Consensus d’experts sur le traitement par acupuncture de la gonarthrose

Pratique de l’acupuncture

 

    Consensus d’experts sur le traitement par acupuncture de la gonarthrose

 

 

 

 

 

 

Dans une pathologie donnée, il est tout à fait usuel d’observer de grandes variations de pratique. Pour réduire ces variations (dont une partie peut être considérée comme non justifiée), des consensus d’experts sont utilisés pour élaborer des recommandations de bonne pratique.

Méthode Delphi

La méthode Delphi est une méthode des plus courantes pour formaliser ce consensus [1,2]. Il s’agit d’obtenir un avis final unique et convergent d’un groupe d’experts et d’en évaluer le degré de convergence. Le principe est d’interroger les experts sur la base d’un questionnaire auto-administré, de manière itérative (deux à quatre tours) et interactive, sans communication directe entre eux. L’anonymat est garanti, minimisant ainsi le risque d’une prise de pouvoir par certains individus ou sous-groupes d’individus.

Les résultats d’un premier questionnaire sont communiqués à chaque expert et sont accompagnés d’une synthèse des tendances générales et particulières, des avis et des justifications. Dès lors chacun est invité à réagir et à répondre à un deuxième questionnaire élaboré en fonction des premiers avis recueillis, et ainsi de suite jusqu’à l’obtention d’une convergence aussi forte que possible des réponses.

Les experts doivent être des experts qualifiés, ayant une compréhension claire de la problématique abordée, représentatifs des connaissances et/ou des perceptions actuelles, relativement impartiaux et indépendant des pressions commerciales ou autres.

 

Traitement par acupuncture de la gonarthrose

Une étude utilise ainsi la méthode Delphi pour établir des recommandations sur le traitement par acupuncture de la gonarthrose [3]. Le pilotage est assuré par un groupe de base constitué de quatre chercheurs issus des universités de médecine chinoise de Beijing et du Shandong : un expert acupuncteur, deux méthodologistes et un secrétaire. Une liste de 100 experts potentiels dans le domaine du traitement par acupuncture de la gonarthrose a été établie. Cette liste n’incluait que des experts chinois : auteurs ayant publié des articles sur le sujet, auteurs de manuels et membres de la China Association of Acupuncture-Moxibustion. 52 ont accepté de participer à l’étude, constituant le panel d’experts.

Une première liste d’énoncés (items) a été établie par le comité de pilotage à partir :

  • des données probantes dans le domaine : analyse de protocoles d’acupuncture dans les essais contrôlés randomisés évaluant l’acupuncture dans la gonarthrose.
  • d’une enquête multidisciplinaire préalable sur un groupe de 85 acupuncteurs et non-acupuncteurs visant à identifier et lister les différentes problématiques cliniques possibles.

Cette liste d’énoncés a été soumise ensuite à trois experts du panel lors d’entretiens semi-structurés, ce qui a abouti à une liste initiale de 28 énoncés. Enfin, ces énoncés ont été soumis à l’ensemble du panel des 52 experts en trois tours successifs au cours desquels les participants ont formulé leur accord ou désaccord, proposé des reformulations ou des ajouts d’énoncés. Ce processus itératif et interactif a permis l’émergence de nouveaux points de vue et une meilleure compréhension du sujet. L’accord ou désaccord était exprimé sur une échelle de type Likert à neuf points (score 1 = désaccord fort, score 9 = accord fort). Pour chaque énoncé, un consensus est considéré comme établi si la médiane des scores est ⩾ 8 et si plus de 70% des scores sont ⩾ 7.

Finalement, 37 énoncés ont été retenus et 8 exclus, portant sur : (1) les principes thérapeutiques, (2) le traitement par acupuncture proprement dit, (3) la dose d’acupuncture (intensité, durée et rythme des séances), (4) les critères d’évaluation principaux, (5) les effets secondaires et (6) divers.

 

Principes de traitement

Figure 1. Principes de traitement : indications de l’acupuncture.

Les « principes de traitement » (figure 1) sont en fait les indications en distinguant l’acupuncture comme traitement principal et l’acupuncture comme traitement complémentaire en fonction du grade à la classification radiologique de Kellgren-Lawrence. Cette distinction apparait comme bien formelle et sans réel caractère opératoire. Si on analyse comparativement les niveaux de preuve respectifs de l’acupuncture, des thérapeutiques médicamenteuses et non-médicamenteuses, la classification de l’acupuncture comme thérapeutique complémentaire dans l’arthrose évoluée ne semble pas justifiée [4].

Traitement par acupuncture

L’énoncé 8 disant que l’association de l’acupuncture à d’autres techniques comme la moxibustion peut améliorer l’efficacité est très vague et sans grande valeur opératoire. Effectivement de nombreuses modalités techniques d’acupuncture (entendue comme terme générique) peuvent être utilisées dans la gonarthrose [5]. Une revue systématique (RS) comparant l’efficacité de cinq modalités conclut à la supériorité de l’électroacupuncture et de l’aiguille de feu par rapport à l’acupuncture simple [6].

Figure 2. Traitement par acupuncture : « phases » et choix des points.

Ces données paraissent confirmées par deux autres RS portant spécifiquement sur l’électroacupuncture [7] ou l’aiguille de feu [8]. De nombreuses autres techniques ont fait l’objet d’une évaluation positive dans le domaine de la gonarthrose ; mais d’une façon générale la qualité des études ne permet pas de conclusion ferme : la moxibustion [9], les aiguilles chauffées [10], les saignées au niveau des points [11], l’acupotomie [12], l’api-acupuncture [13]. Dans la recommandation d’une technique l’évaluation de son efficacité est bien sûr centrale mais il faut tenir également compte d’autres paramètres :

  • la sécurité : à l’évidence le risque d’effets indésirables ne parait pas équivalent ;
  • l’adhésion du patient notamment vis-à-vis des techniques paraissant agressives (acupotomie, aiguille de feu) ;
  • la maitrise technique du praticien (sa formation et ses compétences opératoires) ;
  • la faisabilité de la technique en fonction des lieux (la moxibustion nécessite des locaux adaptés) et de la disponibilité des dispositifs nécessaires ;
  • le coût praticien (formation, durée de l’acte, investissement matériel) et le coût patient.

Les énoncés 9 à 11 sont de bon sens, mais utiles à formuler. L’énoncé 12 sur la théorie des méridiens et la différenciation des syndromes comme base principale du traitement pose question parce que cette affirmation ne se retrouve pas traduite explicitement dans le choix des points. A l’analyse des pratiques dans la gonarthrose on retrouve bien sûr des traitements selon les méridiens et selon la différenciation des syndromes, mais la pratique la plus usuelle est l’utilisation de points locaux ou locaux-distaux sans référence directe aux méridiens ou aux zheng. Cela confirme que traitement selon les zheng ou selon les méridiens sont des options thérapeutiques et non un cadre impératif [14].

Les énoncés 13 à 17 portent sur le choix des points. L’énoncé 13 parait préconiser une association de point locaux et de points distaux. Les données probantes en acupuncture, toutes pathologies confondues, vont en ce sens : l’association est supérieure aux points locaux seuls [15]. Par contre dans les douleurs musculo-squelettiques l’utilisation de points locaux seuls est équivalente aux points distaux seuls, l’intérêt de leur association restant indéterminée [16].

Les points locaux cités paraissent consensuels. Cette liste est quasiment identique à celle issue d’une analyse des protocoles de 16 essais contrôlés randomisés (ECR) ou encore de 20 traités d’enseignement d’acupuncture [17]. Mais observons qu’il s’agit tout simplement de la citation de l’intégralité des points locaux des faces antérieure et latérales du genou auxquels s’ajoutent les points ashi et deux points curieux (heding et xiyan).

Un élément à noter est la distinction et la hiérarchisation de trois groupes de points locaux en fonction de ce qui semble être une fréquence d’usage : les deux xiyan (35E et neixiyan) comme points principaux, 34VB (yanglingquan), heding, 10Rte (xuehai), 9Rte (yinlingquan), 36E (zusanli) et ashi comme points usuels, 34E (liangqu), 33VB (yangguan) et 40V (weizhong) comme points secondaires. A noter qu’une étude clinique montre qu’il n’y a pas de différence d’efficacité entre l’utilisation des deux xiyan seuls et une association (xiyan) + (36E, 34E, 9Rte, 10Rte) [18].

Les données apparaissent plus discordantes sur les points distaux : dans les ECR, le 6Rte (sanyinjiao) est le plus utilisé alors que le panel d’experts ne l’a pas retenu (figure 5). Inversement 39VB (xuanzhong) et 3Rn (taixi) cités dans le consensus d’experts se retrouvent rarement dans les ECR comme dans les manuels d’enseignement [17]. Une utilisation prédominante de la différenciation des zheng ou de la théorie des méridiens aurait conduit à des choix de points distaux sensiblement différents.

 

Dose de l’intervention

Figure 3. Traitement par acupuncture : dose de l’intervention.

Les experts classent le deqi et la profondeur de puncture dans le cadre de la dose d’acupuncture (la posologie). Le deqi est énoncé comme un élément essentiel de l’efficacité thérapeutique (énoncé 19). Mais si cela est montré dans certaines pathologies (dysménorrhées, [19]), ce n’est pas le cas si on réunit l’ensemble des pathologies [20]. Les profondeurs de puncture données sont classiques, mais il est également évoqué la possibilité de puncture profonde, transfixiante en direction de la face opposée de l’articulation. Il nous semble que cette technique ne devrait être recommandée que si elle montre une supériorité par rapport à une puncture usuelle. Les experts n’ont pas retenu l’énoncé sur l’importance des notions de tonification/dispersion de même que celui sur l’importance du nombre de points utilisés (figure 5). Sur ce dernier élément, effectivement, comme nous l’avons vu, une étude clinique montre qu’il n’y a pas de différence entre un protocole à deux points versus six points [18].

Concernant la durée des séances il est recommandé une durée de séance de 30 minutes, mais inversement l’énoncé sur l’importance du paramètre n’a pas été retenu (figure 5). La fréquence des séances proposées est une par jour à une tous les deux jours. C’est un rythme plus élevé que celui relevé dans les essais cliniques (le plus souvent deux séances / semaine) [17].

Curieusement aucune indication sur le nombre de séances n’est donnée, et l’énoncé sur l’importance de ce paramètre n’a pas été retenu (figure 5). Dans les études cliniques le nombre le plus usuel est de 10-15 séances [17]. Dans une revue systématique sur la douleur chronique, les auteurs concluent que la durée d’un traitement par acupuncture doit être d’au moins de 5 semaines, et que les meilleurs résultats sont obtenus avec 11 semaines ou plus [21].

Il n’est pas retenu la nécessité d’augmenter la posologie en cas de douleur sévère ou de grade élevé au score de Kellgren-Lawrence (figure 5).

 

Autres paramètres

Figure 4. Critères d’évaluation, effets indésirables et autres.

Énoncés non retenus

Figure 5. Enoncés non retenus.

Conclusions

L’intérêt premier de ce consensus d’experts est de lister, classer et formuler un ensemble de problématiques quant à la pratique de l’acupuncture. Les réponses apportées ne font bien sûr que refléter l’avis des participants, mais elles nous amènent à réfléchir sur notre propre pratique.

Il apparait clairement que toutes les pratiques sont facilement décomposables en différents éléments et que ces éléments sont indépendants les uns des autres posant chacun une question spécifique (par exemple l’intérêt du deqi n’est pas lié à la définition de la durée optimale d’une séance d’acupuncture).  Le point de vue d’une « vraie » acupuncture traditionnelle qui porterait en elle la connaissance de tous les paramètres est mis à distance. Une réponse solide à chacune des questions posées ne peut venir que de la recherche clinique et expérimentale.

 

Dr Olivier Goret

Conflit d’intérêt : aucun

Dr Johan Nguyen

 Conflit d’intérêt : aucun

 

Références

  1. Dalkey NC. The Delphi Method. An Experimental Study of Group Opinion. Dalkey NC. The Delphi method: An experimental study of group opinion. Santa Monica, CA: Rand Corporation. 1969.
  2. Linstone HA, Turoff M. The Delphi Method, Techniques and applications, New Jersey Institute of Technology. 2002.
  3. Sun N, Wang LQ, Shao JK, Zhang N, Zhou P, Fang SN, Chen W, Yang JW, Liu CZ. An expert consensus to standardize acupuncture treatment for knee osteoarthritis. Acupunct Med. 2020;38(5):327-334.
  4. Nguyen J. L’acupuncture dans l’arthrose périphérique : des recommandations positives de l’American College of Rheumatology qui posent question. Acupuncture preuves & pratiques. Juin 2020.  https://gera.fr/lacupuncture-dans-larthrose-peripherique-des-recommandations-positives-de-lamerican-college-of-rheumatology-qui-posent-question/
  5. Cheng Jie, Tang Wei, Fang Hui-Ling. [The application of special acupuncture therapies on knee osteoarthritis]. Journal of Clinical Acupuncture and Moxibustion. 2011;27(3):66.|
  6. Li S, Xie P, Liang Z, Huang W, Huang Z, Ou J, Lin Z, Chai S. Efficacy Comparison of Five Different Acupuncture Methods on Pain, Stiffness, and Function in Osteoarthritis of the Knee: A Network Meta-Analysis. Evid Based Complement Alternat Med. 2018.
  7. Chen N, Wang J, Mucelli A, Zhang X, Wang C. Electro-Acupuncture is Beneficial for Knee Osteoarthritis: The Evidence from Meta-Analysis of Randomized Controlled Trials. American Journal of Chinese Medicine. 2017;45(5):965-985.
  8. Ko H, Yoo J, Shin J. A Systematic Review and Meta-Analysis of Fire Needling Treatment for Knee Osteoarthritis: Focused on Comparative Studies with Manual Acupuncture Treatment during Recent Five Years. Korean Journal of Acupuncture. 2019;36(2):104-114.
  9. Yuan T, Xiong J, Wang X, Yang J, Jiang Y, Zhou X, Liao K, Xu L. The Effectiveness and Safety of Moxibustion for Treating Knee Osteoarthritis: A PRISMA Compliant Systematic Review and Meta-Analysis of Randomized Controlled Trials. Pain Res Manag. 2019.
  10. Zhang Jiwei, Deng Qiang, Yang Zhenyuan, Zhang Yanjun, Wang Peng, Guo Tiefeng. [Meta Analysis of Randomized Controlled Trials of Warming Needle Moxibustion for Knee Osteoarthritis]. Clinical Journal of Traditional Chinese Medicine. 2018;11:2049-2054.
  11. Fan Si-Qi, Zeng Ping, Liu Xiong, Chen Jin-Long, Nong Jiao. [A Meta-analysis of Pricking Blood Therapy combined with Acupuncture in the Treatment of Knee Osteoarthritis]. Guiding Journal of Traditional Chinese Medicine and Pharmacy. 2019;2:119-123.
  12. Zhang Lei, Wei Mubin, Liu Aifeng. [Meta-analysis of acupotomy versus acupuncture for knee osteoarthrits]. Tianjin Journal of Traditional Chinese Medicine. 2019;3:253-7.
  13. Li Shaowei, Huang Weihan, Pan Yuanle, Ou Jinming, Huang Zhanhui, Liu Haifeng, Huang Mengfen. [A Meta-analysis of Bee-sting Acupuncture in the Treatment of Knee Osteoarthritis]. Guangming Journal of TCM. 2018;5:693-696.
  14. Nguyen J. La différenciation des zheng comme option thérapeutique. Acupuncture Preuves & Pratiques. Juin 2020.  https://gera.fr/la-differenciation-des-zheng-comme-option-therapeutique/
  15. Yu Peixun, Gao Bing, Xia Yujun. Meta-analysis of the effect of distal or local point selection on acupuncture efficacy. World Journal of Acupuncture-Moxibustion. 2018;28(2):44.
  16. Wong LIT Wan D, Wang Y, Xue CC, Wang LP, Liang FR, Zheng Z. Local and distant acupuncture points stimulation for chronic musculoskeletal pain: a systematic review on the comparative effects. Eur J Pain. 2015.
  17. Purepong N, Jitvimonrat A, Sitthipornvorakul E, Eksakulkla S, Janwantanakul P. External validity in randomised controlled trials of acupuncture for osteoarthritis knee pain. Acupuncture in Medicine. 2012;30(3):187-94.
  18. Goret O, Nguyen J. Gonarthrose : l’électro-acupuncture locale sur deux points paraît équivalente à l’électro-acupuncture locale sur six points. Acupuncture & Moxibustion. 2009;8(3):176.
  19. Wang Y, Sun J, Zhang Z, Cao H, Wang P, Zhao M, Hu N, Wu G, Hu S, Zhu J. [Impact of deqi on acupoint effects in patients with primary dysmenorrhea:a systematic review of randomized controlled trials]. Chinese Acupuncture and Moxibustion. 2017;37(7):791-797.
  20. Zhang S, Mu W, Xiao L, Zheng WK, Liu CX, Zhang L, Shang HC. Is deqi an indicator of clinical efficacy of acupuncture? A systematic review. Evid Based Complement Alternat Med. 2013;2013:750140. 
  21. Li C, Pei Q, Chen Y, et al. The response-time relationship and covariate effects of acupuncture for chronic pain: a systematic review and model-based longitudinal meta-analysis. Eur J Pain. 2020.

 

Angor chronique stable et électroacupuncture : un essai contrôlé randomisé à quatre bras

 

Evaluation de l’acupuncture

 

Angor chronique stable  et électroacupuncture : un essai contrôlé randomisé à quatre bras

 

Tuy Nga Brignol, Jean-Marc Stéphan

 

Zhao L, Li D, Zheng H, Chang X, Cui J, Wang R, Shi J, Fan H, Li Y, Sun X, Zhang F, Wu X, Liang F. Acupuncture as Adjunctive Therapy for Chronic Stable Angina: A Randomized Clinical Trial. JAMA Intern Med. 2019 Jul 29;e192407. doi: 10.1001/jamainternmed.2019.2407.

 

RÉSUMÉ

 

Question

- Evaluer l’innocuité et l'efficacité de l'électroacupuncture dans l’angor chronique stable (ACS) comme traitement adjuvant aux traitements anti-angineux pour réduire la fréquence des crises d'angine de poitrine. L’ACS est défini selon les critères de l'American College of Cardiology et de l'American Heart Association comme une crise d’angor survenant au moins deux fois par semaine.

- Valider les caractéristiques de spécificité des points d'acupuncture basés sur les méridiens.

 

Plan expérimental

Essai contrôlé randomisé multicentrique avec analyse en intention de traiter, à quatre bras par randomisation centrale selon un ratio de 1: 1: 1: 1.

  • Groupe 1 (G1, bras expérimental, n=99) : points situés sur les méridiens spécifiques Cœur et Maître du Cœur (péricarde) : 5C (tongli) ; 6MC (neiguan) ;
  • Groupe 2 (G2, comparateur actif, n=99) : les points sont situés sur le méridien Poumons, sans lien direct avec l’ACS : 9P (taiyuan) ; 6P (kongzui).
  • Groupe 3 (G3, comparateur factice, n=101) : insertion bilatérale des aiguilles en deux points simulés.
  • Groupe 4 (G4, n=99) composé de patients sur liste d’attente sans traitement par acupuncture.

La période d'étude complète est de 20 semaines, incluant une période de référence de quatre semaines, une période de traitement de quatre semaines et un suivi de douze semaines.

Les groupes d’acupuncture (G1, G2, G3) ont reçu 12 séances de traitement : une séance d’une durée de 30 minutes, trois fois par semaine pendant quatre semaines.

Tous les patients de l’étude ont poursuivi leurs traitements anti-angineux habituels au cours de l’essai, incluant les bêta-bloquants, l'aspirine, les statines et les inhibiteurs de l'enzyme de conversion. Ils ont aussi reçu des recommandations de modification du mode de vie telles que limiter la consommation d'alcool, arrêter de fumer, favoriser l’exercice, perte de poids, etc.

 

Cadre

Cinq centres en Chine (Université de médecine traditionnelle chinoise de Chengdu) ont participé à l’étude pendant 20 semaines en 2015.

 

Patients

404 participants inclus (âge moyen : 62,6 ans), dont près des deux tiers de la cohorte étaient des femmes.

Les participants présentent en moyenne 13,3 épisodes de douleur angineuse sur une période de référence de quatre semaines. Ils sont répartis en nombre égal dans les quatre groupes ayant des caractéristiques de base similaires.

Critères d'inclusion :

- Hommes et femmes âgés de 35 à 80 ans.

- Répondre aux critères diagnostiques d’angine de poitrine (selon l’ACG / AHA).

- L'apparition de l'angine de poitrine depuis 3 mois et plus, et fréquence des crises d'angor ≥ 2 par semaine.

Critères d'exclusion :

Les patients présentant d'autres affections graves, notamment des antécédents d'infarctus du myocarde, d'insuffisance cardiaque grave, de cardiopathie valvulaire, de pression artérielle mal contrôlée ou de diabète, ont été exclus.

 

Intervention

L’utilisation des points autres que ceux prescrits n’est pas autorisée. L'insertion bilatérale est suivie de stimulation manuelle de l’aiguille (0,25mm x 40mm ou 25mm) jusqu’à obtention de la sensation de deqi pour G1 et G2, et non pour G3. Par ailleurs pour les G1, G2 et G3, des aiguilles auxiliaires de 0,18mm x 13mm sont insérées à 2mm de l’aiguille principale sur une profondeur de 2 mm, latéralement à chaque point d'acupuncture, sans stimulation manuelle. Cette pratique permet d’assurer la stimulation électrique (appareil stimulateur HANS- LH 200A).de points locaux (fréquence 2 Hz, durée impulsion 600µs ; intensité variable de 0,1 à 2,0 mA jusqu'à ce que les patients se sentent encore à l'aise.

 

Critères de jugement

Le critère principal utilisé est le changement de la fréquence des crises d'angor.

Parmi les critères secondaires, on peut citer : sévérité de la douleur de l'angine de poitrine évaluée à l'aide d'une échelle visuelle analogique ; prise de médicaments d’appoint ; test de distance de marche de six minutes ; score du questionnaire sur l'angine de Seattle ; échelle de l'anxiété autoévaluée ; échelle de dépression autoévaluée ; incidence des épisodes cardiovasculaires (évolution en angor instable, infarctus aigu du myocarde, décès) ; variabilité de la fréquence cardiaque enregistrée par Holter.

L’évaluation est faite à 0 jour, 4 semaines, 8 semaines, 12 semaines et 16 semaines après l’inclusion. Les détails du traitement médicamenteux (noms, temps d'administration et posologie) sont documentés dans un agenda par les participants.

 

Résultats

Un total de 398 participants (253 femmes et 145 hommes ont été inclus dans les analyses en intention de traiter. Au cours des quatre semaines de référence, la moyenne de la fréquence des crises d'angor des participants est de 13,31. Pendant les semaines 4 à 16, la fréquence des crises est significativement plus faible dans G1 que celle des trois autres groupes. Elle a diminué de 7,96 crises dans G1, de 3,89 dans G2, de 2,78 dans G3, et de 2,33 dans G4. Une réduction plus importante a été observée dans G1 par rapport aux autres groupes : 4,07 crises de moins que G2, 5,18 de moins que G3 et 5,63 de moins que G4. Lors des semaines 8 à 16, à chaque évaluation le score d'échelle analogique visuelle est inférieur dans G1 par rapport à celui des autres groupes. En d’autres termes, une plus grande réduction des crises d'angor a été observée dans le groupe G1 versus le groupe G2 (différence : 4,07; IC à 95%, 2,43-5,71; p <0,001), dans le groupe GI vs le groupe G3 (différence : 5,18; IC 95%, 3,54-6,81; p <0,001), et dans le groupe GI vs le groupe G4 (différence : 5,63 attaques; IC 95%, 3,99- 7,27; P  <0,001).

Ainsi, pour les participants de G1, l'acupuncture présente des avantages supérieurs en termes de réduction de la fréquence de l'angine de poitrine et de l'intensité de la douleur par rapport aux autres groupes. Elle a aussi permis de mieux réguler l'anxiété et la dépression dans les 12 semaines suivant le traitement.

 

Conclusion

L’acupuncture pratiquée aux points 6MC et 5C comme traitement adjuvant au traitement anti-angineux pharmacologique a montré des avantages pour soulager l’angine de poitrine pendant les 16 semaines de l’essai.

 

COMMENTAIRES

Il s’agit d’un ECR pragmatique dont le protocole est publié sur le site américain Clinical Trials.gov géré par la National Library of Medicine en 2014, un an avant la réalisation de l’étude [1].

L'acupuncture est basée sur la théorie des méridiens et des points d'acupuncture. Le méridien et ses collatéraux sont, d’une part en rapport en interne avec les Organes/Viscères, et d’autre part en externe avec les extrémités des membres. La sélection des points sur le méridien spécifique est le principe de base de l'acupuncture. Dans cet essai sur l'ACS, les points situés sur le méridien du Cœur shaoyin et le méridien du Péricarde shoujueyin (Maître du Cœur) sont retenus pour traiter l’ACS. Un protocole standard est utilisé afin d’éviter des effets de biais d’efficacité liés à un traitement personnalisé basé sur l’expérience de l’acupuncteur. Ces deux principaux points sont déjà utilisés dans une étude suédoise ayant montré les effets bénéfiques supplémentaires de l'acupuncture chez des patients atteints d’angor [2].

L’électroacupuncture (EA) est appliquée en raison de ses avantages par rapport à l'acupuncture manuelle pour soulager la douleur et réduire les temps de réponse [3]. Comparée à l'acupuncture manuelle, l'EA se traduit par une plus grande reproductibilité de la stimulation. Par ailleurs, l’EA est utilisée en pré-traitement pour prévenir les lésions du myocarde chez des patients atteints de coronaropathie [4].

L’objectif de cette étude est d’évaluer l’efficacité et de confirmer l’existence de la spécificité des points d’acupuncture sur le méridien. La comparaison est faite par rapport aux points situés sur l’autre méridien non spécifique à l’ACS (méridien Poumons) et aux points factices (sham) ne correspondant pas à des points d’acupuncture. Les patients éligibles sont répartis au hasard dans les quatre groupes dans un rapport égal à 1:1:1:1 via un système de randomisation centrale. La randomisation est réalisée par une personne indépendante à chaque site d’essai, et non impliquée dans l’évaluation des résultats. Les patients dans les trois groupes d'acupuncture ne savent pas quel protocole d’acupuncture ils vont recevoir. Les évaluateurs, collecteurs de données et statisticiens sont aveugles pour les allocations de groupe au cours de l'étude.

 

Score de Jadad

On peut l’évaluer à 5 ce qui signifie une étude à méthodologie rigoureuse (tableau I).

 

Tableau I. Evaluation de la qualité méthodologique selon le questionnaire de Jadad.

Score de Jadad

1.       Randomisation citée, décrite et appropriée : 2 points

2.       Insu-patient : 1 point

3.       Insu-évaluateur. L’évaluateur est différent du thérapeute, et ignore à quel groupe appartient le patient dont on recueille les informations : 1 point

4.       Sorties d’essais : analyse en intention de traiter. Sur les 404 patients inclus, 16 ont abandonné (7 de G1, 5 de G2, 2 de G3, 1 de G4) : 1 point

Score 5/5 : méthodologie rigoureuse

 

L'angine de poitrine est un symptôme complexe pouvant être affecté par de nombreux facteurs autres que la simple ischémie myocardique suite au rétrécissement d’une artère coronaire. Il a été démontré que la dépression et l’anxiété peuvent aussi déclencher l’angor, quel que soit le degré d’ischémie. L’acupuncture peut être considérée comme faisant partie d’une approche globale de la prise en charge des patients atteints de coronaropathie et d’angine de poitrine.

Dans cet essai, l'acupuncture est administrée par des acupuncteurs possédant au moins trois ans d'expérience. Tous les patients ont poursuivi leurs traitements anti-angineux habituels au cours de l’essai, incluant les bêta-bloquants, l'aspirine, les statines et les inhibiteurs de l'enzyme de conversion. L'utilisation de médicaments d’appoint contre la douleur aiguë n’est pas quantifiée dans l'étude, mais simplement enregistrée par « oui » ou « non ». Par ailleurs, les auteurs n’ont pas effectué d'analyse en sous-groupe des effets de l'acupuncture sur les patients souffrant d'angine après une intervention coronarienne en raison du but initial de l'étude.

Au total, 16 patients ont signalé des effets indésirables en relation avec l’acupuncture, tous jugés légers ou modérés, incluant : hémorragie sous-cutanée au point d’insertion (n=5), sensation de fourmillements/picotements au point d’insertion (n=3) et insomnie au cours de l’étude (n=8). Un patient du groupe d’attente est décédé d'un infarctus du myocarde aigu et n'a reçu aucun traitement d'acupuncture.

Depuis plusieurs décennies, l'acupuncture est utilisée comme traitement non pharmacologique pour soulager les symptômes d'ischémie myocardique, pour améliorer la fonction cardiaque et pour prévenir la récurrence [2,5-7]. Des expériences sur des animaux ont validé l'effet protecteur de l'acupuncture pour l'ischémie cardiaque et pour le remodelage [8-10].

De petites études ont déjà montré que l'acupuncture est bénéfique dans le traitement de l'angine de poitrine [2,11]. Mais cette étude est la plus grande étude clinique multicentrique pour montrer l'effet bénéfique de la véritable acupuncture comme traitement d'appoint pour l’ACS pendant 16 semaines et pour explorer la spécificité des points d’acupuncture dans ce domaine. Les auteurs reconnaissent néanmoins trois limites : le protocole standard sans personnalisation du traitement comme on le pratique habituellement en médecine chinoise, un faible nombre de patients et des patients en bonne santé au départ (sans antécédents d’infarctus du myocarde ou d’insuffisance cardiaque). Les résultats sont cohérents néanmoins avec ceux d’une précédente revue systématique [12] sur l'efficacité de l'acupuncture combiné aux anti-angineux vs médicaments anti-angineux seuls.

Cette étude sur l’angine de poitrine a troublé les esprits en France où l’affaire des fake-medecine a fait grand bruit [13].

Ainsi, certaines personnes mettent en doute ces résultats. Un journaliste scientifique écrit sur le site Futura, média français du décryptage de l'actualité et du savoir scientifiques : « Une nouvelle étude prétend que l'acupuncture serait efficace pour réduire la survenue des crises d'angine de poitrine chronique en plus des traitements classiques. Pourtant, la méthodologie utilisée est peu convaincante comme souvent concernant ces pratiques ancestrales. ». Et de conclure « Néanmoins, on peut se demander si le fait que les praticiens, connaissant le groupe de patients qu'ils traitent, n'insère pas des biais de traitement au sein de l'étude. On peut aussi penser à un éventuel faux positif, étant donné le nombre d'études limité et de piètre qualité sur le sujet (groupe contrôle pas toujours présent et jamais de double aveugle) ne permettant que trop peu les comparaisons et les évaluations. Enfin, les patients suivant déjà des traitements peuvent être plus motivés à prendre soin d'eux. » [14]. Même son de cloche sur le site de la revue Science et Avenir [15].

Andrew Vickers, statisticien au centre anticancéreux Memorial Sloan Kettering de New York ajoute son grain de sel de scepticisme. Ainsi, lui qui a démontré dans une grande méta-analyse l’efficacité de l’acupuncture dans les douleurs chroniques [16] donne à l’AFP un avis tranché : « L'étude est impeccable sur le papier, mais la recherche menée en Chine a presque toujours exclusivement conclu que l'acupuncture fonctionnait. La qualité des études s'est améliorée depuis 20 ans, mais l'historique force à la prudence. Seule solution pour savoir si l'acupuncture marche vraiment contre l'angine de poitrine : plus d'études, sur plus de patients, en dehors de Chine. » [17].

Quoi qu’il en soit, on se doit de considérer que l’électroacupuncture comme traitement d'appoint pour les patients souffrant d'angine chronique stable peut constituer une bonne option pour soulager leurs symptômes.

 

 

Références

  1. Li D, Yang M, Zhao L, Zheng H, Li Y, Chang X, Cui J, Wang R, Shi J, Lv J, Leng J, Li J, Liang F. Acupuncture for chronic, stable angina pectoris and an investigation of the characteristics of acupoint specificity: study protocol for a multicenter randomized controlled trial. Trials.2014;15:50. doi: 10.1186/1745-6215-15-50.
  2. Richter A, Herlitz J, Hjalmarson A. Effect of acupuncture in patients with angina pectoris. Eur Heart J. 1991;12(2):175-178.
  3. Schliessbach J, van der Klift E, Arendt-Nielsen L, Curatolo M, Streitberger K. The effect of brief electrical and manual acupuncture stimulation on mechanical experimental pain. Pain Med. 2011;12 (2):268-275.
  4. Wang Q, Liang D,Wang F, et al. Efficacy of electroacupuncture pretreatment for myocardial injury in patients undergoing percutaneous coronary intervention: a randomized clinical trial with a 2-year follow-up. Int J Cardiol. 2015;194:28-35.
  5. Ballegaard S, Pedersen F, Pietersen A, Nissen VH, Olsen NV. Effects of acupuncture in moderate, stable angina pectoris: a controlled study. J Intern Med. 1990;227(1):25-30.
  6. Ho FM, Huang PJ, Lo HM, et al. Effect of acupuncture at nei-kuan on left ventricular function in patients with coronary artery disease. Am J Chin Med. 1999;27(2):149-156.
  7. Mehta PK, Polk DM, Zhang X, et al. A randomized controlled trial of acupuncture in stable ischemic heart disease patients. Int J Cardiol. 2014; 176(2):367-374.
  8. Gao J, FuW, Jin Z, Yu X. Acupuncture pretreatment protects heart from injury in rats with myocardial ischemia and reperfusion via inhibition of the beta(1)-adrenoceptor signaling pathway. Life Sci. 2007;80(16):1484-1489.
  9. Longhurst J. Acupuncture’s cardiovascular actions: a mechanistic perspective. Med Acupunct. 2013;25(2):101-113.
  10. Huang Y, Lu SF, Hu CJ, et al. Electroacupuncture at neiguan pretreatment alters genome-wide gene expressions and protects rat myocardium against ischemia-reperfusion. Molecules. 2014;19(10):16158-16178.
  11. Ballegaard S, Jensen G, Pedersen F, Nissen VH. Acupuncture in severe, stable angina pectoris: a randomized trial. Acta Med Scand. 1986;220(4): 307-313.
  12. Yu C, Ji K, Cao H, et al. Effectiveness of acupuncture for angina pectoris: a systematic review of randomized controlled trials. BMC Complement Altern Med. 2015;15:90.
  13. Collectif Fakemed. [Consulté le 07/12/2019]. Disponible à l’URL: http://fakemedecine.blogspot.com/.
  14. Hernandez J. L'acupuncture en plus des traitements : effets réels ou contextuels ? Futura santé. 11 août 2019. [Consulté le 07/12/2019]. Disponible à l’URL: https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/medecine-acupuncture-plus-traitements-effets-reels-contextuels-77090/.
  15. Gaubert C. L'acupuncture est-elle efficace pour soigner l'angine de poitrine ? 30 juillet 2019. [Consulté le 07/12/2019]. Disponible à l’URL: https://www.sciencesetavenir.fr/sante/coeur-et-cardio/acupuncture-une-efficacite-a-confirmer-dans-l-angine-de-poitrine_135984.
  16. Vickers AJ, Vertosick EA, Lewith G, MacPherson H, Foster NE, Sherman KJ, Irnich D, Witt CM, Linde K; Acupuncture Trialists' Collaboration. Acupuncture for Chronic Pain: Update of an Individual Patient Data Meta-Analysis. J Pain. 2018 May;19(5):455-474.
  17. AFP/Relaxnews. Doctissimo santé. L'acupuncture, efficace contre l'angine de poitrine. 30 juillet 2019. [Consulté le 07/12/2019]. Disponible à l’URL: https://www.doctissimo.fr/sante/news/acupuncture-contre-angine-poitrine.

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