Formation : mise au point | |
OBJECTIF : Connaître à la lumière de traductions (françaises) des Textes classiques le trajet, la structure et l’utilisation thérapeutique des luomai. | Les luomai sont des Vaisseaux Secondaires comme les jingjin et les jingbie. Il s’agit de comprendre leur apparition dans la Médecine Traditionnelle Chinoise de manière épistémologique, de connaître leur trajet ainsi que la symptomatologie occasionnée par leur atteinte et de savoir les utiliser dans des pathologies courantes. |
Un peu de chinois
Nous allons rencontrer différents termes chinois dont jingmai, jingluo, luomai, bieluo, jingbie et il nous a paru important de revenir à la définition de ces termes [3].
- Luo, NR7271, 絡 [络] : filet, réseau, lier ensemble […]. En MTC : ramification des circulations ordonnées par les méridiens, jing, 經, qui se subdivisent pour se partager l’espace corporel, de la profondeur vers la superficie. Trajets spécifiques mettant en relation deux méridiens couplés, ou un méridien avec un organe ou une région corporelle. [&] Prendre une relation, resserrer les liens avec un organe, un trajet ou un territoire (spécialement en parlant d’un méridien).
- Mai, NR7966-7557, 脉-脈 [脉] : vaisseau sanguin, veine ou artère, pouls, pulsation. En MTC : réseau de l’animation perceptible des pouls, toutes les circulations du sang-et-des-souffles dont le déploiement est sous la dépendance du coeur. La partie du corps liée au coeur. Dans jingmai (經脈) [经脉] plus spécifiquement les méridiens.
- Bie, NR9005, 別 : diviser, séparer. Quitter, se séparer […]. Autre, distinct ; différent, spécial. Particulièrement, spécialement. En MTC : distinction, séparation (par exemple du clair et du trouble), détachement d’un courant depuis un méridien vers un territoire sous son autorité ou avec lequel il renforce ses relations, jingbie, 經別 ou bieluo, 別絡.
- Jing, NR2081, 經[经] : chaîne d’un tissu ; route orientée dans le sens sud-nord. En MTC : méridien, norme de la circulation des souffles et de la constitution organisée des territoires corporels ; il y a 12 zhengjing, 正經, méridiens réguliers et 8 qijing, 奇經, méridiens extraordinaires.
A la source des Textes Classiques et problématique
Le chapitre X « jingmai » du Huangdi neijing lingshu [4]et le livre II du Zhenjiu jiayijing « Les douze méridiens, les luo et les branches distinctes » [5] donnent dans une première partie une description du trajet des 12 méridiens principaux, des signes par attaque externe, des signes par atteinte interne et une description des pouls dans l’ordre de circulation de rongqi (énergie nourricière). Plus loin et dans les mêmes chapitres, il nous est dit « les 12 jingmai circulent en profondeur dans l’espace de la répartition de la chair. Ils sont invisibles, […]. Quant aux autres vaisseaux émergeants et visibles, ils appartiennent tous au groupe des luomai[&]. Les jingmai ne sont pas visibles, […] Quant aux vaisseaux décelables, ils sont tous des luomai ».
Le Zhenjiu jiayi jing II-1 explique que toute maladie s’installe d’abord dans les luo des douze méridiens après ouverture des couli. Si ce pervers ne part pas, il se propage entre les méridiens, et s’il ne part toujours pas, il se propage entre chaque entraille et s’amasse dans les intestins et l’estomac. La problématique vient de la difficulté à traduire le terme luo qui selon les auteurs peut correspondre à un jingbie.
Trajet et structures
Les trajets de 15 luobie sont décrits dans le chapitre X du Huangdi neijing lingshu et le chapitre II du Zhenjiu jiayi jing, mais ces chapitres n’abordent pas le daluo de l’estomac qui est décrit dans le Suwen XVIII et mis en relation avec zongqi. De cette description, nous pouvons en déduire que tous les points sont proches des chevilles ou poignets (tableau I).
Un commentaire du Zhenjiu jiayijing précise « qu’ici on ne dit pas luo, mais bie, ce qui veut dire séparer ou trajet séparé parce qu’au niveau de ce point (le luo) se sépare de son méridien propre pour aller au méridien voisin ». Le Zhenjiu dacheng traduit par Nguyen VN donne dans le chapitre « mouvements des 3 yin et 3 yang » les mêmes trajets que le Lingshu et utilise le terme luomai. Plus loin, le même Zhenjiu dacheng cite 3 versions de la « chanson des 15 luomai » dans lesquelles est utilisé le terme bieluo (luo distinct), les trajets sont les mêmes [1,4,-7]. On notera donc l’incohérence des diverses traductions : un jingbie dans certains cas pourra être considéré comme luo transversal ; dans d’autres cas le jingbie pourra être un luo longitudinal. Dans la traduction de Milsky et Andrès [5] les vaisseaux secondaires représentent les vaisseaux luo. De même Husson qui appelle les vaisseaux secondaires, « vaisseaux de liaison » ou « grandes liaisons » selon le cas [8]. Auteroche et Navailh appellent les grosses ramifications « bieluo » alors que les petites ramifications sont nommées « fuluo » et « sunluo », tout en les différenciant des jingbie [9].
Soulié de Morant considère que les méridiens sont couplés par les méridiens luo transversaux, y compris le renmai et dumai qu’ils nomment ligne médiane : « Ces passages sont les émissaires réguliers du flot d’énergie d’un méridien dans celui avec lequel il est couplé& On a constaté de plus qu’en agissant sur un certain point de chaque méridien, quand ce méridien était trop plein, on provoque une baisse de pression dans ce méridien et une augmentation proportionnelle dans celui avec lequel il est couplé&. Ces points de passage, et les canaux qui les relient au méridien couplé sont appelés luo ou luo-mai, terme employé pour tous les vaisseaux secondaires et canaux de retour, veines, etc.. Chaque méridien possède un point et un vaisseau secondaire de ce genre ; les deux lignes médianes en ont un chacune » [10]. Borsarello parle des maladies des méridiens profonds (jingbie). Selon lui, les maladies des jingbie provoquent des algies intermittentes que l’on traite par les points he. Par contre, il distingue les vaisseaux luo, qu’il nomme méridien de transfert. « Ce sont des liaisons qui permettent le passage entre méridiens dits « couplés » (CO-IG, VE-RE, MC-TR, VB-FO, PO-GI, ES-RA) et qui n’est pas réservé à tous les méridiens. Il n’y a pas de passage, en effet, entre IG et VE, entre GI et ES » [11].
Cobos et Vas parlent des 15 luomai correspondant aux 12 méridiens principaux, à celui du renmai, du dumai et du grand luo de Rate. D’autre part, ils les différencient en 12 luomai principaux ou longitudinaux et 12 luomai secondaires ou transversaux [12]. Lesvaisseaux luo longitudinaux, sont comme les jingbie couplés en biao/li, assurant une régularisation entre le méridien principal et la profondeur (entraille ou organe : zangfu). Ils correspondent aux 12 méridiens principaux auxquels on ajoute le luo longitudinal du Vaisseau Gouverneur, du Vaisseau Conception et le Grand luo du Méridien de Rate-Pancréas qui naît au RA21 (dabao). Leurs points de départ sont situés au point luo. Le point luo est aussi le point de départ des vaisseaux luo transversaux qui est en communication avec le méridien yang ou yin couplé et vice-versa : le point luo sert alors de passage de l’énergie en excès d’un méridien perturbé vers le méridien couplé. On utilisera en même temps les points yuan (source) pour attirer l’énergie perverse dans ce méridien.
Symptomatologie
Le mécanisme d’atteinte des vaisseaux luo est clair : « Lorsque le pervers s’installe dans le corps, il loge d’abord nécessairement dans la peau et les poils. S’il reste et ne part pas, il pénètre et loge dans les sunluo ; s’il reste et ne part pas, il pénètre et loge dans les vaisseaux luo(luomai) ; s’il reste et ne part pas, il pénètre et loge dans les méridiens (jingmai), il entre à l’intérieur se joindre aux cinq organes et se diffuse dans l’estomac et les intestins. Si le yin et le yang sont affectés en totalité, les cinq organes seront finalement blessés. Tel est l’ordre de pénétration du pervers à partir de la peau (pi) et des poils jusqu’aux cinq organes, et s’il en est ainsi on traite par le méridien. Or, lorsque le pervers s’installe dans la peau et les poils, pénètre et loge dans les sunluo, reste et ne part pas, il les obstrue et empêche toute communication, mais ne peut pas pénétrer dans les méridiens jing. Il déborde dans les grands luo et donne naissance à des maladies extraordinaires (qibing). Le pervers qui s’installe dans les grands luo se déverse de gauche à droite et de droite à gauche. En haut et en bas, à gauche et à droite, il offense les méridiens (*) et se propage dans les quatre membres. Son souffle n’a pas d’endroit fixe et ne parvient pas jusqu’aux points des méridiens (jingshu). [Dans ce cas on a recours à la puncture qui] s’appelle la piqûre miu. [La grande piqûre (juci) puncture le méridien, la piqûre miu puncture les luo] (**) » [5].
(*) : Le Suwen zhuzheng fawei dit : » en fait, il ne peut pas y pénétrer ».
(**) : Le caractère miu signifie « différent ». [&] Le Suwen zhizi dit : « Endroit miu, cela signifie endroit différent. Ceci veut dire que les douleurs des méridiens sont profondes et se situent à l’intérieur (li) et les douleurs des vaisseaux luo sont dans les ramifications et se situent horizontalement ».
Par ailleurs, le Lingshu X et le Zhenjiu jiayi jing II donnent une description des symptômes en cas d’atteinte par le Pervers et une proposition thérapeutique (tableau I). « Les 15 luo cités sont décelables en cas de plénitude et en cas de vide, ils sont cachés en profondeur, donc invisibles ». Cela signifierait que ces points luo sont décelables lorsque l’énergie perverse y est en plénitude, ils s’affaissent et deviennent invisibles lorsque l’énergie essentielle y est en vide [4,5].
Tableau I. Comparaison des symptômes et traitement selon les Textes.
Proposition thérapeutique
Dans notre précédent article [2] nous avons décrit la proposition thérapeutique s’appliquant aux jingbie utilisant la piqûre miu, mais nous avions émis aussi l’hypothèse que cela pouvait s’appliquer aussi aux vaisseaux luo.
Partant du sens du terme luo-communication, des contradictions des traductions, et des textes plus modernes [13,14], nous pouvons faire les propositions thérapeutiques suivantes :
– Transfert sur le méridien de communication (luo transverval) : les points luo traitent les troubles des régions desservies par le méridien de communication [13] et Michau [14] propose de les utiliser pour agir sur le méridien correspondant, sur le méridien controlatéral, sur le méridien controlatéral couplé en midi-minuit ; les signes justifiant cette indication sont les signes locaux (tableau 1), et c’est sans doute là que la piqûre miu a sa place. On peut aussi proposer la technique luo-yuan : utilisation du point yuan (source) couplé au point luo. Le point luo sert alors de passage de l’énergie en excès d’un méridien perturbé vers le méridien couplé. On utilisera en même temps les points yuan pour attirer l’énergie perverse dans ce méridien. Par exemple, une affection du shou shaoyin sera traitée par puncture de son point luo CO5 (tongli) et par le point yuan IG4 (wangu). Ici, le point yuan sert à favoriser le passage de l’énergie perverse du méridien du coeur vers le méridien couplé IG.
– Communication biaoli (luo longitudinal) : les points luo permettent d’équilibrer les deux méridiens ou les deux viscères couplés en biaoli, technique luo-yuan [13,14].
– Deadman et Al-Khafaji [13] proposent d’utiliser les points luo dans le traitement des troubles psychiques et émotionnels, car ces troubles, présents dans les indications de beaucoup de points, le sont systématiquement dans la symptomatologie des points luo.
Ces indications sont résumées dans le tableau II. Nous pouvons d’emblée remarquer que les signes attribués au méridien sont les troubles par plénitude décrits dans le tableau I.
Tableau II. Orientation décisionnelle, liste non exhaustive, certains symptômes pouvant être mis dans plusieurs colonnes [4,5,13].
Troubles du méridien | Trouble du couplé a) biaoli b) midi-minuit | Troubles psychiques | |
PO7 | chaleur de l’apophyse radiale | a) pathologies du nez (congestion, polypes), de la gorge, douleur dentaire b) céphalées, raideur de nuque | mauvaise mémoire, propension au rire |
GI6 | douleur dentaire, surdité, acouphènes | a) œdèmes, ascite b) miction difficile, œdèmes, ascite | délire maniaque |
ES40 | jueni : blocage douloureux de la gorge, aphasie soudaine | a) diarrhée avec aliments non digérés b) abcès du sein. Miction difficile, œdèmes, ascite, douleur entre l’annulaire et l’auriculaire | troubles maniaco-dépressifs, se déshabille et court, voit des fantômes |
RA4 | jueni : troubles gastro-intestinaux, vives douleurs abdominales | a) douleur épigastrique b) distension et douleur abdominale | troubles maniaco-dépressifs, insomnie, agitation |
CO5 | oppression thoraco-abdominale | a) raideur de la langue b) éblouissement, vomissements amers | syndrome dépressif |
IG7 | relâchement articulation du coude | a) troubles maniaco-dépressifs, anxiété b) sensations vertigineuses, vison trouble | troubles maniaco-dépressifs, anxiété |
VE58 | obstruction nasale | a) impossibilité de rester debout longtemps b) lourdeur du corps | état maniaque |
RE4 | rétention urinaire | a) troubles mictionnels, raideur lombaireb) constipation, ballonnement abdominal | agitation, démence, propension à la colère |
MC6 | douleurs cardiaques | a) douleur et distension abdominale b) douleur épigastrique, vomissements | état maniaque, insomnie |
TR5 | contracture du coude | a) hypertension, constriction de la poitrine b) douleur abdominale | |
VB37 | pieds glacés | a) obstruction douloureuse des membres inférieurs b) état maniaque soudain | état maniaque soudain |
FO5 | allongement de la verge | a) douleur lombaire avec impossibilité de se tourner b) raideur du dos | état soucieux et oppression |
Conclusion
Les méridiens principaux et secondaires sont les conducteurs de qi et xue à travers le corps entier. Les méridiens principaux sont profonds, yin. Pour leur faire équilibre, il y a un réseau superficiel dans la zone yang. Les méridiens principaux entretiennent les vaisseaux secondaires, les vaisseaux secondaires protègent les méridiens principaux. Ainsi, les jingbie (méridiens distincts), les jingjin (méridiens tendino-musculaires) [1,2] et les luo, permettent de lutter contre les énergies perverses, le choix du traitement pourra se faire sur la chronologie des symptômes : atteinte relativement superficielle (jingjin), symptôme irrégulier et unilatéral (jingbie), atteinte plus profonde et permanente (luo).
Références
1. Stéphan JM. Les jingjin, Méridiens Tendino-Musculaires ou Muscles des Méridiens. Acupuncture & Moxibustion. 2007;6(2):177-182.
2. Stéphan JM, Phan-Choffrut F. Les jingbie ou Méridiens Distincts. Acupuncture & Moxibustion. 2007;6(3):278-281.
3. Dictionnaire de la langue chinoise de l’Institut Ricci. Paris Tapei: Desclée de Brouwer; 1999.
4. Huangdi neijing lingshu. Traduction Nguyen VN, Tran VD, Recours-Nguyen C. Marseille: 1994.
5. Huangfu Mi. Zhenjiu jiayi jing. Traduction Milsky C, Andrès G. Paris: Trédaniel; 2004.
6. Huangdi neijing suwen. Traduction Chamfrault. Angoulême: Chamfrault; 1992.
7. Zhenjiu dacheng. Traduction Nguyen VN, Tran VD, Recours-Nguyen C. Marseille: 1982.
8. Huangdi neijing suwen. Traduction Husson A. Paris: éd. ASMAF; 1973.
9. Auteroche B, Navailh P. Le diagnostic en médecine chinoise. Paris: Maloine; 1983.
10. Soulié de Morant G. Précis de la vraie acuponcture chinoise. 2nd ed. Paris: Editions Mercure de France; 1971.
11. Borsarello JF. Traité d’acupuncture. Paris: Masson; 2005.
12. Cobos R, Vas J. Manual de Acupuntura y Moxibustión (libro de Texto). Volumen 1. Beijing: ediciones Morning Glory Publishing; 2000.
13. Deadman P, Al-Khafaji M. Manuel d’acupuncture. Bruxelles: Satas; 2003.
14. Michau A. Les luo longitudinaux en pratique quotidienne. Revue AFA 2007;131:16-28.
Phan-Choffrut F, Stéphan JM. Les luomai ou Vaisseaux luo. Acupuncture & Moxibustion. 2008;7(2):169-174. (Ancienne Version)