainsi, on s’aperçoit que ces différents protocoles de chimiothérapie ou de radiothérapie seront d’autant mieux supportés, d’un point de vue fatigue et qualité de vie, si le suivi par acupuncture se fait durant tout le cycle thérapeutique. L’intervention acupuncturale sera réalisée ainsi en règle générale 24 à 48 heures avant la cure (séance de 20 mn), puis une autre le lendemain de la perfusion suivie d’une autre en intercure. Jeannin et al. préconisent une séance par semaine pendant toute la durée de la radiothérapie (30). Lors de chaque consultation, le protocole du choix des points concernant la fatigue n’est pas rigide, mais est adapté en fonction de l’évolution ou l’apparition de symptômes ou des effets secondaires. De ce fait cette souplesse permet également d’améliorer la qualité de vie des patients. L’acupuncture se doit donc d’entrer dans le panel de soins de santé que l’oncologue peut offrir à son malade.


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L’électroacupuncture a une efficacité spécifique dans le contrôle des vomissements induits par chimiothérapie myéloablative

Fort de France, Martinique : Fresque murale - France
Fort de France, Martinique : Fresque murale – France

Shen J,  Wenger N, Glaspy J, Hays R.D, Albert P.S, Choi C, Shekelle P.G : Electroacupuncture for Control of Myeloablative Chemotherapy–Induced Emesis. A randomized controlled trial. JAMA. 2000 ; 284 , 21, 2755-2761

Résumé

 Question :

L’électroacupuncture est-elle efficace dans les vomissements induits par une chimiothérapie hautement émétique ? Cette efficacité est-elle spécifique ?

Plan expérimental : Essai clinique randomisé, électroacupuncture versus puncture minimale et versus absence d’électroacupuncture.

Cadre : clinique de cancérologie dans un centre hospitalier universitaire californien (USA)

Patients : L’étude fut réalisée entre mars 1996 et décembre 1997. Un formulaire de consentement éclairé signé par les patientes fut demandé lors de l’hospitalisation pour la chimiothérapie. Le protocole d’étude fut approuvé par le comité scientifique local et revu par le comité institutionnel de protection du sujet humain.

Pour détecter entre 20 et 25% de réduction des vomissements, les groupes devaient inclure chacun 35 personnes, fixant une puissance de l’étude entre 77 et 93%.

104 femmes de 18 à 62 ans (âge moyen : 46 ans) ayant un cancer du sein à haut risque ( score supérieur à 80 sur l’échelle Karnofsky, quantifiée de 0 à 100), avec une espérance de vie d’au moins 6 mois, et candidates appropriées pour le programme de transplantation de moelle ont donc été recrutées.

Les exclusions : métastases de cerveau, infections évolutives, infections cutanées, pacemaker, incapacité à donner leur consentement éclairé.

Intervention : La randomisation en trois groupes fut réalisée par un investigateur qui n’avait eu aucun contact direct avec les patientes (enveloppes numérotées, scellées, opaques).

Les patientes des 3 groupes ont bénéficié de la même chimiothérapie et de la même thérapie antiémétique.

Chimiothérapie : cyclophosphamide (endoxan) à la dose de 1875 mg/m² de surface corporelle par jour et cisplatin (cisplatine) : 55mg/m²/j pendant les 3 premiers jours d’hospitalisation, et le 4ème jour carmustine (Bicnu) à la dose de 600mg/m².

Agents antiémétiques : prochlorperazine (non commercialisé en France) utilisé par voie intraveineuse avant la chimiothérapie à la dose de 10 mg dans 100 ml de solution saline puis en perfusion continue à la dose de 1mg/m² de surface corporelle et par heure, lorazepam en intraveineux (témesta, mais non commercialisé sous cette forme en France) à la dose de 1mg/m² toutes les 4 heures, diphenhydramine hydrochloride (non commercialisé sous cette forme en France) à la dose de 25mg/m² administré en intraveineux également toutes les 6 heures : thérapeutique commencée 1 heure après le début de la chimiothérapie et continuée 48 heures après la fin de la dernière perfusion de chimiothérapie. Du metoclopramide (primpéran) et du droperidol (droleptan), médicaments supplémentaires ont été donnés à la discrétion des médecins non impliqués dans l’étude ou à la demande des patientes.

3 groupes :

1.Groupe électroacupuncture (n=37)  : acupuncture classique avec des aiguilles au gabarit 36 (norme américaine) de manière bilatérale par deux médecins acupuncteurs chevronnés :

– MC6 (Neiguan), puncturé à une profondeur de 1 cun, avec recherche de la sensation du « de Qi », puis relié par une pince crocodile à la borne négative du stimulateur électrique.

– ES 36 (Zusanli), puncturé à une profondeur de 1,5 cun, recherche du « de Qi », puis relié de la même façon à la borne positive.

Les variables électriques : fréquence : 2 à 10 hertz  impulsions de 0,5 à 0,7 millisecondes, polarité alternée, forme d’onde carrée de moins de 26 mA pendant 20 minutes.

La première séance a lieu dans les 2 heures précédant la perfusion initiale de chimiothérapie, puis les quatre jours suivants aux mêmes horaires, pour un total de 5 jours de traitement.

2.Groupe puncture minimale (n=33) : acupuncture avec insertion superficielle des aiguilles et  stimulation électrique simulée « mock » sur des points n’ayant aucun effet sur les vomissements : même protocole : aiguilles 36 placées de façon bilatérale par des médecins acupuncteurs.

– 1 point  aux environs de P7 (Lieque) et 1 autre près de VB 34 (Yanglingquan) puncturés superficiellement sans recherche du « de Qi », reliés donc à un stimulateur mais sans délivrance de courant électrique.

Même protocole de traitement : séances de 20 minutes par jour pendant 5 jours.

3.Groupe pharmacothérapie isolée (n=34) : sans électroacupuncture, les patientes reçoivent la thérapeutique antiémétique commune.

Les trois groupes à comparer sont similaires en terme d’âge, de sexe et de chimiothérapie antérieure. Néanmoins, le groupe avec électroacupuncture placebo a eu davantage de vomissements dans une chimiothérapie antérieure que les deux autres groupes, avec une différence significative (p=0,01).

Les patientes sont laissées dans l’ignorance de la nature du traitement reçu par acupuncture, comme l’atteste l’évaluation  par un questionnaire : pas de différence significative entre les 2 groupes (p=0,11 au test Khi-carré de Pearson). La qualité technique du traitement reçu, la gentillesse et l’accueil du médecin acupuncteur étaient comparables dans les deux groupes (p=0,13).

 La quantité moyenne d’agents antiémétiques administrés pendant la période d’étude était semblable dans les 3 groupes. De même, l’utilisation des antiémétiques supplémentaires était  comparable (p = 0,33 au test de Khi-carré de Pearson) dans les 3 groupes.

Critères de jugement : Critère primaire : le nombre d’épisode de vomissements. Critère secondaire : la proportion de jours sans vomissements. Deux périodes sont étudiées : la phase thérapeutique de J1 à J5 et la phase de suivi de J6 à J14. Les données ont été recueillies par une infirmière ignorant le groupe d’appartenance des patientes.

Résultats : Analyse en intention de traiter : toutes les patientes  randomisées, y compris celles sorties avant la fin de l’essai ont été étudiées..

Résultats
 GROUPE 1GROUPE 2Groupe 3
 électroacupuncturePuncture minimalePharmacothérapie
 (n = 37)(n = 33)(n = 34)
Période d’étude (Jour 1 – Jour 5)
Nombre d’épisodes de vomissements par personne
Moyenne (gamme)5 (1-25)10 (3-24)15 (0-25)
Moyenne (95% CI)*6.29 (4.20-7.02)10.73 (7.38-11.90)13.41 (9.55-15.05)
Pourcentage de jours sans vomissements
Moyenne (95% CI)55 (47-63)29 (20-37)20 (11-29)
Période de suivi (Jour 6 – jour 14)
Nombre d’épisodes de vomissements par personne
Moyenne (gamme)4 (0-32)7 (0-30)8 (0-22)
Moyenne (95% CI)*6.89 (3.65-7.34)8.60 (4.84-9.42)8.56 (5.29-9.48)
Pourcentage de jours sans vomissementsmoyenne (95% CI)60 (52-68)53 (45-62)52 (44-62)
 CI indicates confidence Interval 
* Constructed on Square root scale and back transformed to the original scale. 
     

1.Critère primaire  :

Durant la période des cinq jours thérapeutiques, le nombre d’épisodes de vomissements dans le groupe électroacupuncture est inférieur à celui de la puncture minimale et à celui de la pharmacothérapie seule (nombre moyen d’épisodes, 5, 10 et 15 respectivement ). La différence est statistiquement significative (p <0,001) pour chaque comparaison.

De même, le groupe acupuncture minimale a eu sensiblement moins d’épisodes de vomissements que le seul groupe pharmacothérapie isolée ( P <0,01).

  1. Critère secondaire : La proportion de jours sans vomissements est plus élevée dans le groupe électroacupuncture que dans celui de la puncture minimale ou que dans celui de la pharmacothérapie isolée (significatif : p<0,001). Par contre, la proportion de jours sans vomissements n’est pas supérieur dans le groupe puncture minimale par rapport augroupe pharmacothérapie (p=0,18).

Pendant la période de suivi du 6ème au 14ème jour, on ne met pas en évidence de différence significative dans la comparaison entre les trois groupes (p=0.18).

Conclusions :

Dans cette étude concernant des patientes ayant un cancer du sein et recevant une chimiothérapie à haute dose, l’adjonction d’une électroacupuncture est plus efficace dans le contrôle des vomissements qu’une puncture minimale ou qu’une pharmacothérapie isolée. Toutefois, l’effet observé est de durée limitée.

Commentaires :

Grille de Jadad :

Qualité méthodologique.

Des études antérieures ont suggéré que l’acupuncture puisse réduire les nausées et vomissements. Cet effet thérapeutique pourrait provenir des effets spécifiques mais aussi non spécifiques de l’acupuncture liés à la relation-interaction patient-acupuncteur.

Apparemment, cette étude n’est pas originale, car pourquoi faire une énième étude démontrant l’efficacité de l’acupuncture dans les vomissements ?

En effet déjà une conférence de consensus avait émis un avis favorable sur cette efficacité (1). Malheureusement, on suspectait un effet placebo.

 L’étude clinique randomisée de Dundee objectivait un effet certain de l’acupuncture sur les vomissements. Mais existait un problème : biais de méthodologie et pas assez de patients dans le groupe placebo.(2)

Une revue systématique des études cliniques randomisées (3) et une méta-analyse (4) ont démontré également l’efficacité de l’acupuncture, mais en post-opératoire et non dans les vomissements post chimiothérapiques, comme ici.

 Donc premier intérêt de cette étude

Deuxième question méthodologique : pourquoi faire une étude sur l’acupuncture et les vomissements ? Que peut apporter l’acupuncture au monde scientifique médical ?

Les auteurs, non acupuncteurs, expliquent qu’ils sont démunis dans la thérapeutique antiémétique post-chimothérapique, car bien que de nouvelles molécules soient sorties, en particulier l’ondansetron, très efficace, celui-ci ne peut être utilisé avec le cisplatin et le cyclophosphamide, car entraînant  de nombreuses interactions. D’où le deuxième intérêt de cette étude.

Le troisième intérêt : prouver qu’il existe un effet bien spécifique de l’acupuncture. Et là, les auteurs l’objectivent bien, mais démontrent qu’il existe de plus un effet non spécifique, lié pour eux à l’interaction patient-médecin, l’acupuncture minimale étant plus efficace que la thérapeutique antiémétique isolée. Mais pourquoi faire un essai avec un groupe acupuncture minimale et non directement un groupe placebo ?

Il s’avère donc qu’il existerait outre les effets spécifiques de l’électroacupuncture, des effets non spécifiques liés vraisemblablement à une intervention comportementale. En effet, l’électroacupuncture minimale induit également une réduction de la fréquence des épisodes de vomissements. L’attention apportée au patient et l’interaction clinicien-patient peuvent être des explications possibles dans l’effet bénéfique de cette configuration.

Par contre, l’effet spécifique de l’électroacupuncture serait de moduler la sérotonine, la substance P, et les opiacés endogènes au niveau du système nerveux central.

La qualité méthodologique de cet essai passe aussi par la validité statistique. La taille et la puissance de l’étude sont tout à fait bien étudiées, correctes et, avec ce qui est rare, un intervalle de confiance bien spécifié et étroit pour toutes les statistiques. Une valeur de P=0,05 indiquait une signification statistique. Seul bémol, la distribution des résultats n’étant pas normale, car étant distribuée de manière dissymétrique, les tests statistiques choisis ont été des tests non paramétriques ( analyse de variance de Kruskall-Wallis suivie du Test de Wilcoxon pour séries appariées, utilisation des modèles de quasi-vraisemblance de Poisson et modèle d’équation d’estimation généralisée GEE pour les ajustements, test de Wald). De ce fait, ces tests sont moins puissants que les tests paramétriques et pourraient produire des résultats significatifs trompeurs.  

Les limitations :

– Cette étude ne peut s’appliquer qu’à une certaine population cible : femmes, et une certaine pathologie, cancer du sein traité par chimiothérapie myéloablative.

–          Il faudrait voir si l’acupuncture est aussi efficace versus les nouvelles molécules (ondansetron) et les nouveaux protocoles. Donc d’autres ECR sont à réaliser…

– problème du groupe puncture minimale. Dans cette étude, les patients étaient incapables de distinguer la différence (tests statistiques pour preuve) entre acupuncture classique et acupuncture minimale que les auteurs  désignent du terme « non-classique ». Or nous savons qu’il existe une efficacité statistiquement significative de cette forme d’acupuncture (5, 6),  bien que d’autres auteurs disent le contraire(7).

Cette étude relève de ce que Johan Nguyen (8) décrit comme des essais de type B (acupuncture contre traitement de référence), mais aussi essais de type D (acupuncture contre fausse acupuncture). Le but des auteurs de cet essai était double : différencier l’effet spécifique de l’effet non-spécifique, et démontrer l’efficacité de l’électroacupuncture afin de définir sa place dans la stratégie thérapeutique (8).

– Les points utilisés ici comme antiémétiques sont classiquement retenus.

MC 6 (Neiguan) : point classique dans les vomissements, point Luo du Shou Jue Yin et surtout point clé du Yin Wei Mai, qui intervient préférentiellement sur la sphère neuropsychique et aussi sur la sphère digestive.

ES 36 (Zusanli) est le point He du méridien d’Estomac qui permet de calmer, contrôler et d’équilibrer le Qi et d’abaisser la Chaleur de l’Estomac en harmonisant Rate , Estomac, le Sang  et le Qi.

MC 6 est systématiquement utilisé dans les études, ES 36, bonne indication aussi, l’est nettement moins. Ce traitement classique est aussi préconisé comme points symptomatiques des nausées et vomissements dans le traité d’acupuncture de l’institut de médecine traditionnelle chinoise de Shanghaï (traduction de C. Roustan).

– Que dire maintenant des points retenus pour la puncture minimale : points situés près de  P 7 et VB 34. Je remarque en passant que les auteurs n’ont pas fait l’effort de mettre les noms des points en nomenclature chinoise pinyin. Mais ils utilisent tout de même la nomenclature internationale anglaise de 1980.

Notons que les auteurs décrivent ces deux points utilisés en disant qu’ils se trouvent près de P 7 et VB 34, sans donner exactement une distance. Certains chercheurs avaient tenté de déterminer la spécificité du point chinois en comparant les effets respectifs de stimulations appliquées à son niveau exact et sur un site voisin plus ou moins proche. Les résultats ne montrent pas de différence significative. Par exemple, chez le lapin, ils ont démontré que les effets de la stimulation se font  sentir tout autour d’une zone autour du point précis, mais s’atténuent dès qu’on s’éloigne trop (10,11). Ces résultats indiquent que le respect absolu des emplacements des points d’acupuncture n’est pas indispensable pour observer un effet hypoalgésique par exemple. La stimulation de zones d’innervation comparable produit donc des effets identiques.

 Mais c’est vrai aussi que les auteurs de cet essai n’ont pas cherché à mettre en place un placebo actif, mais ont plutôt cherché un protocole d’acupuncture minimale ‘acupuncture non-classique’ avec stimulation électrique feinte, qui ne sont pas indiqués pour le contrôle des vomissements.

Que penser donc de ces deux points ?

VB34 (Yanglinquan) n’est pas aussi inefficace dans les vomissements que semblent le dire les deux médecins acupuncteurs experts dans l’étude. En effet, le VB 34  a une action statistiquement significative dans les vomissements comme l’atteste l’étude de Chu en 1998 dans la prévention des vomissements après chirurgie de strabisme chez l’enfant.(9)

 En effet, Le VB 34, point Hui, grande Réunion des muscles et des tendons, point He à action spéciale sur la vésicule biliaire, est aussi un des douze points « étoile céleste ». Donc sa sphère d’activité n’est pas limitée qu’à la pathologie neuromusculaire. On le préconise également dans une variété d’hypertension artérielle, certaines précordialgies, les pathologies neurologiques (migraines, céphalées, zona…) et … dans les pathologies digestives (lithiases des voies biliaires, gastrites, ulcères, colopathies, hépatites),

P7 (Lieque), point clé du Ren Mai, n’est pas vraiment inefficace non plus. Le Ren Mai, vaisseau Conception,  présente en cas d’atteinte des symptômes de la sphère digestive, et en particulier des vomissements. Le Ren Mai, contrôle et régule les méridiens principaux et merveilleux vaisseaux Yin, mais aussi tous les points Mu qui se trouvent sur son trajet, contrôle enfin les fonctions digestives, sexuelles et respiratoires. Ainsi le RM 13 est le point des nausées et vomissements.

Conclusion : ni le VB34, ni le P7 ne peuvent être considérés comme des points complètement inefficaces dans les vomissements, même si on ne recherche pas le « De Qi » et même si l’électroacupuncture est feinte à ces niveaux.

Il y a donc une spécificité partielle de VB 34 et P7 sur les vomissements.

L’effet non spécifique lié à la relation patient-Acupuncteur ne peut être prouvé, car même si l’électroacupuncture minimale est moins efficace que l’électroacupuncture spécifique, c’est malgré tout de l’acupuncture agissant réellement de manière spécifique sur les vomissements .

D’où l’intérêt de mettre en oeuvre un comité d’expertise de spécialistes en acupuncture qui validerait les protocoles d’acupuncture utilisés, surtout ceux considérés comme placebo ou à action minimale.

Ici deux acupuncteurs avaient été chargés d’évaluer le protocole, un exerçant l’acupuncture  en privé depuis 3 ans, et l’autre davantage expérimenté (20 ans d’exercice).

En fait, les auteurs ont étudié 2 protocoles d’acupuncture, l’un plus spécifique que l’autre dans les vomissements.

Conclusion :

  1. étude remarquable d’un point de vue méthodologique.
  2. efficacité de l’électroacupuncture : il est donc légitime de proposer ce traitement en association avec une thérapeutique antiémétique pour le confort du malade
  3. erreur dans le choix de l’acupuncture minimale visant à différencier l’effet spécifique de l’effet non spécifique : les auteurs auraient dû se contenter de l’étude électroacupuncture versus traitement antiémétique.
  4. l’absence d’efficacité sur la période de suivi doit inciter à poursuivre les séances d’acupuncture plus longtemps
  5. Il n’y a aucune raison de penser que l’acupuncture puisse échapper à la règle qui veut que l’efficacité de toute technique résulte de son effet propre, ajouté à d’autres actions non spécifiques, placebo.

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