Résumé : Cette étude rétrospective réalisée entre mai 2008 et septembre 2009 chez des patientes en salle de naissance a permis de montrer l’intérêt de l‘acupuncture dans la direction du travail. Quels que soient la parité et le moment de la prise en charge, l’acupuncture précoce doit être préconisée plutôt que l’acupuncture tardive. Ces résultats préliminaires semblent montrer une efficacité de l’acupuncture associée à l’ocytocine par rapport à l’utilisation de l’ocytocine seule et demandent à être confirmés par un essai contrôlé randomisé. Mots-clés : acupuncture-direction du travail-ocytocine-dilatation cervicale.
Summary: This retrospective study conducted between May 2008 and September 2009 among patients in the birthing room has shown the value of acupuncture in the management of labor. Whatever the gender and time of care, acupuncture should be recommended early rather than delayed acupuncture. These preliminary results suggest efficacy of acupuncture and oxytocin versus to the use of oxytocin alone and need to be confirmed by a randomized controlled trial. Keywords:acupuncture-Labor Management-oxytocin-cervical dilation.
En 2008, 5080 patientes (soit 5213 bébés) ont accouché à l’hôpital Jeanne de Flandre à Lille.
Sur l’ensemble de ces patientes, 589 séances d’acupuncture (toutes indications confondues) ont été pratiquées soit 11,5% des patientes.
Devant un tel pourcentage, nous avons voulu étudier l’effet de l’acupuncture pendant le travail.
Nous avons donné plusieurs axes à notre travail ; ce que nous appellerons une « enquête d’opinion » et une étude de dossiers.
L’enquête a été réalisée grâce à un questionnaire rempli par les sages-femmes, comportant trois points principaux :
– évaluation de la connaissance des patientes sur les traitements par acupuncture pendant le travail.
– évaluation de leur opinion sur l’effet de l’acupuncture.
– évaluation de l’opinion des sages-femmes sur l’action de l’acupuncture pendant le travail.
L’étude rétrospective de dossiers nous a permis d’évaluer l’action de l’acupuncture pendant la direction du travail.
Résultats de l’enquête
Notre population ayant bénéficié de l’acupuncture se compose de 38% de multipares et 62% de primipares. Si la majorité des patientes ne connaissait pas le possible recours à l’acupuncture pendant le travail, elles s’avèrent largement favorables au renouvellement du traitement.
Les 2/3 des sages-femmes ont trouvé un réel bénéfice au traitement par acupuncture. Notamment le jugeant très efficace dans 36% des cas.
Les patientes, quant à elles, sont encore plus satisfaites que les sages-femmes c’est-à-dire 82% d’opinions positives.
Notre étude
Notre évaluation de l’acupuncture pendant le travail est une étude rétrospective de dossiers entre mai 2008 et septembre 2009.
Il s’agissait de comparer l’utilisation du Syntocinon (ocytocine) seul à l’utilisation du Syntocinon associé à l’acupuncture.
Bien sûr par son caractère rétrospectif notre étude comporte de nombreux biais, tels que la péridurale ou non (même si au moins 80% de nos patientes en bénéficient), la rupture ou non de la poche des eaux, l’utilisation des postures, le Syntocinon : son débit et son augmentation, pour n’en citer que quelques-uns.
Nous avons apparié nos populations selon la parité, le terme et le stade de dilatation.
Méthodologie
Nos groupes sont les suivants :
– Syntocinon exclusif, c’est-à-dire qu’il n’y a aucun autre traitement tel que les antispasmodiques
– Syntocinon + acupuncture : simultanément ou au maximum une heure après : désigné acupuncture précoce. Les principaux points utilisés alors sont GI4, RP6, F2, F3, VC4, E30, V60, V67, VB21.
– Syntocinon + acupuncture décalée de plus d’une heure : désigné acupuncture tardive.
Pour chacune des patientes, nous avons observé la progression de la dilatation d’au moins 1cm une heure après l’intégralité du traitement et deux heures après dans le cas d’une prise en charge avant 5cm.
Dans le groupe seul, nous avons recensé 66 primipares et 74 multipares ayant accouché à un terme moyen de 39 semaines d’aménorrhée (SA) et trois jours et avec un travail spontané pour 79% d’entre elles.
Dans le groupe acupuncture précoce, nous avons recensé 90 primipares et 34 multipares ayant accouché à un terme moyen de 39SA et quatre jours et avec un travail spontané pour 74% d’entre elles.
Dans le groupe acupuncture tardive, nous avons recensé 76 primipares et 35 multipares ayant accouché à un terme moyen de 39SA et trois jours et avec un travail spontané pour 40% d’entre elles.
Si nos populations sont relativement comparables pour les critères de parité et de terme moyen, il n’en est pas de même pour le mode de début de travail. Nous reviendrons sur ce point particulier au cours de notre argumentation.
Résultats
À une heure pour les patientes prises en charge avant 5 cm
On note une progression de la dilatation pour 27 patientes soit 54% dans le groupe seul.
Pour le groupe acupuncture précoce 43 patientes soit 69%, pour le groupe acupuncture tardive 16 patientes soit 47%.
Pour les primipares, on note une tendance vers l’efficacité (P=0,0719) avec l’acupuncture précoce par rapport au groupe Syntocinon mais le P est supérieur à 5% donc non significatif (voir figure 1). Il faudrait confirmer par des ECR de haute qualité méthodologique.
Figure 1. Progression de la dilatation à une heure chez les primipares prises en charge avant 5 cm de dilatation.
On note également une tendance plus forte à l’efficacité de l’acupuncture faite précocement par rapport à celle tardive notée par le test statistique du Chi-carré (P=0,05392 à 1 degré de liberté).
Chez les multipares, dans le groupe Syntocinon seul, on note une progression pour 22 patientes soit 48%.
Pour le groupe acupuncture précoce, 14 patientes soit 56%. Pour le groupe acupuncture tardive, 14 patientes soit 64%.
Chez les multipares, l’acupuncture précoce n’est pas plus efficace que le Syntocinon seul.
Il ressort aussi que, quelle que soit la parité, nous avons plus d’échecs avec l’acupuncture tardive : 47% chez les primipares et 64% chez les multipares.
À 2 heures pour les patientes prises en charge avant 5 cm
Chez la primipare, l’acupuncture précoce est surtout efficace de manière statistiquement significative (P=0,0027) en comparaison à l’acupuncture tardive (figure 2), mais n’est pas plus efficace que le Syntocinon seul (P=0,2731).
Chez la multipare, il n’y a pas de différence statistiquement significative entre Syntocinon et acupuncture précoce (P=0,831).
Figure 2. Chez la primipare, l’acupuncture est plus efficace précocement par rapport à l’acupuncture tardive, mais pas plus que l’ocytocine.
À une heure pour les patientes prises en charge après 5 cm
Pour les primipares, les réussites dans les groupes Syntocinon seul et acupuncture précoce sont sensiblement égales : 88 et 78%. Par contre, on constate encore 38% d’échecs dans le groupe acupuncture tardive.
Chez les multipares, même tendance que chez les primipares, nous notons 89 et 100% de succès dans les groupes Syntocinon seul et acupuncture précoce.
Et toujours des échecs plus importants (16%) dans le groupe acupuncture tardive.
En conclusion, il n’y a pas de différence statistiquement significative évalué par le test du Chi-carré entre l’acupuncture qu’elle soit précoce ou tardive et le seul (P=0,098 à 2 degrés de liberté chez les primipares et P=0,4854 à 2 degrés de liberté chez les multipares) dès qu’elles sont prises en charge après 5 cm de dilatation. L’acupuncture ne donne pas de meilleurs résultats que le (figure 3).
Figure 3. L’acupuncture est inefficace chez les multipares pour les patientes prises en charge après 5cm de dilatation.
Les résultats obtenus dans la prise en charge après 5cm pourraient s’expliquer par un choix de points d’acupuncture mal adaptés à la deuxième phase du travail.
Dans le groupe acupuncture tardive, l’utilisation de l’acupuncture comme dernier recours explique sans doute le grand nombre d’échecs.
Une raison essentielle à ce recours tardif, la sage-femme en charge de la patiente n’est probablement pas diplômée en acupuncture. Le temps qu’elle fasse appel à une acupunctrice ou le temps que cette dernière soit disponible, il est déjà trop tard pour espérer inverser la tendance. Néanmoins ce genre de situation tend à se raréfier dans la mesure où l’équipe de sages-femmes diplômées en acupuncture est de plus en plus importante.
Conclusion
Quels que soient la parité et le moment de la prise en charge, l’acupuncture précoce doit être préconisée plutôt que l’acupuncture tardive. Ces résultats préliminaires semblent montrer une efficacité par rapport à l’utilisation du seul mais cela demande la mise en place d’un essai contrôlé randomisé de haute qualité méthodologique et de grande puissance. De même l’utilisation de l’acupuncture tardive ne donne pas de bons résultats. Pour cela nous émettons deux hypothèses : la première est le faible taux de travail spontané dans ce groupe : seulement 40% ; et la seconde : une situation très compromise au moment du traitement c’est à dire que la dystocie (plusieurs heures de dilatation stationnaire) est installée au moment de la séance d’acupuncture qui intervient comme ultime recours avant une éventuelle décision d’extraction fœtale par césarienne.
Enfin pour terminer, on peut remarquer que les patientes ont une méconnaissance du possible recours à l’acupuncture en cours de travail. Néanmoins elles sont largement satisfaites d’avoir bénéficié de ce traitement, tout comme les sages-femmes (diplômées d’acupuncture ou non) qui l’apprécient de plus en plus. Ce large plébiscite, pressenti depuis quelques années, contribue à augmenter chaque année le nombre de sages-femmes de notre service inscrites en formation continue pour l’acupuncture.
Gageons aussi que ce travail préliminaire sera suivi d’un essai contrôlé randomisé dans notre service.