Champs magnétiques statiques et acupuncture : intérêt dans l’antalgie ?

La tour Eiffel by night - Paris - France
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Résumé : Objectif. Les champs magnétiques statiques (CMS) engendrés par les aimants pourraient-ils avoir un effet bénéfique dans l’amélioration des algies ? Méthodes. Les mécanismes biologiques des effets antalgiques des CMS sont étudiés en expérimentation animale. Une étude de la revue de littérature (revues systématiques et méta-analyses) est réalisée concernant l’application des aimants en un point quelconque de la peau ou sur les points spécifiques d’acupuncture. Résultats.On ne peut pas recommander l’usage des CMS dans un but thérapeutique antalgique. De même, les preuves de l’efficacité antalgique des dispositifs magnétiques sur des points d’acupuncture sont insuffisantes. Conclusions. Malgré quelques essais cliniques montrant une certaine efficacité dans les douleurs musculo-squelettiques, il est néanmoins nécessaire de réaliser des essais contrôlés randomisés à haute qualité méthodologique. Mots-clés : Champs magnétiques statiques – aimants – acupuncture – antalgie.

Summary: Objective. Could the static magnetic fields (SMF) engendered by magnets have a beneficial effect in the relief pains? Methods. The biological mechanisms of the analgesic effects of SMF are studied in animal experiment. A study of the literature review (systematic review and meta-analysis) is performed concerning the application of magnets in some point of the skin or on the specific points of acupuncture. Results. The evidence does not support the use of SMF for pain relief. Also, the evidences of reducing pain effectiveness of the magnetic devices on points of acupuncture are insufficient. Conclusions. In spite of some clinical trials showing a certain effectiveness in the musculoskeletal pains, it is nevertheless necessary to realize randomized controlled clinical trials in high methodological quality. Keywords: Static magnetic fields – magnets – acupuncture – relief pain.


Afin de prolonger l’effet du traitement par les aiguilles, les acupuncteurs peuvent être tentés d’utiliser des dispositifs engendrant un champ magnétique statique (CMS). Ainsi un aimant logé sur l’injecteur des aiguilles semi-permanentes (ASP) utilisées en auriculothérapie permet d’induire directement un champ magnétique dans l’aiguille implantée. Ne s’embarrassant pas des notions de médecine traditionnelle chinoise, certains praticiens placent également des aimants sur la peau au niveau des zones douloureuses et en dehors des points d’acupuncture.

Que doit-on penser de ces pratiques ? Les champs magnétiques statiques ont-ils un réel effet thérapeutique dans le domaine de l’antalgie ? Le but de cette étude est d’établir à partir de la littérature la réalité des effets des CMS.     

Introduction

En physique, le champ magnétique est une grandeur caractérisée par la donnée d’une intensité et d’une direction, définie en tout point de l’espace et déterminée par la position et l’orientation d’aimants, d’électroaimants et le déplacement de charges électriques. La présence de ce champ se traduit par l’existence d’une force agissant sur les charges électriques en mouvement (dite force de Lorentz) et divers effets affectant certains matériaux (paramagnétisme, diamagnétisme ou ferromagnétisme selon les cas). La grandeur qui détermine l’interaction entre un matériau et un champ magnétique est la susceptibilité magnétique. Le champ magnétique forme, avec le champ électrique les deux composantes du champ électromagnétique décrit par l’électromagnétisme [[1]].

L’unité de l’intensité d’un champ magnétique dans le système international est le tesla (T). On utilise aussi en médecine le gauss (G) en sachant que 1G = 100µT =  10-4T (10 000 G = 1 T = 1 Weber/m2)

A proximité de certains appareils, les valeurs du champ magnétique peuvent être de l’ordre de quelques centaines de micro teslas [[2]]. Le champ magnétique terrestre est évalué à 47 µT au centre de la France (figure 1). L’imagerie par résonnance magnétique (IRM) utilise des appareils émettant des champs magnétiques entre 1,5 T à 3 T dans le domaine du diagnostic médical, voire jusque  17 T, réservé aux expériences sur les rats ou souris.

Figure 1. Valeurs du flux magnétique terrestre, évoluant de 25 µT en Amérique du Sud à 65 µT en Antarctique [[3]].

Expérimentation animale sur l’effet antalgique des champs magnétiques statiques

La réponse biologique aux champs magnétiques statiques (CMS) délivrés par les aimants a été étudiée de manière expérimentale sur les animaux. Sur la centaine d’études que compte la littérature, quelques unes se sont intéressées particulièrement à l’effet antalgique ou anti-inflammatoire des champs magnétiques statiques. Les résultats observés sur les effets antinociceptifs des CMS sont contradictoires.

Certains auteurs ont rapporté que l’exposition des souris ou des rats à un champ magnétique statique pouvait supprimer le stress, induire une analgésie en rapport avec la libération de peptides opioïdes ou diminuer les constantes biologiques inflammatoires [4-13].

D’autres ont trouvé que les CMS avaient un effet inverse avec la suppression de l’analgésie qui faisait intervenir les opioïdes ou la mélatonine [14-16].

La raison de ces contradictions résulte semble-t-il des différences entre les espèces et les caractéristiques du champ magnétique, comme  l’intensité ou la durée de l’exposition (aigue ou chronique).

Notons qu’il n’existe pas d’étude expérimentale sur l’utilisation précise des CMS sur les points spécifiques d’acupuncture.

Les essais contrôlés randomisés concernant les CMS

Les preuves d’efficacité des CMS sont limitées. On retrouve quelques  essais contrôlés randomisés (ECR) montrant une efficacité dans le soulagement de différentes pathologies algiques (douleurs post-poliomyélitiques, neuropathie diabétique, fibromyalgie, douleurs chroniques pelviennes, canal carpien, gonarthrose, coxarthrose) [17-23]. Une revue de littérature étudie d’ailleurs les différents ECR et montre une certaine efficacité [[24]].

Mais il existe aussi autant d’autres ECR objectivant l’inefficacité des CMS dans l’amélioration des douleurs (myalgies, odontalgies, lombalgies chroniques, cervicalgies et douleurs d’épaule, talalgies, canal carpien, douleurs postopératoires [25-32]. Une autre revue de littérature conclut à l’inefficacité et propose d’éviter les aimants [[33]]. Une revue de littérature Cochrane montre également l’inefficacité des CMS dans les cervicalgies [[34]].

Méta-analyses

A la lecture de ces différents travaux, il est donc difficile de se faire une opinion sur l’impact réel des CMS dans les algies. D’où l’intérêt des méta-analyses dont le principal objectif est d’essayer de déterminer l’efficacité d’une thérapie à partir de la synthèse d’essais contrôlés randomisés.

Pittler et coll. en 2007 [[35]] ont procédé à une étude systématique et à une méta-analyse des ECR évaluant l’efficacité des aimants statiques dans le traitement d’algies de différentes étiologies. Seules les études comportant un placebo ou un aimant de très faible champ magnétique utilisé dans le groupe témoin ont été incluses. Le critère principal d’évaluation était la variation moyenne de la douleur mesurée sur une échelle visuelle analogique (EVA) de 100 mm (100 mm signifiant le maximum de douleur). Vingt-neuf ECR ont été éligibles. Mais seulement neuf parmi ces vingt-neuf ont été retenus dans cette méta-analyse qui, au final, n’a révélé aucune différence significative entre le groupe placebo et le groupe témoin en ce qui concerne l’atténuation de la douleur (différence moyenne pondérée -WMD- sur l’EVA égale à 2 mm ; intervalle de confiance à 95 % –1,8 à 5,8 mm ; p = 0,29) (figure 2).

Bien que d’un point de vue statistique, l’hétérogénéité est non significative (I²=11,4%, p=0,16), il n’en demeure pas moins que cette méta-analyse souffre d’un biais important de validité interne et comporte en réalité une hétérogénéité clinique. En effet, les critères nosologiques retenus ne sont pas pertinents : ainsi dans les causes étiologiques, on retrouvait la fibromyalgie [[36]], les lombalgies, les algies du canal carpien, la neuropathie diabétique, les talalgies, la coxarthrose, les myalgies [[37]] et algies du pied [[38]]. Les analyses de sensibilité ont été réalisées. Cela a consisté à comparer les résultats obtenus en incluant ou pas des ECR pour lesquels il était difficile de trancher de leur éligibilité dans la méta-analyse. Ainsi par exemple en incluant juste les ECR dans les douleurs musculo-squelettiques, les auteurs n’ont pas retrouvé de différence significative entre groupe CMS et groupe placebo. En conclusion, les auteurs ne proposent pas d’utiliser les aimants statiques et ne les recommandent pas non plus comme traitement efficace des algies. Toutefois dans le cas de l’arthrose, il existe des données probantes mais qui ne suffisent pas à prouver un important avantage clinique et ouvre plutôt la porte à d’autres études.

Figure 2. Effet des CMS sur la douleur avec moyenne pondérée des tailles d’effets (weighted mean difference avec l’intervalle de confiance à 95%. La ligne verticale ne représente aucune différence entre les aimants et le placebo. Figure à partir de CMAJ. 2007. doi: 10.1503/cmaj.061344 [35].

Cependant, suite à cette méta-analyse une controverse [[39]] est née du fait que certaines études avec bras placebo pouvaient ne pas avoir été réalisées réellement avec bras placebo. En effet, les aimants pour être dits thérapeutiques doivent avoir un CMS supérieur à 300G (30 mTesla) [[40],[41]]. Or il s’avère que certains aimants considérés justement comme thérapeutique avaient un champ magnétique statique équivalent à cette force. Ainsi Harlow et coll. [23] utilisaient comme aimants placebo des aimants de 30mT. D’ailleurs Colbert et coll. [[42]] dans une revue de littérature parue au même moment, critiquent les ECR et argumentent que 34 d’entre eux (soit 61% des ECR recensés) ne fournissent pas suffisamment de détails concernant les différents paramètres des champs magnétiques statiques pour permettre à de nouveaux chercheurs de reproduire les résultats dans d’autres investigations. 

 Champs magnétiques statiques et acupuncture

Du fait de la spécificité du point d’acupuncture en rapport avec la mécanotransduction [[43]], la transduction au niveau du tissu conjonctif [[44]] et de l’action des molécules informationnelles au niveau du système nerveux central [[45]], il est tout à fait possible que l’effet du CMS additionné à celui du point d’acupuncture puisse avoir un effet bénéfique sur la douleur, supérieur à celui du CMS seul. De ce fait, une revue de littérature a été réalisée en 2008 [[46]].Trois cent huit références ont été trouvées dont 50 études répondaient aux critères d’inclusion. 31 ECR étaient en langue anglaise et 11 études en chinois. La revue était très hétérogène en raison d’une grande variété de dispositifs magnétiques utilisés dans différentes maladies (dépression, hypertension artérielle, nystagmus congénital, insomnie, migraine etc..) avec de multiples dispositifs de contrôle-placebo.

Trente-sept des 42 études (88%) ont déclaré un bénéfice thérapeutique. Mais la mauvaise qualité de l’ensemble des essais contrôlés ne permet pas d’affirmer qu’il existe des éléments de preuve recommandant le traitement par CMS. D’ailleurs, seules trois études concernaient les douleurs musculo-squelettiques : la périarthrite scapulo-humérale [[47]], lésions des tissus mous [[48]] (2 études de cas) et un ECR utilisant auriculothérapie et CMS dans les lombalgies [[49]]. En conclusion, aucune preuve de l’efficacité des CMS associés à l’acupuncture dans la douleur ne semble exister à l’heure actuelle. Les ECR sont à réaliser.

Effets secondaires et risques

Les aimants sont généralement considérés sans danger. Cependant, il est plus prudent de ne pas les utiliser chez certaines personnes [[50]] :

–       les femmes enceintes, car les possibles effets des aimants sur le fœtus ne sont pas connus ;

–       les personnes utilisant des dispositifs médicaux tels qu’un stimulateur cardiaque, défibrillateur, ou pompe à insuline, parce que les aimants peuvent interférer avec le fonctionnement de l’appareil médical ;

–       les personnes qui utilisent des patchs qui délivrent des thérapeutiques à travers la peau, car cela pourrait entraîner une vasodilatation et affecter la distribution du médicament.

Les effets secondaires rapportés sont peu nombreux et bien qu’en laboratoire, on ait pu montrer que les cellules pouvaient s’aligner dans le champ à partir de 5000G, les implications ne sont pas claires.

Des études animales ont montré une action sur le système vestibulaire à partir de 4T. Une induction de courants électriques autour du cœur et de la majeure partie des vaisseaux sanguins a été objectivée à partir de CMS de 1000 G chez les animaux, mais aucun effet désirable n’a été relevé.

On a néanmoins rapporté que les hautes intensités des aimants (en l’occurrence 2000G) appliqués sur six points d’acupuncture, soit 12000G (1,2T) et laissés en place pendant 72 heures pour traiter des bouffées de chaleur (personnes traitées par chimiothérapie en raison d’un cancer du sein), avaient entraîné une exacerbation de ces bouffées ainsi qu’une irritation de la peau, sans doute due à l’adhésif de contention [[51]]. D’où l’importance de ne pas multiplier les points d’acupuncture à traiter simultanément.

Dans des champs de 8T, les effets cardiovasculaires ont été observés chez l’être humain mais ces effets ont été limités et entrent dans l’échelle des variations physiologiques.

Cependant, certaines personnes exposées à des champs d’environ 2T ou davantage, peuvent éprouver des réactions transitoires : vertiges et goût métallique dans la bouche. Des études épidémiologiques et des rapports de cas cliniques n’ont pas rapporté d’effets indésirables à long terme, mais les données sont rares et il n’y a aucune étude de suivi de patients à long terme des ECR concernant les CMS.

Dans l’ensemble, on peut conclure qu’au niveau de l’exposition aux CMS (à partir d’environ 2T), les effets sensoriels transitoires peuvent affecter certaines personnes. Aucun effet grave ou permanent sur la santé n’a été objectivé jusqu’à un niveau de 8T, mais les investigations scientifiques sont limitées. Par contre au delà de 8T, les effets sur le corps humain sont inconnus mais quelques effets cardiovasculaires et sensoriels pourraient se voir avec des CMS très élevés [2].

Conclusion

Les champs magnétiques statiques engendrés par des aimants et appliqués sur des points d’acupuncture dans le cadre des algies pourraient prolonger l’effet des aiguilles. Cependant, aucun ECR à l’heure actuelle n’a objectivé une quelconque efficacité. Compte-tenu des effets secondaires négligeables, cette voie de recherche clinique est à suivre avec attention. Il sera néanmoins nécessaire d’appliquer un protocole méthodologique précis et rigoureux [[52]].


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Stéphan JM. Champs magnétiques statiques et acupuncture : intérêt dans l’antalgie ? Acupuncture & Moxibustion. 2011;10(1):26-31.(Version PDF)

Stéphan JM. Champs magnétiques statiques et acupuncture : intérêt dans l’antalgie ? Acupuncture & Moxibustion. 2011;10(1):26-31.(Version couleur HTML)