Deux acupuncteurs à la barre (2)

 

Cet article est issu du n° 20210201 du Journal Sud Ouest paru le 1 février 2021 par Stéphane Durand

Deux acupuncteurs sont poursuivis pour exercice illégal de la médecine. Le procès est prévu le 11 février 2021

 

Le conseil de l’ordre des médecins veut faire le ménage. Philippe Simon et Bernard Lalandre, qui exercent l’acupuncture à Meschers-sur-Gironde et à Royan après avoir officié dans le même cabinet du côté de Meschers, ont l’impression d’être cloué au pilori pour l’exemple. Tous les deux sont convoqués le 11février au tribunal correctionnel de Saintes pour exercice illégal de la médecine. L’acupuncture est en effet une pratique réservée aux docteurs en médecine, aux sages-femmes et aux chirurgiens-dentistes. Or, les deux prévenus n’exercent aucune de ces trois professions.

Rappelons que l’acupuncture est une médecine traditionnelle chinoise qui consiste notamment à piquer des parties précises du corps avec des aiguilles très fines. Elle est utilisée par exemple pour lutter contre le stress ou pour contrer les douleurs et les migraines. Depuis plusieurs années, les cabinets d’acupuncture fleurissent comme fleurs au printemps. Avec leur lot de bons et de mauvais praticiens.

Le conseil de l’ordre des médecins a décidé de mettre un coup de pied dans la fourmilière en rappelant quelques principes de droit. Ne peut exercer cette médecine qui veut, quelle que soit sa formation, ses qualités ou ses compétences. Quitte à s’exposer à des poursuites pénales. En Charente-Maritime, le conseil de l’ordre s’est donc porté partie civile dans cette affaire. « Nous avons eu un mot d’ordre national », confie son président Pascal Révolat.

Pour ce dernier, il ne s’agit pas de défendre un pré carré mais « d’éviter que des patients atteints de lourdes pathologies comme des cancers ne se déplacent vers ces acupuncteurs, qui n’ont aucune notion de médecine classique, et ne laissent de côté leurs traitements ». Des signalements ont donc été faits auprès du procureur de la République qui a diligenté des enquêtes.

 

« Une formation sérieuse »

 

Philippe Simon a donc été entendu par les gendarmes. L’intéressé, qui « n’a pas envie de finir en taule et qui s’exécutera si on lui demande d’arrêter l’acupuncture », s’étonne d’être le seul, avec Bernard Lalandre, à être ainsi poursuivi en justice. « Nous ne sommes pas des cas uniques. On ne sait pas pourquoi le couperet tombe sur nous. Surtout que nous ne sommes pas des charlatans », insiste-t-il.

Ce dernier, retraité après avoir fait carrière dans les ressources humaines, pratique l’acupuncture depuis novembre 2016. Il y est arrivé via les arts martiaux. Ce deuxième dan d’aïki-jutsu a commencé à s’intéresser au bujutsu ido, médecine traditionnelle japonaise, avant de se pencher sur la technique chinoise. « J’ai suivi une formation sérieuse pendant quatre ans. J’ai bossé trois ans pour avoir le diplôme et un an pour me spécialiser », confie-t-il. Sauf que l’école qui lui a délivré l’enseignement n’est pas reconnue et que le fait de ne pas être médecin ni sage-femme ou chirurgien-dentiste n’aurait pas dû lui permettre de visser sa plaque.

« On dit que nul n’est censé ignorer la loi, mais là j’avoue que ça m’a échappé. Personne ne m’a rien dit. Je me suis inscrit comme auto-entrepreneur et j’ai cotisé au régime social des indépendants. Si dès le départ on m’avait prévenu que ce n’était pas possible, je ne l’aurais pas fait », promet-il. Et de préciser que « le système français, peut-être avec celui de l’Italie, est le seul à fonctionner comme ça en limitant l’exercice de l’acupuncture à trois professions.»

Pascal Révolat, lui, souligne que « l’acupuncture n’est pas une spécialité.» « C’est une compétence que peuvent exercer ceux qui en ont le droit après s’être formés. Il existe des formations reconnues. C’est le gage d’être soigné par des professionnels et non par d’éventuels charlatans.» La volonté du conseil de l’ordre, dans cette affaire, n’est pas de punir ceux qui vont défiler à la barre mais de « les faire cesser d’exercer.»

 

Une enquête de la DGCCRF

 

En France, il apparaît que de nombreux Français, quatre sur dix selon une étude, se tournent vers des médecines douces ou non conventionnelles comme l’homéopathie, l’aromathérapie, l’hypnothérapie, l’acupuncture, la réflexologie… En 2018, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a mené une enquête dont les résultats ont permis de montrer que sur les 675 praticiens de médecines alternatives qui ont été contrôlés, plus des deux tiers, c’est-à-dire 460, demeuraient en infraction. À l’issue de ses investigations, la DGCCRF a transmis au parquet 15 cas potentiels d’exercice illégal de la médecine.

« Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac. Je sais très bien que je ne suis pas médecin. Je ne fais pas de diagnostic et je ne délivre pas de traitement. Je remets de l’énergie dans le corps, c’est tout. L’acupuncture est une médecine de prévention. J’ai par exemple réussi à faire passer une personne de la morphine à l’acupuncture. J’essaie de soulager, d’aider. En aucun cas je ne me prends pour un médecin », assure Philippe Simon.

 

La justice devra trancher.

 

Le conseil de l’ordre des médecins a décidé de mettre un coup de pied dans la fourmilière

Diplômé en psychologie et médecine chinoise, Daniel, 75 ans, comparaissait en juin 2020, à La Rochelle, pour exercice illégal de la médecine. Le tribunal n’avait fait preuve d’aucune indulgence. « Il faut être docteur en médecine pour exercer l’acupuncture et avoir suivi une capacité de deux ans en acupuncture. N’importe qui ne peut pas s’improviser médecin », avait avancé le procureur. Son épouse et sa fille comparaissaient aussi pour complicité pour la première et pratique illégale de la médecine pour la deuxième. Un quatrième prévenu était à la barre pour les mêmes faits. L’intéressé recevait dans son cabinet rochelais deux ou trois jours par semaine pour des « consultations psychologiques » et utilisait l’acupuncture pour « soulager des patients stressés». Il y a quelques années, le père et la fille avaient été condamnés à Lorient pour les mêmes faits. À La Rochelle, le ministère public avait requis 4 mois de prison assortis d’un sursis simple, 5000 € d’amende et l’interdiction définitive de diriger des formations professionnelles à l’encontre de Daniel ; 4mois de prison avec sursis pour sa fille ; 5 000 € d’amende pour sa compagne ; et 2 500 € d’amende pour son ex-élève et associé. Le jugement avait été mis en délibéré.

 

 

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