Hypertension artérielle et acupuncture : à propos d’une observation

Vallée Owakudani – cratère dégageant sous la pression des fumerolles de soufre et de sulfure d’hydrogène – Hakone-Kanagawa-Japon.

Résumé Introduction. L’objectif de ce travail est d’évaluer la possibilité d’utiliser l’acupuncture dans l’hypertension artérielle. Méthodes. Une étude d’un cas clinique d’une hypertension artérielle de grade 3 permet d’étudier un protocole de traitement d’acupuncture suivant les zheng. Après un rappel de la classification généralement admise et de la physiopathologie selon la Médecine Traditionnelle Chinoise (MTC), un état des lieux des essais contrôlés randomisés est réalisé. Résultats. L’acupuncture ne doit pas être utilisée en monothérapie. Cependant, selon les preuves issues de méta-analyses, on peut maintenant considérer sa contribution utile et efficace en adjonction à la thérapeutique usuelle. Conclusion. Il n’existe pas de preuves suffisantes d’efficacité pour que l’acupuncture fasse partie en monothérapie du panel de soins de santé dans l’HTA. Mots clés : Hypertension artérielle – acupuncture – zheng – étude de cas – Feu du Foie.

Summary: Background. This work aims to assess the possibility of using acupuncture in high blood pressure. Methods. A study of a clinical case of a hypertension in grade 3 allows to study acupuncture treatment protocol according to the zheng. After a review of the generally accepted classification and pathophysiology by Traditional Chinese medicine (TCM), an overview of randomized controlled trials was performed. Results. The acupuncture should not be used as monotherapy. However, according to evidence from meta-analysis, we can now consider its useful and effective contribution in addition to the usual therapy. Conclusion. There is no sufficient evidence of effectiveness for that acupuncture alone is part of the panel of health care in hypertension. Keywords: hypertension – acupuncture – zheng – case study – Fire Liver.

Introduction

Dans la charge globale mondiale des maladies établie pour l’année 2001, environ 54% d’accidents vasculaires cérébraux et 47% de maladies coronariennes sont estimés être en rapport avec une hypertension artérielle (HTA). 7,6 millions de morts prématurées (environ 13,5% du total global mondial) ont été attribuées à l’hypertension artérielle et touchent des personnes entre 45 et 69 ans [[1]]. Une étude de l’Assurance Maladie en France souligne la croissance de la prévalence de l’HTA traitée au sein de la population française adulte qui passe de 19,6% en 2000 à 22,8% en 2006, soit 10,5 millions (près d’une personne adulte sur cinq) [[2]]. Tous ces chiffres incitent donc à réduire le risque cardiovasculaire en prenant en charge précocement le traitement de l’HTA.

Nous avons vu dans le précédent numéro les mécanismes physiopathologiques de l’acupuncture impliqués dans l’hypertension artérielle.

A partir d’une observation clinique, nous verrons dans cette seconde partie comment utiliser l’acupuncture dans l’HTA.

 Observation

Présentation du cas clinique

Mme JH, âgée de 57 ans se présente en consultation en mars 2006 pour un problème d’anxiété et d’hypertension artérielle connue depuis 1999. On note des antécédents familiaux d’hypertension artérielle et d’infarctus du myocarde du côté maternel. Ses antécédents personnels sont lourds : spondylarthrite ankylosante, prothèse de hanche gauche avec début de coxarthrose droite et en 2005, épisode important de troubles de l’équilibre avec difficultés mnésiques évoquant un accident vasculaire cérébral ischémique, le tout ayant duré 48 h. En janvier 2006, elle présente à nouveau  un épisode de dysarthrie et d’aphasie avec mise en évidence à l’IRM d’un infarctus du centre ovale gauche. Il existe par ailleurs des signes de leucopathie diffuse très évocateurs d’hypertension artérielle. L’ECG déroule un rythme sinusal régulier à 98 battements/minutes avec un aspect d’hypertrophie ventriculaire gauche de type surcharge systolique.

Outre le traitement anti-inflammatoire au long cours, elle prend du Plavix® et une association fixe d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion associé à un inhibiteur calcique, traitement plus ou moins observé du fait d’une mauvaise tolérance. La pression artérielle est à 200/120 de manière bilatérale.

D’un point de vue diagnostic Traditionnel Chinois, son état initial correspond à un « Feu du Foie qui monte » avec acouphènes, troubles de la parole, vertiges, céphalées du vertex. Sa langue est rouge et son pouls est en corde (xian), fin (xi). En outre, elle semble présenter un « Feu du Cœur », comme le témoignent son pouls rapide (shuo) et la langue rouge avec sa pointe encore plus rouge, le tout accompagné de palpitations, d’insomnie et d’agitation.    

 Traitement et résultats

Mme JH bénéficia de douze séances réparties de début mars 2006 à mi juillet 2006 à raison d’une séance par semaine pendant quatre semaines puis tous les quinze jours. Les points utilisés durant cette période ont eu pour but de calmer le «  Feu du Cœur » : RA6 (sanyinjiao), CO7 (shenmen), VC15 (jiuwei), MC6 (neiguan) et d’agir sur la « Montée du Feu du Foie » : FO3 (taichong), VB20 (fengchi), ES36 (zusanli), VG20 (baihui), RE3 (taixi) et le point hors méridien yintang. Après recherche du deqi, les aiguilles à usage unique en acier inoxydable (0,20 x 25mm) sont laissées in situ pendant 20 mn. Une électroacupuncture (EA) est utilisée sur RA6 et ES36 aux fréquences alternées de 100 et 2Hz (durée d’impulsion rectangulaire asymétrique de 0,5ms d’un courant pulsé alternatif à moyenne nulle) par l’intermédiaire d’un stimulateur électrique Agistim duo Sédatelec® à une intensité supportable par la patiente. Dès la 3ème séance, l’insomnie et l’agitation s’améliorent ainsi que les céphalées. Par contre, l’effet de l’acupuncture sur la pression ne se manifeste qu’à partir de la 6ème session et de manière insuffisante puisque chiffrée à 170/100. Elle est réadressée donc à son médecin traitant pour réajustement thérapeutique de ses antihypertenseurs. A partir d’août 2006, elle n’est vue qu’une fois par mois, la pression étant maîtrisée à 150/90. Cependant, en janvier 2007, un nouvel accident vasculaire cérébral survient et entraîne une longue hospitalisation. Elle n’est revue qu’en mars 2009 avec un traitement antihypertenseur très lourd qui stabilise sa pression à 130/70. Les acouphènes, les vertiges, l’insomnie associée à une asthénie, les lombalgies et courbatures, les bouffées de chaleur avec transpirations nocturnes, la baisse de l’acuité visuelle avec diplopie et strabisme, le tout associé à un pouls toujours fin (xi) mais difficilement interprétable du fait des bêtabloquants, nous orientent vers un déficit à la fois du yin du Foie et du Rein. Le traitement acupunctural avec recherche de deqi appliqué une fois par semaine (20mn) pendant six semaines permet de réduire très sensiblement tous les symptômes (VB20 en EA 2Hz, VG20, RE2 rangu, RE3, RE7 fuliu, CO7, RA6, FO8 ququan, VE18 ganshu et VC4 guanyuan en moxibustion). Dès la 3ème séance, Mme JH se prétend alors « débordante de vitalité, sans le moindre bourdonnement d’oreille et avec des vertiges supportables ».     

Discussion

Cette observation permet de constater que l’acupuncture, l’électroacupuncture ou la moxibustion ne permettent pas en monothérapie de contrôler suffisamment une HTA. Nous verrons que la littérature abonde en ce sens et que l’acupuncture ne doit être utilisée qu’en adjonction d’un traitement classique médicamenteux. 

Classification

La classification de l’HTA dépend des pays et des recommandations internationales. Ainsi en France, on distingue trois grades : HTA grade 1 : 140-159/90-99 mm Hg ; HTA grade 2 : 160-179/100-109 mmHg ; HTA grade 3 : > 180/> 110 mm Hg [3].

Selon les recommandations européennes, la pression artérielle optimale doit être inférieure à 120/80 mm Hg et la pression artérielle normale est comprise entre 120-129/80-84 mm Hg. On distingue une pression artérielle normale haute : 130-139/85-89 mm Hg puis les trois grades identiques à la classification française [[3]].

Les recommandations américaines ont introduit la notion de pré-hypertension (120-139/80-89 mm Hg) dans le but de réduire l’apparition de l’HTA par la généralisation de mesures hygiéno-diététiques dans la population générale pré-hypertendue [[4]].

Quoi qu’il en soit, l’objectif sera de passer sous le seuil de 140/90 mm Hg pour la plupart des malades.

Rappel de la physiopathologie et des zheng de l’HTA selon la MTC

En Médecine Traditionnelle Chinoise, il n’existe pas comme en médecine Occidentale une systématisation précise de l’hypertension artérielle. Par contre, on l’évoque par un ensemble de syndromes et/ou de symptômes. Le déséquilibre du yin – yang du Foie et des Reins commence souvent par une stagnation du qi du Foie. En persistant, cela entraîne une diminution du yin du Foie avec un yang du Foie qui croît de façon excessive, entraînant à son tour un vide du yin des Reins. Certains auteurs considèrent que dans cette première période de l’hypertension, on a également un Feu du Cœur expliquant des troubles neurovégétatifs et la tension psychique [[5],[6]]. Recours Nguyen montre d’ailleurs que la relation Eau-Feu est une liaison Haut-Bas très forte « sur  l’axe shaoyin le long duquel le Feu du Cœur descend pour réchauffer le Rein et l’Eau du Rein s’élève pour calmer le Feu du Cœur » [[7]]. Mais on peut aussi retrouver un vide du yin des Reins pouvant déclencher une hyperactivité de plus en plus marquée du yang avec Feu du Foie, puis Vent du Foie. Si ces déséquilibres ne sont pas traités, le vide du yin des Reins va déclencher un vide du yin et du yang des Reins [11,12]. Auteroche et Kiener ajoutent à cette approche physiopathologique le rôle de l’alimentation inappropriée (comme un excès d’aliments sucrés) qui va se transformer en Mucosités-Humidité et génèrera des Glaires. De cette physiopathologie, on en déduit,  selon la différenciation des syndromes (zheng), six cadres cliniques les plus courants [[8],[9],[10]].

– déficience du shenqi : c’est le « résultat conjugué d’une faiblesse constitutionnelle en rapport avec l’énergie ancestrale yuanqi et une excessive stimulation, épuisant l’énergie des Reins » entraînant la perturbation de l’axe du shaoyin avec déficience du shenqi (énergie des Reins) et affaiblissement de la montée de l’Eau vers le Cœur dont le Feu se libère [5] ;

– Feu du Foie qui monte : c’est la répercussion de la déficience du shenqi. « La stagnation de l’énergie (qi) du Foie se transforme en Feu. Ce Feu de l’énergie monte à contre courant (ganhuoshangyan zheng) en suivant le méridien du Foie vers le haut, brûle les liquides organiques en attaquant le Métal des Poumons ou l’Eau des Reins » [8]. Roustan appelle ce syndrome Feu du Foie florissant [[11]] et Auteroche « Feu du Foie enflamme le Haut [[12]] ;

– agitation interne du Vent du Foie : ce Vent du Foie est en rapport soit au yang du Foie qui se transforme en Vent, soit à un vide du yin entraînant cet excès de yang ;

– déficit à la fois du yin du Foie et du Rein (ganshenyinxuzheng) ;

– déficience du yin et yang : il s’agira d’un double vide du yin et du yang des Reins avec insuffisance du yang originel et celui de l’essence yin des Reins [8] ;

– accumulation et obstruction de l’Humidité qui génère des Glaires.

Essais contrôlés randomisés

En matière d’effet de l’acupuncture sur la pression artérielle, les études randomisées ne sont pas légion. Cependant, son efficacité est suggérée par un grand nombre de séries de cas publiés et d’essais cliniques non randomisés [[13],[14],[15],[16],[17],[18],[19]]. Une revue systématique réalisée en 2006 conclut que l’acupuncture réduit en particulier la pression artérielle diastolique et devrait être incluse potentiellement dans les interventions non pharmacologiques de l’HTA [[20]]. Mais il est à noter qu’il existe de nombreux problèmes d’ordre méthodologique, comme une faible puissance, un manque de randomisation, un suivi inadéquat ou insuffisant, des analyses statistiques rudimentaires etc.. Cela a nécessité des essais contrôlées randomisées de haute qualité méthodologique qui ont objectivé soit une réduction significative de la pression artérielle, soit aucune différence significative par rapport au groupe contrôle ou groupe placebo. Voici les principaux.

Les ECR n’objectivant pas de différence significative versus groupe contrôle ou placebo

Macklin (2006)

L’étude SHARP* (Stop Hypertension with the Acupuncture Reasearch Program), menée par le New England Research Institute a randomisé en 3 bras 192 patients souffrant d’une hypertension légère à modérée (HTA entre 140/90 et 179/109 mm Hg) depuis au moins 6 mois. Tous avaient 2 séances par semaine d’acupuncture durant 6 à 8 semaines (12 traitements au total). Dans les deux premiers groupes, ils recevaient un traitement actif (acupuncture standard, acupuncture individuelle selon les zheng de la MTC), dans le troisième, ils étaient piqués sur des zones neutres (groupe contrôle). Le critère primaire d’efficacité était la baisse de la pression systolique à 4 mois.

On observait une baisse de la pression systolique dans les groupes « acupuncture » de –3,56 mm Hg versus -3,84 mm Hg dans le groupe placebo (p=0,90). La baisse pour la pression diastolique était de –4,32 mm Hg versus 2,81 mm Hg dans le groupe placebo (p=0,16). Donc la baisse de la pression a été observée chez tous les patients, y compris chez ceux du groupe placebo. Il n’existait pas non plus de différence significative de baisse de pression artérielle chez les hypertendus des groupes « acupuncture » (figure 1).

Ainsi dans le groupe standard, on a utilisé un protocole de points habituellement connus pour être actifs dans l’HTA, points puncturés avec recherche du deqi : VB20, GI11, FO3, RA6, ES36 et des points auriculaires Cœur et jiang  ya gou ;

Le groupe avec traitement individuel a été subdivisé en 5 groupes avec différents protocoles de traitement acupunctural (puncture des points avec recherche du deqi) en fonction des zheng :

  • Feu du Foie qui monte : VB20, VB21, VB34, VB43, VG20, GI4, GI11, FO2, FO3, ES36, ES44, point hors méridien yintang;
  • élévation du yang de Foie avec vide du yin de Rein : VE18, VE23, VB20, VG20, CO7, RE3, GI4, GI11, FO3, RA6, point hors méridien taiyang ;
  • accumulation et obstruction de l’Humidité : VE20, VE64, VC12, VG20, GI4, GI11, FO3, MC6, RA6, RA8, ES36, ES40 ;
  • déficience du yin et yang : VE23, VC4, VC6, VB20, VG20, RE3, GI4, GI11, FO3, RA6 et ES36 ;
  • déficit à la fois du qi et du Sang (yin du Foie et du Rein) entraînant une élévation du yang du Foie : VE18, VE20, VE23, VC4, VC6, VB20, VG20, CO7, RE3, GI4, GI11, FO3, RA6 et ES36.

Dans le groupe placebo, on a utilisé cinq points bilatéraux en dehors des méridiens et sans stimulation associés à deux points auriculaires, un sur le tubercule de Darwin et un sur le lobe postérieur sans aucune action connue sur l’HTA [[21]].

 Figure 1. Baisse de la pression artérielle systolique et diastolique observée dans les trois groupes. Schéma issu de Macklin EA et coll. Hypertension. 2006.

Cette étude est de haute qualité méthodologique (Jadad à 5/5) car en double aveugle, randomisée et sans sortie de vue. La qualité méthodologique acupuncturale est également satisfaisante. Elle souffre néanmoins de facteurs limitant l’interprétation. En effet, la puissance est insuffisante pour détecter les petits effets par exemple entre les groupes « acupuncture ». Par ailleurs, douze sessions de traitement étalées sur six à huit semaines sont également insuffisantes pour évaluer l’acupuncture sur un long terme. L’efficacité à la fois de l’acupuncture réelle et de l’acupuncture placebo pose le problème de la spécificité des points d’acupuncture et du problème de trouver une acupuncture réellement placebo, d’où l’intérêt d’utiliser les aiguilles rétractables de Streitberger par exemple. Néanmoins utilisée en monothérapie, l’utilisation de la pratique acupuncturale paraît être efficace dans le contrôle de l’HTA.

Inefficacité de l’acupuncture

L’objectif de Kraft et coll. a été de déterminer si l’acupuncture utilisée dans le traitement du syndrome post-ménopausique a également un effet sur la pression artérielle. Les auteurs dans cette étude contrôlée randomisée en simple aveugle contre placebo et en cross-over chez 10 patientes n’ont pas objectivé de modification de la pression artérielle ni par l’acupuncture manuelle verum avec recherche du deqi, ni par l’acupuncture placebo. Cependant, les plaintes ont été considérablement réduites et un bien-être s’est installé après le traitement verum (12 sessions avec 2 séances par semaine pendant six semaines). Malheureusement, l’amélioration a duré moins de deux mois [[22]]. Il s’agit d’un ECR allemand de qualité méthodologique moyenne (Jadad à 3/5) et de faible puissance.

Les ECR objectivant une différence significative versus groupe contrôle ou placebo

Flachskampf (2007)

Un hôpital régional et un CHU allemands associés aux compétences des experts de l’Université de Nanjin (Chine) ont testé l’intérêt de l’acupuncture chinoise sur une population occidentale. Cet ECR a montré que l’acupuncture est aussi efficace qu’une monothérapie anti-hypertensive dans l’hypertension modérée par rapport à l’acupuncture placebo. Cependant, l’effet sur la pression artérielle cesse dès l’interruption du traitement acupunctural.

160 patients hypertendus modérés de grade 1 à 2, âgés de 58±8 ans ont été inclus dans cette étude en simple aveugle. Leur pression systolique devait être comprise entre 140 et 179 mm Hg et leur pression artérielle diastolique entre 90 et 109 mm Hg. 78% recevaient un traitement antihypertenseur qui est demeuré inchangé pendant toute la durée de l’étude.

Dans les deux bras de l’étude, les patients ont bénéficié de 22 séances de 30 minutes.

Le traitement acupunctural est un traitement individualisé selon les zheng de la MTC.

Le traitement acupuncture placebo consiste en la puncture de huit points hors méridiens (figure 2).

Figure 2. Les points utilisés selon les zheng : taiyang, VC12, MC6, RA9, RA6, RE3, FO2, FO3, ES40, ES36, GI4, GI11, VC4, VC6, VE18, VE23, VG20, VB20 ; et les points placebo nommés sur le schéma PI1, PI2, PI3. Schéma extrait de Flachskampf FA et coll. Circulation. 2007.

Au terme des six semaines, la pression artérielle systolique (PAS) mesurée par mesure ambulatoire des 24h était significativement réduite de 5,4 mm Hg et la pression artérielle diastolique (PAD) de 3,0 mm Hg dans le groupe acupuncture (p<0,001) par rapport au niveau de pression artérielle initiale. En revanche, dans le groupe acupuncture placebo, la pression artérielle reste inchangée. Pas d’effet indésirable sérieux n’a été observé. A trois et six mois après l’arrêt des séances, la pression artérielle revient à l’état antérieur imposant donc une continuité dans le traitement acupunctural.

Cette étude en intention de traiter est de bonne qualité méthodologique avec un Jadad à 4/5. On observe que l’amplitude de la réduction de la pression artérielle entre les deux groupes de traitement est similaire à l’effet rapporté dans de larges essais cliniques évaluant contre placebo des inhibiteurs de l’enzyme de conversion et des antagonistes calciques. Ainsi, dans l’étude HOPE [[23]], 10 mg par jour de ramipril entraîne une réduction de la pression moyenne de 139/79 à 133/76 mm Hg à 1 mois. On peut aussi comparer ces résultats à ceux observés dans les interventions hygiéno-diététiques (perte de poids, limitation de la consommation de sel ou activité physique intense et régulière) [[24]].

Cependant, les auteurs montrent aussi les limitations de l’acupuncture : le coût, la tolérance et l’observance au long cours. En effet, l’acupuncture peut offrir une alternative, mais il faudra tenir compte de l’investissement personnel. Pour avoir une efficacité, il s’agit de réaliser des sessions de 30 minutes trois à cinq fois par semaine. Il faut aussi noter que cette étude concerne des patients relativement jeunes et en bonne santé et que d’autre part, elle n’a pas duré longtemps, d’où la difficulté d’apprécier l’effet acupunctural sur un long terme [[25]].

 Yin (2007)

Cet ECR en double aveugle en intention de traiter contre placebo a été mené à l’hôpital Kyung Hee University en Corée du Sud. Quarante et un sujets hypertendus ou au stade de pré-hypertension (systolique ≥ 120 mm Hg ou diastolique ≥ 80 mm Hg) ont été recrutés et randomisés dans deux groupes d’acupuncture réelle ou simulée. Les sujets hypertendus ont pu continuer leur thérapeutique antihypertensive s’ils l’avaient avant leur inclusion. Le groupe acupuncture (n=21) bénéficiait d’un traitement acupunctural partiellement individualisé selon l’acupuncture coréenne sasang [[26]]. Quatre protocoles ont été utilisés avec puncture associée à la recherche du deqi :

  • ES36, GI11 et VE25 pour tonifier l’énergie du Gros Intestin ;
  • RA3, PO3 et VE13 pour tonifier le Poumon ;
  • RE7, RE2 et VC4 pour tonifier le Rein ;
  • GI1, VG14 et VB20 pour tonifier la Vessie.

On utilisait MC6 et CO7 lorsqu’on notait une incidence des facteurs psychologiques. Les patients ont bénéficié de dix sept sessions à 3 à 4 jours d’intervalle pendant huit semaines.

Dans le groupe placebo (n=20), les aiguilles étaient utilisées aux mêmes points sans pénétrer la peau (aiguille rétractable de Park), puis tournées lentement afin d’imiter l’acupuncture véritable. Les mesures ont été effectuées au départ, à 4 et 8 semaines. On objective dans le groupe acupuncture placebo aucun changement significatif de la pression artérielle moyenne alors que dans le groupe acupuncture, il existe une diminution significative (p<0,01) de la TA moyenne après 8 semaines d’intervention passant de 136,8/83,7 à 122,1/76,8 mm Hg [[27]].

Cet ECR est de bonne qualité méthodologique (Jadad à 5/5). Les limitations viennent de la faible puissance et même si cette étude a été analysée en intention de traiter, le taux de perdus de vue est assez important (27%) alors que l’on considère qu’il doit être inférieur à 20% pour que l’étude soit acceptable.

Zhang (2009)

Dans cette étude (n=27), seuls les sujets du groupe électroacupuncture (n=13) ont reçu une stimulation active (EA 2Hz alternée 100Hz) pendant 30 minutes par séance, deux fois par semaine pendant 5 semaines. Deux points d’acupuncture ont été utilisés : GI11 (quchi) et GI4 (hegu). Le groupe acupuncture placebo contrôle a bénéficié du même traitement sans EA. L’âge moyen des sujets était de 25 ± 5 ans. Au bout des 10 sessions, la pression artérielle systolique moyenne a diminué de manière significative dans le groupe EA, de 117,8 ± 4,2 mm Hg avant le traitement à 110,8 ± 5,5 mm Hg (p=0,05) dès la troisième semaine et à 110,1 ± 5,8 mm Hg à la cinquième semaine (p<0,05). Par contre, on n’observait pas de diminution significative (p>0,05) de la pression artérielle diastolique moyenne. De même, les pressions artérielles systolique et diastolique dans le groupe contrôle ne montrent pas de changements statistiquement significatifs. Les auteurs concluaient que l’acupuncture réduit la tension artérielle systolique, mais pas la pression artérielle diastolique [[28]]. Cet ECR de bonne qualité méthodologique (Jadad à 4/5 car patients non aveugles) est néanmoins de faible puissance et il n’existe pas de suivi à long terme. De surcroît, le protocole à  deux points est rarement utilisé en pratique courante. La population étudiée est une population jeune estudiantine, dont la tension est quasi normale mais sans doute sensible au stress. Quel impact ce protocole aurait sur une population plus âgée ? Quoi qu’il en soit cela nécessite à nouveau un ECR de plus grande puissance afin d’éviter peut-être de conclure à tort (risque d’erreur de deuxième espèce β) une inefficacité de l’EA sur la variable diastolique.

Méta-analyses 

A la lecture de ces différents travaux, il est difficile donc de savoir réellement  quelle peut être l’impact de l’acupuncture sur l’hypertension artérielle. D’où l’intérêt d’une méta-analyse qui n’est pas qu’une simple synthèse bibliographique d’essais contrôlés randomisés. Son objectif est d’essayer de déterminer l’efficacité du traitement. Ainsi en 2009, une méta-analyse avec revue systématique [[29]] inclut onze ECR ayant pour objectif l’utilisation de l’acupuncture comme moyen alternatif ou complémentaire à la thérapeutique antihypertensive. Sur les onze, seuls trois ECR de bonne qualité méthodologique (Jadad >3) ont permis de montrer que la baisse de la pression systolique (PAS) n’était pas statistiquement significative (p=0,12) (différence moyenne de -5 mm Hg (IC à 95% : -12 à 1). Par ailleurs, l’acupuncture réduit marginalement la pression artérielle diastolique (PAD) de 3 mm Hg (IC à 95% (-6 à 0), p=0,05), mais les ECR étaient d’une grande hétérogénéité  (I2 = 92% pour la PAS, I2 = 79% pour la PAD).

En effet, il faut savoir qu’une méta-analyse n’a de valeur que si les résultats des différents ECR analysés sont homogènes et mutuellement compatibles. Le test Ide Higgins utilisé ici, qui calcule le pourcentage de variation entre les ECR lié à une hétérogénéité et non au seul hasard, objective une très nette hétérogénéité (un test inférieur à 25% indique une hétérogénéité faible).

Par contre, lorsque l’acupuncture est administrée en association avec des thérapeutiques antihypertensives, elle réduit considérablement la PAS (-8 mm Hg, IC à 95% (-10 à -5), p<0,00001) et la PAD (-4 mm Hg, IC à 95% (-6 à -2), p<0,0001) et aucune hétérogénéité n’a été détectée (I2 = 0%).

La limitation de cette méta-analyse vient donc de la forte hétérogénéité en liaison vraisemblablement avec une population faible (du fait d’une insuffisance d’inclusion de travaux) et un protocole de traitement très différent. En effet, les trois ECR inclus sont Yin, Macklin et Flachskampf dont on peut constater dans les chapitres précédents les différences de protocole.

En avril 2010, une autre méta-analyse portant sur vingt ECR et incluant toujours les trois de bonne qualité méthodologique confirmait ces tendances globales. Les auteurs concluaient qu’il était nécessaire de procéder à des ECR de haute qualité méthodologique [[30]].

L’acupuncture chez l’homme ne semble pas être suffisamment bénéfique pour contrôler l’HTA en monothérapie. Cela peut être en rapport avec une mauvaise observance du malade. Ainsi on remarque que le patient doit par exemple dans certaines études venir deux fois par semaine au cabinet médical. Ne pas non plus négliger le coût qui peut justement limiter le nombre de séances. Or de nombreuses études expérimentales positives sur l’HTA ont nécessité des séances quotidiennes, chose irréalisable en pratique courante. Par contre, notons que l’acupuncture permet de limiter les effets secondaires tout en évitant une escalade thérapeutique. En conclusion, compte tenu d’une population d’étude insuffisante, il semble nécessaire de procéder à de nouveaux essais plus rigoureux méthodologiquement et d’obtenir une puissance suffisante par de grands essais contrôlés randomisés. Il serait aussi judicieux de réaliser une étude sur un très long terme (2 à 3 ans) avec une seule séance d’acupuncture par semaine par exemple.

Conclusion

Une méta-analyse portant sur près d’un million de patients sans antécédents cardiovasculaires a montré que la PAS et la PAD avaient un rôle clef sur le risque cardiovasculaire. Une baisse de 20 mm de Hg de la pression artérielle systolique ou de 10 mm de Hg de la diastolique réduit de plus de la moitié l’incidence des décès par accident vasculaire cérébral et de moitié celle des décès par cardiopathie ischémique et autres causes vasculaires, tout en sachant que toute hausse produit l’effet inverse. De ce fait chaque millimètre compte puisque toute baisse de 2 mm de Hg de la PAS entraîne une réduction de 10% de la mortalité par accident vasculaire [[31]]. Avec ce constat et au vu de notre observation clinique, même si on ne peut absolument pas préconiser l’acupuncture en monothérapie, il ne manque pas de preuves maintenant pour considérer sa place utile et efficace en adjonction à la thérapeutique usuelle.


Paris - du haut de la Basilique du Sacré-Cœur (XIXe EC) - île de France - France
Paris – du haut de la Basilique du Sacré-Cœur (XIXe EC) – île de France – France

Et la moxibustion ?

Une revue systématique parue en juillet 2010 [[32]] a identifié 519 articles concernant le traitement de l’hypertension artérielle par moxibustion. Seuls quatre ECR ont été retenus : trois études Chinoises et une Sud-Coréenne. Une étude moxait le point VC8 2 fois par semaine pendant 1 mois (10 sessions). Un autre ECR vérifiait la pression artérielle 30mn après une session unique de moxa sur le VB39 et ES36. L’ECR Coréen appliquait une moxibustion (une seule session en 5 fois pendant 2 heures sur ES36) et enfin une autre étude Chinoise était réalisée pendant 10 jours avec moxa de 30mn sur les points VG20, MC6, VC4, ES36 et RE1. La méta-analyse n’a pu être réalisée du fait d’une méthodologie nettement insuffisante : aucune étude n’était en aveugle, les méthodes de randomisation non décrites, les perdus de vue non signalés etc.. Bref, même si un ECR montre des effets antihypertenseurs de la moxibustion lorsqu’elle est utilisée en association avec le traitement classique versus traitement antihypertenseur seul, il est nécessaire d’avoir des ECR de haute qualité méthodologique pour garantir un réel effet de la moxibustion. 


Références

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