La théorie des méridiens et ses applications en médecine chinoise WANG Jiu-Yi, ROBERTSON Jason D. Bruxelles : Éditions Satas, 2012 -717 p.; 25,5 x 4,1 x 18 cm. Broché, Illustrations et Biblio. ISBN : 978-2872931330 : 59,80 € |
Voici un livre bien intrigant au titre accrocheur ; un livre qui veut vous faire découvrir la théorie des méridiens. Et pourtant, vous avez bien l’impression de la connaître… N’avez vous déjà pas appris tout ce qu’il faut savoir sur les Méridiens, leurs trajets, leurs points et leurs physiologies en rapport avec leurs organes-entrailles (zangfu 臟腑 [脏腑]) associés ? Il semblerait que non. A partir du Classique de Médecine Interne de l’Empereur Jaune, le Huangdi neijing (黄帝内經) où il est décrit les trois concepts fondamentaux constituant les piliers de l’acupuncture, à savoir le yin–yang et la théorie des cinq éléments (yin–yang wuxing lilun), la théorie des organes internes (zangfu lilun) et la théorie des méridiens (jingluo lilun), Wang et Robertson démontrent que cette dernière passe trop souvent au second plan et est négligée dans son étude. Tout cela parce que la pratique de l’acupuncture s’est davantage inscrite dans le cadre des zangfu et du traitement selon la différenciation des syndromes (bianzhenglunzhi 辨證論治). Or l’expérience clinique par la palpation des jingluo 經絡 [经络] décrite dans cet ouvrage va vous ouvrir de nouvelles perspectives de traitement.
Cet ouvrage est organisé sous la forme d’un dialogue entre le Maître (Wang) et son élève (Robertson) comme le Maître Céleste Qi Bo répondant à l’Empereur Jaune Huang Di dans le Huangdi neijing. Une différence réside dans l’ajout de très nombreux cas cliniques permettant de mettre en exergue la partie théorique et aussi ce qui rend très vivant ce livre, des récits sur le quotidien de la vie chinoise ou des réflexions sur l’évolution et la philosophie de la médecine ou de la vie. Ainsi Wang nous parle des fameux hutong qui sont des ensembles d’allées et ruelles semblables à des labyrinthes où les gens vivent très liés entre eux mais sans grande intimité. De ce fait, quand un des habitants est malade, tout le quartier est alors au courant qu’il consulte le médecin. Ces hutong disparaissent les uns après les autres, victimes de la nouvelle politique urbaniste du gouvernement [1,2].
Dans cet ouvrage, vont être abordés tous les méridiens du système des six niveaux des Grands Méridiens allant de la superficie à la profondeur selon l’atteinte par les énergies perverses xié. Ainsi, seront étudiés taiyang (Vessie – Intestin Grêle), shaoyang (Triple Réchauffeur – Vésicule Bilaire), yangming (Estomac-Gros Intestin), taiyin (Poumon – Rate-pancréas), shaoyin (Cœur –Rein) et jueyin (Maitre du Cœur – Foie). Ces six niveaux reprennent l’ordre structurel du chapitre 6 du Huangdi suwen et du chapitre 5 du Huangdi lingshu. Mais il faut noter que l’évolution de la maladie selon ces niveaux structurels sera différent dans le chapitre 31 du même Huangdi suwen ou dans le Shanghanlun (Traité des atteintes du froid écrit par Zhang Zhongjing au début du 3e siècle de notre ère) où on retrouve la classification de la superficie à la profondeur qui est taiyang, yangming, shaoyang, taiyin, shaoyin, jueyin. Les auteurs modernes préfèrent la classification selon la dialectique yin–yang et le rapport biao–li (externe-interne) selon le chapitre 24 du Suwen : taiyang, shaoyang, yangming, taiyin, jueyin et shaoyin [3-7]. On remarque surtout dans cet ouvrage que la place du jue yin est située plus en profondeur. Or, il faut différencier la structure des six niveaux selon la répartition temporelle ou spatiale [6]. Ainsi la marée du qi passe du zutaiyin au shoushaoyin et non au zujueyin. Mais même si le choix de la classification de Wang est discutable, il ne faut pas s’attarder trop sur ces considérations de préséance « énergétique » et s’intéresser davantage à la palpation des Méridiens.
En effet, le grand intérêt de cet ouvrage est d’apprendre à les palper. Ainsi Wang considère qu’il y a cinq méthodes de diagnostic par les méridiens : l’observation du trajet des méridiens, le diagnostic par les pouls, la palpation du trajet des méridiens, la pression sur les points et enfin toucher la surface du corps. Les trois dernières se recoupent. Il s’agira de rechercher par la palpation des nodules ou des douleurs sur des points sur le trajet des méridiens. La palpation méticuleuse est le processus qui consiste à suivre le trajet des méridiens avec le doigt. On s’intéressa surtout aux zones les plus importantes du diagnostic, situées en dessous du coude ou du genou, mais aussi sur le dumai, le renmai et le méridien de Vessie. Trois modifications sont à rechercher : une dureté ou une tension superficielle qui va correspondre à un Froid, une Humidité ou une stase du qi ; un nodule ou une dureté en profondeur, c’est du à une Chaleur, une Stase ou une pathologie chronique ; des zones faibles ou molles qui sont signes de Vide de qi ou de yang. Ainsi un blocage du qi sur le méridien de Vésicule Biliaire se traduit par une sensibilité ou une douleur sur 34VB (yanglingquan). Des nodules durs autour du taichong (3F) correspondent souvent à une stagnation de qi dans le méridien du Foie, alors que des nodules mous et petits autour du 6F (zhongdu) traduisent des stases de Sang dans les méridiens secondaires du Foie. Une zone comprise entre 3R (taixi) et 7R (fuliu) sera sèche, squameuse et un peu rouge s’il existe un Vide de yin du Rein, tout comme une sensibilité accrue autour de 3R peut traduire un Vide général de Rein. En cas de vide de Rate-Pancréas, la zone autour de 9Rt (yinlingquan) pourra être sensible et particulièrement en cas de pathologie gynécologique. De même une sensibilité accrue du 6Rt implique un Vide de Rate, Foie et/ou de Rein.
Bref, la palpation du trajet permettra la différenciation et le choix des points à puncturer du méridien atteint. Vous apprendrez ainsi à obtenir le qi par différentes techniques de manipulation. Ainsi sur les points sources, une rotation rapide dans les deux sens sert à obtenir le deqi qui irradie doucement le long du méridien.
Il est nécessaire aussi de garder son esprit critique sur cet ouvrage. Ainsi les auteurs oublient dans la palpation des points que les points mu antérieurs dits encore points alarmes ont aussi un intérêt non négligeable dans un but autant diagnostique que thérapeutique tout comme les points beishu du dos. Wang ne les palpe pas et considère que les point mu sont réactifs dans les pathologies de Plénitude tout comme les beishu le seront dans les pathologies en Vide, efficaces à piquer en cas d’insuffisance de yang qi. C’est moins systématisé que cela. Ainsi de nombreux auteurs considèrent qu’un point mu présentant un nodule ou une sensibilité douloureuse nécessite d’être piqué, car en rapport avec une altération pathologique du zangfu qui lui est associé. Même chose pour les beishu. Les points mu auraient une action plutôt tonifiante alors qu’un point beishu douloureux à la pression nécessiterait une action dispersante si atteinte par les énergies perverses xie [3,4,7].
Par exemple le qimen (14F), point mu de Foie, sera douloureux s’il existe une dystocie cervicale en fin de grossesse. Le qimen sera alors, en fonction du bianzheng, à moxer si Vide de qi et de Sang, ou à disperser à l’aiguille si Stagnation du qi et du Sang [8]. Dans le diabète gestationnel, la moxibustion de pishu (20V), point shu de Rate qui renforcerait le Vide de Rate, associée à la puncture du zhangmen (13F), harmoniserait la Rate et ferait circuler le qi du Foie, permettant de rééquilibrer le diabète gestationnel [9]. Bref, on note ainsi l’action cybernétique des points mu ou beishu, variable en fonction de l’atteinte des zangfu.
En conclusion, malgré quelques imprécisions, cet ouvrage est intéressant à consulter, vivant et illustré d’une belle iconographie.
Références
[1]. Johnson Ian. Les métamorphoses de Pékin vues par un expat. . Courrier International. [Publié le 17/10/2017], [Consulté le 05/12/2017]. Disponible à l’URL : https://www.courrierinternational.com/article/chine-les-metamorphoses-de-pekin-vues-par-un-expat.
[2]. Xing Tai. Pékin fait fermer les échoppes de bric et de broc. Courrier International. [Publié le 05/12/2017], [Consulté le 05/12/2017]. Disponible à l’URL : https://www.courrierinternational.com/article/chine-pekin-fait-fermer-les-echoppes-de-bric-et-de-broc
[3]. Borsarello JF. Traité d’acupuncture. Paris: Masson; 2005.
[4]. Cobos R, Vas J. Manual de Acupuntura y Moxibustión (libro de Texto). Volumen 1. Beijing: ediciones Morning Glory Publishing; 2000.
[5]. Maciocia G. Les principes fondamentaux de la médecine chinoise. 2e Ed. Issy-les-Moulineaux: Elsevier; 2008.
[6]. Eyssalet JM. La rumeur du dragon et l’ordre du tigre. 1re Éd. Paris : Guy Trédaniel;1999.
[7]. Stéphan JM. « Chevaucher les Merveilleux vaisseaux et pourfendre le Xie ». Étude d’un protocole de traitement acupunctural des algies rhumatologiques en pratique de ville. Méridiens. 1990;89:131-156.
[8]. Stéphan JM. DIU d’Acupuncture Obstétricale : tableaux d’une exposition. Pré-éclampsie, qimen et valeur diagnostique dans les dystocies cervicales. Acupuncture & Moxibustion. 2014;13(2):138-143.
[9]. Mahiou A, Vrain L. Diabète gestationnel et acupuncture. L’influence de la puncture du point mu de la Rate et la moxibustion du point shu de la rate sur la prise d’insuline. Mémoire de Diplôme Inter Universitaire d’acupuncture Obstétricale. Lille: Université du Droit et de la Santé. Faculté de médecine Henri Warembourg; juin 2017.