Le décret n° 2008-863 du 27 août 2008 complétant le code de déontologie des sages-femmes [[1]] et l’arrêté du 2 novembre 2009 [[2]] ont légalisé la pratique de l’acupuncture chez les sages-femmes à condition d’être titulaire du diplôme interuniversitaire (DIU) d’acupuncture obstétricale.
Voici une nouvelle présentation de mémoire soutenu à Lille en 2019 sous la direction du Professeur Véronique Houfflin-Debarge et des coordinateurs les Drs Marie-Hélène Montaigne et Jean-Marc Stéphan, faisant suite aux travaux précédemment décrits [3-10] et montrant que la recherche clinique réalisée par nos étudiantes et sous contrôle de leur chef de service obstétricien ne s’essouffle pas.
Pouls quantitatifs et sensibilité de qimen en début de travail : quel apport d’informations sur le déroulement de l’accouchement ?
A la maternité de Roubaix (au Pavillon Paul Gellé puis à la Maternité de Beaumont) entre avril 2017 et février 2018, Marie Guitton et Hélène Fillot ont réalisé une étude concernant l’intérêt des tests diagnostiques d’acupuncture en salle de naissance chez des patientes en travail spontané pendant la phase de latence ou chez des patientes devant être déclenchées : prise des pouls chinois, palpation du 14F (qimen).
Le recrutement des femmes s’est fait aléatoirement.
Le recueil des données a été réalisé par les deux auteurs de l’étude. 75 patientes, 39 primipares et 36 multipares, dont 4 secondes pares ayant un utérus cicatriciel ont été étudiées, dont les âges gestationnels se répartissaient entre 37 et 41 semaines d’aménorrhée (SA).
Pouls quantitatifs
La première partie de cette étude concernait les pouls quantitatifs en début de travail qui avaient déjà été étudiés lors d’une précédente étude diagnostique [4]. En effet, il avait été constaté qu’une bascule à la palpation des pouls quantitatifs [1] de la loge taiyin (Rate-Pancréas) vers la loge yangming (Poumon) était prédictive d’une mise en travail spontanée, physiologique qui s’observerait dans les trois semaines qui précèdent l’accouchement. Autre point fort de la précédente étude de Sandrine Huret et Emilie Bigotte en 2012 était la forte diminution du pourcentage de Vide du pouls de la loge Rein au-delà de 38 SA (33,33% des cas) qu’elles expliquaient par le fait que le Rein est physiologiquement très important pour l’accouchement. Malheureusement, cette étude diagnostique était de très faible niveau de preuve, sans aucune étude statistique et biaisée sans doute par une certaine part de subjectivité.
De ce fait, pour essayer de démontrer à nouveau l’intérêt de la sphygmologie dans le suivi de la grossesse, Marie Guitton et Hélène Fillot en 2018 ont tenté une nouvelle étude diagnostique avec détermination des indices de sensibilité et de spécificité [2].
Les pouls quantitatifs de 75 patientes ont donc été relevés (figure 1).
Figure 1. Lorsque le pouls de la loge taiyin ≥ yangming, il est noté B – ; lorsque le pouls de la loge taiyin <yangming : B+. Etat de la bascule des pouls des loges taiyin / yangming en fonction de l’âge gestationnel des patientes : plus l’âge gestationnel avance, plus la proportion de patientes ayant réalisé la bascule des pouls est importante. En revanche à 41 SA, il existe un nombre important de patientes sans bascule.
Les résultats ne sont malheureusement pas au rendez-vous. Ainsi, même s’il apparait qu’une bascule est bien réalisée à 40SA, il n’est pas observé de différence significative concernant l’issue de l’accouchement (césarienne, voie basse ou extraction), que ce soit lorsque le travail est spontané ou déclenché ; et pas de différence notable de durée du travail, quel que soit le mode d’entrée en travail. Aucune conclusion n’est possible non plus en ce qui concerne la durée du travail en fonction du pouls de Rein.
Sensibilité du qimen
Qimen sensible quel que soit le mode d’entrée en travail
La sensibilité du qimen a été recherchée sur une population de 74 patientes en début de travail. Parmi elles, quatorze présentaient au moins un 14F sensible (14F+) et quatorze autres un 14F non sensible (14F-). L’issue de l’accouchement quel que soit le mode d’entrée en travail a été observé (figure 2).
Figure 2. Parmi les patientes ayant un 14F- : 67% ont accouché par voie basse normale, 23% ont eu une extraction instrumentale, 10% ont eu une césarienne ; parmi les patientes ayant un 14F + : 14% ont accouché par voie basse normale, 43% ont eu une extraction instrumentale, 43% ont eu une césarienne.
L’étude statistique objective une sensibilité de 37,5% et une spécificité de 95,2% ; la valeur prédictive positive (VPP) est de 85,7% et la négative (VPN) à 66,7% (Tableau I).
Tableau I. Etude statistique si qimen sensible quel que soit le mode d’entrée en travail.
Accouchement dystocique | Accouchement eutocique | |
Qimen + | 12 (vrais positifs) | 2 (faux positifs) |
Qimen – | 20 (faux négatifs) | 40 (vrais négatifs) |
Pour l’ensemble de la population de cette étude, il est observé qu’en cas de qimen sensible, les patientes ont donc 85,7% de risques que leur travail aboutisse à un accouchement dystocique. Les patientes ayant un qimen non sensible ont quant à elles 66,7% de chances que leur travail aboutisse à un accouchement physiologique. Le coefficient Q de Yule qui mesure l’intensité de la liaison entre les deux variables (accouchement dystocique/qimen+) est très fort (Q=0,85). Le test Khi² étant à 12,69 ; la liaison est statistiquement significative entre l’accouchement dystocique et qimen+ et il y a moins d’une chance sur 1000 que la distribution soit due au hasard ((p≤0,001).
Qimen sensible et travail spontané
Pour les patientes en travail spontané, en cas de qimen sensible, la probabilité d’accouchement dystocique est de 71,4%. A l’opposé, lorsque qimen n’est pas sensible, la probabilité d’accouchement physiologique est de 67,6%. La liaison n’est pas statistiquement significative entre l’accouchement dystocique et qimen sensible.
Qimen sensible et déclenchement artificiel du travail
Figure 3. En cas de déclenchement : 65% des patientes du groupe qimen – ont accouché par voie basse simple contre aucune dans le groupe qimen +. 18% des patientes du groupe qimen – ont accouché par voie basse instrumentale contre 14 % dans le groupe qimen +. 17% des patientes du groupe qimen – ont accouché par césarienne contre 86% dans le groupe qimen +.
En cas de déclenchement artificiel du travail, toutes les femmes qui présentaient un qimen sensible ont eu un accouchement dystocique et 65,2% des patientes ayant un qimen – ont eu un accouchement physiologique Le coefficient Q de Yule est très fort (Q=1). Le Khi²=9,13, donc la liaison est statistiquement significative entre un accouchement dystocique et qimen + (p≤0,01). Cependant, la faible taille de l’échantillon est à prendre en compte pour l’interprétation des résultats (Tableau II).
Tableau II. Etude statistique si qimen sensible quel que soit le mode d’entrée en travail. Sensibilité : 46,7% ; Spécificité : 100% Coefficient Q de Yule : 1 ; VPP : 100% ; VPN : 65,2% ; Khi² : 9,13 (p≤0,01)
Accouchement dystocique | Accouchement eutocique | |
Qimen + | 7 (vrais positifs) | 0 (faux positifs) |
Qimen – | 8 (faux négatifs) | 15 (vrais négatifs) |
En conclusion de leur étude, Marie Guitton et Hélène Fillot considèrent qu’il y a peu d’intérêt à la prise des pouls quantitatifs en début de travail. Il y a trop de facteurs perturbateurs, anxiété, douleurs, etc.
En revanche, la palpation de qimen en début de travail permet de montrer de manière statistique le lien étroit entre sa sensibilité et l’augmentation de la proportion de travail dystocique notamment lors des déclenchements. Lorsque qimen est sensible, les auteurs ont ainsi relevé plus d’interventions médicales occidentales, comme l’administration d’ocytocine (utilisée pendant le travail pour 30% des patientes du groupe qimen -, contre 57% des patientes dans le groupe qimen +), accouchement instrumental, césarienne et chinoises (séances d’acupuncture). De ce fait, elles proposaient de pouvoir systématiser la palpation du point 14F, geste simple et rapide, lors des consultations de terme ou lors des décisions de déclenchement.
Discussion
La première partie de cette étude infirme les conclusions du précédent travail de Sandrine Huret et Emilie Bigotte. On ne peut pas considérer que la bascule de la loge taiyin (Rt-E) vers celle du yangming (P-GI) serait prédictive d’une mise en travail spontanée, physiologique qui s’observerait dans les trois semaines qui précèdent l’accouchement, ni la forte diminution du pourcentage de Vide du pouls des Reins survenant au-delà de 38 SA (33,33% des cas) [4]. Notons aussi le biais de la localisation des pouls. Les auteurs ont choisi celle des pouls radiaux selon George Soulié de Morant avec un pouls des Reins en Pied droit, mais pour de nombreux auteurs, le pouls des Reins est localisé à la fois aux Pieds droit et gauche [[11]]. De ce fait, le biais est majeur. Donc peu d’intérêt prédictif de la sphygmologie au cours du travail, même si à la 39 et 40e semaine, semble se détacher une certaine bascule qui ne se confirme pas à 41SA.
Plus intéressant est la recherche de la sensibilité du qimen, point mu du Foie, dans la deuxième partie de l’étude. Les points mu ou points Hérauts, points Alarmes, sont décrits partiellement dans au moins sept chapitres du Neijing. Tous situés sur le ventre ou le thorax, ils ont le sens de « rassemblement », mais également celui de « tenture ». Comme pour les points beishu, ils sont à utiliser pour combattre les déséquilibres internes des zang-fu (Organes-Entrailles) [[12]]. En obstétrique, ce sont des points importants dont la palpation fait partie de l’examen traditionnel de MC. Leur sensibilité anormale peut avoir un rôle d’alerte et pourrait faire partie des critères du diagnostic et des éléments décisionnels thérapeutiques.
Une étude descriptive réalisée entre février et mai 2015 dans le cadre d’un DIU concernant 59 patientes a évalué la sensibilité de tous les points mu considérés comme « points alarmes » lors de leur palpation au cours d’une consultation obstétricale. Carole Aussourd et Marie Combemorel ont pu ainsi remarquer que quatre troubles apparaissent plus fréquemment dans leur étude : troubles neuromusculaires, troubles gastro-intestinaux, troubles hépato-immuns, troubles hématologiques. Six points mu sensibles les plus fréquemment retrouvés étaient par ordre décroissant : 14F (qimen), 13F (zhangmen), 24VB (riyue), 12RM (zhongwan), 17RM (tanzhong) et 14RM (juque). Néanmoins du fait de nombreux biais méthodologiques, il avait été difficile de conclure à une quelconque validité scientifique, tout au plus proposaient-elles des proposition de nouvelles études [[13]].
Concernant le qimen et sa valeur prédictive dans les dystocies, les auteurs ont donc confirmé les résultats de la précédente étude de Gwladys Aubert et Nathalie Masson portant sur quarante-cinq patientes en début de travail et réalisée en 2013 [[14]] qui objectivait déjà une spécificité à 83,87% et une sensibilité à 78,57%, le coefficient de Q de Yule était calculé à 0,9 ; ce qui correspond à une très forte intensité de la liaison entre les deux variables (dystocie/qimen).
Néanmoins dans ces deux études diagnostiques, même si le qimen offre de nouvelles perspectives de diagnostic et de pronostic, il s’agit encore de le confirmer par de nouveaux essais de plus grande puissance, et en se comparant à un test de référence.
Ainsi pour évaluer et appliquer les résultats de ces études sur le qimen, il s’agira de s’interroger sur la validité de cette étude.
Est-on face à une incertitude diagnostique ? On peut répondre par l’affirmative car, même si on peut anticiper une dystocie mécanique, par disproportion entre le fœtus et le bassin ou par obstacle prævia, qui ne relève pas d’ailleurs de l’acupuncture, il est en revanche difficile d’anticiper la survenue de la dystocie cervicale menant le plus souvent à la césarienne.
Y-a-il eu une comparaison indépendante et aveugle avec un standard diagnostique de référence appliqué à tous les groupes d’étude ? On ne peut que répondre négativement du fait qu’il n’en existe pas car les causes de dystocie cervicale sont multiples : anomalie au niveau du col utérin, défaut de maturation cervicale, anomalie d’ampliation du segment inférieur (fréquent pour les utérus cicatriciels), spasme du col utérin, etc.
De ce fait, le qimen pourra servir de test de référence en changeant la prise en charge et anticiper une césarienne ou une prise en charge instrumentale.
Notes
[1]. Certains auteurs appellent de la terminologie « quantitatif » la description des pouls bien spécifique au ressenti : état d’excès pour un pouls ample et fort ; état de vide pour un pouls en insuffisance, profond, fin et peu perçu.
[2]. On entend par test sensible la capacité de la bascule de la loge taiyin vers celle du yangming à identifier correctement la mise en travail spontanée (une sensibilité à 100% ne donne aucun faux négatif) ; et test spécifique par la capacité de cette prise de pouls à identifier correctement la non-bascule du pouls parmi celles qui ne sont pas encore en travail spontané, bref qu’il n’y ait aucun faux positif.
Références
[1]. Décret n° 2008-863 du 27 août 2008 complétant le code de déontologie des sages-femmes. Available from URL: http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000019386996.
[2]. Arrêté du 2 novembre 2009 fixant la liste des diplômes permettant l’exercice des actes d’acupuncture par les sages-femmes. Available from URL: http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000021245638.
[3]. Stéphan JM. DIU d’Acupuncture Obstétricale : tableaux d’une exposition. Acuterme, zhubin et mise en route du travail dans les ruptures prématurées des membranes. Acupuncture & Moxibustion. 2013;12(1):69-72.
[4]. Stéphan JM. DIU d’Acupuncture Obstétricale : tableaux d’une exposition. Sanyinjiao et périnée, zhubin et neiting dans le syndrome de Lacomme, sphygmologie quantitative. Acupuncture & Moxibustion. 2013;12(2):147-151.
[5]. Stéphan JM. DIU d’Acupuncture Obstétricale : tableaux d’une exposition. Canal carpien, prise en charge de la montée laiteuse, variétés occipito-postérieures et travail. Acupuncture & Moxibustion. 2013;12(3):240-245.
[6]. Stéphan JM. DIU d’Acupuncture Obstétricale : tableaux d’une exposition. Baihui et poussée hémorroïdaire post-partum ; qualité de vie et douleurs dans le syndrome de Lacomme. Acupuncture & Moxibustion. 2013;12(4):330-332.
[7]. Stéphan JM. DIU d’Acupuncture Obstétricale : tableaux d’une exposition. Pré-éclampsie, qimen et valeur diagnostique dans les dystocies cervicales. Acupuncture & Moxibustion. 2014;13(2):138-143.
[8]. Stéphan JM. DIU d’Acupuncture Obstétricale : tableaux d’une exposition. Délivrance et cholestase gravidique. Acupuncture & Moxibustion. 2014;13(3):213-217.
[9]. Stéphan JM. DIU d’Acupuncture Obstétricale : tableaux d’une exposition. Diabète gestationnel et diagnostic par l’examen de langue. Acupuncture & Moxibustion. 2014;13(4):291-294
[10]. Stéphan JM. DIU d’Acupuncture Obstétricale : tableaux d’une exposition. Lougu et moxibustion dans la prise en charge des suites d’épisiotomie. Acupuncture & Moxibustion. 2015;14(1):81-84.
[11]. Stéphan JM. Recension. Le diagnostic par les pouls en Chine et en Europe. Une histoire de la sphygmologie des origines au XVIIIe siècle par Eric Marié. Acupuncture & Moxibustion. 2013;12(2):160-162
[12] Stéphan JM. Traitement informatique de la théorie des ziwuliuzhu associée à celle des points saisonniers. Application aux techniques thérapeutiques des jingjin, des jingbie et à la méthode de Yanagiya Soreï. Méridiens. 1991;93,15-63.
[13]. Aussourd C, Combemorel M. Apports de la palpation des points mu au cours de la grossesse. Mémoire du Diplôme Inter Universitaire d’Acupuncture Obstétricale. Lille : Université du Droit et de la Santé. Faculté de médecine Henri Warembourg; 2016.
[14]. Aubert G, Masson N. Qimen & dystocies cervicales. Mémoire du Diplôme Inter Universitaire d’Acupuncture Obstétricale. Lille : Université du Droit et de la Santé. Faculté de médecine Henri Warembourg; 2013.