Anosmie, à propos d’un cas clinique : intérêt de l’acupuncture et techniques associées

Tête d'Orphée en basalte - 460 AEC - Glyptothek - Munich - Allemagne
Tête d’Orphée en basalte – 460 AEC – Glyptothek – Munich – Allemagne


Résumé. 
Introduction. L’anosmie, secondaire à une destruction du neuroépithélium olfactif peut avoir pour étiologies les rhinites, sinusites liées à des infections virales, les obstructions nasales en rapport avec une allergie, les tumeurs, la destruction des voies centrales comme la maladie d’Alzheimer, la sclérose en plaques ou les traumatismes crâniens. En dehors des traitements liés à l’obstruction du flux nasal, aucune thérapeutique n’a prouvé son efficacité. Qu’en est-il de l’acupuncture et techniques associées ? Méthodes. A partir d’une étude de cas d’une femme de 58 ans présentant une anosmie associée à une agueusie, survenue dix ans auparavant à la suite d’un accident de ski, un protocole de soins s’intéressera à traiter le Mouvement taiyin (Poumons-Rate) et le couple shouyangming – shoutaiyin en électroacupuncture (EA) à une fréquence de 1,2 Hz sur les points sanyinjiao (Rt6), gongsun (Rt4), hegu (GI4), yingxiang (GI20) mais aussi par acupuncture manuelle sur quchi (GI11), zhongfu (P1), shangyang (GI1), yinbai (Rt1), zhangmen (F13), lieque (P7), yintang (M-HN-3), zhongwan (VC12), tianzhu (V10). Ce protocole est discuté à lumière des mécanismes physiopathologiques selon la médecine chinoise, la médecine fondée sur les preuves et également selon l’acupuncture expérimentale. Résultats. L’amélioration des troubles olfactifs et dans une moindre mesure l’agueusie, est obtenue en quelques séances et maintenue de manière durable. L’effet pourrait s’expliquer par une action via les facteurs neurotrophiques, comme le  facteur de croissance nerveuse (NGF) ou le facteur neurotrophique dérivé du cerveau (BDNF). Conclusion. L’acupuncture et EA, sans effets indésirables, peut être une option à envisager dans ces anosmies secondaires.  Mots clés. Anosmie- agueusie – acupuncture – électroacupuncture – taiyin – NGF – BDNF.

Anosmia, about a case study: interest in acupuncture and related techniques

Summary. Introduction. The anosmia, secondary to a destruction of the olfactory neuroepithelium can have for etiologies rhinitis, sinusitis linked to viral infections, nasal obstructions in connection with an allergy, tumors, destruction of the central pathways such as Alzheimer’s disease, multiple sclerosis or head trauma. Apart from the treatments linked to the obstruction of the nasal flow, no therapy has proven its effectiveness. What about acupuncture and related techniques? Methods. Based on a case study of a 58-year-old woman with an anosmia associated with ageusia, which occurred ten years ago following a ski accident, a treatment protocol will focus on treating the Taiyin Movement ( Lung-Spleen) and the shouyangming – shoutaiyin couple in electroacupuncture (EA) at a frequency of 1.2Hz on the points sanyinjiao (SP6), gongsun (SP4), hegu (LI4), yingxiang (LI20) but also by manual acupuncture on quchi (LI11), zhongfu (LU1), shangyang (LI1), yinbai (SP1), zhangmen (LIV13), lieque (LU7), yintang (M-HN-3), zhongwan (REN12), tianzhu (BL10). This protocol is discussed in light of the pathophysiological mechanisms according to Chinese medicine, evidence-based medicine and also according to experimental acupuncture. Results. The improvement of the olfactory disorders and to a lesser extent the ageusia, is obtained in a few sessions and maintained sustainably. The effect could be explained by an action via neurotrophic factors, such as nerve growth factor (NGF) or brain derived neurotrophic factor (BDNF). Conclusion. Acupuncture and EA, without side effects, may be an option to consider in these secondary anosmias. Keywords. Anosmia – ageusia – acupuncture – electroacupuncture – taiyin – NGF – BDNF.


Introduction

L’anosmie est la perte complète de l’odorat. De plus, les patients atteints se plaignent souvent d’une agueusie, d’une perte de goût pour la nourriture alors qu’ils ont une perception normale des saveurs salées, sucrées, acides et amères, même s’il leur manque une certaine finesse du goût dépendant largement de l’olfaction.

L’anosmie survient en cas d’œdème intranasal ou d’une autre cause d’obstruction nasale qui empêche l’accès au système olfactif.

Le système olfactif comprend le neuroépithélium et nerf olfactif qui tapissent le toit des fosses nasales, la partie supérieure du septum nasal et des cornets supérieurs (figure 1) ; les bulbes et tractus olfactifs qui entrent en contact avec les nerfs olfactifs ; les aires corticales et sous-corticales olfactives avec les stries médiales qui se dirigent vers les noyaux septaux de l’aire sous-calleuse, les stries latérales qui s’orientent vers la face médiale des lobes temporaux et les stries intermédiaires qui aboutissent dans les tubercules olfactifs [[1]].

Figure 1. Le nerf olfactif (coloré en jaune) Par Patrick J. Lynch, medical illustrator — Patrick J. Lynch, medical illustrator, CC BY 2.5, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=1498125.

Le nerf olfactif est le premier nerf crânien. Son rôle, uniquement sensoriel, est de véhiculer l’odorat. Chez l’homme, le nerf olfactif prend naissance au niveau de la muqueuse olfactive dans la partie antérosupérieure de la cavité nasale. Il traverse la plaque criblée de l’os ethmoïde et innerve le bulbe olfactif situé à la base du cerveau. Notons que le nerf olfactif présente la particularité d’avoir des neurones ayant la possibilité de se régénérer et qu’il est centripète en envoyant les informations de la périphérie vers le centre.

Les étiologies principales comprennent donc les destructions de ce neuroépithélium olfactif (rhinite atrophique, sinusite chronique, les infections virales, comme le SARS-CoV-2), l’obstruction nasale (rhinite allergique, polypose nasale), tumeurs (cause rare), destruction des voies centrales comme la maladie d’Alzheimer, la sclérose en plaques et les traumatismes crâniens [[2]].

Ainsi, l’anosmie apparaîtrait dans 7% de tous les traumatismes crâniens et dans 30% des traumatismes crâniens graves avec fractures de l’ethmoïde ou lésions des zones olfactives [[3]].

Certains médicaments aussi peuvent favoriser une anosmie chez les patients sensibles.

Tous les patients doivent bénéficier d’une tomodensitométrie (TDM) de la tête (comprenant les sinus) avec injection de produit de contraste pour éliminer la possibilité d’une tumeur ou d’une fracture du plancher de la fosse antérieure du crâne. L’IRM est également utilisée pour rechercher des lésions intracrâniennes et peut également être nécessaire, en particulier chez les patients ne présentant aucune pathologie nasale ou sinusienne lors de la TDM.

Si les causes spécifiques peuvent être traitées avec un odorat qui peut être récupéré plus ou moins, il n’existe malheureusement aucun traitement efficace de l’anosmie. Qu’en est-il de l’acupuncture et des techniques associées ?

Présentation d’un cas clinique

Mme B. Martine, 58 ans, est vue pour la première fois le 15 mai 2019. Elle se plaint d’anosmie et d’agueusie survenue à l’hiver 2009 à la suite d’un accident de ski ayant par ailleurs engendré une fracture du fémur droit. Elle est veuve, ménopausée depuis 2013, après avoir eu trois enfants. On note dans ses antécédents une allergie aux poils de chien, chat, pomme et lidocaïne qui a déclenché un œdème de Quincke. Elle bénéficie d’un traitement anti-dépresseur escitalopram 5 mg, nébivolol en raison d’une hypertension artérielle et de simvastatine en rapport avec une hypercholestérolémie athérogène.

Elle présente également une asthénie et a tendance à la constipation. Son indice de masse corporel est normal à 22 (1m60 pour 56kgs). Elle présente une capsulite rétractile de l’épaule gauche depuis six mois dont elle ne souffre pas trop, mais qui limite la fonction. L’agueusie est globale mais elle arrive à détecter toutes les saveurs (sucrées, salées, acides et pimentées), même si elle est incapable de déterminer à quoi cela correspond. Elle se dit plus ennuyée par l’anosmie. Son odorat a totalement disparu.

Le bilan ORL complet est revenu négatif : pas de polypose naso-sinusienne, pas d’obstruction des fosses nasales. Cependant, malgré l’imagerie médicale (IRM et tomodensitométrie nasosinusienne) négative, l’otorhinologiste s’orientait de ce fait vers une lésion des nerf olfactifs lors de son accident de ski et non un problème allergique.  

Le diagnostic chinois objective une langue pâle avec empreintes des dents. Les pouls sont faibles (ruo), vide (xu), mais interprétation à caution du fait de la prise du bêtabloquant.  On peut s’orienter selon la différenciation des syndromes (bianzheng) vers un Vide de qi des Poumons associé à un Vide de qi de Rate. Bref, il s’agira de traiter le Grand Méridien, encore appelé selon les auteurs Mouvement ou Niveau Energétique, taiyin (Poumons-Rate) et le Méridien Gros Intestin (shouyangming) couplé au Méridien des Poumons (shoutaiyin). Les points sanyinjiao (6Rt), gongsun (4Rt), hegu (4GI), yingxiang (20GI) sont stimulés pendant 20 mn par électroacupuncture (stimulateur électrique Agistim duo Sédatelec® à une intensité supportable par la patiente ; fréquence 1,2Hz ; durée d’impulsion 500µs) ; par acupuncture manuelle avec recherche du deqi pour certains points : quchi (11GI), zhongfu (1P), shangyang (1GI), yinbai (1Rt), zhangmen (13F), lieque (7P), yintang (M-HN-3), zhongwan (12VC), tianzhu (10V).

Revue le 23 mai, elle dit avoir un soupçon de reprise d’odorat, car a senti pour la première fois l’odeur du maroilles (fromage à odeur caractéristique et saveur corsée dont la production et la transformation s’effectuent dans la Thiérache française), et puis la litière de son chat. Mais l’agueusie est toujours présente. Le même traitement est pratiqué. Elle revient en septembre, juste à la fin de l’été. Elle est ravie car elle parvient pour la première fois depuis 10 ans à sentir les odeurs de la lavande, du citron et de la fraise en plus de l’odeur du maroilles et des excréments de son chat. L’agueusie est toujours là. Une autre séance en octobre et en janvier 2020 n’apporte pas plus d’amélioration, malgré le traitement identique. En revanche à la dernière séance du 6 février, si le trouble de l’olfaction n’a pas été davantage amélioré, on avance sur l’agueusie, car enfin le goût de la banane est revenu. Au terme de ces quelques semaines de traitement, le résultat est tangible et permet à M. B d’apprécier à nouveau la nourriture. D’autres séances sont programmées à distance, après la crise de la pandémie Covid-19.

Discussion

Quels sont les mécanismes physiopathologiques à l’origine de l’anosmie selon la médecine chinoise ?

Pourquoi ce choix des points à puncturer ? Quels sont les mécanismes d’action théoriques à l’origine d’une éventuelle efficacité de l’acupuncture et techniques associées ? Une preuve est-elle fournie selon les essais comparatifs randomisés à la lumière de la médecine factuelle (evidence based medicine) ? Autant de questions auxquelles, nous essayerons de donner des éléments de réponse.

Tout d’abord voyons l’anosmie selon les théorie de la médecine chinoise.

L’anosmie selon la Médecine Chinoise

Mécanismes physiopathologiques

Le jing (l’Essence, la quintescence) hérité par les parents à la conception, qui obéit à des cycles de huit ans chez l’Homme et  sept ans chez la femme, est à la base du qi du Rein, lié à yuanqi (qi Originel). Le zongqi, dit « qi Ancestral » qui a aussi le sens de fondamental, d’essentiel est produit par le guqi (qi des aliments, mis en circulation par la Rate et l’Estomac) et sa combinaison avec l’air inhalé par les Poumons. Zongqi renforce la fonction du Poumon et celle du Cœur sur la circulation du Sang. Sous l’action du yuanqizonqi se transforme en zhenqi qui se présente sous deux formes : le yinqi (Energie nourricière) et le weiqi (Energie de défense). Yinqi accomplit une révolution en 24h dans les Méridiens en commençant, selon le Lingshu16 au Poumon à trois heures du matin (« la grande circulation énergétique ») [[4]].

L’anosmie est donc selon la Médecine Chinoise en rapport avec zonqi, mais aussi le jing du Méridien Poumon [[5]]. Ainsi, dans chapitre 4 du Huangi Neijing Suwen, le Poumon est associé au nez, tout comme il est précisé plus loin dans le chapitre 5 : « L’Ouest engendre la sécheresse qui produit le Métal dont la saveur âcre nourrit le poumon. Le poumon nourrit l’épiderme qui sustente le rein, il domine le nez… » [[6]]. Il faut aussi noter que l’olfaction est indissociable du goût comme le note le Lingshu au chapitre 4 : « Le sang et le souffle des douze méridiens (jingmai) et des 365 luo montent tous au visage et passent par les cavités. Le souffle du yang essentiel (jing yangqi) monte se déverser au yeux et fait la vision ; son souffle séparé (bieqi) va à l’oreille et fait l’audition ; son souffle général (zongqi) monte pour sortir au nez et fait l’olfaction ; son souffle trouble sort à l’estomac, va aux lèvres, à la langue et fait  la gustation. » [[7]].

Traitements proposés selon les auteurs

Tan Trung explique que « dans les troubles de l’olfaction, s’observe une perte de connexion des orifices nécessitant le rétablissement de l’équilibre énergétique du Poumon et du Gros Intestin ». Il préconise alors du fait que le Poumon commande le yin, de traiter le Gros Intestin (yang) par les points 4GI (hegu) et 20GI (yingxiang) ». Le jing du Poumon (l’Essence ou la quintessence du Poumon) entretient l’odorat, d’où à tonifier. Le jing de la Rate, liée au Poumon selon le système Mère-Fils va également intervenir dans le goût, à tonifier également [[8]].

Cygler propose de son côté dans le tableau de « l’anosmie-poumon » de puncturer 20GI (yingxiang), 19GI (kouheliao), 9P (taiyuan), 17VC (shanzhong) et 30E (qichong) et d’y associer 42V (pohu) dans le tableau de « l’anosmie-métal » en rapport avec atteinte de « l’âme viscérale » po du Poumon, le 52V (zhishi), 7GI (wenliu) et 6P (kongzui) en cas d’état dépressif [[9]].

Pour Fumagalli et Nguyen, le Niveau Énergétique taiyin (Poumons-Rate) avec la prééminence du Poumon sur la Rate en déficience explique l’anosmie. Il faut renforcer l’organe Poumon et éventuellement l’organe Rate pour agir sur l’agueusie. Ils indiquent comme points à utiliser de ce fait : 20GI (yingxiang), neiyingxiang (M-HN-35/Ex-HN-9) point hors méridien à l’intérieur du nez, 23VG (shangxing) et 4GI (hegu), avec pour l’agueusie le 23VC (lianquan) et shanglianquan (M-HN-21) sur la ligne médiane de la langue et 7MC (daling) [[10]].

Essais et cas  cliniques

Il n’existe à ce jour aucun essai comparatif randomisé concernant l’anosmie complète. En revanche, la littérature nous offre quelques études de cas cliniques. Ainsi Putensen présente en 1956 le cas d’une patiente de 15 ans anosmique et guérie en une seule séance. Les points utilisés : 4GI (hegu), 20GI (yingxiang), 22VG (xinhui), 8V (luoque), 9V (yuzhen) et 10V (tianzhu) [[11]].

De Smul en 1987 traitait une série de dix-neuf patients par électroacupuncture (EA) à basse fréquence pendant des séances de 10 mn aux points 4GI et 20GI. La guérison fut définitive pour huit d’entre eux (42%). Les onze autres n’avaient pas de changements ou insuffisants [[12]].

Fumagalli et al. décrivaient trois cas cliniques avec une anosmie en rémission pour un cas et guérison complète pour les deux autres en utilisant la thérapeutique décrite plus haut [10].

Yang et al. en 1999 ont traité vingt-trois cas de rhinite atrophique dont l’un des symptômes était l’anosmie associée à une sécheresse et atrophie de la muqueuse nasale. Les points utilisés yintang et bitong/shangyingxiang (M-HN-14 / Ex-HN-8) permettaient d’obtenir une guérison chez dix patients, une amélioration significative chez sept autres et inefficacité chez les six patients restants [[13]].

Enfin le dernier cas clinique retrouvé dans la littérature concerne une femme de 55 ans sans antécédents particuliers, hormis la perte d’odorat deux ans avant la séance d’acupuncture. Aucune allergie. On note toutefois une hypercholestérolémie nécessitant la prise quotidienne d’atorvastatine. Le bilan ORL et neurologique était normal. Yintang (M-HN-3), 20GI (yingxiang) et 23VG (shangxing) permirent une guérison complète en une semaine. Revue sept et vingt-mois mois plus tard, la guérison persistait [[14]]. Le tableau I récapitule tous les points préconisés dans toutes les études. On pourra remarquer que les points communs à ces études est l’utilisation quasi constante de 4GI (hegu) et 20GI (yingxiang).

Tableau I. Les points utilisés selon les auteurs. EA = électroacupuncture.

Tan Trung [8] 4GI (hegu), 20GI (yingxiang)
Cygler [9]20GI (yingxiang), 19GI (kouheliao), 9P (taiyuan), 17VC (shanzhong), 30E (qichong) ; 42V (pohu), 52V (zhishi), 7GI (wenliu), 6P (kongzui)
Fumagalli, Nguyen [15]20GI (yingxiang), neiyingxiang (M-HN-35/Ex-HN-9), 23VG (shangxing), 4GI (hegu), 23VC (lianquan), shanglianquan (M-HN-21),7MC (daling).
Putensen [11]4GI (hegu), 20GI (yingxiang), 22VG (xinhui), 8V (luoque), 9V (yuzhen) et 10V (tianzhu)
De Smul [12]4GI (hegu), 20GI (yingxiang) en EA basse fréquence
Yang et al. [13]yintang et bitong/shangyingxiang (M-HN-14 / Ex-HN-8)
Michael [14]yintang (M-HN-3), 20GI (yingxiang) et 23VG (shangxing)

 Commentaires

On sait que le neuroépithélium olfactif a la capacité unique de se régénérer. Tous les types de cellules épithéliales olfactives, y compris les neurones récepteurs réels, vont se régénérer à partir des cellules basales après une blessure ou lors d’un renouvellement cellulaire naturel, et cela se réalise tous les trois à six mois, à condition que les cellules basales restent saines. Toutes les troubles olfactifs liés à l’obstruction du flux nasal, comme une rhinosinusite chronique, une  rhinite allergique, une polypose ou même une tumeur peuvent être traités avec plus ou moins de succès. En revanche, comme dans ce cas clinique, une perte sensorielle secondaire aux lésions des nerfs olfactifs, des récepteurs olfactifs au bulbe olfactif en passant par les centres corticaux, comme un traumatisme crânien, les toxines, la démence, la maladie d’Alzheimer, la sclérose en plaques ne se prêtent généralement pas au traitement [[15]]. Et pourtant comme on peut le constater, il est possible d’avoir un résultat.

Dans ce cas clinique, le terrain allergique et les médicaments n’ont pas été retenus comme causes possibles de l’anosmie. En effet, madame B. prend de l’escitalopram, simvastatine et nébivolol. Seul l’escitalopram peut entraîner un effet indésirable peu fréquent ((≥ 1/1000 à < 1/100) : une dysgueusie. Les autres molécules n’engendrent ni anosmie, ni agueusie. De ce fait, le traumatisme violent lié à l’accident de ski a été retenu comme cause.

On peut se poser la question des mécanismes d’action théoriques de l’action de l’acupuncture et techniques associées ?

Acupuncture expérimentale

Aucune étude expérimentale sur animal n’a été réalisée concernant l’anosmie.

Mais, on peut penser que la régénération du nerf olfactif, que l’on sait possible, peut être en rapport avec des facteurs de croissance, comme le facteur de croissance nerveuse (Nerve Growth Factor – NGF), le facteur neurotrophique dérivé du cerveau (BDNF – brain-derived neurotrophic factor).

Le facteur de croissance nerveuse (NGF) est membre de la famille des facteurs neurotrophiques qui peuvent prévenir la mort des cellules nerveuses. Le NGF exerce son action sur la croissance et la survie des neurones sensoriels et sympathiques périphériques et sur un certain nombre de neurones cérébraux, en particulier les neurones cholinergiques du système nerveux central [[16]].

Le NGF peut exercer des effets neurotrophiques sur les cellules nerveuses lésées et favoriser ainsi la neurogenèse, processus de génération des neurones à partir de cellules souches. Durant un processus de régénération, le NGF est capable de favoriser la récupération fonctionnelle des cellules nerveuses lésées, de stimuler la prolifération et la différenciation des propres cellules souches du patient et réguler la réponse inflammatoire locale. Et ensuite le BDNF peut prendre le relais. Ces facteurs neurotrophiques peuvent ainsi s’opposer à la dégénérescence neuronale comme la maladie d’Alzheimer, la sclérose en plaques et les polyneuropathies diabétiques [[17],[18]].

Il a été observé par exemple que dans les séquelles de traumatismes vertébro-médullaires, dans la sclérose en plaques ou la maladie de Parkinson, l’électroacupuncture peut accélérer la régénération axonale avec stimulation du facteur neurotrophique NT-3, du BDNF et du NGF [19-23]. 

Mais beaucoup plus intéressant est l’apport de l’EA sur les neurones sensoriels.

Les neurones sensoriels constituent le premier niveau cellulaire du système nerveux de la perception. Via la transduction, le signal physique comme la lumière, le son, etc.. est converti en signal biochimique puis transmis à un neurone postsynaptique qui convertira à son tour le message en signal nerveux [[24]].

Les photorécepteurs comme les cônes, les bâtonnets, sont un des meilleurs exemples qui traduit le photon en un signal neurochimique.

Dans une étude expérimentale sur un modèle de rats atteints de rétinite pigmentaire héréditaire, l’utilisation de l’EA à la fréquence de 2Hz pendant 25 minutes et durant onze jours consécutifs versus un groupe de rats témoins non traités a permis d’observer son action neurotrophique sur les photorécepteurs rétiniens. L’EA engendre une  augmentation de l’expression du facteur de croissance nerveuse (NGF) et de son récepteur tyrosine kinase A (TrkA) (figure 2) ; du facteur neurotrophique dérivé du cerveau (BDNF) et de son tyrosine kinase B. De surcroît, l’EA améliore la vascularisation par action sur le facteur de croissance endothélial vasculaire (VEGF) au niveau de la rétine. De ce fait, l’EA retarde la perte de cellules rétiniennes, par action sur les facteurs neurotrophique (NGF, BDNF) et/ou de leur récepteurs [[25]].

Figure 2. Structure du site de liaison du facteur de croissance nerveuse (NGF) sur son récepteur tyrosine kinase A (TrkA) [[31]].

Aucune étude expérimentale n’a été réalisée sur l’action de l’acupuncture ou de l’EA sur le système olfactif, mais néanmoins compte-tenu de l’action de l’EA sur les photorécepteurs, et en raison de nombreuses études montrant que la restauration de l’olfaction chez l’animal fait intervenir les facteurs neurotrophiques : NGF, BDNF [26-30], on peut émettre l’hypothèse que l’acupuncture et l’EA aient une action similaire sur le système olfactif.

Conclusion

Ce cas clinique met en lumière l’intérêt de l’acupuncture et de l’électroacupuncture dans une pathologie oubliée de la pharmacologie occidentale. Aucune thérapeutique n’est proposée pour ces anosmies liées à une perte sensorielle secondaire aux lésions du système olfactif. Or il apparait que les points 4GI (hegu) et 20GI (yingxiang), points communs à toutes les études offrent une amélioration sensible de l’olfaction, d’autant plus active s’ils sont stimulés par EA à une fréquence basse de 1,2Hz à 500µs (équivalent à 2Hz pour une durée d’impulsion de 300µs) comme démontré dans notre cas clinique. On notera aussi qu’il est possible d’avoir une action sur l’agueusie. La théorie physiopathologique laisse supposer que le mécanisme d’action se ferait via les facteurs neurotrophiques, comme le  facteur de croissance nerveuse (NGF) ou le facteur neurotrophique dérivé du cerveau (BDNF). En conclusion, l’acupuncture et l’EA sont une option à envisager dans ces anosmies secondaires, à dissocier des anosmies congénitales isolées et syndromiques comme le syndrome de Kallmann-De Morsier. On peut espérer qu’une étude comparative randomisée puisse être réalisée un jour selon les normes de la médecine factuelle. Notons toutefois qu’une étude clinique de cohorte (n=50) portant à la fois sur hypo et anosmie post-virale (datant de 1 à 96 mois) utilisant 20GI (yingxiang) et EX-HN8 (shangyingxiang) a montré une amélioration statistiquement significative (p=0,031) de la fonction olfactive chez onze patients traités par acupuncture contre quatre patients dans le groupe témoin sans traitement placebo [[32]].


Références

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