Alerte tsunami !

L’Acupuncture est une discipline médicale dont l’exercice doit être pratiqué par des Médecins Acupuncteurs. En juillet 2023, le Conseil National de l’Ordre des médecins a fait le point sur les dérives liées aux Pratiques de Soins Non Conventionnelles (PSNC) [[1]]. Un rapport de 88 pages concernant l’état des lieux et les propositions d’action sur ces pratiques de soins a été publié [[2]]. Le CNOM insiste bien sur le fait que la pratique de l’Acupuncture est soumise à l’article L.4161-1 du Code de Santé Publique, et n’est, en réalité, autorisée qu’aux seuls membres des professions médicales (médecins, sages-femmes et chirurgiens-dentistes) [[3]]. Seule la Capacité d’Acupuncture délivrée au sein des Universités – UFR de Médecine permet l’exercice légal de l’Acupuncture [[4]]. De ce fait, toute personne qui prend part habituellement, même en présence d’un médecin, à l’établissement d’un diagnostic ou au traitement de maladies, congénitales ou acquises, réelles ou supposées, par actes personnels, consultations verbales ou écrites ou par tout autre procédé quel qu’il soit, exerce illégalement la médecine (article L.4161-1 CSP) et est pénalement sanctionnable (deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende (article L.4161-5 CSP [[5]]).

 Interdiction de la pratique de l’acupuncture par des non-professionnels

 Par ailleurs notons que la jurisprudence est constante. L’interdiction de cette pratique à des non-professionnels médicaux est clairement établie par la jurisprudence, avec de nombreux pourvois en cassation rejetés à la suite de contestations des décisions rendues par une cour d’appel [[6]]. Et cela peut aller plus loin, comme je le signalais dans le bulletin n°32 de novembre 2022 [[7]]. Ainsi à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par un acupuncteur non-médecin condamné, la Chambre Criminelle de la Cour de cassation [[8]] a réitéré sa position. Il s’agissait pour les juges de répondre à la question suivante : les dispositions de l’article L4161-1 du Code de la santé publique qui répriment les actes

d’acupuncture pratiqués sans être titulaire de la certification exigée pour l’exercice de la profession de médecin méconnaissent-elles l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 34 de la Constitution ? La Haute juridiction a rejeté la demande de renvoi de la QPC devant le Conseil constitutionnel et l’acupuncteur non-médecin qui avait posé cette QPC, a bien été condamné à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et à une interdiction professionnelle définitive pour exercice illégal de la médecine.

 Bref, aucun doute n’est donc permis sur la pratique totalement médicale de l’Acupuncture !

 Or, durant deux jours, ce vendredi 11 et samedi 12 octobre 2024, une délégation de huit personnalités, des directeurs d’hôpitaux, et des cadres de l’Université de MTC de Shanghai (Shanghai University of Traditional Medicine – SHUTCM), a visité la ville de Béziers. Leur but était de travailler à la concrétisation du projet d’installer une école supérieure de médecine chinoise en partenariat direct avec eux. La délégation fut reçue à la mairie, en présence du maire M. Robert Ménard, ancien avocat, qui ne devrait pas ignorer la législation concernant l’exercice de la médecine. 

 

© Image : DJean-Marc Stéphan d’après Hokusai.

L’objectif de cette délégation est de créer un partenariat inédit en Europe grâce à l’implantation d’une antenne de leur Université sur un terrain de 5,6 hectares dans le Technoparc de Mazeran [[9]].

 Yves Le Gourieres, ostéopathe à Béziers et donc non-médecin, lui-même formé à Shanghai est l’initiateur de ce projet [[10],[11]].

Un accord-cadre a même déjà été signé en mars dernier avec les Chinois. Une nouvelle société « Campus Santé Nature Méditerranée » a été créée. La doyenne de l’Université SHUTCM Mme Han Chouping déclare « Depuis vingt ans, on accueille des élèves français qui viennent suivre des cours de MTC ». Et le Président de l’Université de MTC de Shanghai, M. Ji Guang de surenchérir : « Ceci pose les jalons pour la coopération sino-française en matière d’enseignement de la Médecine Traditionnelle Chinoise » [9].

La formation envisagée durerait cinq ans, trois années à Béziers et deux ensuite à Shanghai. Cinq cents étudiants dans ce futur campus seraient accueillis. Le ministère du Travail devra délivrer des certifications Qualiopi [[12]] pour une homologation du diplôme. Et l’ostéopathe à l’origine du projet de bien préciser que ce diplôme s’inscrira « dans une complémentarité avec la médecine générale et non dans une substitution ».

 On ne peut qu’être stupéfait de constater qu’un non-médecin, des politiques français associés aux Chinois de l’Université de MTC de Shanghai puissent allégrement fouler le Droit Français ! Et il est clair que se profile donc un tsunami d’acupuncteurs non-médecins faisant fi de la législation et de tous les jugements prononcés depuis des décennies. 

Hypocrisie et duplicité de la France envers ses administrés 

Ainsi par exemple le 23 octobre 2023, il n’y avait plus que 1151 médecins acupuncteurs en France inscrits au CNOM, alors que le SNMAF avait extrapolé un chiffre dix fois plus élevé pour les non-médecins qu’ils soient acupuncteurs ou praticiens de médecine chinoise [[13]]. La Confédération Française de Médecine Traditionnelle Chinoise (CFMTC) confirme ces chiffres dans son référentiel, édition 2023 [[14]]. Et donc il est évident que cela ne peut que progresser. N’oublions pas que la République Française y voit son intérêt, car cette médecine ne sera pas remboursée par la Sécurité Sociale !

Par ailleurs, même si l’article L4161-1 du code de santé réserve normalement l'exercice de tout acte médical aux seuls docteurs en médecine, les médecines non-conventionnelles sont enseignées et pratiquées en France et en Europe depuis l’introduction de l’Acupuncture en France par George Soulié de Morant. La situation de ces médecines repose sur le paradoxe de la loi française qui fait la différence entre les données juridiques, légales (à savoir que seul un médecin peut exercer l’Acupuncture) et les données administratives et fiscales. D’où une certaine hypocrisie et duplicité de la France envers ses administrés !

 Ainsi, il est tout à fait possible à une personne non-médecin souhaitant pratiquer la médecine traditionnelle chinoise de le faire. Il lui suffit de s’adresser au Guichet Unique pour les Formalités des Entreprises (GUEF) pour l'immatriculation de son entreprise puis de s’inscrire à l’URSSAF. Le GUEF permet de centraliser toutes les démarches administratives, juridiques, sociales et fiscales auprès des différents organismes. En effet, de nombreuses professions font l’objet d’une codification selon le Code ROME [[15]] qui propose de nombreux métiers n’ayant pas de diplômes reconnus par l’État, et pouvant de ce fait aboutir à des poursuites pénales pour exercice illégal de la Médecine. L’État Français a ainsi codifié l’activité d’Acupuncture selon l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques dans la nomenclature d’activités françaises (NAF) à la classe 86.90, sous-classe 86.90F dans la rubrique : activités de santé humaine non classées ailleurs. Alors le déclarant est assujetti à la Contribution Économique Territoriale (CET), aux cotisations URSSAF et maladie, mais ne peut être affilié à un régime de retraite car ces organismes de prévoyance prétendent ne pas vouloir cautionner une activité « non reconnue » ; il suffit alors de s’inscrire à un régime privé de capitalisation.

 La CFMTC l’a bien assimilé : « Notre présence en tant que praticiens de cette médecine intégrative, d’ores et déjà acteurs de santé en France, nous semble en mesure d’alléger la charge des systèmes de santé et de constituer aussi une partie de la réponse au problème des déserts médicaux. ». « Il met en lumière les composantes économiques indiscutables liées au développement de la profession en France : baisse des dépenses de santé (notion bien comprise par les complémentaires de santé qui remboursent ces soins), soutien à la problématique actuelle de la désertification médicale et vecteur de croissance économique. » [[16]].

 Néanmoins en France, même si un acupuncteur non-médecin peut enregistrer son activité sous le code 86.90F, cela ne légitime pas encore une fois l'exercice de l'acupuncture sans les qualifications requises. Et de ce fait, il peut être considéré comme pratiquant illégalement la médecine. Cette législation vise à protéger la santé publique en s'assurant que les praticiens ont les compétences et les formations nécessaires pour garantir la sécurité des patients. Effectivement, il suffit de lire le référentiel de 246 pages et le catalogue des unités d’enseignement proposé par le Diplôme National de Médecine Traditionnelle Chinoise (DNMTC) pour évaluer le niveau de formation en médecine occidentale et se rendre compte du risque pour la santé publique [14].

Mais pourquoi ne pas devenir Praticien de MTC. Un proverbe chinois dit bien : « Tu peux te promener dans la forêt, mais fais attention de ne pas marcher sur la queue du tigre ! ».  

© Image : DJean-Marc Stéphan

  


[1]. CNOM. Le point sur les risques des pratiques de soins non conventionnelles. Bulletin de l’ordre national des médecins. [Publié en juillet-août 2023]. [Consulté le 27/10/2024]. Juillet-Août 2023.86:10-11. Disponible à l’URL: https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/external-package/bulletin/kp0z01/medecins_86.pdf.

[2].  CNOM. Section Santé publique, présidée par le Dr Claire Siret. Les pratiques de soins non conventionnelles et leurs dérives. État des lieux et propositions d’actions. [Publié en juin 2023]. [Consulté le 27/10/2024]. Disponible à l’URL: https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/external-package/rapport/4xh6th/cnom_psnc.pdf.

[3].   Légifrance.  Code de la santé publique. Chapitre Ier : Exercice illégal. (Articles L4161-1 à L4161-6). [Consulté le 27/10/2024]. Disponible à l’URL:  https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000033896143/2017-01-21.

[4].  Légifrance.  Arrêté du 26 avril 2007 modifiant l’arrêté du 29 avril 1988 portant réglementation et liste des capacités de médecine (rectificatif). [Consulté le 27/10/2024]. Disponible à l’URL : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000645253.

[5]. Légifrance.  Code de la santé publique. Chapitre Ier : Exercice illégal. (Articles L4161-5). [Consulté le 27/10/2024]. Disponible à l’URL: https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000049532147.

[6]. Cour de Cassation.  Cass. crim., 3 février 1987, n° 86-92.954 ; Cass. crim., 9 févr. 2010, n° 09-80.681 ; Cass. crim. 13 juin 2017 n° 16-85.596 ; Cass. crim. 28 juin 2016, n° 15-83.587. [Consultés le 27/10/2024]. Disponibles à l’URL: https://www.courdecassation.fr/decision/5fd8fffa2fde57966a65ebbb ; https://www.courdecassation.fr/decision/6079a7ea9ba5988459c4b61a ; https://www.courdecassation.fr/decision/5fd92ae8b7da2d0a364ea829 ; https://www.courdecassation.fr/decision/61402e26fbf394c8afae6a3e.

[7]. SNMAF. Bulletin n°32. Jugement. Exercice illégal de l’acupuncture. [Publié le 14/11/2022]. [Consulté le 27/10/2024]. Disponible à l’URL: https://www.meridiens.org/acumedsyn.org/images/BULLETIN%20DU%20SNMAFN%C2%B032.pdf.

[8].  La Chambre Criminelle de la Cour de cassation est l'une des six chambres de la Cour de cassation en France. Elle est compétente pour examiner les pourvois en cassation dans les affaires pénales. Cela signifie qu'elle peut être saisie pour réviser des décisions rendues par les cours d'appel et les tribunaux correctionnels, afin de vérifier si les lois pénales ont été correctement appliquées. La Chambre Criminelle joue donc un rôle crucial dans le système judiciaire français en assurant la cohérence et l'application correcte de la loi pénale.

[9]. Midi Libre. Un ambitieux projet d’école supérieure de médecine traditionnelle chinoise envisagé à Béziers - midilibre.fr. [Publié le 12/10/2024] [Consulté le 27/10/2024]. Disponible à l’URL:  https://www.midilibre.fr/2024/10/12/un-ambitieux-projet-decole-superieure-de-medecine-traditionnelle-chinoise-envisage-a-beziers-12257041.php.

[10]. Béziers Actualités. L’université MTC de Shanghai a découvert Béziers. [Publié le 14/10/2024] [Consulté le 27/10/2024]. Disponible à l’URL:   https://www.beziers-actualites.fr/2024/10/14/luniversite-mtc-de-shanghai-a-decouvert-beziers/.  

[11]. Le petit Journal. L’université MTC de Shanghai. [Publié le 14/10/2024] [Consulté le 27/10/2024]. Disponible à l’URL: https://www.lepetitjournal.net/34-herault/2024/10/14/luniversite-mtc-de-shanghai/

[12]. La certification Qualiopi est une marque de certification de qualité délivrée par des organismes certificateurs accrédités par le Comité français d'accréditation (Cofrac). Elle atteste de la qualité des prestations de formation proposées par les organismes de formation, y compris les formateurs indépendants. Depuis le 1er janvier 2022, cette certification est obligatoire pour tous les prestataires d'actions concourant au développement des compétences qui souhaitent accéder aux fonds publics et mutualisés. Elle permet de garantir la qualité des formations et d'assurer une plus grande lisibilité de l'offre de formation auprès des entreprises et des usagers. La certification Qualiopi repose sur un référentiel national qualité, organisé autour de sept critères, tels que l'information au public, l'adaptation des prestations aux publics bénéficiaires, et la qualification des personnels chargés de mettre en œuvre les prestations.

[13]. Stéphan JM.  Point sur les pratiques de soins non conventionnelles. Bulletin n°34 SNMAF Novembre 2023. [Publié le 27/10/2023]. [Consulté le 29/10/2024]. Disponible à l’URL: https://www.meridiens.org/acumedsyn.org/index.php/home/point-sur-les-pratiques-de-soins-non-conventionnelles.

[14]. Confédération Française de Médecine Traditionnelle Chinoise (CFMTC). Référentiel Professionnel/Manuel Qualité de la Médecine Traditionnelle Chinoise - Édition 2023. [Consulté le 29/10/2024]. Disponible à l’URL :  https://www.cfmtc.fr/images/pdf/manuel_qualite.pdf.

[15].  Le code ROME (Répertoire Opérationnel des Métiers et des Emplois) est un référentiel créé par France Travail (anciennement Pôle Emploi). Il a pour but de classer et de décrire de manière détaillée les différents métiers et emplois existants en France. Voici quelques points clés sur le code ROME : Classification : Chaque métier est identifié par un code unique composé de 5 caractères (1 lettre, 4 chiffres) et un intitulé. Par exemple, acupuncteurs non-médecins en France est 86.90F. Ce code correspond aux activités de santé humaine non classées ailleurs, ce qui inclut des pratiques comme l'acupuncture, la sophrologie, et l'homéopathie, exercées hors d'un cadre réglementé par la loi française. Descriptions : Chaque code ROME est accompagné d'une description précise des tâches, des compétences, des conditions de travail, des qualifications requises, et des perspectives d'évolution. Mise à jour : Le ROME est régulièrement mis à jour pour refléter les évolutions du marché du travail et l'émergence de nouveaux métiers. Utilisation : Il est utilisé pour faciliter la mise en relation entre les offres d'emploi et les candidats, en définissant précisément les attentes et les exigences des métiers. Le ROME est un outil crucial pour les professionnels du recrutement, les candidats à l'emploi, et les organismes de formation. Il permet de structurer et d'harmoniser les informations sur les métiers et les emplois en France.

[16]. Confédération Française de Médecine Traditionnelle Chinoise (CFMTC). Livret d’information du Référentiel Professionnel/Manuel Qualité de la CFMTC. Édition 2023. [Consulté le 29/10/2024]. Disponible à l’URL : https://www.cfmtc.fr/images/pdf/condense_referenciel.pdf.

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