Vu pour vous à la télévision

Cité interdite – Dynastie Ming – XVe – Pékin – Chine

Le samedi 23 octobre 2004, à 14 h 50, France 2 a diffusé un documentaire de 52 minutes sur la Médecine Chinoise. Ce film de Miroslav Sebestik, produit par Les Films à Lou à Paris, montrait que bien qu’utilisant la médecine scientifique occidentale, la Chine semblait rester fidèle à la plupart de ses théories initiales. Et c’est une plongée dans la médecine traditionnelle avec interrogatoire précis, prise de pouls, examen de langue, pharmacopée etc. Sous la conduite d’Éric Marié le film décrypte et analyse parfaitement la philosophie qui sous-tend le système médical chinois.

A cette heure de grande écoute, Éric Marié est très didactique et bien compréhensible pour le commun des mortels. En l’écoutant, on prend conscience aussi qu’il nous fait part de sa crainte de voir ce savoir ancestral disparaître, mouliné progressivement par la médecine occidentale. Pour connaître le fond de sa pensée, je lui ai posé quelques questions.

Place Tian’anmen – porte de la Paix Céleste – Dynastie Ming XVe – Pékin – Chine

Jean-Marc Stéphan : 52 minutes pour expliquer toute la Médecine Traditionnelle Chinoise, c’est fort peu de temps, n’est-ce pas ?

Eric Marié : L’auteur du film n’a jamais eu l’ambition d’expliquer « toute la Médecine Traditionnelle Chinoise » en 52 minutes mais plutôt d’en présenter une approche fondée sur quelques aspects. En fait, vous avez vu qu’il ne s’agit pas d’un document technique à destination des professionnels. Sur les 50 heures d’images tournées, principalement en Chine, le producteur et le réalisateur ne pouvaient retenir que 52 minutes, durée exigée par la chaîne … Ce sont évidemment les explications jugées trop « savantes » qui ont été éliminées en premier. Mais je trouve déjà très positif qu’une chaîne publique nationale ait été motivée pour proposer, à une heure de grande écoute, un document sur notre discipline qui aidera, je l’espère, à la faire mieux connaître au grand public.

Jean-Marc Stéphan : Vous semblez pessimiste quant à l’avenir de la MTC par rapport à la médecine occidentale ?

Eric Marié : En fait, mon discours général était beaucoup plus nuancé et surtout plus argumenté mais, comme je vous le disais, 90% du tournage a été éliminé au montage, notamment pour suivre les recommandations de la chaîne qui ne voulait pas un discours trop élaboré mais plutôt une ouverture culturelle.

Ceci étant dit, j’assume néanmoins ce pessimisme. Ce n’est pas à proprement parler la confrontation avec la médecine occidentale (qui peut être très positive et enrichissante) qui est en cause mais surtout, comme je le mentionne dans le film, les rapports à l’argent et les pressions industrielles dont j’ai pu percevoir les effets négatifs, à travers mon activité universitaire et hospitalière en Chine. D’ailleurs, ceci concerne assez peu l’acupuncture mais plutôt la plus grande partie de l’exercice médical chinois fondé sur la pharmacopée. La commercialisation de remèdes symptomatiques destinés à l’automédication, le fait de financer principalement des recherches qui conduiront à la production de spécialités rentables conduit à une simplification des raisonnements et à une perte des savoirs.

En revanche, je trouve que l’introduction de modes d’analyse occidentaux, d’une véritable épistémologie, et d’une analyse critique qui manquent souvent en Chine, est très positive, à condition, bien sûr, que ceux qui l’exercent ne s’appuient pas sur une attitude « colonialiste » mais introduisent de la rigueur tout en respectant les spécificités du système médical chinois, en l’examinant de l’intérieur de sa propre cohérence avec les outils intellectuels de la modernité.

Jean-Marc Stéphan : Vous pensez donc que la médecine occidentale oblige les acupuncteurs à plus d’exigence envers eux-mêmes, de façon à faire sortir la MTC de son « ésotérisme » ou ressentie comme telle.

Eric Marié : Ce n’est pas « la médecine occidentale » – qui recèle, comme tout système médical, son propre intérêt mais aussi ses lacunes – qui impose davantage d’exigence mais plutôt une attitude intellectuelle permettant d’appréhender la médecine chinoise, depuis son propre système, avec une vraie rigueur épistémologique. Quant à la question de l’ « ésotérisme », je ne sais pas trop ce que recouvre ici ce terme dont le champ sémantique est assez mal défini, mais j’ai remarqué que certains milieux occidentaux en étaient les principaux porteurs car on a davantage tendance a être friand de mystères lorsqu’on aborde (surtout superficiellement) un système exotique que lorsqu’on doit le pratiquer au quotidien, dans sa propre culture. J’ai ainsi trouvé les Chinois très pragmatiques, parfois même un peu trop, au risque de se couper de certaines de leurs racines. Cependant, ici encore, il faut exprimer beaucoup de nuances. La Chine est un grand pays et les « acteurs » de la médecine traditionnelle chinoise appartiennent à des catégories très diverses, tant en terme de formation et d’érudition que d’expérience pratique, de cadre d’activité, d’orientation et d’intérêt intellectuel, sans même parler d’autres critères, parfois déterminants (âge, classe sociale, aire géographique…). Cette diversité est en elle-même d’un grand intérêt anthropologique mais elle peut conduire à des généralisations abusives lorsqu’on ne peut effectuer qu’une investigation limitée.

Enfin, votre question porte-t-elle sur les acupuncteurs français ou chinois (américains, japonais…) ? Il n’est pas certain qu’une réponse globale puisse être apportée car les savoirs, les pratiques, les opinions et les comportements ne sont pas identiques.

Cité interdite – Dynastie Ming – XVe – Pékin – Chine

Éric Marié
Docteur de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) et professeur à la Faculté de MTC du Jiangxi
emarie@wanadoo.fr  

Stéphan JM, Marié E. Vu pour vous à la télévision. Acupuncture & Moxibustion. 2005;4(2):82-83. (Version PDF non publiée).