Les effets du sulfure d’hydrogène sur la santé. Août 2016

Caldeira da Lagoa das Furnas - île de São Miguel - Açores - Portugal
Caldeira da Lagoa das Furnas – île de São Miguel – Açores – Portugal

Introduction

Le sulfure dihydrogène ou hydrogène sulfuré ou sulfure d’hydrogène (H₂S) se présente sous la forme d’un gaz inflammable incolore doté de cette odeur caractéristique d’œuf pourri. Il prend naissance de façon naturelle ou encore par suite de diverses activités humaines. Au nombre des sources naturelles de sulfure d’hydrogène on peut citer la réduction des sulfates et des composés organiques soufrés soit de manière non spécifique, soit en anaérobiose par certaines bactéries. L’H₂S existe à l’état naturel dans le pétrole brut, le gaz naturel, les gaz volcaniques et les sources chaudes. On en trouve également dans les eaux souterraines. Il se dégage des eaux stagnantes ou polluées ainsi que du fumier et des mines de charbon. La libération accidentelle ou l’élimination dans de mauvaises conditions des produits résultant de ces divers processus peuvent également entraîner des émissions de sulfure d’hydrogène.

La libération d’hydrogène sulfuré dans l’environnement résulte principalement d’émissions dans l’air ambiant où ce composé ne devrait probablement pas rester plus d’une journée, encore qu’il puisse y persister jusqu’ à 42 jours pendant l’hiver. Il peut facilement s’évaporer de l’eau, en fonction de la température et du pH. Il est peu probable qu’il subisse une bioconcentration et une biomagnification [[1]] le long de la chaîne alimentaire.

La concentration de l’hydrogène sulfuré dans l’air des zones non polluées est très faible, se situant entre 0,03 et 0,1 µg/m3. L’homme peut être exposé à du sulfure d’hydrogène d’origine endogène ou exogène. La production endogène résulte majoritairement du métabolisme des acides aminés porteurs de groupements sulfhydryle, comme la cystéine, par les bactéries présentes dans l’intestin et dans la cavité buccale. De l’hydrogène sulfuré prend également naissance dans le cerveau et dans plusieurs muscles lisses (par ex. l’aorte thoracique, l’iléon et la veine porte) sous l’action des enzymes présentes dans ces tissus. Chez le rat, la concentration de sulfure d’hydrogène endogène est de 50-160 µmol/litre dans l’encéphale et de 1 mmol/litre dans l’iléon.

L’inhalation constitue la principale voie d’exposition humaine, le gaz étant ensuite rapidement résorbé au niveau du poumon. L’H₂S comporte trois voies métaboliques : oxydation, méthylation et réactions avec des métalloprotéines ou des protéines à pont disulfure. La voie de détoxication prédominante consiste en une oxydation au niveau du foie, avec pour métabolite principal le thiosulfate, qui est ensuite converti en sulfate puis excrété dans l’urine. La méthylation constitue également une voie de détoxication. La toxicité du sulfure d’hydrogène résulte de sa réaction avec les métalloenzymes. Dans les mitochondries, la cytochrome-oxydase, qui constitue l’enzyme ultime de la chaîne respiratoire, est inhibée par le sulfure d’hydrogène ; cette action rompt la chaîne de transport des électrons et inhibe le métabolisme oxydatif. Les tissus nerveux et cardiaques, dont les besoins en oxygène sont les plus importants, sont particulièrement sensibles à cette perturbation du métabolisme oxydatif. Au niveau du système nerveux central, il peut en résulter un arrêt respiratoire fatal.

L’expérimentation animale montre qu’une seule et unique exposition à du sulfure d’hydrogène provoque des effets respiratoires, immunologiques/lymphoréticulaires, cardiovasculaires et neurologiques dont l’issue peut être fatale. Les effets observés chez l’animal après exposition de brève durée à ce gaz sont de nature oculaire, cardiovasculaire, neurologique, métabolique ou hépatique et peuvent également se manifester au niveau du développement.

Selon des études sur l’animal comportant une exposition de durée moyenne par inhalation, les effets sont de nature respiratoire, neurologique ou olfactive. On ne dispose pas d’études sur l’animal comportant une exposition respiratoire de longue durée.

En cas d’exposition de durée moyenne, l’expérimentation animale montre que l’organe le plus sensible est la muqueuse olfactive nasale. On a ainsi observé des lésions de cette muqueuse chez des rats Sprague-Dawley CD exposés à du H₂S à des concentrations de 42 ou 110 mg/m3 (28 à 73 ppm) [[2]] ; la dose sans effet nocif observable (NOAEL) se situait à 14 mg/m3 (9,33ppm). Cette valeur de la NOAEL est utilisée pour établir la concentration tolérable à moyen terme.

La plupart des données relatives aux effets sur la santé humaine proviennent de rapports médicaux concernant des cas d’intoxication aigue et d’exposition professionnelle ou encore d’études communautaires de portée limitée.

Le seuil olfactif varie selon les individus ; le seuil moyen géométrique est de 11 µg/m3 ; à partir de 140 mg/m3 (93,3 ppm), il y a paralysie du nerf olfactif, ce qui rend le sulfure d’hydrogène très dangereux car à la concentration de 700 mg/m3 (466 ppm), quelques bouffées peuvent être mortelles.

Chez l’Homme, une exposition respiratoire de brève durée à une forte concentration de sulfure d’hydrogène provoque des effets au niveau de nombreux systèmes ou appareils ; on observe notamment des effets respiratoires, oculaires, neurologiques, cardiovasculaires, métaboliques ou génésiques, dont l’issue peut être fatale. En cas d’exposition par inhalation, les points d’aboutissement les plus sensibles de l’action toxique du sulfure d’hydrogène sont de nature respiratoire, neurologique et oculaire. La dose la plus faible produisant un effet nocif observable (LOAEL) est de 2,8 mg/m3 (1,87 ppm) chez les asthmatiques en ce qui concerne les effets respiratoires et neurologiques. Cette valeur de la LOAEL est utilisée pour établir la concentration tolérable à court terme.

La question de l’ingestion n’est pas à considérer chez l’Homme et il n’existe d’ailleurs pas de données à ce sujet.

La génotoxicité [[3]] du sulfure d’hydrogène n’a pas été suffisamment étudiée ; on n’a connaissance que d’un seul test de mutagénicité sur Salmonella, ayant d’ailleurs donné un résultat négatif. Il sera impossible d’évaluer le pouvoir cancérogène du sulfure d’hydrogène tant que l’on manquera d’études de longue durée sur l’animal et que les études sur les populations humaines resteront limitées.

La concentration tolérable de sulfure d’hydrogène dans l’air, établie sur la base des effets respiratoires de ce gaz, est respectivement égale à 100 µg/m3 pour une exposition par inhalation de brève durée (de 1 à 14 jours) et à 20 µg/m3 pour une exposition de longue durée (jusqu’ à 90 jours).

Les émissions malodorantes auxquelles on peut être exposé dans l’environnement sont en fait des mélanges de gaz soufrés. Il n’est pas possible de déterminer quelle est la concentration exacte de sulfure d’hydrogène dans ces mélanges. En ce qui concerne l’estimation de l’exposition, il y a également incertitude sur la dose et la durée.

D’après les données limitées dont on dispose, il semblerait que les rongeurs soient moins sensibles au sulfure d’hydrogène que l’être humain. Comme le principal organe cible de l’action toxique de ce gaz est l’appareil respiratoire, ce sont les asthmatiques, les personnes âgées et les enfants en bas âge souffrant de troubles respiratoires qui constituent les sous-populations sensibles. En raison des graves effets toxiques qu’entraîne l’exposition à des concentrations élevées de ce gaz pendant de très brèves durées, toute exposition doit être évitée (rapport OMS 2003) [[4]].

Depuis ce rapport OMS de 2003, de nombreuses études sont encore parues. Les effets nocifs du sulfure d’hydrogène (H₂S) sur la santé humaine ont été décrits largement dans la littérature.

Une exposition aiguë à des niveaux élevés de H₂S met la vie en danger.

En effet, à des niveaux élevés, l’H₂S suscite plusieurs toxicités organiques conduisant à la mort par neurotoxicité et insuffisance respiratoire aiguë.

Une exposition aiguë à des concentrations inférieures à 50 ppm peut causer une irritation oculaire et des voies respiratoires alors que l’exposition à des concentrations supérieures à 500 ppm est mortelle.

Une étude montre que l’exposition humaine aux effets toxiques de H₂S est de manière caractéristique liée à la dose et notamment va impliquer les systèmes nerveux, cardio-vasculaire et respiratoires [[5] ].

Dans la suite de cet exposé, on étudiera deux cas de figure :

  • Exposition de brève durée à haute concentration d’H₂S
  • Exposition à long terme à faible concentration d’H₂S

Exposition de brève durée à haute concentration d’H₂S

A des concentrations supérieures à 500 ppm, les principaux effets toxiques se portent sur le système nerveux central entraînant une paralysie respiratoire [[6]]. Si la personne concernée n’est pas rapidement retirée de l’exposition, la mort se produit.

Cela peut s’observer essentiellement chez les travailleurs exposés accidentellement dans les usines de traitement de gaz naturel ou autres industries similaires.

Bien évidemment, ce cas de figure ne nous concerne pas. Néanmoins, il est intéressant de connaître les différents seuils de concentrations pouvant engendrer des effets toxiques pour l’être humain. On s’aperçoit que l’odeur est perçue très rapidement avec des seuils ppm faibles. La sensation oculaire variable en fonction des individus est perçue rapidement dès le seuil de 1ppm. Dès 20 ppm, les lésions oculaires à type de conjonctivite sont possibles. A 100 ppm, il y a paralysie olfactive… On ne sent plus rien mais le gaz continue d’agir (voir tableau 1).

Tableau 1. Effets sur la santé de l’hydrogène sulfuré à divers seuils approximatifs de niveaux d’exposition (d’après 6) [[7]]
  Concentration en (ppm)  Effets
0,01 au 0,3 (0,0150 à 0,200mg/m3)Seuil de l’odeur (très variable)
1-5 (1,50 à 7,50 mg/m3)Odeur désagréable modérée, peut être associée à des
nausées, sensation d’arrachement des yeux, céphalées, ou insomnie si l’exposition est prolongée ; les jeunes en bonne santé
ne subissent aucune baisse de la capacité de travail physique maximal
10 (15mg/m3)La limite d’exposition professionnelle est de 8 heures dans la province canadienne de l’Alberta. Seuil de métabolisme anaérobie durant l’exercice
1515 minutes est la limite d’exposition professionnelle
20 (30 mg/m3)Plafond de l’exposition professionnelle dans l’Alberta. Niveau limite d’évacuation du travailleur. Odeur très forte ; une conjonctivite peut se produire
20-50Conjonctivite (irritation forte des yeux) et irritation des poumons. Des lésions oculaires sont possibles après plusieurs jours d’exposition ; peut causer des troubles digestifs et une perte de l’appétit
100Irritation des yeux et des poumons ; la paralysie olfactive fait que l’odeur disparaît
150-200Perte de l’odorat ; lésions oculaires graves et irritations pulmonaire
250-500 (375 à 750mg/m3)Un œdème pulmonaire peut se produire, surtout si l’exposition se prolonge
500Lésions oculaires graves dans les 30 minutes ; sévères irritations pulmonaires ; perte de connaissance soudaine et la mort survient dans les 4 à 8 heures ; Amnésie pour la période d’exposition
1000 (1501mg/m3)La respiration peut arrêter en 1 ou 2 respirations ; inconscience immédiate. Mort

Effets à concentration faible et exposition à long terme

Selon la littérature, les effets à faible concentration d’H2S diffèrent du tableau précédent. En effet, le premier effet notable est l’odeur semblable à l’œuf pourri qui dont le seuil du ressenti varie souvent entre 7μg/m3 (0,00466 ppm) et 11 μg/m3 (0,00733ppm) [4,[8],[9]].

Les autres effets apparaissent dès l’augmentation de la concentration de l’H2S (à partir de 140 mg/m3 ; 93,3ppm) comme l’irritation des yeux, les symptômes neurologiques (céphalées, nausées et perte de sens olfactif [4]. L’œdème pulmonaire, l’arrêt respiratoire et la mort peuvent survenir à la suite de quelques inspirations à partir de 700 mg/m3 [4].

Les effets à concentration faible et exposition à long terme nous concernent directement, nous qui vivons près d’une décharge de déchets [[10]] avec émanation de H₂S en fonction des conditions atmosphériques.

Les risques pour la santé lors des expositions du H₂S sur un long terme sont très controversés et encore débattus.

Lewis et coll. ont ainsi examiné la littérature concernant les effets des expositions chroniques d’H₂S sur la santé humaine.

Toutes les études d’observation concernant les symptômes dues une exposition chronique à un faible niveau de concentration d’H₂S (environ ≤ 10 ppm en moyenne durant 1 an ou plus) ont été analysées. Les symptômes respiratoires chez les adultes et les enfants sont les symptômes les plus souvent rapportés. Lorsqu’ils sont signalés, ces effets semblent être temporaires : il n’y a aucune preuve cohérente de déficit de la fonction pulmonaire dans les deux groupes d’âge lors d’une exposition chronique à des concentrations de H₂S faibles.

Bien que rares, certaines données suggèrent également des symptômes oculaires potentiels et troubles associés en rapport avec une exposition chronique ambiante en H₂S chez les adultes (et non chez les enfants), mais les données sur l’exposition, les co-expositions et/ou la forte stimulation par l’odeur de l’H₂S, limitent l’interprétation.

Des symptômes neurologiques ont été signalés dans certaines études, mais la preuve la plus haute, obtenue en utilisant des mesures objectives des résultats et une évaluation correctement détaillée de l’exposition, n’objective pas un réel risque neurologique chez les adultes (une seule étude chez les enfants). Pour les autres paramètres évalués (cardio-vasculaire, reproduction, et cancérogenèse), les résultats ont été plus ou moins contradictoires, mais n’ont pas objectivé un danger pour la santé, bien que cette littérature ait plusieurs limites importantes, notamment en matière d’estimation de l’exposition et de la capacité d’évaluer l’exposition-réponse [[11]].

Une recherche récente de janvier 2016 essayant d’évaluer les effets sur la santé lors des faibles concentrations de sulfure d’hydrogène (H₂S) sur les humains à travers des expériences, des études industrielles et communautaires a montré des résultats contradictoires en ce qui concerne le système nerveux central (SNC) et la fonction respiratoire [[12]].

La recherche a été effectuée dans 16 bases de données d’articles publiés entre janvier 1980 et juillet 2014.  Vingt-sept articles ont été inclus : 6 études expérimentales, 12 études axées sur l’industrie et 10 études communautaires. Les résultats de l’examen systématique variaient selon les paramètres de l’étude et de la qualité.

Plusieurs études communautaires ont rapporté des associations entre les variations au jour le jour des concentrations d’H₂S et la santé chez les patients souffrant de maladies respiratoires chroniques. Toutefois, les données des études les mieux conçues basées sur la communauté la plus grande ne confirment pas que l’exposition chronique de l’HS ambiant a des effets sur la santé en ce qui concerne le SNC ou la fonction respiratoire. En revanche, les résultats des études axées sur l’industrie diffèrent, ce qui reflète la diversité des milieux et la vaste gamme d’exposition à l’H₂S.

Bref, les résultats des différentes études étant contradictoires, les auteurs justifient la nécessité de poursuivre les recherches.

Les études parues après 2014

L’étude Saeedi : les effets nocifs de l’exposition à long terme à de faibles niveaux de H₂S sur les cellules sanguines humaines [[13]]

En 2014, un auteur iranien a étudié l’effet sur la méthémoglobine dans un groupe de travailleurs qui ont été exposés à des concentrations ambiantes de H₂S dans les usines de traitement du gaz naturel.

110 travailleurs adultes en provenance d’Iran qui ont été exposés professionnellement à 0-0,090 ppm d’H₂S pendant 1-30 ans ont été étudiés. Les participants âgés entre 18 et 60 ans et ont été exposés directement ou indirectement à des composés soufrés (groupe exposé). L’H₂S provenait des usines de traitement du gaz naturel. Un groupe témoin constitué de 110 hommes n’ayant pas été en contact avec H₂S a également été étudié. Pour tous les participants, on a mesuré le profil hématologique : hémoglobine totale, numération, formule comprenant le nombre de globules rouges, la concentration de sulfhémoglobine et de méthémoglobine.

Parmi tous les paramètres évalués dans cette étude, les concentrations moyennes de méthémoglobine et sulfhémoglobine étaient significativement plus élevés chez les travailleurs qui ont été exposés à des composés de soufre que le groupe témoin.

En conclusion, l’exposition à long terme, même à de faibles niveaux de HS sur les lieux de travail peut avoir des effets nocifs sur la santé humaine avec production de méthémoglobine [[14]].

Etude Finnbjornsdottir 2015 : association de sulfure d’hydrogène et des polluants atmosphériques liés à la circulation engendrent une mortalité accrue d’après une étude cas-croisé à Reykjavik, en Islande [[15]]

Reykjavik (en islandais veut dire « baie des fumées ») est la capitale de l’Islande. Elle se situe à environ 250 km au sud du cercle polaire arctique, ce qui en fait la capitale la plus septentrionale d’un État souverain. Elle s’étale entre deux fjords, dans une zone comptant de nombreuses sources chaudes, le long d’une baie (vik en islandais).

Cette étude a étudié l’association entre mortalité quotidienne et l’augmentation à court terme des polluants atmosphériques, à la fois liée à la circulation et de la géothermie du sulfure d’hydrogène spécifique (H₂S) en Islande durant 4 jours à Reykjavik (n = 138 657 habitants) entre 2003 et 2009.

On a mesuré le pourcentage d’augmentation du risque de décès à la suite d’une augmentation de l’intervalle interquartile des polluants. Les résultats montrent que le nombre total de décès dus à toutes les causes naturelles était 7679 ; pour raison de maladies cardio-vasculaires : 3033.

Une augmentation des concentrations interquartiles de H₂S (2,6 µg/m3 ; 0,00173 ppm) a été associée à une augmentation de la mortalité journalière de toutes les causes naturelles dans la région de la capitale Reykjavik (le tableau montre aussi les autres polluants : PM10 [[16]], dioxyde d’azote NO2, dioxyde de soufre SO2 et ozone O3).

Les résultats suggèrent que la pollution de l’air ambiant à l’H₂S peut augmenter la mortalité à Reykjavik, en Islande. Mais les résultats doivent être interprétés avec prudence et d’autres études sont nécessaires pour confirmer ou infirmer si l’exposition H₂S induit des décès prématurés.

Etude Finnbjornsdottir et al. 2016. Association entre exposition quotidienne au sulfure d’hydrogène et incidence des entrées hospitalières en urgence [[17]]

Des auteurs islandais ont étudié les effets néfastes sur la santé des concentrations basses de sulfure d’hydrogène (H₂S) en s’intéressant aux urgences hospitalières en rapport avec les maladies cardiaques (MC : arrêt cardiaque, arythmie, infarctus du myocarde, angor), les maladies respiratoires et les accidents vasculaires cérébraux (AVC).

L’étude est basée sur les données des registres de la seule institution de soins de courte durée pour la population de la région de Reykjavik en Islande entre le 1er janvier 2007 et le 30 Juin 2014. La population étudiée concerne des sujets âgés de 18 ans et plus, habitant la région de Reykjavik. Les émissions de H2S proviennent d’une centrale géothermique dans le voisinage. Les jours de brouillard ont été évalués entre 1 à 4.

Le nombre total de visites à l’hôpital d’urgence était 32961 avec un âge moyen de 70 ans. La concentration de H2S dépassant 7μg/m3 (0,00466 ppm) a été associée à l’augmentation des hospitalisations en d’urgence pour MC en diagnostic primaire.  Aucune association n’a été trouvée avec d’autres maladies. L’étude a donc montré une association entre les hospitalisations en urgence pour maladies cardiaques et concentrations en H2S dépassant 7μg/m3, ceci plus prononcé chez les hommes de 73 ans et davantage chez les femmes et les personnes plus jeunes.

Étude Mousa 2015. Les effets à court terme sur la santé lors d’une exposition subchronique à faible concentration d’H2S sur les travailleurs des champs pétrolifères [[18]].

Une étude observationnelle a porté sur 34 hommes de tranche d’âge 22-60 ans (moyenne 37 ans) travaillant dans un champ de pétrole. Les critères d’inclusion des patients étaient des symptômes liés à l’inhalation du gaz H₂S. Les plaintes devaient être fréquentes et récidivantes après chaque exposition au gaz et disparaissaient quand il n’y avait plus d’exposition. La présence de l’H₂S était confirmée par des dispositifs de détection de gaz.

Le symptôme le plus fréquent était l’hémorragie nasale. Il a été révélé chez 18 patients (52,9%). C’est suivi par les saignements pharyngés, saignements des gencives et salive sanglante, rencontrés dans cinq cas pour chaque plainte (14,7%). D’autres symptômes mais moins fréquents sont saignements de la langue, expectorations sanglantes, céphalées, coliques abdominales, douleurs pharyngées, fatigue et la somnolence.

En conclusion, la muqueuse nasale est la partie la plus vulnérable aux effets de l’H₂S effet. L’inhalation de H₂S produit des lésions épithéliales des voies respiratoires supérieures qui ont conduit à des saignements de nez, du pharynx, de la glotte, de la langue, de la trachée et des bronches. Il n’y a pas eu de plaintes pour des crises d’asthme lors de l’exposition à faible niveau de H₂S. La lumière du soleil a eu un rôle important dans la réduction du niveau d’H₂S dans l’air ambiant.

Les études rassurantes

L’étude Reed : fonction cognitive et exposition chronique ambiante au sulfure d’hydrogène [[19]]

Cette étude a pour but d’étudier les effets possibles sur la fonction cognitive dans une population urbaine exposée de façon chronique à de faibles concentrations d’H₂S.

1637 adultes, âgés de 18-65 ans habitant la ville de Rotorua en Nouvelle-Zélande ont été exposés à de l’H₂S ambiant provenant de sources géothermiques. Les expositions dans les maisons et les lieux de travail ont été estimés à partir des données collectées par les réseaux d’été et d’hiver de surveillance de l’H₂S à Rotorua en 2010/2011.

Les données concernant l’exposition au H₂S en 2010 et 2011 et au cours de l’exposition des 30 dernières années ont été calculées et modélisées à la fois comme des variables continues et comme des quartiles d’exposition couvrant la gamme de 0-64 ppb (0,064ppm => 0-88µg/m3). Les critères de jugements étaient des tests neuropsychologiques de mesure de mémoire épisodique visuelle et verbale, l’attention, la motricité fine, la vitesse psychomotrice et l’humeur.

Aucune association entre l’exposition à l’H₂S et la cognition n’a été retrouvée. On retrouvait même que l’exposition au HS objectivait pour une réponse plus rapide aux tests et une meilleure performance dans le calcul algébrique.

En conclusion, pas d’altération de la fonction cognitive à l’exposition ambiante chronique de HS.

Rotorua (population ~ 60.000), est très connue pour son activité géothermique. On y trouve de nombreux geysers, notamment le Pohutu à Whakarewarewa et des mares de boue chaude dans la ville même dues à la caldeira de Rotorua émettrice d’H₂S. Une forte odeur de soufre est d’ailleurs reconnaissable dans la ville, par intermittence ; « un petit mal pour un grand bien », comme aiment le dire les habitants.  

La population est probablement la plus grande du monde, exposée à des concentrations de H₂S ambiante aussi élevées et à long terme. Il n’y a pas co-expositions connues à d’autres émissions potentiellement toxiques provenant des mêmes sources.  

L’étude Bates 2015 : Etude de l’exposition au H2S sur la fonction pulmonaire, l’asthme et la bronchopneumopahie chronique obstructive dans une zone géothermique de la Nouvelle-Zélande [[20]]

La ville de Rotorua en Nouvelle-Zélande a la plus grande population mondiale exposée à H₂S provenant de sources géothermiques ambiantes. Bates et Col. ont réalisé une étude pour savoir si l’exposition ambiante à long terme à l’H₂S affecte la fonction pulmonaire ou est un facteur de risque concernant l’asthme ou la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO).

1204 des 1639 participants à l’étude, âgés de 18-65 ans sur la période 2008-2010 ont fourni des résultats de spirométrie. Les expositions ont été estimées à partir de données collectées par les réseaux d’été et d’hiver de surveillance de l’H₂S à travers Rotorua. Quatre paramètres d’exposition à l’H₂S (Q1= 0 à 6ppb, Q2 =7 à 11ppb, Q3 = 12-18ppb, Q4=19-58 ppb, etc.… voir tableau) représentant à la fois l’exposition actuelle et sur un long terme (30 ans), ainsi que les expositions moyennes et maximales pondérées dans le temps, ont été calculés.

Aucune des expositions n’a produit de preuves d’une fonction pulmonaire déficiente. De même, l’analyse de régression logistique n’objectiva aucune preuve que l’exposition à long terme aux concentrations habituelles à Rotorua soit associée à une augmentation de la BPCO ou du risque d’asthme. Certains résultats suggèrent que les expositions à l’H₂S ambiant entraîneraient même une amélioration de la fonction pulmonaire éventuellement par l’intermédiaire de la relaxation des muscles lisses des voies respiratoires, mais à prouver par d’autres travaux épidémiologiques.

Discussion et conclusion

L’évaluation des effets sur la santé lors des faibles concentrations de sulfure d’hydrogène (H₂S) sur les humains est difficile et objective des résultats différents en fonction de la population ou du secteur d’activité.

On remarquera ainsi que les populations exposées occasionnellement sont davantage touchées sur les sites industriels. De même les populations en Islande sont davantage atteintes par les problèmes respiratoires et maladies cardiaques que les Maoris de Nouvelle-Zélande. Ceci pourrait être en rapport avec un biais de sous évaluation liée à l’ethnicité pour cette étude. En effet, à Rotorua, il y a malgré tout eu davantage de maladies pulmonaires chez les femmes Maories que dans le reste de la Nouvelle Zélande dans une étude de 1997[[21]], mais peut-être dues aux habitudes tabagiques des femmes [[22]].

Quoi qu’il en soit, même s’il n’y a pas de danger mortel potentiel pour la santé, les données des différentes études montrent que l’exposition chronique de l’H₂S ambiant pourrait être délétère en ce qui concerne surtout la fonction respiratoire et les maladies cardiaques. Toutefois, il faudra attendre de nouvelles études observationnelles pour être totalement affirmatif.

La note positive

Pour terminer, il est important de savoir que l’H2S est un médiateur endogène gazeux comme l’oxyde nitrique (NO) et le monoxyde de carbone (CO). Agissant comme un neuromodulateur, il facilite la potentialisation à long terme et régule le taux de calcium intracellulaire, processus importants dans l’apprentissage et la mémoire Il engendre une protection des neurones contre le stress oxydatif.

En effet, les travaux scientifiques sur l’animal montrent que sa production endogène aberrante et excessive est impliquée dans la pathogenèse des maladies neurodégénératives, notamment la maladie d’Alzheimer (MA), la maladie de Parkinson (PD) et la démence vasculaire. Or l’H2S exerce des effets cytoprotecteurs universels et agit comme un mécanisme de défense dans des organismes allant des bactéries aux mammifères. De ce fait, il exerce une large gamme de fonctions physiologiques mais aussi pathologiques dans le corps humain, du système endocrinien à la longévité cellulaire avec protection de la fonction hépatique et rénale.

On a aussi objectivé qu’il joue un rôle important dans la régénération et dégénérescence des nerfs périphériques car associé à la dédifférenciation et à la prolifération cellulaire des cellules de Schwann, mais également associé à la dégradation axonale et à la remyélinisation des cellules de Schwann. De ce fait, les niveaux physiologiques et toxiques de l’H2S dans le corps humain restent flous et la plupart des mécanismes d’action sous-tendant ses effets ne sont pas encore complètement élucidés [[23]]. Cependant, il apparait de plus en plus que l’H2S a des effets thérapeutiques bénéfiques dans des modèles de maladies neurodégénératives (modulerait ainsi la production des plaques β amyloïdes dans la MA et la neuroinflammation dans la PD) [[24]]. Les résultats obtenus à partir de nombreuses études in vivo montrent clairement que l’H2S empêche non seulement la détérioration synaptique des neurones mais améliore également les déficits de la mémoire, la cognition et l’apprentissage (voir étude Reed [19]). Les effets anti-inflammatoires, antioxydantes et anti-apoptotiques de l’H2S seraient à la base de ses propriétés neuroprotectrices [[25],[26],[27]]. De ce fait, il est fort possible que d’ici quelques années, les laboratoires pharmaceutiques concevront et produiront des molécules innovantes contrôlant la libération cellulaire du sulfure d’hydrogène pour le traitement des maladies neurodégénératives. 

Rapport d’expertise réalisé en août 2016 à la demande de l’Association Sauvegardons la Qualité de Vie de l’Amandinois

Notes et références

[1].  La biomagnification (ou bioamplification) décrit le processus par lequel les taux de certaines substances croissent à chaque stade du réseau trophique (chaîne alimentaire). Cette notion entre dans le cadre plus global de la bioconcentration, terme recouvrant les phénomènes amenant une matrice biologique à être plus contaminée que son environnement (biotope).

[2].  La partie par million (la ppm), terme beaucoup utilisé en sciences est la fraction valant un millionième. Les facteurs de conversion du H2S dépendent de son poids moléculaire (34,08g/mol), de la température dans l’aire et la pression athmosphérique : à 20 °C, 101.3 kPa = 1 mg/m3 = 0.71 ppm ; 1 ppm = 1.4 mg/m3. Un convertisseur est disponible sur le site : http://www.lenntech.com/calculators/ppm/converter-parts-per-million.htm. À noter qu’1ppm = 1000ppb (Une partie par milliard).

[3]. Capacité d’une substance à induire des modifications physiques ou fonctionnelles dans un génome. C’est cette corrélation qui sert de fondement à l’utilisation des marqueurs biologiques de génotoxicité comme indicateur du risque de cancer chez l’humain

[4]. United Nations Environment Programme, International Labour Organization, World Health Organization (2003) Hydrogen sulfide: human health aspects, Concise International Chemical Assessment Document 53. Geneva: World Health Organization.

[5].   Schroeter JD, Kimbell JS, Andersen ME, Dorman DC. Use of a pharmacokinetic-driven computational fluid dynamics model to predict nasal extraction of hydrogen sulfide in rats and humans. Toxicol Sci.2006;94:359–367. 

[6].  Guidotti TL. Hydrogen sulfide: advances in understanding human toxicity. Int J Toxicol. 2010 Dec;29(6):569-81. doi: 10.1177/1091581810384882.

[7]. Giodotti a déclaré un conflit d’intérêts potentiel car il est consultant sur les questions liées à l’industrie du pétrole et du gaz et expert dans les affaires juridiques impliquant le sulfure d’hydrogène.  De ce fait, les ppm concernant les effets sur les ppm de faibles concentrations sont sous-évaluées.

[8]. Powers W. The science of smell part I: odor perception and physiological response. Iowa State University of Science and Technology, Ames, IA, 2004.

[9]. WHO. Air quality guidelines for Europe. WHO, Copenhagen. 2000.

[10]. Selon le document Malaquin du 1 juillet 2015, les déchets sont de la matière organique, plâtres, boue de curage d’assainissements, 15% des produits refusés lors du tri ménager (poubelle jaune). Selon les auteurs du rapport de la décharge, les émanations à certains endroits sont de 2000 à 3000 ppm d’H2S aux alvéoles 7 et 8.

[11]. Lewis RJ, Copley GB. Chronic low-level hydrogen sulfide exposure and potential effects on human health: a review of the epidemiological evidence. Crit Rev Toxicol. 2015 Feb;45(2):93-123. doi: 10.3109/10408444.2014.971943. Epub 2014 Nov 28. Review. PubMed PMID: 25430508.

[12]. Lim E, Mbowe O, Lee AS, Davis J. Effect of environmental exposure to hydrogen sulfide on central nervous system and respiratory function: a systematic review of human studies. Int J Occup Environ Health. 2016 Jan;22(1):80-90. doi:10.1080/10773525.2016.1145881. Epub 2016 Apr 29. PubMed PMID: 27128692; PubMed Central PMCID: PMC4894269.

[13]. Saeedi A, Najibi A, Mohammadi-Bardbori A. Effects of long-term exposure to hydrogen sulfide on human red blood cells. Int J Occup Environ Med. 2015 Jan;6(1):20-5.

[14]. La méthémoglobinémie est le taux de méthémoglobine dans le sang et par extension le nom de la maladie correspondant à un taux trop important de méthémoglobine dans le sang. Cette maladie ou intoxication est parfois dite syndrome du bébé bleu (“Blue baby syndrome” pour les anglophones) quand elle touche le très jeune enfant. La méthémoglobinémie devient anormale au-delà de 3 % de l’hémoglobine totale et conduit à une cyanose ainsi qu’à d’autres symptômes tels que léthargie, maux de têtes, toux dus à l’hypoxie tissulaire ; au-delà de 70 %, l’intoxication peut devenir mortelle.

[15]. Finnbjornsdottir RG, Oudin A, Elvarsson BT, Gislason T, Rafnsson V. Hydrogen sulfide and traffic-related air pollutants in association with increased mortality: a case-crossover study in Reykjavik, Iceland. BMJ Open. 2015 Apr8;5(4):e007272. doi: 10.1136/bmjopen-2014-007272.

[16]. Les matières particulaires (PM, (en anglais > Particulate Matter) désignent les particules en suspension dans l’atmosphère terrestre. Les matières particulaires dans leur ensemble sont désormais classées cancérogènes pour l’homme. Selon la taille des particules (diamètre aérodynamique ou diamètre aéraulique), on distingue les « PM10 », les « PM2,5 » ou les « PM1 » selon la taille des particules en micromètre ou microns (10-6 m ou 1 μm). PM10 :  particules en suspension dans l’air, d’un diamètre aérodynamique inférieur à 10 micromètres. Les particules plus fines peuvent être référencées : PM2.5 dont le diamètre est inférieur à 2,5 micromètres, appelées « particules fines » etc..

[17]. Finnbjornsdottir RG, Carlsen HK, Thorsteinsson T, Oudin A, Lund SH, Gislason T, Rafnsson V. Association between Daily Hydrogen Sulfide Exposure and Incidence of Emergency Hospital Visits: A Population-Based Study. PLoS One. 2016 May 24;11(5)

[18]. Mousa HA. Short-term effects of subchronic low-level hydrogen sulfide exposure on oil field workers. Environ Health Prev Med. 2015 Jan;20(1):12-7. 

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[21]. Bates MN, Garrett N, Graham B, Read D. Air pollution and mortality in the Rotorua geothermal area. Aust N Z J Public Health. 1997 Oct;21(6):581-6.

[22]. Les causes du cancer – IARC. https://www.iarc.fr/fr/publications/pdfs-online/wcr/2003/wcrf-2.pdf. « Une campagne ciblée a été jugée nécessaire étant donné les taux élevés de tabagisme des Maoris. La prévalence du tabagisme chez les hommes maoris, 15 ans et plus, était alors de 46% et celle des femmes maories de 54%, comparativement à un taux de 26% et 25% chez les hommes et les femmes d’autres ethnies, respectivement. »

[23]. Panthi S, Chung HJ, Jung J, Jeong NY. Physiological Importance of Hydrogen Sulfide: Emerging Potent Neuroprotector and Neuromodulator. Oxid Med Cell Longev. 2016;2016:9049782. doi: 10.1155/2016/9049782.

[24].  Nagpure BV, Bian JS. Brain, Learning, and Memory: Role of H2S in Neurodegenerative Diseases. Handb Exp Pharmacol. 2015;230:193-215. doi: 10.1007/978-3-319-18144-8_10.

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[26]. Kamat PK, Kalani A, Tyagi N. Role of hydrogen sulfide in brain synaptic remodeling. Methods Enzymol. 2015;555:207-29. doi: 10.1016/bs.mie.2014.11.025.

[27]. Wang JF, Li Y, Song JN, Pang HG. Role of hydrogen sulfide in secondary neuronal injury. Neurochem Int. 2014 Jan;64:37-47.

Miradouro da vista do Rei (856m) avec vue sur Sete Cidades et la caldeira - São Miguel - Açores - Portugal
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