A propos de l’incohérence du discours du CDOM sur l’exercice de l’acupuncture chez un médecin anesthésiste titulaire de la capacité d’acupuncture
Régulièrement, nous sommes interpellés sur la possibilité d’exercer exclusivement l’acupuncture sans être médecin généraliste. Ainsi plusieurs médecins biologistes, titulaires de la Capacité d’acupuncture, n’ont pas eu la possibilité d’exercer du fait que le DES de biologie ne permet pas d’examiner des patients. De ce fait, le Conseil de l’Ordre des médecins leur demandait de passer une équivalence du DES de médecine générale et d’effectuer plusieurs mois de stages cliniques avant d’avoir la possibilité d’exercer exclusivement l’acupuncture.
Cela peut être aberrant car un médecin biologiste reste avant tout un médecin et devrait être défendu par le CNOM, surtout lorsque que commence à s’installer une pénurie de médecins acupuncteurs qui s’accompagne en retour d’une déferlante d’acupuncteurs non-médecins sévissant sur la France en toute illégalité !
Récemment, un médecin anesthésiste s’est vu formuler une opposition par le CDOM pour l’ouverture d’un cabinet d’acupuncture. Ce médecin qui avait déjà une activité professionnelle hospitalière souhaitait effectivement mettre à profit sa Capacité d’acupuncture fraîchement acquise pour ouvrir un cabinet secondaire, distinct de son activité hospitalière et consacré à la lutte contre la douleur par acupuncture et techniques associées, avec bien sûr l’autorisation explicite de ses collègues et de sa structure hospitalière.
Le CDOM en a décidé autrement.
Il s’est appuyé sur l’article R-4127-85 du code de la santé publique « Le lieu habituel d'exercice d'un médecin est celui de la résidence professionnelle au titre de laquelle il est inscrit sur le tableau du conseil départemental, conformément à l'article L. 4112-1... un médecin peut exercer son activité professionnelle sur un ou plusieurs sites distincts de sa résidence professionnelle habituelle, sous réserve…. d’une opposition par décision motivée. », etc. [[1]].
La décision motivée du CDOM réside exclusivement sur le fait que le Diplôme d’études spécialisées (DES) en anesthésie-réanimation est régi par le code de la santé publique (Décret n° 94-1050 du 5 décembre 1994, Articles D712-40 à D712-51, toujours d’actualité. L’article D712-40 précise que pour tout patient dont l'état nécessite une anesthésie générale ou loco-régionale, les établissements de santé, y compris les structures de soins alternatives à l'hospitalisation, doivent assurer la consultation préanesthésique, les moyens nécessaires à la réalisation de cette anesthésie ; la surveillance continue après l'intervention et l’organisation permettant de faire face à tout moment à une complication liée à l'intervention ou à l'anesthésie effectuées [[2]]. C’est un article très restrictif et qui interdit tout autre acte !
Cependant le CDOM tient compte que le DES d’anesthésie-réanimation a été modifié en mars 2022 et qu’il existe des créations d’option et de formations spécialisées transversales (FST) [[3]]. Il note d’ailleurs que ces nouvelles compétences « consistent à gérer la douleur pendant et dans les suites d’une opération. ». Ils continuent en concluant que « la prise en charge de la douleur chronique à distance de tout acte chirurgical ou sans lien avec un acte chirurgical ne fait donc pas partie du champ d’activité de cette spécialité. ».
De ce fait, le CDOM termine son argumentation en spécifiant que l’activité de prise en charge de la douleur chronique au moyen d’actes d’acupuncture et de moxibustion par un médecin spécialiste en anesthésie-réanimation, le conduirait ainsi à exercer hors du champ de sa spécialité et à contrevenir aux dispositions de l’article 2, alinéa 2 de l’arrêté modifié portant règlement de qualification du 4 septembre 1970 précisant que « le médecin spécialiste exerce exclusivement la discipline pour laquelle il a été qualifié [[4]]. Par ailleurs le CDOM spécifie que l’Article R4127-70 du Code de la santé publique énonce les « limites de l’omnivalence de diplôme de docteur en médecine » [[5]]. Or que dit cet article : « Tout médecin est, en principe habilité à pratiquer tous les actes de diagnostic, de prévention et de traitement. Mais il ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, entreprendre ou poursuivre des soins, ni formuler des prescriptions dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose. ».
Que peut-on dire de cette fâcheuse affaire ?
Tout d’abord, il est clair que le CDOM fait de l’excès de zèle et même exerce un abus de pouvoir. Ainsi notons que l’article R4127-70 montre, contrairement à ce qui est dit par le CDOM, le médecin anesthésiste qui a passé la Capacité d’acupuncture est donc tout à fait apte et habilité à pratiquer l’acupuncture, ne s’éloignant donc pas de son domaine de compétence. On peut ainsi lire dans les objectifs et missions de la Capacité : « Permettre aux médecins généralistes ou spécialistes, salariés hospitaliers ou libéraux, d'acquérir les connaissances et les compétences pour soigner les pathologies par la méthode d'acupuncture » [[6]].
Autre point : le CDOM objective que les FST concernant l’anesthésie-réanimation « consistent à gérer la douleur pendant et dans les suites d’une opération.. la prise en charge de la douleur chronique à distance de tout acte chirurgical ou sans lien avec un acte chirurgical ne fait donc pas partie du champ d’activité de cette spécialité ».
Mensonge ou omission encore.
Les FST concernant le DES d’anesthésie réanimation sont selon le JO du 20 décembre 2017 : douleur ; hygiène – prévention de l’infection, résistances ; nutrition appliquée ; pharmacologie médicale / thérapeutique ; soins palliatifs [[7]].
On remarquera donc qu’il est bien notifié douleur quelque soit le mode opératoire ! Aucune restriction !
Certes, la Capacité d’acupuncture n’est effectivement pas une FST d’anesthésie. Mais il est clair aussi qu’actuellement, il n’en existe aucune dans tous les champs de la médecine. Et pourtant un médecin gynéco-obstétrique ayant juste le DIU d’acupuncture obstétricale ou la Capacité pourra exercer l’acupuncture dans son champ d’activité même si ces diplômes ne sont pas des FST et avec l’aval du CDOM.
Il faudra alors souligner quel est réellement le champ d’activité du DES d’anesthésie-réanimation.
Et c’est à ce niveau que le bât blesse !
En effet, il est absolument aberrant que le CDOM interdise l’exercice de l’acupuncture alors que le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) ne le fasse pas !
Ainsi il suffit de lire le document de référence en anesthésie-réanimation à l’usage des Commissions de Qualification qui a été adopté par le Conseil national – Session du 10 février 2012 [[8]]. Ce texte a été établi à partir du référentiel métier et compétence, travail réalisé par un groupe membre de la Société Française d’Anesthésie et de Réanimation (SFAR) et du Collège de spécialité en Anesthésie-Réanimation (CFAR). On y lit ainsi dans la conclusion : « Toutes les activités du métier de la discipline (incluant anesthésie, médecine péri-opératoire, réanimation, douleur chronique et médecine d’urgence) sont retrouvées dans la déclaration ‘The Helsinki Declaration on Patient Safety in Anaesthesiology’ de juin 2010 de l’European Society of Anaesthesiology). Ces documents montrent bien que nos compétences définies ci-dessus sont dans la conformité des règles Européennes ».
Que dit cette fameuse déclaration d’Helsinki ? [[9]]. En voici un extrait « La prise en charge des patients par les anesthésiologistes ne se limite pas à la période périopératoire. … Les anesthésiologistes sont également impliqués dans le traitement des patients souffrant de douleur aiguë et chronique. Enfin, la médecine d’urgence critique est un autre domaine où les anesthésistes jouent un rôle important ».
Notons de plus que sur le site du CFAR apparaît d’ailleurs la liste des DU en Anesthésie-Réanimation et y figure en bonne place le DU Acupuncture scientifique : médecine factuelle et pratique de l’Université Paris Sud et aussi la Capacité d’acupuncture de Paris 13 [[10]] !
La décision du CDOM est d’autant plus incompréhensible que notre confrère assume la responsabilité et la Présidence du Comité de Lutte contre la Douleur (CLUD) dans son établissement depuis 2019.
En conclusion, nous ne pouvons que soutenir notre confrère. Il est nécessaire de faire appel au CNOM, voire de poursuivre jusqu’aux instances européennes.
Dr Jean-Marc Stéphan, Président du Syndicat National des Médecins Acupuncteurs de France (SNMAF)
[1]. Légifrance. Code de la santé publique. Paragraphe 2 : Exercice en clientèle privée. (Articles R4127-85 à R4127-94). [consulté le 06/07/2022]. Disponible à l’URL: https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072665/LEGISCTA000006198779/#LEGISCTA000006198779
[2]. Légifrance. Code de la santé publique : Sous-section 2 : Conditions de fonctionnement relatives à la pratique de l'anesthésie. (Articles D712-40 à D712-51) [Consulté le 06/07/2022]. Disponible à l’URL: https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072665/LEGISCTA000006185356/2022-07-06/
[3]. Légifrance. Arrêté du 3 mars 2022 portant modification de l'organisation du troisième cycle des études de médecine, de maquettes de formation de diplômes d'études spécialisées et création d'option et de formations spécialisées transversales [Consulté le 06/07/2022]. Disponible à l’URL: https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045317010
[4]. Légifrance. Arrêté du 4 septembre 1970 portant approbation du règlement relatif à la qualification des médecins établi par le Conseil national de l'ordre. Dernière mise à jour des données de ce texte : 02 mai 1996. [Consulté le 06/07/2022]. Disponible à l’URL: https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGIARTI000006716180/1970-10-03/#LEGIARTI000006716180
[5]. Légifrance. Code de la santé publique : Article R4127-70 - Version en vigueur depuis le 08 août 2004. [Consulté le 06/07/2022]. Disponible à l’URL: https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006912939
[6]. Légifrance. Arrêté du 26 avril 2007 modifiant l’arrêté du 29 avril 1988 portant réglementation et liste des capacités de médecine (rectificatif). [Consulté le 06/07/2022]. Disponible à l’URL : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000645253.
[7]. Légifrance. Journal officiel de la république française 20 décembre 2017. Texte 49 sur 126. DES d’anesthésie-réanimation. Consulté le 06/07/2022]. Disponible à l’URL : https://www.univ-brest.fr/digitalAssets/75/75300_Anesthesie-Rea.pdf.
[8]. CNOM. Document de référence en anesthésie-réanimation à l’usage des Commissions de Qualification. 10 février 2012. [Consulté le 06/07/2022]. Disponible à l’adresse URL : https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/referentiel_anesthesie_reanimation.pdf.
[9]. Mellin-Olsen J, Staender S, Whitaker DK, Smith AF. The Helsinki Declaration on Patient Safety in Anaesthesiology. Eur J Anaesthesiol. 2010 Jul;27(7):592-7. doi: 10.1097/EJA.0b013e32833b1adf. PMID: 20520556.
[10]. CFAR. Les DU en Anesthésie-Réanimation. [Consulté le 06/07/2022]. Disponible à l’adresse URL : https://cfar.org/formations/la-formation-medicale-continue-fmc/diplomes-universitaires-et-interuniversitaires/