Van Gogh : revue de littérature de ses diverses pathologies et essai d’analyse du déséquilibre énergétique à travers ses peintures

 Résumé : Après une revue de la littérature sur les divers diagnostics selon la médecine allopathique attribués à Van Gogh, une analyse de ses peintures est réalisée selon une grille de lecture basée sur la correspondance entre les couleurs, les Cinq Eléments, les Cinq Emotions et les Sept Sentiments. Une corrélation a pu être établie entre les diverses pathologies dont souffrait le célèbre artiste selon le diagnostic occidental et les déséquilibres énergétiques révélés par les couleurs de ses œuvres, vus sous l’angle de la différenciation des syndromes bianzheng). La prédominance de jaune, de vert et de bleu dans l’ensemble de ses peintures pourrait être attribuée à ses troubles traduits en termes de déséquilibres énergétiques selon la médecine chinoise. Mots-clés : Cinq Eléments - couleurs - déséquilibre énergétique - bianzheng - Van Gogh

Summary: After a review of the literature on various diagnoses according to allopathic medicine, an analysis of Van Gogh’s paintings is performed, on the basis of correspondence between colors and the Five Elements, the Five Emotions et the Seven Feelings. A correlation hasbeenestablished between the diverse diseases of the famous artist, according to Western diagnosis, and energy imbalances revealed by the color of his paintings, from the perspective of pathophysiological syndromes (bianzheng). The predominance of yellow, green and blue in his artwork may be attributed to his disorders, in terms of energy imbalances according to Chinese medicine. Keywords: Five Elements - colors - energy imbalance biangzheng - Van Gogh

   

Introduction

 Hésitant un temps entre vocation artistique et vocation religieuse, Vincent Van Gogh choisit de se consacrer à la peinture. Tout le monde s'accorde à voir en Van Gogh le mythe absolu du génie, du fou, du miséreux, artiste méconnu et condamné au malheur. Sa carrière n'a duré qu'à peine dix ans, et il se serait suicidé [1] en laissant derrière lui une œuvre considérable. Malgré de graves troubles neuropsychologiques, Van Gogh ne s’est quasiment jamais arrêté de peindre. En dix ans, il a réalisé près de neuf-cents tableaux et un millier de dessins.

Son style très coloré présente une vitalité et une tension particulière qui n’ont pas fini de marquer les esprits. Il applique les couleurs par touches de pinceaux, sans mélanger sur la palette. Sous le soleil de Provence, son style de peinture se modifie. Ses toiles sont plus colorées. Il peint par larges touches courbes et utilise abondamment les couleurs jaune, vert et bleu.

La relation entre les trois disciplines, science, médecine et art, a longtemps été un domaine d’exploration fascinant avec leurs contrastes étonnants et leurs frontières mal délimitées. La confrontation des problèmes médicaux chez les artistes (beaux-arts, musique, etc.) a toujours fait couler beaucoup d’encre. On peut pratiquement dire qu’aucune personnalité n’a été autant diagnostiquée à titre posthume que Vincent van Gogh.

Cet article ne vise ni à ajouter une nouvelle maladie à la longue liste déjà établie à ce jour, ni à argumenter sur le «bon diagnostic». Il se propose, à partir des couleurs utilisées par Van Gogh, de faire une « lecture énergétique » basée sur la correspondance entre les couleurs et les Cinq Eléments, les Cinq Emotions et les Sept Sentiments. Un déséquilibre énergétique, dans le cadre de la différenciation des syndromes (bianzheng) selon la médecine traditionnelle chinoise, peut-il influencer sur le choix des couleurs dans toute création artistique ? 

 

Multiplicité de pathologies et de diagnostics en médecine allopathique

 

Vincent Van Gogh (1853-1890) donnait dans son art une essence profonde de la vie, et de façon unique. Plus de cent-cinquante psychiatres et médecins de différentes spécialités ont tenté d'identifier «la maladie» de l’artiste et de multiples diagnostics ont été proposés.

Cependant, comment les troubles neurologiques dont il souffrait ont-ils pu influencer son art ? Ceci n’est pas encore clair. La combinaison de sa personnalité excentrique, irascible, ses humeurs instables et sa créativité prolifique rendent la compréhension de sa pathologie très complexe. Cela pose un grand défi à ceux qui essaient d’analyser les relations existant entre «l'esprit artistique», le cerveau et la maladie. En fait, la plupart des diagnostics proposés pour Van Gogh au cours du siècle dernier ne sont pas basés sur des preuves médicales, mais sont seulement en partie vérifiables à partir d’analyses de ses tableaux et des données biographiques.

D’après une récente publication [2] datant de 2013, une analyse de la maladie de Van Gogh a été réalisée à la lumière de sa correspondance, dont la qualité littéraire est largement reconnue. L’auteur s’est basé sur les antécédents médicaux de l’artiste à travers les nombreuses citations dans ses lettres, pour voir comment Vincent a exprimé ses plaintes, ses émotions liées à sa maladie. Les symptômes sont devenus plus précis après décembre 1888. Au début, Van Gogh avait beaucoup hésité à parler de sa maladie, mais peu à peu, il décrivait dans ses lettres ses expériences tout au long de ses psychoses cycloïdes. Selon l’auteur, il existe des signes de synesthésie, de prosopagnosie et d’agnosie spatiale. L'affinité de Van Gogh pour la poésie, déjà au début de sa vingtaine, rend plausible l'hypothèse d'une excitation du lobe temporal par des décharges épileptiques, ce qui pourrait expliquer en partie le fonctionnement complexe de son esprit créatif et torturé par la souffrance. L’auteur a tenté de placer les diagnostics effectivement réalisés au cours de la vie de l’artiste dans leur contexte historique et culturel. Il est évident que ceux qui établissent un diagnostic et ceux qui le reçoivent sont impliqués dans le même contexte culturel, en tenant pour acquis les modes médicales de leur temps, y compris les biais incorporés. Par ailleurs, à partir des archives de la faculté de médecine de Montpellier et de la correspondance de Van Gogh, le Pr François-Bernard Michel [3] a reconstitué les relations de l’artiste avec ses trois psychiatres (les Drs Jean-Félix Rey, Théophile Peyron et Paul Gachet), de 1888 à son suicide en 1890. Il a montré comment tous les trois ont raté la prise en charge du génie, ne laissant à Van Gogh aucun espoir de guérison.

Il existe une certaine tendance de la part des médecins et des groupes de patients à mouler « la maladie » de Van Gogh dans un schéma propre à leur spécialité ou à leur maladie [4].

Parmi les diagnostics énoncés dans plus d’une douzaine d’articles retrouvés dans Pubmed (dont la 1ère date de 1981 et les derniers en 2013), on peut citer : glaucome, xanthopsie induite par la digitaline, dyschromatopsie acquise, maladie de Ménière, épilepsie du lobe temporal, trouble bipolaire, saturnisme, intoxication à la thuyone, saturnisme, psychose cycloïde (voir tableau I). Chacune de ces maladies pourrait être responsable des troubles neuropsychologiques qui auraient été aggravés par la malnutrition, le surmenage, l'insomnie et un penchant pour l'alcool, en particulier pour l’absinthe.

 Tableau I. Symptômes/pathologies dont souffrait Van Gogh (PubMed).

 

Symptômes

Références

Institution/Pays

Halos colorés attribués au glaucome

[5] Lanthony P, Bull Soc Ophtalmol Fr.

Service de Physiologie – CNO des XV-XX Paris France

Xanthopsie et cataracte

[6] Arnold WN, Loftus LS. Eye (Lond).

Department of Biochemistry and Molecular Biology, University of Kansas Medical Center, Kansas City 66103.USA

Xanthopsie due à intoxication digitalique

[7] Lee TC. Jama.

[8] Elliott DB, Skaff A. Ophthalmic Physiol Opt.

 

 

[9] Lanthony P. J. Fr Ophtalmol.

 

USA

Centre for Sight Enhancement, School of Optometry, University of Waterloo, Ontario, Canada

 

Service de Physiologie – CNO des XV-XX Paris France

Dyschromatopsie acquise

[10] Hart WM Jr. Surv Ophthalmol.

Department of Ophthalmology, Washington University School of Medicine, St. Louis, Missouri, USA

Maladie de Ménière (épilepsie controversée) : vertiges et étourdissements épisodiques, déséquilibre physique, symptômes auditifs, acouphènes ainsi que réaction présumée psychologique, secondaire à sa symptomatologie physique

 

[11] Arenberg IK et al. Jama.

[12] Arenberg IK et al, Acta Otolaryngol Suppl.

International Meniere's Disease Research Institute, Colorado Neurologic Institute, Englewood 80110. USA

Epilepsie

Remarque : Epilepsie : Diagnostic rédigé par le Dr Peyron, médecin à l'asile de Saint Rémy (France), dans lequel le 9 mai 1889, Van Gogh s'est volontairement engagé à l'asile pour épileptiques et déments

 

[13] Meissner WW. Bull Menninger Clin.

 

 

[14] ter Borg M, Trenité DK. Epilepsy Behav.

Boston Psychoanalytic Institute, Boston College, MA. USA

 

Epilepsy Institute of the Netherlands Sein, Pays-Bas

Trouble bipolaire,

symptômes maniaco-dépressifs ou cyclothymiques

[15] Janka Z. Orv Hetil.

Pszichiátriai Klinika. Hongrie

Psychopathologie due à une intoxication chronique au plomb (saturnisme) : débilitation débutante, stomatite avec perte de dents, douleurs abdominales récurrentes, anémie (avec un « teint de plomb"), neuropathie radiale, encéphalopathie saturnine avec crises d'épilepsie, altérations progressives du caractère et périodes de délire, de trouble mental

[16] González Luque FJ, Montejo González ALActas Luso Esp Neurol Psiquiatr Cienc Afines.

 

Espagne

Saturnisme

[17] Weissman E. J Med Biogr.

 

Department of Internal Medicine, University of Virginia, USA

 

Frontière entre psychose et épilepsie

[18] Lemke S, Lemke C. Nervenarzt.

 

Klinik für Psychiatrie und Neurologie Hans Berger, Friedrich-Schiller-Universität Jena. Allemagne

Epilepsie du lobe temporal avec des oscillations maniaques, humeur dépressive aggravée par l'absinthe, le brandy, la nicotine et de la térébenthine.

 

[19] Morrant JC. Can J Psychiatry.

Shaughnessy Hospital, Vancouver

Canada

Dépendance à l’absinthe (thuyone) : hallucinations, convulsions, sensations de désinhibition

[20] Arnold WN. Jama.

Department of Biochemistry, University of Kansas Medical Center, Kansas City 66103. USA

Psychose cycloïde

[2]Voskuil PH. Front Neurol Neurosci.

 

Hans Berger Clinic for Epilepsy, Oosterhout, Pays-Bas

  Le trouble bipolaire selon les critères DSM-IV

 D’après l’analyse de deux neurologues [21] en 2005, Bogousslavsky J (Neurologie, INSERM Unit 549) et Boller F (Neurologie et Psychiatrie, CHUV Centre Paul Broca, Lausanne, Suisse), il est fortement probable que Van Gogh souffrait de trouble bipolaire ayant causé sa mort par suicide selon les critères DSM-IV. Bien qu'aucun diagnostic définitif n’ait pu être déterminé, les deux auteurs se sont basés sur des preuves extrapolées à partir des échanges de courrier du célèbre artiste. En 2005, les deux neurologues ont rapporté les faits suivants.

Entre février 1886 et octobre 1888, lorsque Van Gogh vivait à Paris, ses lettres ont révélé tous les symptômes de la maladie bipolaire même s’il est difficile à reconstruire la durée exacte de la dépression et des phases maniaques.

Avant 1886, Van Gogh a présenté des épisodes dépressifs majeurs et mineurs alternant avec des phases hypomaniaques ou maniaques, souvent avec des cycles rapides. Les deux épisodes de dépression ont été suivis par des périodes prolongées d'énergie et d'enthousiasme, d'abord comme un évangéliste, puis en tant qu'artiste.

Un épisode dépressif de longue durée a eu lieu à Londres, après une déception amoureuse, quand il a été expulsé de l'église, et au moment de sa séparation d'avec Sien, une prostituée et son fils. Un épisode d’hypomanie durable ou des phases maniaques ont coïncidé avec ses débuts comme évangéliste, ainsi qu’à ses débuts d’artiste.

Au cours des années passées à Paris (1886-1888), il a abusé de l'alcool, consommé beaucoup d'absinthe. L'anxiété, l'irritabilité, l'hostilité, l'excentricité et divers symptômes somatiques se sont manifestés. A Arles (1888), il a connu l'angoisse, la mélancolie, le remords, l'insomnie et l'épuisement physique, à l’origine de son comportement insalubre. La veille de Noël en 1888, au cours de ce qui a été le premier épisode de sa crise psychotique (dont il est resté amnésique), il a coupé une partie de son oreille gauche. En mai 1889, après deux brèves crises psychotiques, il s’est volontairement inscrit à l'asile de Saint-Rémy. A Saint-Rémy, au cours de l'année suivante, il a vécu des épisodes dépressifs sévères et trois crises psychotiques, dont au moins deux étaient concomitantes avec ses visites temporaires à Arles. La dernière de ces crises, caractérisée par des délires religieux et paranoïaques, ainsi que des hallucinations auditives, a persisté pendant trois mois (février-avril 1890) et a laissé quelques souvenirs très vifs. Quittant l'asile en mai 1890 comme étant guéri, il s'installe à Auvers-sur-Oise. Là se sont manifestés des cycles rapides de symptômes maniaques et dépressifs. Le 27 Juillet, il se serait tiré une balle dans la poitrine et il est mort deux jours plus tard.

  La xanthopsie de Van Gogh

 Certaines hypothèses médicales ont laissé entendre que le goût de Van Gogh pour l'utilisation de la couleur jaune pourrait être lié à son addiction à l'absinthe. En effet, cet alcool contient la thuyone, substance neurotoxique qui, à fortes doses, peut causer la xanthopsie, un trouble de la vision amenant à voir les objets en jaune. Toutefois, une étude a mis en évidence qu'une consommation d'absinthe aurait entraîné le buveur dans l'inconscience en raison de la teneur en alcool avant qu’il ait pu ingérer suffisamment de thuyone pour souffrir de xanthopsie.

Une autre hypothèse suggère que le Dr Gachet aurait prescrit de la digitaline à Van Gogh pour traiter l'épilepsie, substance qui pourrait entraîner une vision teintée de jaune et des changements dans la perception de la couleur d'ensemble [5,9]. Cependant, il n'existe aucune preuve directe que Van Gogh ait consommé de la digitaline, même si Van Gogh a peint la toile «Portrait du Dr Gachet avec branche de digitale».

Il ne semble donc pas exister d’explication médicale en médecine allopathique pouvant expliquer pourquoi Van Gogh avait une forte prédilection pour la couleur jaune dans ses peintures. D’après l’analyse d’Arnold WL [6], cette attirance par le jaune ne pourrait être expliquée que par une question de goût personnel, fondé sur une sensibilité personnelle. Dans quelle mesure le concept "Les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas" est-il justifié ? Nos inclinations naturelles dictent nos goûts. Mais dans quelle mesure nos inclinations naturelles pour certaines couleurs seraient-elles le reflet de nos « équilibres/déséquilibres énergétiques » selon la théorie des Cinq Eléments à un temps t donné ?

 Relation entre médecine occidentale et médecine chinoise

 Les Cinq Emotions et les Sept Sentiments

 

Les Cinq Emotions sont réparties sur les Cinq Eléments et sont considérées comme physiologiques quand elles ne se manifestent pas de façon excessive, répétée ou permanente. Elles correspondent à un mode d’adaptation aux aléas de la vie.

Les Sept Sentiments représentent le caractère pathologique des émotions. Aux Cinq Emotions sont ajoutées la tristesse (bei) associée aux Poumons et la frayeur (jing) associée au Cœur et aux Reins.

« Par suite de la séparation avec les parents, de la désespérance, de l’accumulation des soucis et de la concentration, de la rancune d’une part ; du chagrin, de la crainte, de la joie et de la colère, d’autre part, les Organes deviennent alors en état de vide et le Sang et l’Energie quittent leur emplacement naturel » (Suwen, 77).

« Au niveau du Cœur demeure le shen. Les exagérations de la crainte, l’inquiétude, la méditation ou le souci atteignent facilement le shen » (Lingshu, 8).

« La tristesse, l’affliction, les soucis nuisent au Cœur » (Nanjing, 49e difficulté).

Les sentiments en excès lèsent la circulation du qi, ce qui va léser le qi, le Sang, le yin, le yang et les Liquides organiques.

Chaque sentiment peut dérégler son Organe respectif en engendrant et aggravant une maladie et réciproquement, la pathologie d’un Organe peut être révélée par un dérèglement des Sentiments. Chaque sentiment en excès peur se transformer en Feu.

 

Les fonctions des Organes

Les trois Organes les plus touchés par les Sentiments sont le Cœur, le Foie et la Rate, entraînant les syndromes suivants :

-        vide de qi et de Sang blessant la Rate pour le qi, le Cœur et le Foie pour le Sang ;

-        échange entravé entre Cœur (Feu) et Reins (Eau) : mouvements verticaux du Feu et de l’Eau de l’axe shaoyin perturbés ;

-        Foie et Rate en dissonance.

 La Rate 

L’excès de réflexion (soucis, rumination mentale) blesse la Rate et noue le qi. Les fonctions de l’harmonisation-transport du qi, du Sang et des Liquides organiques et de la montée-descente du pur et de l’impur sont entravées. L’Humidité n’est plus éliminée et se transforme en mucosités qui montent au Cœur.

 Le Foie

Le Foie assure la mise en mouvement. La colère, l’énervement, l’irritabilité entravent la libre circulation du qi, provoquant une stagnation du qi du Foie, mucosités impures comprises. D’autre part, le Bois du Foie attaque la Terre de la Rate.

 

Le Cœur

Comme le Cœur n’est plus nourri par le Sang, l’impur stagne, affaiblit le Cœur et le shen, et ferme les orifices, ce qui ralentit le psychisme et provoque les troubles mentaux.

Dans les conditions physiologiques normales, la joie détend et fait circuler le qi et le Sang, procurant une sensation de légèreté, de bien-être et de bonheur. Il s’agit de la joie interne, spontanée, inhérente à l’individu, à différencier avec la joie liée à une cause externe qui peut désorganiser la conscience.

 Dépression et troubles psychiques en médecine chinoise

 -        Les excès et déséquilibres alimentaires, les soucis et pensées obsédantes, le surmenage, entraînent un Vide de qi de Rate (jaune). Celle-ci ne peut plus fabriquer le qi à partir des aliments (yingqi) ni transformer le qi en Sang. La transformation et le transport ne sont plus correctement pourvus, l’Humidité n’est plus chassée et s’installe. A la longue, celle-ci se transforme en Mucosités impures qui montent au Cœur et obstruent ses Orifices.

Le yingqi n’étant plus produit, il ne peut nourrir le Cœur (rouge) qui est la demeure du shen.

Le shenming (clarté de l’Esprit) est affaibli, ce qui provoque les troubles psychiques et engendre la dépression.

-        La dépression et les facteurs émotionnels engendrent une stagnation du qi du Foie (vert) qui envahit la Rate (jaune). Les facteurs psychiques aggravent le Vide du Cœur, ce qui provoque les troubles mentaux.

-        Le refoulement des émotions, la parole non exprimée entraîne une stagnation du qi du Foie qui attaque la Rate par le cycle de soumission. Au cours du temps, cette stagnation de qi peut se transformer en stase de Sang.

-        A cause de la stagnation du qi du Foie, les Mucosités provenant de la Rate s’accumulent dans le Cœur. Le shen est déplacé de sa demeure provoquant les troubles psychiques et la dépression. Si la stagnation du qi du Foie se prolonge, elle se transforme en Feu du Foie. Quand le qi du Foie monte à contre-courant au Cœur, il blesse le Cœur et le shen. Lorsque la stagnation du qi et l’atteinte du Cœur se prolongent, la Rate est touchée, entraînant le Vide de Cœur et de Rate : la Rate ne produit pas le Sang pour nourrir le Cœur qui est la demeure du shen, d’autant plus que les facteurs psychiques aggravent son Vide, ce qui aggrave les troubles mentaux.

Les symptômes de ces déséquilibres sont d’apparition progressive : signes de ralentissement psychique : mutisme, visage inexpressif, regard fixe (cf. Autoportraits de Van Gogh), léthargie, dépression, introversion, confusion mentale, intellect affaibli.

 

Analyse des peintures de Van Gogh

 Méthodologie

 Dans cette étude, les peintures de Van Gogh sont analysées selon une grille de lecture basée sur :

La correspondance entre :

- les couleurs et les Cinq Eléments,

- les couleurs et les Cinq Organes,

- les couleurs et Cinq Emotions et les Sept Sentiments (tableau II),

- les symptômes/diagnostics de Van Gogh selon la médecine occidentale et la physiopathologie en médecine chinoise (tableau III).

Une théorie en chromothérapie selon laquelle nous sommes instinctivement attirés par les couleurs qui nous permettraient de corriger un déséquilibre d’énergie pouvant engendrer des problèmes physiques, mentaux ou émotionnels [22].

 Tableau II. Correspondance entre les couleurs, les Cinq Eléments, les Organes, les Cinq Emotions et les Sept Sentiments.

 

Couleur

Elément

Organe

Cinq Emotions et Sept Sentiments

Vert

Bois

Foie

Colère – Enervement – Irritabilité – Irascibilité – Courroux – Fureur

Rouge

Feu

Cœur

Joie - Frayeur

Jaune

Terre

Rate

Souci- Rumination mentale – Contrariété – Préoccupations - Appréhension

Blanc

Métal

Poumons

Chagrin –Tristesse – Affliction

Noir

(Bleu)

Eau

Reins

Inquiétude – Peur - Crainte – Frayeur - Effroi - Panique

 

 Tableau III. Correspondance des troubles de Van Gogh selon la médecine allopathique et la médecine chinoise.

 

Symptômes selon la médecine allopathique

Déséquilibre énergétique selon la médecine chinoise

Halos colorés attribués au glaucome

Xanthopsie et cataracte

Xanthopsie due à intoxication digitalique

Dyschromatopsie acquise

Foie : Atteinte de   l’organe sensoriel visuel

Maladie de Ménière : vertiges et étourdissements épisodiques, déséquilibre physique, symptômes auditifs, acouphènes

Rein : atteinte de l’organe sensoriel auditif

Epilepsie

 

Rein : Vide du qi 

Foie/Vésicule biliaire : chaleur humide

Foie : montée de yang

Trouble bipolaire, symptômes maniaco-dépressifs ou cyclothymiques,

Psychose cycloïde

Psychopathologie due à une intoxication chronique au plomb (crises d'épilepsie, altérations progressives du caractère, périodes de délire, troubles mentaux)

Dépendance à l’absinthe (thuyone) : hallucinations, convulsions, sensations de désinhibition

Rein - Cœur : atteinte de l’axe shaoyin 

  

Symptomatologie de Van Gogh selon la médecine chinoise

 Les signes de dépression, stress, insomnie de Van Gogh peuvent correspondre aux syndromes suivants :

-        syndrome de yin vide, Feu florissant,

-        syndrome Vide de Cœur et de Rate : correspondant au vide de Sang,

-        syndrome Stagnation du qi de Foie et accumulation de mucosités.

La stagnation de qi se transforme en Feu, donnant les signes de Feu : irritabilité, colère facile, acouphènes.

Le Vide de yin du Cœur, conséquence de la Chaleur du Foie et du non-échange avec l’Eau des Reins pourrait être à l’origine des insomnies.

Le qi du Foie blesse le Cœur-Esprit, entraînant des signes de Cœur et de shen blessés : colère, insomnies, confusion mentale, hallucinations, illusions sensorielles.

Van Gogh présentait aussi des signes de Vide de Sang à la tête (acouphènes, vertiges) et de Vide de Sang du Cœur (insomnies).

Le yin déficient et le Feu en plénitude peuvent expliquer sa dépression.

Par ailleurs, on peut aussi noter des signes de Chaleur-Vide :

-        du Cœur (vide de yin) : insomnie, agitation anxieuse

-        du Foie (élévation du yang) : colère, vertiges

-        des Reins (vide de yin) : vertiges

La stagnation de qi et l’accumulation de mucosités sont à l’origine de :

-        signes de mucosités du Cœur : agitation mentale, insomnie ou sommeil perturbé.

-        signes de stagnation de qi du Foie : dépression, abattement, alternance de l’humeur.

En conclusion, les symptômes de Van Gogh pourraient correspondre à l’atteinte de   :

-        Rate et Reins : vide de yin ;

-        Foie : vide de Sang et montée du yang ;

-        Cœur : Plénitude de Feu suite au vide du Rein yin.

 Les couleurs utilisées par Van Gogh

 On peut noter une prédominance de jaune et de bleu, et en proportions moindres du vert dans les peintures de Van Gogh.

-        Le vide du yin de Rate pourrait être à l’origine de son attirance pour la couleur jaune (ex. : Les tournesols ; Epis de blé).

 

Epis de blé (juin 1890)                                                                                                                               
Huile sur toile 64,5 x 48.5 cm

Rijksmuseum, Amsterdam

 

 

Vase avec quinze tournesols (Arles, août 1888).

National Gallery, Londres, Angleterre

 

 -        Le vide de Sang du Foie pourrait expliquer une certaine prédominance de vert dans ses oeuvres (ex : Les bords de l’Oise à Auvers).

 

 

Les bords de l'Oise à Auvers (juillet 1890)
Huile sur toile 73,3 x 93,7 cm.
Detroit, The Detroit Institute of Arts

 

-        Le bleu prédomine dans de nombreuses œuvres de Van Gogh (ex : La nuit étoilée ; Branches fleuries d’amandier ; Champ de blé sous un ciel orageux).

 

La nuit étoilée (Cyprès et village) / (juin 1889)
Huile sur toile, 73.7 x 92.1 cm
New York, MOMA

 

La couleur bleue n’existe pas dans le tableau classique de correspondances des couleurs avec les Cinq Eléments. Selon le Feng Shui, le bleu est assimilé à l’élément Eau, donc à l’organe Rein. Ce qui pourrait expliquer la prédominance du bleu par le vide du yin des Reins.

Mais si l’on rapproche le bleu du vert en se référant à une certaine similitude d’écriture en chinois, l’attirance par la couleur bleue chez Van Gogh pourrait alors être assimilée au vide de Sang du Foie. 

-        La plénitude de Feu de Cœur (suite au vide du Rein yin) pourrait être l’explication de la quasi-absence de couleur rouge dans ses œuvres (exception : La vigne rouge ; Le café de nuit, place Lamartine, Arles).

 La vigne rouge (novembre 1888)
Huile sur toile, 75 x 93 cm
Moscou, Musée Pouchkine


Le Café de nuit (septembre 1888)

70 x 89 cm

Yale University Art Gallery, New Haven, Connecticut, USA

 Tableau IV. Correspondance entre les couleurs des œuvres de Van Gogh et les Cinq Eléments/Organes

 

Couleurs prédominantes

Organes /Elément

Peintures

Marron

Rate/Terre

Les mangeurs de pommes de terre (avril 1885)

Jaune

Rate/Terre

Tournesols dans un vase (août 1888);

Jaune/Marron & Bleu

 

Le semeur au coucher du soleil (juin 1888) ; Moissons en Provence (juin 1888) ; Terrasse du café le soir (septembre 1888) ; Chambre de Vincent à Arles (octobre 1888) ; Souvenir du jardin à Etten (novembre 1888) ; Iris (mai 1889) ; Portrait du docteur Gachet (juin 1890)

Vert & Bleu

Foie/Bois & Reins/Eau

Les bords de l’Oise à Auvers (juillet 1890) ; Champ de blé sous un ciel orageux (juillet 1890)

Bleu/Noir

Reins/Eau

La nuit étoilée (juin 1889) ;

Autoportrait à l’oreille bandée (1889) ; Autoportrait à Saint-Rémy (septembre 1889) ; Le semeur (1889) ; Branches fleuries d’amandier (février 1890) ; Route avec un cyprès et une étoile (1890)

 


Le semeur au coucher du soleil (novembre 1888)
Huile sur jute sur toile, 73,5 x 93
Zurich, Fondation collection E. G. Bührle

 


Les mangeurs de pommes de terre (avril 1885)
Huile sur toile, 82 x 114 cm
Amsterdam, Musée Vincent Van Gogh

 

 Autoportrait à Saint Remy (septembre 1889)
Huile sur toile, 65 x 54 cm
Paris, Musée d'Orsay

 

 

Branches fleuries d'amandier (février 1890)
Huile sur toile, 73,5 x 92 cm
Rijksmuseum, Amsterdam

 

Portrait du docteur Gachet (juin 1890)
Huile sur toile, 66 x 57 cm
Collection privée (Christie's New York, 1990)

 

Iris (mai 1889)
huile sur toile, 71 x 93 cm
Malibu, Paul Getty Museum

 


Champ de blé sous un ciel orageux (juillet 1890)
Huile sur toile 50 x 100,5 cm.
Amsterdam, Rijksmuseum Vincent Van Gogh

 

 Conclusion

 Il existe une concordance entre les divers diagnostics allopathiques attribués à Van Gogh et les déséquilibres énergétiques vus sous l’angle de syndromes physiopathologiques en médecine traditionnelle chinoise. La prédominance de jaune, vert et bleu dans l’ensemble de ses peintures pourrait être attribuée à ses troubles traduits en termes de déséquilibres énergétiques selon la médecine chinoise (tableau IV).

 

 

Dr Tuy Nga Brignol

Rédactrice en chef d'Acupuncture & Moxibustion

Rédactrice en chef de la revue « Les cahiers de myologie »

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 Conflit d’intérêts : aucun

 Références

 1- Naifeh S, Gregory White Smith, « Van Gogh : The Life”. Random House (New York), 2011.

2- Voskuil PH.. Van Gogh's disease in the light of his correspondence. Front Neurol Neurosci. 2013;31:116-25.

3- Michel FB, « Van Gogh, psychologie d’un génie incompris », Ed Odile Jacob, 2013.

4- Voskuil P. Diagnosing Vincent van Gogh, an expedition from the sources to the present "mer à boire". Epillpsy Behav. 2013;28(2):177-80.

5- Lanthony P, [Van Gogh's xanthopsia], Bull Soc Ophtalmol Fr. 1989 Oct;89(10):1133-4. 

6- Arnold WN, Loftus LS, Xanthopsia and van Gogh's yellow palette, Eye (Lond). 1991;5 ( Pt 5):503-10.

7- Lee TC, Van Gogh's vision. Digitalis intoxication? JAMA. 1981;245(7):727-9.

8- Elliott DB, Skaff A, Vision of the famous: the artist's eye, Ophthalmic Physiol Opt. 1993;13(1):82-90.

9- Lanthony P.  [Dyschromatopsias and pictorial art]. J Fr Ophthalmol. 1991;14(8-9):510-20.

10- Hart WM Jr. Acquired dyschromatopsias. Surv Ophthalmol. 1987;32(1):10-31.

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15- Janka Z, [Artistic creativity and bipolar mood disorder], Orv Hetil. 2004;145(33):1709-18.

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22- Norris S – Chromothérapie – Série Découverte et Initiation – 224 p – The Ivy Press Limited 2001.

 

Nos remerciements au Ciné-Club de Caen (Partie Beaux-Arts) pour l’iconographie.

Visitez leur site : http://www.cineclubdecaen.com/peinture/materiel/grandspeintres.htm

 

 Brignol TN. Van Gogh : revue de littérature de ses diverses pathologies et essai d’analyse du déséquilibre énergétique à travers ses peintures. Acupuncture & Moxibustion. 2013;12(3) 

 

À propos du 9Rn, zhubin, 筑宾 [築賓] : données factuelles et questionnements à l’usage des médecins acupuncteurs

Claude Pernice

À propos du 9Rn, zhubin, 筑宾 [築賓] : données factuelles et questionnements à l’usage des médecins acupuncteurs

Résumé. Cet article a pour objectif d’explorer le 9Rn zhubin, point secondaire des classes d’usage distinguées dans Sigma Sciences Médicales Chinoises. Il vise à confronter le contenu des diverses publications classiques et contemporaines que nous avons retenues sur ce point à la réputation particulière. Différentes thématiques sont présentées ici en détaillant les convergences et les divergences dans les énoncés et dans les descriptions des publications. Cette confrontation permet de relever les diverses questions soulevées par les usages de ce point et dans les pathologies qu’il est censé traiter. Sont mis en évidence les problèmes inhérents aux traductions des textes chinois, dont les différences entre les auteurs rendent compte ainsi que la nécessité pour les médecins acupuncteurs de distinguer les aspects philosophiques, anthropologiques, historiques, culturels, afin de dégager les enjeux des savoirs opérationnels de ce point pour le champ médical. Ces données factuelles n’apportent pas simplement des précisions médicales, elles sont plus que jamais indispensables car, sous cette forme, constituent un enjeu dans le contexte des diverses mises en cause que connaît actuellement l’acupuncture et sa reconnaissance institutionnelle comme spécialité thérapeutique. Mots-clés. 9Rn zhubin – classes d’usage – traductions – interprétations.

 

Summary. This article aims to explore the 9Rn zhubin, a secondary point of distinguished use classes in Sigma Chinese Medical Sciences. It aims to confront the content of the various classic and contemporary publications that we selected on this point to the particular reputation. Different themes are presented here detailing the convergences and discrepancies in the statements and descriptions of the publications. This confrontation makes it possible to raise the various questions raised by the uses of this point and in the pathologies that it is supposed to treat. The problems inherent in translations of Chinese texts, the differences between the authors, and the need for acupuncture physicians to distinguish philosophical, anthropological, historical and cultural aspects, in order to identify the stakes of the operational knowledge of the field, are highlighted. this point for the medical field. These factual data do not simply provide medical details, they are more than ever indispensable because, in this form, constitute an issue in the context of the various challenges that currently affects acupuncture and its institutional recognition as a therapeutic specialty. Keywords. 9Rn zhubin - usage classes - translations - interpretations.

 

Introduction

Après avoir exploré le 60V kunlun [1,2], point majeur dans la classe d’usage que nous avons définie et en suivant la même méthode, l’étude des points est poursuivie par l’examen du 9Rn zhubin. Ce dernier ayant été classé comme point secondaire [3], il s’agit ici, a contrario, de se saisir d’un point cité par moins d’un tiers de sources aussi bien classiques que contemporaines que nous avons retenues. En outre la réputation du 9Rn zhubin est de résoudre les problèmes « d’hérédité chargée » [4]. Cette réputation conduit à majorer les aspects symboliques. Elle ouvre la porte à toutes les interprétations situées hors du champ médical. Celles-ci ont pu paraître légitimes aux médecins acupuncteurs mais l’accès de plus en plus ouvert aux publications médicales chinoises nous invite à abandonner ce niveau interprétatif pour ne s’en tenir qu’aux données purement médicales. Comme dans l’article précédemment cité, notre objectif est donc de repérer les diverses dimensions descriptives du 9Rn zhubin, de dégager les éléments communs et les items problématiques afin de clarifier le savoir opérationnel propre à ce point. Nous commencerons par examiner les questions que posent les données de la localisation de ce point dans une sélection de publications contemporaines et classiques, complétées par les données sur les techniques de stimulation. En second lieu nous nous attacherons à clarifier le registre médical à travers les données sur les fonctions thérapeutiques et les indications de ce point, afin, là encore, de faire émerger les questions que la confrontation inter-auteurs soulève. Enfin nous discuterons des problèmes de traduction des caractères présentés selon les auteurs et des interprétations relevant le plus souvent des registres historiques et culturels.

 

Aspects techniques

Localisation

Les données

Sur les neuf publications contemporaines [5-13] que nous avons interrogées, nous avons dans un premier temps rassemblé l’ensemble des items de localisation :

- sur la face interne de la jambe [9,11,13] ;

- sur le trajet du méridien du Rein, entre le 3Rn taixi et le 10Rn yingu [11,12] ;

- 5 distances (cun) au-dessus du sommet de la malléole interne c'est-à-dire du 3Rn taixi [5-13] ;

- à la hauteur du 5F ligou en arrière [9,10] ;

- 2 distances au-dessus et 1,2 distance en arrière du 6Rt sanyinjiao [5] ;

- au bord interne et en-dessous du ventre musculaire du mollet. Dans les publications analysées des divers auteurs [6-9,12,13], leurs descriptions font état d’une diversité d’appellations du muscle triceps : triceps sural, qui est divisé en soléaire en profondeur et en gastrocnémien en surface, lui-même divisé en deux chefs : médial anciennement jumeau interne et latéral anciennement jumeau externe (non concerné ici).

Les textes classiques quant à eux rapportent les repères de localisation suivants :

- « Au-dessus de la cheville intérieure entre le muscle de la jambe[1] » [11]. Ces repères sont précisés dans le Classique d’Acupuncture et de Moxibustion Zheng Jiu Jia Yi Jing écrit par Huang Fu Mi à la fin du troisième siècle [14].

- Au-dessus du 8Rn jiaoxin et au-dessus et en arrière du 6Rt sanyinjiao, dans le ventre du muscle du mollet [15] mentionné dans Zhen Jiu Da Cheng : Great Compendium [16].

Deng [12] fait référence à quatre classiques : Zheng Jiu Jia Yi Jing (259) [14], Zhen Jiu Ju Ying (1529), Yi Xue Ru Men (1575) [17], Zhen Jiu Ji Cheng (1874) [18], mais localise le 9Rn zhubin par rapport au « triceps sural ». Or cette appellation du muscle du mollet ne peut être que l’appellation moderne attribuée par Deng aux textes classiques et non issue des textes classiques eux-mêmes. Il souligne en résumé que la localisation de ce point « n’est pas très claire » et aboutit à la conclusion qui exprime le consensus actuel sur cette localisation repris par l’OMS en 2009 [9].

Les rapports anatomiques du 9Rn zhubin sont de deux distances au-dessus du 6Rt sanyinjiao, et un peu en arrière (1 à 2 distances [10]), au niveau et en arrière du point 5F ligou, une distance au-dessous du 7Rt lougu.

Pour illustrer les rapports ponctuels induits par cette localisation, nous avons construit la figure 1 qui mentionne les points directement en rapport avec le 9Rn zhubin.

Sur la ligne joignant le 7Rn lougu, 3 distances au-dessous, et le 10Rn yingu, 8 distances au-dessus. Ceux-ci sont sur le trajet jambier du méridien du Rein, sur la verticale qui relie le 3Rn taixi au 10Rn yingu.

En avant et de bas en haut le 6Rt sanyinjiao, 2 distances en dessous et 1,2 distances en avant. Le 5F ligou, à la même hauteur que le 9Rn zhubin et 1 distance en avant sur l’arrête tibiale, et le 7Rt lougu 1 distance au-dessus et 0,2 à 0,5 distance en avant du 9Rn zhubin

Figure 1. Rapport ponctuel du 9Rn par rapport aux autres points.

 

À partir de cet ensemble de données techniques, plusieurs types de questions méritent d’être posées.

Les questions soulevées

- Les données de localisation issues des trois classiques Zhen jiu ju ying (1529), Yi Xue Ru Men (1575) [17], Zhen Jiu Ji Cheng (1874) [18] ne sont-elles pas une simple reprise de celles énoncées dans Zhen Jiu Jia Yi Jing (259) [14] ?

- Les différents repères de localisation distingués par les publications contemporaines et classiques ne sont-ils pas situés à divers niveaux : soit sur des régions corporelles, soit à des rapports avec d’autres points et des méridiens d’acupuncture, soit à des rapports anatomiques, soit enfin à des reliefs musculaires ?

- Ceux-ci ne sont-ils pas particulièrement illustrés par la manœuvre de localisation proposée par l’OMS [9] : « genou fléchi et flexion plantaire contre résistance, le muscle soléaire et gastrocnémien se dessine sur le bord médial de l'os tibial. Le 9Rn zhubin se trouve dans le creux qui apparaît sur la partie inférieure du ventre du chef médial du gastrocnémien »[2] ? Ne peut-on pas penser ici que les items pertinents de localisation concernent une connaissance théorique du point alors que la description de la manœuvre de localisation relève quant à elle d’un savoir opérationnel technique ?

- Les caractères chinois ont évolué dans le temps [19,20], tout comme le nom des muscles. N’aurions-nous pas là une première approche des difficultés que nous rencontrons dans la traduction des textes chinois ? Ces difficultés ne sont-elles pas au fondement même des interprétations que nous retrouverons à propos de la dénomination dans la troisième partie de cet article ?

- Qu’apportent, à la connaissance et au savoir opérationnel de ce point, les rapports anatomiques qui découlent d’une dissection ou d’une exploration radiologique par rapport à une description théorique de ces rapports ?

- Une fois connus les repères de localisation du point et les différentes questions qu’ils suscitent, comment le puncturer et le stimuler ?

Les techniques de stimulation

Les données

Dans ce registre, les différentes références que nous avons analysées indiquent pour la profondeur de la puncture des variations allant de 0,3 distance [8] à 2 distances [10]. Les moxas vont de 1 à 5 cônes et de 5 à 15 minutes de moxibustion à distance.

La sensation de puncture est une sensation irradiant à la cuisse ou à la plante du pied à type de gonflement [10], mais également de diffusion ou de décharge électrique [21]

 

Les questions soulevées

- La puncture recommandée est devenue de plus en plus profonde en l’espace de quelques siècles. Comment comprendre cette évolution sans passer par une étude diachronique ?

- Les auteurs contemporains accordent une certaine importance à la sensation locale ou propagée le long des méridiens. S’agirait-il d’une preuve de l’approfondissement et de la spécialisation de la connaissance médicale ?

Ce premier niveau d’analyse apporte un éclairage technique et nous entraine à entrer dans le registre de la thérapeutique.

 

Aspects médicaux

Fonctions thérapeutiques

Données

Point de départ du yinweimai, ce point a pour fonction de désobstruer ce méridien curieux [6-8], il est également le point d’intersection entre yinweimai et yinqiaomai [15].

 

Actions décrites par les auteurs

Sur le domaine ciblé

Dissipe [11]

Réduit [22]

La Chaleur (re)

Dissous [7, 11]

Transforme [8]

Les Glaires (tan)

Élimine [7]

Les Glaires-Humidité

Calme [8, 11]

Apaise [11, 22]

La peur ou terreur  

Le shen

Dissipe la chaleur [11]

Purifie [8]

Clarifie [7]

Le Cœur

Renforce les fonctions [21]

Tonifie et régularise [7, 22]

Des Reins

Le yin des Reins

Favorise [21]

La diurèse

Ouvre [22]

La poitrine

Renforce [23]

Régularise [22]

Les genoux et jambes

Le yinwei

 

Les questions soulevées

- Ne trouve-t-on pas, dans ce résumé par liste des fonctions thérapeutiques une intrication de symptômes, de syndromes et d’indications fonctionnelles, qu’il s’agirait de déconstruire ?

- Cette intrication n’est-elle pas alimentée également par la variabilité des associations (p. ex. Chaleur et Chaleur-Humidité) ?

- Que signifie la variation des expressions des auteurs quant aux actions thérapeutiques de la puncture du 9Rn zhubin ?

Ces questions posent le problème de la pertinence du choix de la nomination « fonction thérapeutique ». Cette catégorie générique se décline nominalement de manière différentielle chez les auteurs considérés : action [10], application clinique [24], indications fonctionnelles [8], indications thérapeutiques [7].

L’existence d’une pluralité de nominations réfère in fine aux actions « énergétiques » de la puncture et de la stimulation du point décrites par les auteurs sélectionnés. Ce constat nous conduit à interroger les indications thérapeutiques du 9Rn zhubin.

 

Indications

 

Données

Nous avons classé le 9Rn zhubin en point secondaire car il est cité par 6 auteurs sur un panel de 20 [3].

Parmi les auteurs contemporains, Soulié de Morant décrit les « effets directs : Hérédité chargée. Coupe toute transmission héréditaire ou ancestrale. Tonifier pendant la grossesse, de préférence deux fois, une à trois mois et une à six mois (une est déjà suffisant) donne un enfant au teint spécialement lumineux, dormant la nuit, riant le jour, ne prenant pas les maladies ou, s'il les prend, les guérissant en quelques heures ou quelques jours, selon les cas ; n'ayant aucune des mauvaises analyses des parents. Sain d'esprit, de morale et de corps. Préventif des fausses couches (fait aussitôt que possible, et même avant la conception). Empêche les spasmes de grossesse. » [4]. L’indication « hérédité chargée » a été critiquée par Guillaume : “cette indication [hérédité chargée] ne transparaît à aucun moment dans les textes que nous avons consultés. Il en va de même pour de nombreuses indications citées par cet auteur” [8].

Pour d’autres auteurs [5,8,10,11,13,22,25] nous relevons 44 indications. Parmi elles, toutes publications confondues, les maladies mentales ont une fréquence de citation relativement faible de 7. Dans les 37 autres pathologies et si on excepte les doublons, 16 indications ne ressortent pas du registre des maladies mentales. Elles concernent des pathologies locales (par ex. crampes du mollet, etc.) ou loco-régionales sur le trajet du méridien (par ex. hernies, orchite, inflammation du pelvis, etc.) ou encore des pathologies organiques (par ex. cystite, néphrite, etc.)

Dans la littérature ancienne [8,26], on retrouve ces quatre types de pathologies avec une terminologie sémantiquement imprécise auxquelles s’ajouteraient les lombalgies accompagnées de tristesse. Ces imprécisions sont particulièrement mises en évidence dans les divergences de traduction du chapitre 41 du Suwen [27].

Dans le registre des associations éventuelles de points, nous retrouvons les affections des voies urinaires, les vomissements parfois accompagnés de folie et les lombalgies.

Ces indications sont complétées et soutenues par les études cliniques qui décrivent hémorragies utérines, angine de poitrine, ulcère buccal [28] et dépendance à l’alcool [29]. Sur le plan gynécologique, on trouve les ruptures prématurées des membranes [30], le syndrome de Lacomme [31], et enfin les syndromes post traumatiques liés aux violences conjugales [32]. Dans les études expérimentales, nous notons la toxicomanie [33] et la déficience auditive iatrogène [34].

Les questions soulevées

- La question de la validité de l’indication « hérédité chargée » telle que formulée ne reste-t-elle pas posée ? La réputation de cette indication est-elle vraiment fondée autrement que dans les discours où elle prend valeur de rumeur ? Cette action eugénique alléguée par un seul auteur n’est-elle pas de ce fait mise en doute et ne peut-elle pas être une erreur de traduction ou d’adaptation ? L’interprétation « pont entre deux mondes » [35], par exemple ne dérive-t-elle pas de cette singularité ?

- Quel sens donner à la focalisation interprétative sur les maladies mentales alors que ces dernières sont minoritaires du point de vue de leur fréquence de citation ?

- Les imprécisions terminologiques dans la littérature ancienne n’ouvrent-elles pas le champ des interprétations possibles, alors même qu’elles tendent à ne pas sortir du champ médical ?

Ces diverses questions nous conduisent en dernier lieu à évoquer comment le contexte historique et culturel chinois est intégré au champ médical et a pu souvent paraître s’imposer à ce dernier dans le processus de compréhension des maladies et de leur traitement. La sinologie, l’anthropologie et la philosophie, utiles à la compréhension du monde chinois, n’ont-elles pas eu, dans le champ médical, des effets contre-productifs ? C’est en particulier à travers les enjeux de la dénomination que nous allons examiner ces questions.

Aspects historiques et culturels

Dénomination

Les données

- Diverses écritures.

Les caractères actuellement attribués au 9Rn zhubin, sont les suivants筑宾en caractères simplifiés et築賓en caractères dits traditionnels et s’écrivent en pinyin zhù bīn. Chaque phonème en pinyin peut être prononcé de quatre manières différentes en fonction des accentuations et sans tenir compte des accents régionaux ou étrangers. Ces caractères s’écrivent avec des lettres différentes selon la langue qui les transcrit de façon à rester aussi proche que possible de la prononciation « officielle ». On trouve ainsi dans les ouvrages médicaux sélectionnés les translittérations suivantes (Tableau I) dont on peut faire l’hypothèse qu’elles ne sont pas les seules.

 

Tableau I. Les translittérations.

Anglophone

Francophone

Japonais

Coréen

Vietnamien

Chu-Pin

Tso-pinn [4, 10] 
Tchou penn [25]

Chikuhin

Ch'ukpin

Ch'ukpin

 

Dans un but de simplification, des codes alpha-numériques ont été utilisés tels que K ou KI pour kidney, Re ou Rn pour Rein, le 9 étant placé pour les uns avant ces abréviations et pour d’autres après. Ce faisant l’existence de ces codes aux multiples applications a paradoxalement complexifié la compréhension au lieu de la simplifier.

Pour revenir à l’écriture des caractères chinois, des radicaux différents peuvent être adjoints à un même caractère (apparaissant en avant ou au-dessus) modifiant à la fois la prononciation et le sens. Ainsi, pour zhù bīn, si zhù ne prête pas à confusion puisque représentant un seul et unique caractère , bīn en revanche peut être le phonème de quatre caractères, modifiant profondément les significations que l’on peut donner à 9Rn zhù bīn 筑宾 (Tableau II).

- Les données des dictionnaires.

Dans le dictionnaire français de la langue chinoise Ricci [20] le caractère zhu 筑 correspond à Ricci 1147 et est traduit par : « 1. Battre la terre pour la tasser ; pilonner ; tasser. 2. Construire ; bâtir. 3. Construction ; Bâtiment ; maison. 4. Piquer ; percer. ». Quant à bin 宾, qui correspond à Ricci 4068 [21], ses significations sont les suivantes : « [a] 1. Hôte (celui qui reçoit l’hospitalité) ; visiteur ; invité. 2. Recevoir et traiter un hôte ; accueillir un visiteur. Hospitalité. 3. Se soumettre à ; reconnaître l’autorité de. 4. N. f. ». Mais également, en le précédant du radical 扌de shou, main 手 : « [b] Bìn n. 4059 摈 bìn 1. Rejeter ; renoncer à ; abandonner. 2. Expulser ; chasser. »

 

Tableau II. Résumé des significations.

Pinyin

Caractères

N° Ricci

Radicaux

Signification

Traductions proposées par

Zhù

1147

zhú bambou

1. Battre la terre pour la tasser ; pilonner ; tasser. 2. Construire ; bâtir. 3. Construction ; Bâtiment ; maison. 4. Piquer ; percer. 

Pan [6]

Laurent [7]

Bīn

4068

mián

Toit

[a]1. Hôte (celui qui reçoit l’hospitalité) ; visiteur ; invité. 2. Recevoir et traiter un hôte ; accueillir un visiteur. Hospitalité. 3. Se soumettre à ; reconnaître l’autorité de. 4. N. f. 

Pan [6]

Laurent [7]

Bìn

4059

手ou 扌shǒu main

1. Rejeter ; renoncer à ; abandonner. 2. Expulser ; chasser.

Ellis [15]

Bīn

4063

水ou 氵shuǐ eau

1. Bord de l’eau ; rive : rivage ; côte ; plage ; berge. 2. Border. En bordure de ; Près de. Proche ; attenant à.

Soulié de Morant [4], Guillaume [8]

 

Bìn

 

肉 ou月

ròu chair

1. Dans 膑⻣ bìn gǔ (Anat. – Méd. chin. trad.) Rotule : Patella. 2. Dans 膑脚 bìn jiǎo Couper la rotule (châtiment) ; (p. ext.) couper le pied.

WHO [9] mais il est présenté avec le radical宀mián toit

 

Sans trop insister sur les risques que présente l’aspect aléatoire des caractères chinois, objet de l’intérêt de recherche des sinologues, nous préférons faire appel aux traductions réalisées dans un certain nombre de publications médicales de diverses sources. Ainsi nous pouvons trouver comme traduction : « construction sur la plage » [5] ; « guest house » [15] ; « édifice construit pour accueillir l'invité » [6] ; « construit pour l'hôte » [7].

Cet ensemble de traductions montrent bien la difficulté des choix, leur incidence sur l’image que l’on peut se faire du point et l’interprétation que l’on peut en tirer.

La notion de rivage énoncée par Nguyen Van Nghi [5] est mise en relation par Guillaume [8] avec la notion de « berge » à laquelle ce dernier affecte un caractère bin différent 滨 (Ricci 4063) (le radical de la main est remplacé par celui 氵de l’eau shui 水) (tableau 3) et qu’il considère comme un nom secondaire issu du classique Yi Xue Ru Men Fondamental de Médecine Essentials of Medicine rédigé par Li Yan en 1816 [17].

Les questions soulevées

- Comment expliquer ces sens apparemment contradictoires dans ces traductions ? Par exemple, est-ce que la main qui accueille (radical de bin 4068) le visiteur, peut également le rejeter (radical de bin 4059) ? Si cette explication est un problème de spécialiste de sinologie, nous devons souligner que les interprétations occidentales qui tentent d’expliquer les traductions par des commentaires sont pléthores.

- Sur le plan médical, qu’apportent ces divers sens, les choix qu’ils induisent et qu’ils peuvent générer ? Y a-t-il un lien entre les noms du point, les significations qu’ils véhiculent et son activité thérapeutique ? Et si lien il y a, quelle en est la teneur, la solidité et la fiabilité ? Ces questions aux réponses délicates ou inaccessibles ont une première valeur : nous inciter à la prudence. Nous laisserons aux spécialistes, sinologues et anthropologues, le soin de résoudre la question de l’incidence de la période historique sur le sens que l’on peut attribuer à ces appellations dans le cadre de leur discipline.

- Au regard de ces données de traduction assez hétérogènes, pourquoi alors ne pas proposer « construit en bordure du zushaoyin pour donner source au yinweimai » ou « recevoir le yinweimai », explications du nom du point proposées par Pan [6]. Est-il utile dans le champ médical d’étendre ces traductions à des « significations possibles », tel que le propose Destribats avec par exemple « construire un nouvel être » qui devient une nouvelle « âme » s’incarnant dans un nouveau « corps » ou « monde » et rendant la « naissance comparable à la mort » [35] ? Quelle utilité peut représenter l’insertion de théories issues de la psychanalyse à la compréhension des points d’acupuncture ? Au-delà de ces interprétations, n’est-il pas essentiel de distinguer les actions du point 9Rn zhubin de celles du méridien yinweimai, même si ce point en est la Source [35] ?

Conclusion

Le travail sur le 9Rn zhubin a été réalisé à partir de la page qui lui est consacrée dans le site Sigma Sciences Médicales Chinoises [37] et alimenté par les questions posées à la lecture de l’article récent d’Alain Destribats [35]. En tentant de se défaire des interprétations d’auteurs dont les appartenances institutionnelles et disciplinaires (sinologie et anthropologie, entre autres) ne relèvent pas du champ médical le présent article se focalise sur les données proprement médicales. Sont ici mis en évidence des points de discussion collective qui accompagnent les questions que nous avons posées. Le recours à des références publiées et avec sources, les citations d’auteurs précises et contextualisées sont la base sur laquelle peuvent se bâtir les savoirs opérationnels des points d’acupuncture. Comprendre ne nécessite-t-il pas en effet d’aller chercher une information autant que possible vérifiée et fiable ? Il nous a également semblé impératif de distinguer dans la médecine chinoise l’impact du culturel de la fonction thérapeutique. Cette distinction peut se faire en gardant ou en proposant des définitions médicales et en excluant toute connotation philosophique et anthropologique, qui, pour légitimes qu’elles soient dans leur domaine respectif, ne disent rien sur les manières dont le médecin acupuncteur peut décliner son exercice professionnel. La confusion des champs médical, philosophique et anthropologique peut être illustrée par la définition de la théorie du yin-yang proposée par l’OMS [36] : « yin-yang theory 陰陽學說 : an ancient Chinese philosophical concept, dealing with two opposite aspects of matters in nature which are interrelated with each other. Its principle is widely applied to traditional Chinese medicine »[3]. Cette définition est basée sur l’histoire de la médecine chinoise et inclut des concepts culturels et philosophiques. Pour se dégager de ceux-ci, ne pourrions-nous pas proposer d’adopter la définition médicale suivante du yin-yang : « Tout phénomène naturel peut être décrit sous deux aspects. Ces deux aspects représentent ensemble la totalité du phénomène observé dont le contexte et le point de vue doivent être précisés. Dans le domaine de la médecine chinoise, ces phénomènes appartiennent à la physiologie du corps humain ainsi qu’au diagnostic et au traitement de ses maladies ».

Les médecins acupuncteurs occidentaux sont dans une position inconfortable à cheval entre leur formation médicale initiale et leur spécialisation en médecine chinoise. Longtemps présentés comme opposés, souvent comparés, ces deux savoirs ont généré des tentatives d’explication et d’interprétation empruntant des voies qui exacerbent ces oppositions : par ex. le recours à la richesse interprétative de la psychanalyse ou l’importation explicative de mécanismes neuro physiologiques. Ce faisant, sommes-nous si sûrs de ne pas avoir perdu la vocation même de l’acupuncture ?  Le caractère impérieux de ces comparaisons ne nous contraint-il pas à une mise en opposition ? Et si les différences, à l’évidence linguistiques et culturelles, ne concernaient pas la médecine mais simplement l’Histoire de chaque type de savoirs [38] ? L’exacerbation des différences des types de savoirs médicaux n’a-t-elle pas eu pour effet de générer les diverses étiquettes dont a été affublée l’acupuncture au cours de son histoire contemporaine en occident ?  N’est-il pas temps de se pencher sur les données factuelles de la médecine (chinoise puisqu’il s’agit de notre spécialité) pour retrouver les usages proprement thérapeutiques en excluant toute interprétation ou adaptation inhérentes à la nécessité de donner sens aux textes médicaux chinois ?

 

Dr Claude Pernice

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L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 

 

Références

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  2. Pernice C, Phan-Choffrut F. 60V, kunlun (seconde partie). Acupuncture & Moxibustion. 2019;18(1)
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 Notes

[1]. “above the inner ankle between the leg muscle”.

[2]. Cette formulation en français s’inspire de celle, en anglais, de WHO [9] : “With the knee flexed and the leg stretched (plantar flexion) against resistance, the soleus muscle can be seen more clearly along the medial border of the tibia bone”

[3]. Traduction automatique : « un ancien concept philosophique chinois, qui traite de deux aspects opposés de la nature, qui sont liés entre eux. Son principe est largement appliqué à la médecine traditionnelle chinoise »

 

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