La réception de l’acupuncture en France. Une biographie revisitée de George Soulié de Morant (1878-1955)

La réception de l’acupuncture en France. Une biographie revisitée de George Soulié de Morant (1878-1955)
NGUYEN Johan Paris : L’Harmattan, 2012
232 p. ; 15,4 cm x 23,6 cm. Broché, fig, illust., biblio.     ISBN 978-2-336-00358-0 – : 24

Comme le philosophe Michel Onfray qui mit en lumière l’affabulation freudienne à la base de la psychanalyse [[1]], Johan Nguyen nous offre une vision tout à fait nouvelle de la fabuleuse histoire de George Soulié de Morant. Certes, il ne remet pas en cause le fait que, grâce à lui, l’acupuncture française ait pris son envol en France avec la parution de l’une de ses œuvres majeures en 1934 [[2]]. Cependant, il s’interroge sur la légende du consul acupuncteur dont « le récit officiel est porteur de bien d’ambigüités » [[3]]. Pour celui qui connaît la vie de Georges Soulié de Morant, reprenons quelques éléments.  Ainsi il se dit médecin chinois ayant reçu la reconnaissance officielle par le globule de corail ciselé, mais aussi dépositaire d’un diplôme chinois, peinture sur soie de cinq mètres de long portant en relief les signatures de cent personnalités certifiant avoir été guéries par lui (diplôme non retrouvé [8]). Mais avant la mise en place des yisheng (médecins traditionnels dont les chijiao yisheng – médecins aux pieds nus-) et des yishi (médecin au sens occidental) [[4]], la profession médicale n’était pas structurée et la transmission du savoir se faisait de père en fils ou de maître à élève. Il a peut-être assisté à la fameuse épidémie de choléra de 1902 à Pékin, mais il ne rapporte de cet événement lors de son retour en France que des pratiques superstitieuses comme une procession rogatoire photographiée par ses soins lors d’un voyage à Huailai xian, ville à 200 km au nord de Pékin sur la route menant à la Mongolie [[5]]. Il n’a jamais été le seul et unique candidat de la France au prix Nobel de médecine en 1950 [[6]], cinq autres français, dont René Leriche qui fut régulièrement nominé sans l’obtenir, étaient présentés sur la liste, où d’ailleurs, étrangement, son nom n’y figure pas pour la bonne raison qu’il était enregistré comme candidat chinois [[7]].

Johan Nguyen objective, preuves à l’appui, grâce à une enquête minutieuse aux Archives Nationales d’Outre-mer, aux Archives du ministère des Affaires Etrangères, aux Archives Nationales de Paris etc. que l’histoire de notre Maître Soulié de Morant est truffée d’omissions, d’opportunités et de pans de vie occultés. « Plusieurs événements dans la vie de ce personnage restent voilés de mystère. Par exemple, les raisons pour lesquelles George Soulié de Morant abandonne sa position au ministère des Affaires étrangères demeurent très vagues » alors qu’en janvier 1917 il était promu consul de deuxième classe mais mis aussitôt en disponibilité, impliquant l’absence de rémunération et de droit à la retraite [[8]]. Troublante aussi sa production littéraire autour de la Chine. Soulié de Morant semble n’avoir jamais rencontré d’intellectuels français en Chine à la même époque, comme Paul Pelliot, Victor Segalen ou Edouard Chavannes. « Concernant la médecine, par exemple, malgré les années passées au Yunnan, Soulié de Morant ne fait jamais allusions aux missions médicales françaises dans le Sud-Ouest de la Chine » [8]. En fait, il faut considérer que Soulié de Morant n’était pas reconnu comme véritable sinologue par les sinologues institutionnels tels Victor Segalen, Marcel Granet ou Henri Maspéro de l’Ecole des Langues Orientales.

Malgré toutes ces zones d’ombre, Soulié de Morant arrive à se forger une image d’expert en acupuncture et de grand connaisseur de la Chine. D’autres avant lui n’avaient pas réussi à implanter l’acupuncture en France. Ainsi par exemple le consul Dabry de Thiersant en poste en Chine pendant sept ans publia en 1863 un ouvrage : ‘La médecine chez les Chinois’, réalisé à partir de dix ouvrages médicaux chinois, dont le Huangdi Neijing et le Zhenjiu dacheng et défendant « l’utilité de la médecine des Chinois pour ‘ l’humanité’ » [[9]]. De même, ‘Médecine et pharmacie chez les Chinois et les Annamites’ publié en 1902 par le Dr Jules Régnault objective que ‘la Médecine chinoise apparait plutôt comme un édifice scientifique stationnaire mais robuste, forgé par une méthode synthétique et une clinique séculaire’. Il entend par méthode synthétique la méthode qui accumule le résultat de siècles d’observations empiriques, s’additionnant au fil des siècles et sans remise en cause, s’opposant de ce fait à la méthode analytique, méthode scientifique qui formule le progrès de découvertes en découvertes, n’hésitant pas à reformuler les hypothèses au gré des recherches.

En fait ces deux auteurs ne voyaient dans la médecine chinoise que croyances et superstitions mais aussi un certain intérêt pour l’orientalisme à la mode à l’époque [9].

Soulié de Morant arriva donc on peut le dire, à la bonne époque, peut-être même une création de l’époque. Johan Nguyen montre bien que la réception de l’acupuncture en France bénéficia de l’aura de la philosophie de René Guénon (figure 1) qui fonde son discours sur l’ésotérisme réservé à une « élite », seule apte à en tirer véritablement profit, au détriment de l’exotérisme hiérarchiquement inférieure car publique. Et Johan Nguyen de relier Guénon à Soulié de Morant qui « institue le primat du sinologue sur le médecin, primat qui va imprégner toute l’acupuncture française contemporaine. La légitimité est conférée par l’accès direct ou indirect au texte chinois, reléguant au second plan la pratique médicale et l’objectif thérapeutique ». Les idées de Guénon, bien sûr, imprégneront le « Carrefour de Cos », groupe fondé entre les deux guerres par Marcel Martiny et qui se compose de médecins comme Paul Ferreyrolles, Thérèse Martiny etc. Ce cercle avait pour but de développer une recherche médicale néohippocratique défendant une médecine traditionnelle, empirique et non conventionnelle telle l’homéopathie, la naturopathie, la réflexothérapie, la psychanalyse.  « Ce contexte ouvre la voie à l’acupuncture » et à son introduction dans les hôpitaux français.

L’ouvrage de Johan Nguyen se doit d’être connu par tout acupuncteur afin de comprendre que selon l’expression de Soulié de Morant, la « vraie acuponcture » introduite en France ne serait en fait qu’une acupuncture franco-française reconstruite à partir de sources japonaises (voir éditorial de couverture) et non directement des Classiques chinois.

Cela n’empêche pas que Soulié de Morant personnifie l’acupuncture et que sans lui et sans le contexte particulier de l’entre deux-guerres, il est fort possible que son ancrage en Europe n’eût pu avoir lieu. Néanmoins les diverses impostures de Soulié de Morant retracées dans ce livre, qui n’est pourtant pas un roman, imposent de reformuler notre approche de l’acupuncture.

Et pour ceux qui veulent que la Tradition éclaire la Modernité et la Science, sachons alors de savoir de quelle Tradition l’on se doit de parler ? 

Figure 1. René Guénon en 1925.

Conflit d’intérêts : aucun

Références


[1]. Onfray M. Le crépuscule d’une idole, l’affabulation freudienne. 1er éd. Paris: Grasset; 2010.

[2]. Soulié de Morant G. Précis de la vraie acuponcture chinoise. 1ère éd. Mercure de France; 1934.

[3]. Nguyen J. La légende du consul acupuncteur. Actes des XVIemes journées de la FA.FOR.MEC; 16-17 novembre 2012; Strasbourg, France. 2012.

[4]. Hor Ting. Un siècle d’enseignement de la médecine en Chine Acupuncture & Moxibustion. 2006;5(3):238.

[5] .Soulié de Morant G. Cangued convicts kneel down before a procession. Institut d’Asie Orientale. [cité le 29 Nov 2012];[1 page]. Available from: URL: http://turandot.chineselegalculture.org/Photographs.php?ID=561.

[6] . Nomination Database – Physiology or Medicine. Nobelprize.org. [cité le 29 Nov 2012];[1 écran]. Available from: URL: http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/medicine/nomination/nomination.php?action=show&showid=5209

[7] . Nomination Database – Physiology or Medicine ». Nobelprize.org. [cité le 29 Nov 2012];[1 écran]. Available from: URL: http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/medicine/nomination/nomination.php?action=advsearch&start=841&key1=candcountry&log1==&string1=FR&log10=&log11=&order1=year&order2=nomname&order3=cand1name

[8]. Candelise L. George Soulié de Morant, le premier expert Français en acupuncture. Revue de synthèse. 2010;131(6-3):373-399. 

[9]. Guilloux R. Évolution de la « tradition » dans la réception de l’acupuncture chinoise en France (1860-1980). Revue d’anthropologie des connaissances. 2011;5(1):13-40.

Panorama de la forteresse vénitienne Antimachia (XIVe)- Kos - Grèce
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Stéphan JM. Recension. La réception de l’acupuncture en France. Une biographie revisitée de George Soulié de Morant (1878-1955) par Johan Nguyen. Acupuncture & Moxibustion. 2012;11(4):319-320.