Articles de la revue

Traitement par acupuncture de la dermatite atopique

 

Résumé : A  partir de l’analyse d’un essai clinique les auteurs effectuent une courte revue sur le traitement par acupuncture de la dermatite atopique. Mots-clés : acupuncture - dermatite atopique - essai clinique- revue – protocole - zheng – évaluation.

Acupuncture treatment of atopic dermatitis

Summary:  Summary: Based on the analysis of a clinical trial, the authors conduct a short review on the acupuncture treatment of atopic dermatitis. Keywords: acupuncture - atopic dermatitis - clinical trial - review - protocol - zheng - evaluation

 


L’étude clinique

Un essai contrôlé randomisé est mené en Corée du Sud et vise à étudier l’efficacité de l’acupuncture dans la dermatite atopique légère à modérée [1].

36 patients âgés de 19 à 38 ans sont inclus avec les critères suivants :

  • diagnostic de dermatite atopique basé sur les critères de Hanifin et Rajka ;
  • score entre 30 et 80 points sur une échelle visuelle analogique du prurit (EVA : 0 = aucun prurit, 100 = pire intensité de prurit) ;
  • score entre 10 et 40 points sur l’index SCORAD objectif correspondant à une dermatite légère à modérée. L’index objectif prend en compte l’étendue et l’intensité des lésions (érythème, œdème ⁄papules, effet de grattage, suintement / formation de croûte, lichénification et sécheresse). L’index SCORAD total non utilisé pour l’inclusion comprend également les symptômes subjectifs (démangeaisons, insomnie) ;
  • absence de médicament le mois précédent.

Les patients sont randomisés (enveloppes opaques) en deux groupes :

  • acupuncture vraie qui consiste en un traitement semi-standardisé (points constants associés à points variables en fonction de la clinique) avec en fin de séance mise en place de deux aiguilles à demeure (figure 1) ;
  • fausse acupuncture qui utilise des aiguilles factices de Park, non pénétrantes sur des non-points situés à 1 cm des trois points constants ainsi que des aiguilles à demeure factices mise en place sur un non-point (1 cm du 11GI) et un point non-indiqué (point doigtauriculaire).

Dans les deux groupes sont effectuées 8 séances sur 4 semaines (deux séances par semaine) puis un suivi de 4 semaines.

Figure 1. Protocole d’acupuncture de l’étude [1].

 

Figure 2. Points secondaires fonction de la clinique (indications décrites dans [2] et [3]).

Le critère d’évaluation principal est la modification du SCORAD total observée à la fin du traitement (semaine 4).

Les critères de jugements secondaires sont :

  • la sévérité des critères objectifs : SCORAD Objectif et EASI (Eczema Area and Severity Index) ;
  • la sévérité des critères subjectifs : EVA prurit et POEM (Patient Oriented Eczema Measure) ;
  • la qualité de vie : DLQI (Dermatology Life Quality Index) ;
  • enfin la sévérité des symptômes dyspeptiques (les auteurs ayant relevé dans une précédente étude une relation entre dyspepsie et dermatite atopique) avec quatre mesures : NDI [Nepean Dyspepsie Index], EVA [dyspepsie], seuil de douleur à la pression abdominale et soulagement de l’inconfort abdominal.

Chaque critère est analysé en début du traitement (semaine 0), puis toutes les deux semaines durant le traitement (semaine 2 et 4) et après le traitement (semaine 6 et 8).

Résultats

Une différence significative sur le SCORAD total (critère principal), sur le SCORAD objectif et EASI est observée à 4 semaines (figure 3A et 3C).

Les évolutions du SCORAD (total et objectif) montrent que la différence entre les deux groupes est significative dès la semaine 2 et se prolonge jusqu’à la semaine 8 (figure 3B et 3D). En revanche, il n’est pas observé de différence sur les critères secondaires subjectifs (EVA prurit, POEM), mais dans les deux groupes les symptômes sont améliorés.

Une amélioration significative des symptômes dyspeptiques (EVA dyspepsie et NDI) est également observée à la semaine 4.

 

Figure 3. A et C. Score à 4 semaines : SCORAD total (A) et SCORAD objectif (C). B et D. Evolution du SCORAD total (B) et SCORAD objectif (D) sur les 4 semaines de traitement et les 4 semaines de suivi. VA : verum acupuncture (acupuncture vraie). SA : sham acupuncture (acupuncture factice). † : p < 0,01 [1].

 Commentaires

L’étude

Il s’agit donc d’un essai clinique suggérant l’intérêt de l’acupuncture dans la dermatite atopique.

Les 3 scores SCORAD (total), SCORAD (objectif) et EASI utilisés dans l’étude sont considérés comme les indicateurs les plus pertinents pour évaluer les signes cliniques de la DA [4]. Dans la dermatite atopique, le seuil de pertinence clinique est habituellement fixé à une différence de 8.7 pts sur le SCORAD Total [5]. L’étude montre une amélioration de 11.83, traduisant donc une efficacité cliniquement pertinente de l’acupuncture. L’effet est observé à tous les temps de l’évaluation, dès la 2e semaine et se prolongeant 4 semaines après l’arrêt du traitement.

 Les éléments cliniques

Le traitement par acupuncture est basé sur un protocole semi-standardisé associant points constants et points fonction de la clinique. Cette différenciation est basée sur la palpation et la symptomatologie abdominale de la tradition coréenne [2,3] (figure 2), qui diffère de la symptomatologie chinoise usuelle ou de la différenciation des zheng. L’association de troubles gastro-intestinaux fonctionnels (dyspepsie) aux maladies atopiques a été rapportée [6].

Cette association aux troubles dyspepsiques se retrouve dans la différenciation des zheng et la fréquence des syndromes reliés à la Rate dans la dermatite atopique (figure 3) observée dans une méta-analyse portant sur 27 études et 2273 patients [7]. Sur le plan expérimental, un modèle animal de zheng dans la dermatite atopique a été élaboré [8].

 

Figure 3. Distribution des zheng chez 2273 patients avec dermatite atopique (27 études). 4 zheng sont observés dans plus de 10% des cas : Humidité-Chaleur (25%), Vide de Rate avec accumulation de Glaires (17%), Vide de Rate (14%) et Vide de Sang et Vent-Sécheresse (13%) [7].

Le protocole d’acupuncture

Le protocole a été précédemment utilisé dans une étude pilote [9] qui a défini le nombre de patients à traiter (n=36), le rythme des séances (les résultats sont similaires 2 séances par semaine ou 3 par semaine) et la durée du suivi (4 semaines). La séance d’acupuncture est prolongée par la mise d’aiguilles à demeure. Une étude récente a montré l’équivalence entre une puncture du 11GI, 3 fois par semaine et la mise en place d’une aiguille à demeure 1 fois par semaine [10].

Les protocoles d’acupuncture de 8 essais contrôlés randomisés ont été relevés dans une revue systématique sur le traitement par acupuncture de la dermatite atopique (figure 4) [11].

 

Figure 4. Points utilisés dans le traitement par acupuncture de la dermatite atopique (8 essais contrôlés randomisés, [11].). BL (=V), CV (=VC), GB (=VB), GV (=VG), LI (=GI), LR (=F), ST (=E).

Un examen de la portée sur 116 études cliniques de traitement par acupuncture de la dermatite atopique a analysé l’ensemble des prescriptions. Il apparait un noyau central de cinq points 11GI, 10Rte, 36E, 6Rte et 4GI associé à l’utilisation de points ashi (lésionnels dans ce cas) (figure 5, [12]).

Figure 5. Fréquence d’utilisation des points relevée dans 116 études cliniques (les top-15 points et top-5 méridiens). La dimension des cercles correspond à la fréquence, la couleur indique l’appartenance méridienne [12].

 L’évaluation de l’acupuncture

La revue systématique de Jiao 2020, [11]) inclut 8 ECR et 434 patients. Elle montre que l’acupuncture est supérieure au traitement conventionnel sur EASI (Eczema Area and Severity Index) (6 ECR). Concernant l’amélioration symptomatique globale (7 ECR) , l’acupuncture est supérieure à l’absence d’acupuncture sur le prurit (EVA prurit) (1 seul ECR). Mais les conclusions sont limitées par la qualité des études incluses.

Ceci était également énoncé dans les recommandations de bonne pratique états-uniennes [13] ou japonaises [14]. 

 

 

 

Dr  Olivier Goret

83000 Toulon

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Conflit d’intérêt : aucun

 

Dr Johan Nguyen

83130 La Garde

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Conflit d’intérêt : aucun

 Références

 

  1. Park JG, Lee H, Yeom M, Chae Y, Park HJ, Kim K. Effect of acupuncture treatment in patients with mild to moderate atopic dermatitis: a randomized, participant- and assessor-blind sham-controlled trial. BMC Complement Med Ther. 2021;21(1):132.
  2. Kim YK, Yeom M, Kang S, Park HJ, Kim K, Lee H. Antipruritic Effect of Acupuncture in Patients with Atopic Dermatitis: Feasibility Study Protocol for a Randomised, Sham-Controlled Trial. Evid Based Complement Alternat Med. 2017.
  3. Park JG, Park HJ, Chae Y, Kim YK, Lee H, Kim K. Acupuncture Treatment for Symptom Management in Atopic Dermatitis: A Study Protocol for a Randomized, Participant- and Assessor-Blind, Sham-Controlled Trial. Evid Based Complement Alternat Med. 2019:1907578.
  4. Schmitt J, Langan S, Deckert S, Svensson A, Von Kobyletzki L, Thomas K, et al. Assessment of clinical signs of atopic dermatitis: a systematic review and recommendation. J Allergy Clin Immunol. 2013;132(6):1337–47.
  5. Schram ME, Spuls PI, Leeflang MMG, Lindeboom R, Bos JD, Schmitt J. EASI, (objective) SCORAD and POEM for atopic eczema: responsiveness and minimal clinically important difference. Allergy Eur J Allergy Clin Immunol. 2012;67(1):99–106.
  6. Koloski N, Jones M, Walker MM, Veysey M, Zala A, Keely S, et al. Population based study: atopy and autoimmune diseases are associated with functional dyspepsia and irritable bowel syndrome, independent of psychological distress. Aliment Pharmacol Ther. 2019;49(5):546–55.
  7. Chi Him Sum, Jessica Ching, Hong-Wei Zhang et al. Integrated Western and Chinese Medicine Interventions for Atopic Dermatitis: A Systematic Review and Meta-analysis, Chinese Medicine. 08 July 2021, PREPRINT (Version 1) available at Research Square.
  8. Zhang X, Shi YM, Li XM, Miao MS. [Analysis of animal model of atopic dermatitis based on characteristics of clinical symptoms traditional Chinese and Western medicine]. Zhongguo Zhong Yao Za Zhi. 2021;46(4):762-766.
  9. Kang S, Kim YK, Yeom M, Lee H, Jang H, Park HJ, Kim K. Acupuncture improves symptoms in patients with mild-to-moderate atopic dermatitis: A randomized, sham-controlled preliminary trial. Complement Ther Med. 2018;41:90-98.
  10. Lee HC, Park SY. Preliminary Comparison of the Efficacy and Safety of Needle-Embedding Therapy with Acupuncture for Atopic Dermatitis Patients. Evid Based Complement Alternat Med. 2019. [198918].
  11. Jiao R, Yang Z, Wang Y, Zhou J, Zeng Y, Liu Z. The effectiveness and safety of acupuncture for patients with atopic eczema: a systematic review and meta-analysis. Acupuncture in Medicine. 2020;38(1):3-14.
  12. Zeng Z, Li M, Zeng Y, Zhang J, Zhao Y, Lin Y, Qiu R, Zhang DS, Shang HC. Potential Acupoint Prescriptions and Outcome Reporting for Acupuncture in Atopic Eczema: A Scoping Review. Evid Based Complement Alternat Med. 2021. [220114].
  13. Sidbury R, Tom WL, Bergman JN, Cooper KD, Silverman RA, Berger TG, Chamlin SL, Cohen DE et al. Guidelines of care for the management of atopic dermatitis: Section 4. Prevention of disease flares and use of adjunctive therapies and approaches. J Am Acad Dermatol. 2014;71(6):1218-33. [165725].
  14. Katayama I, Aihara M, Ohya Y, Saeki H, Shimojo N, Shoji S, Taniguchi M, Yamada H; Japanese Society of Allergology.. Japanese guidelines for atopic dermatitis 2017. Allergol Int. 2017;66(2):230-247. [180925].

 

L’acupuncture a-t-elle sa place dans les coliques du nourrisson ?

 Evaluation de l’acupuncture

Landgren K, Hallström I, Tiberg I. The effect of two types of minimal acupuncture on stooling, sleeping and feeding in infants with colic: secondary analysis of a multicentre RCT in Sweden (ACU-COL). Acupunct Med. 2021 Apr;39(2):106-115.

 Résumé


Question

Dans cette récente publication en 2021 du même essai ACU-COL (déjà publié en 2017 [[1]]), les auteurs font une analyse secondaire de l’efficacité de deux types d’acupuncture minimaliste par rapport à l’absence d’acupuncture sur les habitudes de selles, de sommeil et d'alimentation chez des nourrissons atteints de coliques infantiles. 

Plan Expérimental

Essai randomisé à trois bras, réalisé en double aveugle chez 147 nourrissons, selon un protocole publié en 2015 [[2]].

- groupe A (n=48) : acupuncture standardisée au point 4GI (hegu) pendant 5 secondes,

- groupe B (n = 49) : acupuncture semi-standardisée en fonction des symptômes (5 points au maximum) pendant 30 secondes.

- groupe C (n = 48) : ne bénéficie pas d'acupuncture. 

Cadre

Quatre centres médicaux pédiatriques localisés dans quatre comtés en Suède, où sont proposés gratuitement pour tout bébé pendant les trois premiers mois de vie sept visites pour les peser et mesurer. Lors de ces visites, les parents reçoivent des conseils de prise en charge de routine. Les parents de nourrissons qui pleurent excessivement sont informés de l’essai par acupuncture. 

Patients

147 nourrissons âgés de 2 à 8 semaines recrutés entre janvier 2013 et mai 2015. 

Critères d’inclusion : Les nourrissons éligibles sont ceux qui, d’après les déclarations de leurs parents dans un journal lors de la semaine de référence ont présenté, pendant plus de trois jours, des pleurs et/ou une agitation pendant plus de trois heures par jour. Ils doivent être en bonne santé avec un gain de poids approprié. Par ailleurs, ils doivent avoir déjà essayé un régime excluant les protéines du lait de vache et/ou un régime approprié pendant au moins cinq jours. 

Critères d’exclusion : Sont exclus de l’étude les nourrissons nés avant 37 semaines de gestation, ou ayant déjà reçu tout type de prescription médicamenteuse ou ayant déjà essayé l'acupuncture. 

Intervention

Les parents qui veulent participer prennent contact avec le chef de projet et commencent à noter chaque jour de façon détaillée pendant une semaine (semaine de référence) les états d’agitation et les pleurs de leur bébé dans un journal santé. Si l'enfant remplit les critères, il/elle peut être inclus(e).

Les parents des bébés inclus continuent à noter de façon détaillée dans le journal pendant les deux semaines de traitement par acupuncture, ainsi que pendant la période de surveillance qui prend fin à la suite d’un entretien téléphonique se déroulant trois jours après le dernier jour de traitement par acupuncture. Ces données sont comparées à celles de la semaine de référence.

Lors de la première visite, l'infirmière recueille le consentement éclairé et les données de base. À chacune des visites suivantes (et par téléphone pour la période de surveillance), les parents sont interrogés sur les changements observés au niveau des pleurs, des selles et du sommeil de leur bébé, ainsi que tout effet secondaire associé à l'acupuncture.

- Groupe A : acupuncture standardisée. Aiguille insérée au point 4GI (hegu) à une profondeur d’environ 3 mm unilatéralement pendant 2 à 5 secondes, puis retirée sans stimulation.

- Groupe B : acupuncture personnalisée semi-standardisée, selon la pratique clinique de la MTC. Les acupuncteurs peuvent choisir n'importe quelle combinaison de points : sifeng[1], 4GI et 36E (zusanli), selon les symptômes rapportés dans le journal par les parents. Un maximum de cinq insertions est toléré par séance de traitement. Pour sifeng, quatre insertions, chacune à une profondeur d'environ 1 mm pendant 1 seconde. Aux points 4GI et 36E, les aiguilles sont insérées à une profondeur d'environ 3 mm, uni ou bilatéralement. Les aiguilles peuvent être laissées pendant 30 secondes. La sensation de deqi n'est pas recherchée.

- Groupe C : les nourrissons restent 5 min seuls avec l'acupuncteur sans recevoir aucun traitement par acupuncture.

Ainsi, parallèlement à la prise en charge habituelle, les nourrissons inclus bénéficient de quatre visites supplémentaires (deux fois par semaine pendant les deux semaines de traitement) à leur centre de santé habituel. Les mères qui allaitent sont encouragées à continuer l’allaitement maternel.

Lors de ces visites supplémentaires, les parents discutent pendant 20 à 30 minutes avec une infirmière sur les symptômes de leur bébé.

À chaque visite pendant les deux semaines de traitement, l'infirmière de l'étude porte l'enfant dans une salle de traitement séparée où l’enfant reste seul avec l'acupuncteur pendant 5 min. L’acupuncteur traite le bébé selon le groupe d'attribution et enregistre les procédures de traitement et tout événement indésirable. 

Critères de jugement

Les modifications de fréquence des selles et d'heures de sommeil par jour sont évaluées. Les données sont collectées en utilisant : (1) le journal santé soigneusement rempli par les parents à la semaine de référence, pendant les deux semaines de traitement et la semaine de surveillance ; (2) les questionnaires avec des composantes quantitatives et qualitatives, utilisés lors des deuxième et quatrième visites et lors de l’appel téléphonique de suivi. 

Résultats

D’après les données recueillies dans les journaux de suivi - concernant les selles, l'alimentation ou le sommeil - aucune différence entre les trois groupes n’a été observée. Cependant, lors de l'appel téléphonique de suivi, davantage de parents des groupes A et B (par rapport au groupe C) signalaient que l'alimentation et le sommeil avaient changé et que les symptômes de coliques s’étaient améliorés. 

Conclusion

Des études supplémentaires seraient nécessaires pour préciser les meilleurs emplacements des points d’insertion d’acupuncture, le temps de stimulation ainsi que la durée du traitement.

 


Commentaires

Dans la précédente étude publiée en 2017, les mêmes auteurs rapportaient une diminution de la durée du temps de pleurs dans les deux groupes traités par acupuncture (efficacité similaire) par rapport au groupe témoin ne recevant pas d’acupuncture. Dans cette nouvelle et récente publication parue en avril 2021 [[3]], ils rapportent les résultats complémentaires de l’analyse secondaire de cette étude AcuCol  de 2017 [1], concernant cette fois-ci les coliques infantiles.

L’analyse complémentaire [3] observe versus groupe témoin l'effet de ces deux types d'acupuncture (A et B) sur les habitudes de selles, de sommeil et d'alimentation chez les 147 nourrissons inclus parmi les 426 nourrissons examinés pour l'admissibilité. Finalement, aucune différence significative entre les trois groupes n’a été observée.

Néanmoins, les nourrissons inclus ont bénéficié de quatre visites supplémentaires en dehors des visites habituelles au centre de santé infantile.

Les modifications de fréquence des selles et d'heures de sommeil par jour ont été évaluées. Les données sont collectées en utilisant : (1) le journal santé rempli par les parents à la semaine de référence, pendant les deux semaines de traitement et la semaine de surveillance ; (2) des questionnaires avec composantes quantitatives et qualitatives, utilisés à la deuxième et quatrième visite et lors de l’appel téléphonique de suivi.

D’après les données recueillies dans les journaux tenus par les parents, aucune différence concernant les selles, l'alimentation ou le sommeil entre les trois groupes n’a été observée. En revanche, lors de l'appel téléphonique de suivi, davantage de parents des groupes A et B (par rapport au groupe C) ont signalé un changement dans l'alimentation et le sommeil et une amélioration des symptômes de coliques.

La colique infantile est une affection caractérisée par des pleurs excessifs au cours des premiers mois de la vie, entraînant une détérioration considérable de la qualité de vie des nourrissons et de leurs parents. Le nourrisson présente des paroxysmes de pleurs inconsolables dépassant trois heures par jour, trois jours par semaine, pendant plus de trois semaines. Les pleurs excessifs chez les nourrissons sont un problème pour 10 à 20% des familles, provoquant un climat de stress dans la cellule familiale. Les causes des coliques infantiles ne sont pas vraiment connues. On pense que cela peut être en rapport avec altération de la microflore fécale, une intolérance aux protéines ou au lactose du lait de vache, une immaturité ou une inflammation gastro-intestinale, une sécrétion accrue de sérotonine, une mauvaise technique d’alimentation, le tabagisme de la maman, etc. [[4]].

Dans certains cas, la colique peut être résolue si les protéines du lait de vache sont éliminées. Des compléments nutritionnels de Lactobacillus reuteri peuvent également être utilisés avec un certain succès. En revanche, l'efficacité et l'innocuité des autres types de traitements, comme la siméticone, la dicyclomine, les inhibiteurs de la pompe à protons (oméprazole..) restent à prouver. Il est plausible que l'acupuncture puisse avoir des effets positifs sur les coliques infantiles car elle est reconnue pour son effet calmant, pour réduire la douleur et restaurer la fonction gastro-intestinale [4].

Cakmak [[5]], quant à lui, pense que des indices physiopathologiques indiquent que la colique infantile est une pathologie partagée entre la mère et le bébé, en particulier dans le cas des mères allaitantes. La théorie qu’il propose implique les taux trop élevés de la TNFα (facteur de nécrose tumorale-alpha, importante cytokine impliquée dans l’inflammation) dans le lait maternel, ce qui influencerait le métabolisme de la mélatonine (en diminution) et de la sérotonine (en augmentation) chez le bébé, pouvant alors engendrer les coliques infantiles. La TNFα peut être normalisée soit en puncturant uniquement la mère qui allaite, soit, par puncture également du bébé. Et diminuer par acupuncture la concentration de TNFα engendrerait donc une augmentation de la production nocturne de mélatonine, normalisant ainsi les taux de sérotonine du nourrisson par effet inhibiteur du TNFα sur le recaptage de la sérotonine.

Le manque de connaissances sur la physiopathologie des coliques infantiles limite toutefois le développement de médicaments efficaces ainsi que des modalités de prise en charge par l'acupuncture.

L'acupuncture est utilisée en Scandinavie comme traitement des coliques infantiles. D’après les résultats d’un ECR en aveugle (n=90 nourrissons) réalisé en 2013 [[6]], concernant la mesure du temps des pleurs entre un groupe acupuncture (sur E36 - zusanli) versus un groupe témoin sans acupuncture, il est objectivé une tendance en faveur du groupe acupuncture, avec une réduction moyenne (par rapport à l’inclusion) de 13 minutes (IC à 95% -24 à + 51), mais non significative pour être considérée comme cliniquement pertinent.

Depuis la publication de l’étude AcuCol en 2017 [1], deux revues systématiques relatives aux coliques infantiles ont été réalisées.

La première méta-analyse réalisée en 2018 par des auteurs norvégiens et suédois sur le rôle de l'acupuncture dans le traitement des coliques infantiles est controversée dans le sens où les ECR disponibles sont à petits effectifs et présentent des résultats contradictoires ; et que d’autre part, d’un point de vue éthique, on ne peut disposer que du consentement des parents.

Ainsi sur les trois essais comparatifs randomisés (n=307), un seul a obtenu une mise en aveugle complète des évaluateurs des résultats dans les groupes d’acupuncture et témoin. La différence moyenne (MD) dans le temps de pleurs entre le groupe acupuncture et le groupe témoin était -24,9 min (intervalle de confiance de 95%, IC : -46,2 à -3,6) ; à mi-traitement, -11,4 min (IC à 95% : -31,8 à 9,0) et à la fin du traitement -11,8 min (IC à 95% : -62,9 à 39,2 sur un seul ECR) au suivi de 4 semaines. L’hétérogénéité était négligeable dans toutes les analyses. Bref, dans cette méta-analyse, on n’observe pas de différence cliniquement importante entre le groupe des nourrissons recevant l'acupuncture et le groupe témoin.

Par ailleurs, les données indiquent que l'acupuncture induit une certaine douleur de traitement chez de nombreux nourrissons. Les auteurs ont conclu que l'acupuncture percutanée à l'aiguille ne doit pas être recommandée pour le traitement des coliques infantiles de manière générale [[7]].

Également en 2018, des auteurs coréens ont publié une revue systématique sur le sujet, mais pas de méta-analyse, en raison de l'hétérogénéité clinique considérable des études réalisées chez des nourrissons âgés de 0 à 25 semaines atteints de coliques infantiles. Sur les 601 ECR identifiés, seuls quatre ECR, tous menés dans des pays d'Europe du Nord, ont été inclus. Une acupuncture minimaliste au point 4GI (hegu) ou 36E (zusanli) sans forte stimulation a été utilisée dans toutes les études. D'après l'analyse narrative des parents, l'acupuncture semble être efficace pour soulager les symptômes des coliques, y compris les pleurs et les problèmes d'alimentation et de selles, et ne présente que des effets indésirables mineurs. Cependant, les preuves cliniques n'ont pas pu être confirmées en raison de l'hétérogénéité clinique considérable et de la petite taille des échantillons des études incluses [[8]].

En septembre 2020, Hjern et coll. ont évalué toutes les preuves d’interventions, en prévention ou en thérapeutique pour les coliques infantiles. Ils confirment à nouveau que les quatre ECR d’acupuncture sont sans effet ou avec un effet minimal sur la durée des pleurs et que le Lactobacillus reuteri serait davantage un traitement prometteur pour les coliques infantiles mais à confirmer avec des ECR de plus grande puissance [[9]].

Néanmoins, il est plausible que l'acupuncture puisse avoir des effets positifs sur les coliques infantiles car elle est reconnue pour son effet calmant, pour réduire la douleur et restaurer la fonction gastro-intestinale. Dans les ECR, le traitement est de courte durée et standardisé et par conséquent ne reflète sans doute pas ce qui est pratiqué dans la vraie vie, comme on a pu le constater avec cette analyse secondaire de Landgren [3]. Des effets positifs de l'acupuncture ont été rapportés pour soulager la douleur et l'agitation lorsqu'elle est pratiquée par des acupuncteurs qualifiés qui adaptent chaque traitement à la symptomatologie du nourrisson telle que rapportée par les parents.

Les points 4GI et 36E, tous deux considérés comme importants dans le traitement des symptômes gastro-intestinaux et coliques infantiles, figurent parmi les points les plus utilisés. Par ailleurs, les points sifeng sont classiquement indiqués dans les troubles de la digestion chez l’enfant et sont considérés comme fournissant un stimulus plus efficace mais aussi plus douloureux. L'acupuncture minimaliste, une technique douce sans recherche de deqi est  principalement utilisée pour traiter les coliques infantiles.

Il n'existe actuellement aucune preuve concluante sur l'efficacité de l'acupuncture pour traiter les coliques infantiles. Des ECR à plus grand effectif et plus solides sur le plan méthodologique sont nécessaires pour préciser les meilleurs emplacements des points d’insertion d’acupuncture, le temps de stimulation ainsi que de la durée du traitement.

On peut toutefois noter que l’acupuncture japonaise chez le nourrisson (shonishin[2] pourrait être utile. Néanmoins, contrairement à l’acupuncture traditionnelle chez l’enfant dont l’efficacité commence à être évaluée, le shonishin ne l’est toujours pas [[10]].

 

Jean-Marc Stéphan, Tuy Nga Brignol


Notes 

[1]. Sifeng est un point hors-méridien (Ex-UE-10), situé sur la face palmaire de chaque doigt (à l’exception du pouce), au milieu des plis transversaux de l’articulation inter-phalangienne proximale. Il est considéré harmoniser la circulation du qi entre le Réchauffeur Supérieur et le Réchauffeur Moyen

[2]. Le shonishin se pratique essentiellement sur le nourrisson, le bébé et le jeune enfant. Le soin bref, variant d’une à cinq minutes, voire à une vingtaine de minutes pour un enfant plus vieux est réalisé par le médecin. Après un petit apprentissage, la mère ou le père pourront même poursuivre le traitement à la maison. Mise au point au XVIIe siècle, cette technique acupuncturale spécialisée pour les enfants était pratiquée à Osaka au Japon. Mais initialement, c’est dans le Huangdi neijing lingshu et spécialement dans le premier chapitre « Des neuf aiguilles » que l’on retrouve en fonction de leur forme et de leur emploi différents une catégorie d’aiguilles en forme de bâton : aiguilles à tête ronde (yuan) et aiguilles émoussées (ti), non blessantes, utilisées pour masser et presser les points.


Références

[1]. Landgren K, Hallström I. Effect of minimal acupuncture for infantile colic: a multicentre, three-armed, single-blind, randomised controlled trial (ACU-COL). Acupunct Med. 2017 Jun;35(3):171-179.

[2]. Landgren K, Tiberg I, Hallström I. Standardized minimal acupuncture, individualized acupuncture, and no acupuncture for infantile colic: study protocol for a multicenter randomized controlled trial - ACU-COL. BMC Complement Altern Med. 2015 Sep 14;15:325.

[3]. Landgren K, Hallström I, Tiberg I. The effect of two types of minimal acupuncture on stooling, sleeping and feeding in infants with colic: secondary analysis of a multicentre RCT in Sweden (ACU-COL). Acupunct Med. 2021 Apr;39(2):106-115.

[4]. Johnson JD, Cocker K, Chang E. Infantile Colic: Recognition and Treatment. Am Fam Physician. 2015 Oct 1;92(7):577-82.

[5]. Cakmak YO. Infantile colic: exploring the potential role of maternal acupuncture. Acupunct Med. 2011 Dec;29(4):295-7.

[6] . Skjeie H, Skonnord T, Fetveit A, Brekke M. Acupuncture for infantile colic: a blinding-validated, randomized controlled multicentre trial in general practice. Scand J Prim Health Care. 2013 Dec;31(4):190-6.

[7]. Skjeie H, Skonnord T, Brekke M, Klovning A, Fetveit A, Landgren K, Hallström IK, Brurberg KG. Acupuncture treatments for infantile colic: a systematic review and individual patient data meta-analysis of blinding test validated randomised controlled trials. Scand J Prim Health Care. 2018 Mar;36(1):56-69.

[8]. Lee D, Lee H, Kim J, Kim T, Sung S, Leem J, Kim TH. Acupuncture for Infantile Colic: A Systematic Review of Randomised Controlled Trials. Evid Based Complement Alternat Med. 2018 Oct 24;2018:7526234.

[9]. Hjern A, Lindblom K, Reuter A, Silfverdal SA. A systematic review of prevention and treatment of infantile colic. Acta Paediatr. 2020 Sep;109(9):1733-1744.

[10]. Stéphan JM. Recension. Shonishin : Japanese pediatric acupuncture par Stephen Birch. Acupuncture & Moxibustion. 2016;15(4):333.

Consensus d’experts sur le traitement par acupuncture de la gonarthrose

Pratique de l’acupuncture

 

    Consensus d’experts sur le traitement par acupuncture de la gonarthrose

 

 

 

 

 

 

Dans une pathologie donnée, il est tout à fait usuel d’observer de grandes variations de pratique. Pour réduire ces variations (dont une partie peut être considérée comme non justifiée), des consensus d’experts sont utilisés pour élaborer des recommandations de bonne pratique.

Méthode Delphi

La méthode Delphi est une méthode des plus courantes pour formaliser ce consensus [1,2]. Il s’agit d’obtenir un avis final unique et convergent d’un groupe d’experts et d’en évaluer le degré de convergence. Le principe est d’interroger les experts sur la base d’un questionnaire auto-administré, de manière itérative (deux à quatre tours) et interactive, sans communication directe entre eux. L’anonymat est garanti, minimisant ainsi le risque d’une prise de pouvoir par certains individus ou sous-groupes d’individus.

Les résultats d’un premier questionnaire sont communiqués à chaque expert et sont accompagnés d’une synthèse des tendances générales et particulières, des avis et des justifications. Dès lors chacun est invité à réagir et à répondre à un deuxième questionnaire élaboré en fonction des premiers avis recueillis, et ainsi de suite jusqu’à l’obtention d’une convergence aussi forte que possible des réponses.

Les experts doivent être des experts qualifiés, ayant une compréhension claire de la problématique abordée, représentatifs des connaissances et/ou des perceptions actuelles, relativement impartiaux et indépendant des pressions commerciales ou autres.

 

Traitement par acupuncture de la gonarthrose

Une étude utilise ainsi la méthode Delphi pour établir des recommandations sur le traitement par acupuncture de la gonarthrose [3]. Le pilotage est assuré par un groupe de base constitué de quatre chercheurs issus des universités de médecine chinoise de Beijing et du Shandong : un expert acupuncteur, deux méthodologistes et un secrétaire. Une liste de 100 experts potentiels dans le domaine du traitement par acupuncture de la gonarthrose a été établie. Cette liste n’incluait que des experts chinois : auteurs ayant publié des articles sur le sujet, auteurs de manuels et membres de la China Association of Acupuncture-Moxibustion. 52 ont accepté de participer à l’étude, constituant le panel d’experts.

Une première liste d’énoncés (items) a été établie par le comité de pilotage à partir :

  • des données probantes dans le domaine : analyse de protocoles d’acupuncture dans les essais contrôlés randomisés évaluant l’acupuncture dans la gonarthrose.
  • d’une enquête multidisciplinaire préalable sur un groupe de 85 acupuncteurs et non-acupuncteurs visant à identifier et lister les différentes problématiques cliniques possibles.

Cette liste d’énoncés a été soumise ensuite à trois experts du panel lors d’entretiens semi-structurés, ce qui a abouti à une liste initiale de 28 énoncés. Enfin, ces énoncés ont été soumis à l’ensemble du panel des 52 experts en trois tours successifs au cours desquels les participants ont formulé leur accord ou désaccord, proposé des reformulations ou des ajouts d’énoncés. Ce processus itératif et interactif a permis l’émergence de nouveaux points de vue et une meilleure compréhension du sujet. L’accord ou désaccord était exprimé sur une échelle de type Likert à neuf points (score 1 = désaccord fort, score 9 = accord fort). Pour chaque énoncé, un consensus est considéré comme établi si la médiane des scores est ⩾ 8 et si plus de 70% des scores sont ⩾ 7.

Finalement, 37 énoncés ont été retenus et 8 exclus, portant sur : (1) les principes thérapeutiques, (2) le traitement par acupuncture proprement dit, (3) la dose d’acupuncture (intensité, durée et rythme des séances), (4) les critères d’évaluation principaux, (5) les effets secondaires et (6) divers.

 

Principes de traitement

Figure 1. Principes de traitement : indications de l’acupuncture.

Les « principes de traitement » (figure 1) sont en fait les indications en distinguant l’acupuncture comme traitement principal et l’acupuncture comme traitement complémentaire en fonction du grade à la classification radiologique de Kellgren-Lawrence. Cette distinction apparait comme bien formelle et sans réel caractère opératoire. Si on analyse comparativement les niveaux de preuve respectifs de l’acupuncture, des thérapeutiques médicamenteuses et non-médicamenteuses, la classification de l’acupuncture comme thérapeutique complémentaire dans l’arthrose évoluée ne semble pas justifiée [4].

Traitement par acupuncture

L’énoncé 8 disant que l’association de l’acupuncture à d’autres techniques comme la moxibustion peut améliorer l’efficacité est très vague et sans grande valeur opératoire. Effectivement de nombreuses modalités techniques d’acupuncture (entendue comme terme générique) peuvent être utilisées dans la gonarthrose [5]. Une revue systématique (RS) comparant l’efficacité de cinq modalités conclut à la supériorité de l’électroacupuncture et de l’aiguille de feu par rapport à l’acupuncture simple [6].

Figure 2. Traitement par acupuncture : « phases » et choix des points.

Ces données paraissent confirmées par deux autres RS portant spécifiquement sur l’électroacupuncture [7] ou l’aiguille de feu [8]. De nombreuses autres techniques ont fait l’objet d’une évaluation positive dans le domaine de la gonarthrose ; mais d’une façon générale la qualité des études ne permet pas de conclusion ferme : la moxibustion [9], les aiguilles chauffées [10], les saignées au niveau des points [11], l’acupotomie [12], l’api-acupuncture [13]. Dans la recommandation d’une technique l’évaluation de son efficacité est bien sûr centrale mais il faut tenir également compte d’autres paramètres :

  • la sécurité : à l’évidence le risque d’effets indésirables ne parait pas équivalent ;
  • l’adhésion du patient notamment vis-à-vis des techniques paraissant agressives (acupotomie, aiguille de feu) ;
  • la maitrise technique du praticien (sa formation et ses compétences opératoires) ;
  • la faisabilité de la technique en fonction des lieux (la moxibustion nécessite des locaux adaptés) et de la disponibilité des dispositifs nécessaires ;
  • le coût praticien (formation, durée de l’acte, investissement matériel) et le coût patient.

Les énoncés 9 à 11 sont de bon sens, mais utiles à formuler. L’énoncé 12 sur la théorie des méridiens et la différenciation des syndromes comme base principale du traitement pose question parce que cette affirmation ne se retrouve pas traduite explicitement dans le choix des points. A l’analyse des pratiques dans la gonarthrose on retrouve bien sûr des traitements selon les méridiens et selon la différenciation des syndromes, mais la pratique la plus usuelle est l’utilisation de points locaux ou locaux-distaux sans référence directe aux méridiens ou aux zheng. Cela confirme que traitement selon les zheng ou selon les méridiens sont des options thérapeutiques et non un cadre impératif [14].

Les énoncés 13 à 17 portent sur le choix des points. L’énoncé 13 parait préconiser une association de point locaux et de points distaux. Les données probantes en acupuncture, toutes pathologies confondues, vont en ce sens : l’association est supérieure aux points locaux seuls [15]. Par contre dans les douleurs musculo-squelettiques l’utilisation de points locaux seuls est équivalente aux points distaux seuls, l’intérêt de leur association restant indéterminée [16].

Les points locaux cités paraissent consensuels. Cette liste est quasiment identique à celle issue d’une analyse des protocoles de 16 essais contrôlés randomisés (ECR) ou encore de 20 traités d’enseignement d’acupuncture [17]. Mais observons qu’il s’agit tout simplement de la citation de l’intégralité des points locaux des faces antérieure et latérales du genou auxquels s’ajoutent les points ashi et deux points curieux (heding et xiyan).

Un élément à noter est la distinction et la hiérarchisation de trois groupes de points locaux en fonction de ce qui semble être une fréquence d’usage : les deux xiyan (35E et neixiyan) comme points principaux, 34VB (yanglingquan), heding, 10Rte (xuehai), 9Rte (yinlingquan), 36E (zusanli) et ashi comme points usuels, 34E (liangqu), 33VB (yangguan) et 40V (weizhong) comme points secondaires. A noter qu’une étude clinique montre qu’il n’y a pas de différence d’efficacité entre l’utilisation des deux xiyan seuls et une association (xiyan) + (36E, 34E, 9Rte, 10Rte) [18].

Les données apparaissent plus discordantes sur les points distaux : dans les ECR, le 6Rte (sanyinjiao) est le plus utilisé alors que le panel d’experts ne l’a pas retenu (figure 5). Inversement 39VB (xuanzhong) et 3Rn (taixi) cités dans le consensus d’experts se retrouvent rarement dans les ECR comme dans les manuels d’enseignement [17]. Une utilisation prédominante de la différenciation des zheng ou de la théorie des méridiens aurait conduit à des choix de points distaux sensiblement différents.

 

Dose de l’intervention

Figure 3. Traitement par acupuncture : dose de l’intervention.

Les experts classent le deqi et la profondeur de puncture dans le cadre de la dose d’acupuncture (la posologie). Le deqi est énoncé comme un élément essentiel de l’efficacité thérapeutique (énoncé 19). Mais si cela est montré dans certaines pathologies (dysménorrhées, [19]), ce n’est pas le cas si on réunit l’ensemble des pathologies [20]. Les profondeurs de puncture données sont classiques, mais il est également évoqué la possibilité de puncture profonde, transfixiante en direction de la face opposée de l’articulation. Il nous semble que cette technique ne devrait être recommandée que si elle montre une supériorité par rapport à une puncture usuelle. Les experts n’ont pas retenu l’énoncé sur l’importance des notions de tonification/dispersion de même que celui sur l’importance du nombre de points utilisés (figure 5). Sur ce dernier élément, effectivement, comme nous l’avons vu, une étude clinique montre qu’il n’y a pas de différence entre un protocole à deux points versus six points [18].

Concernant la durée des séances il est recommandé une durée de séance de 30 minutes, mais inversement l’énoncé sur l’importance du paramètre n’a pas été retenu (figure 5). La fréquence des séances proposées est une par jour à une tous les deux jours. C’est un rythme plus élevé que celui relevé dans les essais cliniques (le plus souvent deux séances / semaine) [17].

Curieusement aucune indication sur le nombre de séances n’est donnée, et l’énoncé sur l’importance de ce paramètre n’a pas été retenu (figure 5). Dans les études cliniques le nombre le plus usuel est de 10-15 séances [17]. Dans une revue systématique sur la douleur chronique, les auteurs concluent que la durée d’un traitement par acupuncture doit être d’au moins de 5 semaines, et que les meilleurs résultats sont obtenus avec 11 semaines ou plus [21].

Il n’est pas retenu la nécessité d’augmenter la posologie en cas de douleur sévère ou de grade élevé au score de Kellgren-Lawrence (figure 5).

 

Autres paramètres

Figure 4. Critères d’évaluation, effets indésirables et autres.

Énoncés non retenus

Figure 5. Enoncés non retenus.

Conclusions

L’intérêt premier de ce consensus d’experts est de lister, classer et formuler un ensemble de problématiques quant à la pratique de l’acupuncture. Les réponses apportées ne font bien sûr que refléter l’avis des participants, mais elles nous amènent à réfléchir sur notre propre pratique.

Il apparait clairement que toutes les pratiques sont facilement décomposables en différents éléments et que ces éléments sont indépendants les uns des autres posant chacun une question spécifique (par exemple l’intérêt du deqi n’est pas lié à la définition de la durée optimale d’une séance d’acupuncture).  Le point de vue d’une « vraie » acupuncture traditionnelle qui porterait en elle la connaissance de tous les paramètres est mis à distance. Une réponse solide à chacune des questions posées ne peut venir que de la recherche clinique et expérimentale.

 

Dr Olivier Goret

Conflit d’intérêt : aucun

Dr Johan Nguyen

 Conflit d’intérêt : aucun

 

Références

  1. Dalkey NC. The Delphi Method. An Experimental Study of Group Opinion. Dalkey NC. The Delphi method: An experimental study of group opinion. Santa Monica, CA: Rand Corporation. 1969.
  2. Linstone HA, Turoff M. The Delphi Method, Techniques and applications, New Jersey Institute of Technology. 2002.
  3. Sun N, Wang LQ, Shao JK, Zhang N, Zhou P, Fang SN, Chen W, Yang JW, Liu CZ. An expert consensus to standardize acupuncture treatment for knee osteoarthritis. Acupunct Med. 2020;38(5):327-334.
  4. Nguyen J. L’acupuncture dans l’arthrose périphérique : des recommandations positives de l’American College of Rheumatology qui posent question. Acupuncture preuves & pratiques. Juin 2020.  https://gera.fr/lacupuncture-dans-larthrose-peripherique-des-recommandations-positives-de-lamerican-college-of-rheumatology-qui-posent-question/
  5. Cheng Jie, Tang Wei, Fang Hui-Ling. [The application of special acupuncture therapies on knee osteoarthritis]. Journal of Clinical Acupuncture and Moxibustion. 2011;27(3):66.|
  6. Li S, Xie P, Liang Z, Huang W, Huang Z, Ou J, Lin Z, Chai S. Efficacy Comparison of Five Different Acupuncture Methods on Pain, Stiffness, and Function in Osteoarthritis of the Knee: A Network Meta-Analysis. Evid Based Complement Alternat Med. 2018.
  7. Chen N, Wang J, Mucelli A, Zhang X, Wang C. Electro-Acupuncture is Beneficial for Knee Osteoarthritis: The Evidence from Meta-Analysis of Randomized Controlled Trials. American Journal of Chinese Medicine. 2017;45(5):965-985.
  8. Ko H, Yoo J, Shin J. A Systematic Review and Meta-Analysis of Fire Needling Treatment for Knee Osteoarthritis: Focused on Comparative Studies with Manual Acupuncture Treatment during Recent Five Years. Korean Journal of Acupuncture. 2019;36(2):104-114.
  9. Yuan T, Xiong J, Wang X, Yang J, Jiang Y, Zhou X, Liao K, Xu L. The Effectiveness and Safety of Moxibustion for Treating Knee Osteoarthritis: A PRISMA Compliant Systematic Review and Meta-Analysis of Randomized Controlled Trials. Pain Res Manag. 2019.
  10. Zhang Jiwei, Deng Qiang, Yang Zhenyuan, Zhang Yanjun, Wang Peng, Guo Tiefeng. [Meta Analysis of Randomized Controlled Trials of Warming Needle Moxibustion for Knee Osteoarthritis]. Clinical Journal of Traditional Chinese Medicine. 2018;11:2049-2054.
  11. Fan Si-Qi, Zeng Ping, Liu Xiong, Chen Jin-Long, Nong Jiao. [A Meta-analysis of Pricking Blood Therapy combined with Acupuncture in the Treatment of Knee Osteoarthritis]. Guiding Journal of Traditional Chinese Medicine and Pharmacy. 2019;2:119-123.
  12. Zhang Lei, Wei Mubin, Liu Aifeng. [Meta-analysis of acupotomy versus acupuncture for knee osteoarthrits]. Tianjin Journal of Traditional Chinese Medicine. 2019;3:253-7.
  13. Li Shaowei, Huang Weihan, Pan Yuanle, Ou Jinming, Huang Zhanhui, Liu Haifeng, Huang Mengfen. [A Meta-analysis of Bee-sting Acupuncture in the Treatment of Knee Osteoarthritis]. Guangming Journal of TCM. 2018;5:693-696.
  14. Nguyen J. La différenciation des zheng comme option thérapeutique. Acupuncture Preuves & Pratiques. Juin 2020.  https://gera.fr/la-differenciation-des-zheng-comme-option-therapeutique/
  15. Yu Peixun, Gao Bing, Xia Yujun. Meta-analysis of the effect of distal or local point selection on acupuncture efficacy. World Journal of Acupuncture-Moxibustion. 2018;28(2):44.
  16. Wong LIT Wan D, Wang Y, Xue CC, Wang LP, Liang FR, Zheng Z. Local and distant acupuncture points stimulation for chronic musculoskeletal pain: a systematic review on the comparative effects. Eur J Pain. 2015.
  17. Purepong N, Jitvimonrat A, Sitthipornvorakul E, Eksakulkla S, Janwantanakul P. External validity in randomised controlled trials of acupuncture for osteoarthritis knee pain. Acupuncture in Medicine. 2012;30(3):187-94.
  18. Goret O, Nguyen J. Gonarthrose : l’électro-acupuncture locale sur deux points paraît équivalente à l’électro-acupuncture locale sur six points. Acupuncture & Moxibustion. 2009;8(3):176.
  19. Wang Y, Sun J, Zhang Z, Cao H, Wang P, Zhao M, Hu N, Wu G, Hu S, Zhu J. [Impact of deqi on acupoint effects in patients with primary dysmenorrhea:a systematic review of randomized controlled trials]. Chinese Acupuncture and Moxibustion. 2017;37(7):791-797.
  20. Zhang S, Mu W, Xiao L, Zheng WK, Liu CX, Zhang L, Shang HC. Is deqi an indicator of clinical efficacy of acupuncture? A systematic review. Evid Based Complement Alternat Med. 2013;2013:750140. 
  21. Li C, Pei Q, Chen Y, et al. The response-time relationship and covariate effects of acupuncture for chronic pain: a systematic review and model-based longitudinal meta-analysis. Eur J Pain. 2020.

 

Guide de préconisations de sécurité sanitaire pour la continuité des soins par acupuncture en période d’épidémie de coronavirus COVID-19

Truong Tan Trung HY, Bidon S, Clément P, Huchet A, Martin M, Nguyen J, Stéphan JM, Clotilde Royer C, Andrès G, Beaufreton P, Cury G, Escalle E, Gerlier JL, Kespi JM, Lison S. Maire B, Monlouis, J, Phan-Choffrut F, Thurière N, Vicq JL

 

Les recommandations ci-après sont proposées par le Collège Français d’Acupuncture (CFA-MTC) afin de vous aider dans votre pratique. La priorité des médecins et sages-femmes acupuncteurs est de garantir aux patients les consultant, le respect des règles de sécurité sanitaires les plus strictes compatibles avec la réalisation des soins. Ce document liste les mesures à mettre en œuvre pour assurer les conditions sanitaires nécessaires à la réalisation des soins par acupuncture, la sécurité des collaborateurs du cabinet et du soignant.

Protection du patient

Afin de permettre au patient, à la fois, de bénéficier d’un traitement par acupuncture et lui garantir une sécurité maximale dans la réalisation des soins, les mesures suivantes sont préconisées.

Prévention du risque de contamination inter-patients

Réorganisation du cabinet médical dans le temps et l’espace : horaires aménagés pour limiter les croisements, horaires dédiés si besoin, la prise de rendez-vous sera privilégiée, téléconsultations si besoin, respect des distances de sécurité >1m, port de masque par le patient recommandé.

Prévention du risque de contamination surfaces-patients

  • Lavage des mains (eau + savon ou solution hydro alcoolique SHA) en début et fin de
  • Nettoyage 2 à 3 fois par jour des surfaces de travail pouvant être touchées (poignées de portes, bureau, lit d’examen, terminaux de paiement, interrupteurs, mobiliers fréquemment utilisés) à moduler avec la fréquentation des
  • Désinfection systématique des instruments en contact avec le patient (stéthoscope par exemple) ou suppression des contacts (portes laissées ouvertes, couverture …).
  • Aérer et nettoyer régulièrement les sites d’accueil autant que
  • Enlever des lieux où sont reçus les patients, les objets non nécessaires (jouets, livres pour enfants, revues et journaux, etc.).
  • Pour la désinfection des surfaces utiliser soit de l’eau de javel diluée (1 litre d’eau de javel à 2,6% + 4 litres d’eau froide), soit un produit virucide répondant à la norme NF 14476 ou encore des lingettes désinfectantes actives contre les virus en référence à la norme NF 14476, soit de l’alcool à 70° auxquels le SARS-CoV-2 est

Prévention du risque de contamination soignant-patients

  • Port de masque systématique par le soignant (et par le personnel d’accueil si rupture de la distance de sécurité).
  • Lavage des mains du soignant avant tout

Protection du personnel d’accueil

  • Si possible protection par vitre ou
  • Sinon respect d’une distance >1m ou port d’un
  • Lavage des mains avec du savon et de l’eau ou un soluté hydro-alcoolique après chaque acte ayant nécessité la manipulation d’objets appartenant au patient (Carte Vitale, moyen de paiement).

Protection du soignant

  • Lavage des mains (eau + savon ou solution hydro alcoolique) en début et fin de consultation et après tout contact potentiellement
  • Port de masque (FFP2 si disponible) pour toutes les consultations, en respectant les conditions de port (8 Heures au max pour les FFP2 si la notice du fabriquant le permet, 4 heures pour les masques chirurgicaux, ne pas manipuler le masque avec les doigts, précaution pour les porteurs de lunettes, se laver les mains après retrait du masque).
  • Port d’une tenue réservée à l’usage professionnel recommandé.
  • Désinfection du stéthoscope et des autres instruments utilisés pendant la

Il n’a pas été jugé utile de préconiser l’usage de l'ensemble sur-blouse, charlotte, masque, lunettes et gants constituant un équipement de protection individuel (EPI) compte tenu des conditions habituelles de réalisation d’une séance d’acupuncture chez un patient ne présentant pas de signe clinique Covid-19.

Pour l’examen éventuel des pouls, les préconisations sont les mêmes que pour tout acte palpatoire de médecine générale : lavage des mains.

Pour l’examen éventuel de la langue, il peut être réalisé si port de masque FFP2 ou en respectant la distanciation.

Le site de référence sur la conduite à tenir en cas de suspicion Covid-19 est : https://lecmg.fr/coronaclic/.

Fiches pratiques

Fiche 1. Les différentes étapes de la séance d’acupuncture et risque COVID-19.

Les problèmes identifiés concernent les risques de contamination par contact patient avec les surfaces et vice-versa.

Solutions proposées

  • Laisser les accès du cabinet libre si
  • De toute façon : lavage systématique des mains du patient en début de consultation : eau + savon ou solution hydro-alcoolique (SHA).

 

Fiche 2. Les différentes étapes de la séance d’acupuncture : Ordonnance / Paiement.

 

Fiche 3. Les différentes étapes de la séance d’acupuncture à la fin de la consultation.

Fiche 4. A retenir.

 

La réorganisation du cabinet médical dans l’espace et le temps.

Le lavage des mains du patient en début et fin de séance.

Le lavage des mains du soignant en début, fin de séance et après contact potentiellement contaminant.

Le port systématique d’un masque. 

 

 

 

 

 

 

 

Collège Français d'Acupuncture (CFA-MTC)

Responsable de projet : Truong Tan Trung HY

Groupe de travail : Bidon S, Clément P, Huchet A, Martin M, Nguyen J, Stéphan JM, Clotilde Royer C

Relecture : Escalle E, Beaufreton P, Phan-Choffrut F, Gerlier JL, Kespi JM, Maire B, Andrès G, Cury G, Thurière N, Vicq JL

Non CFA : Monlouis J, Lison S

Le présent document a été établi le 06 mai 2020 par les membres du Collège Français d'Acupuncture (CFA-MTC). Il sera révisé et mis à jour en tenant compte des évolutions de la pandémie et des préconisations gouvernementales. Une version à jour est disponible sur le site : www.acupuncture-medic.fr.

 

Documents de référence

1.Van Doremalen N, Bushmaker T, Moris DH et al. Aerosol and Surface Stability of SARS-CoV-2 as Compared With SARS-CoV-1. N Engl J Med. 2020 Apr 16;382(16):1564-1567. doi: 10.1056/NEJMc2004973.

  1. Société Française d’Hygiène Hospitalière (SF2H). Avis relatif aux conditions de prolongation du port ou de réutilisation des masques chirurgicaux et des appareils de protection respiratoire de type FFP2 pour les professionnels de santé du 14 mars 2020. [En ligne] https://www.sf2h.net/publications/coronavirus-2019-ncov [Consulté le 01/05/2005].
  2. Société Française d’Hygiène Hospitalière (SF2H). Avis relatif à la réutilisation de sur-blouses pour la prise en charge de patients COVID-19 dans un contexte de pénurie nationale. [En ligne] https://www.sf2h.net/avis-a-la-reutilisation-de-sur-blouses-dans-un-contexte-de-penurie-nationale [Consulté le 03/05/2020].
  3. Centers for Disease Control and Prevention (CDC). Recommended Guidance for Extended Use and Limited Reuse of N95 Filtering Facepiece Respirators in Healthcare settings. [En ligne] https://www.cdc.gov/niosh/topics/hcwcontrols/recommendedguidanceextuse.html [Consulté le 01/05/2020].
  4. Collège Français de Médecine Générale. Réorganisation du cabinet de médecine générale. [En ligne] https://lecmg.fr/coronaclic/ [Consulté le 30/04/2020].
  5. Institut Pasteur Lille. Fiche conseil coronavirus : prise en charge à domicile d’un patient atteint de Covid-19 (Sars-Cov-2). [En ligne] https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=2&ved=2ahUKEwjS-KWlqKvpAhWDA2MBHVleDsQQFjABegQIAhAB&url=https%3A%2F%2Fwww.pasteur-lille.fr%2Ffileadmin%2Fuser_upload%2Fcoronavirus_fiche_conseil.pdf&usg=AOvVaw3p5GB2TtR8fkOwAwvGY_iC [Consulté le 02/05/2020].

Angor chronique stable et électroacupuncture : un essai contrôlé randomisé à quatre bras

 

Evaluation de l’acupuncture

 

Angor chronique stable  et électroacupuncture : un essai contrôlé randomisé à quatre bras

 

Tuy Nga Brignol, Jean-Marc Stéphan

 

Zhao L, Li D, Zheng H, Chang X, Cui J, Wang R, Shi J, Fan H, Li Y, Sun X, Zhang F, Wu X, Liang F. Acupuncture as Adjunctive Therapy for Chronic Stable Angina: A Randomized Clinical Trial. JAMA Intern Med. 2019 Jul 29;e192407. doi: 10.1001/jamainternmed.2019.2407.

 

RÉSUMÉ

 

Question

- Evaluer l’innocuité et l'efficacité de l'électroacupuncture dans l’angor chronique stable (ACS) comme traitement adjuvant aux traitements anti-angineux pour réduire la fréquence des crises d'angine de poitrine. L’ACS est défini selon les critères de l'American College of Cardiology et de l'American Heart Association comme une crise d’angor survenant au moins deux fois par semaine.

- Valider les caractéristiques de spécificité des points d'acupuncture basés sur les méridiens.

 

Plan expérimental

Essai contrôlé randomisé multicentrique avec analyse en intention de traiter, à quatre bras par randomisation centrale selon un ratio de 1: 1: 1: 1.

  • Groupe 1 (G1, bras expérimental, n=99) : points situés sur les méridiens spécifiques Cœur et Maître du Cœur (péricarde) : 5C (tongli) ; 6MC (neiguan) ;
  • Groupe 2 (G2, comparateur actif, n=99) : les points sont situés sur le méridien Poumons, sans lien direct avec l’ACS : 9P (taiyuan) ; 6P (kongzui).
  • Groupe 3 (G3, comparateur factice, n=101) : insertion bilatérale des aiguilles en deux points simulés.
  • Groupe 4 (G4, n=99) composé de patients sur liste d’attente sans traitement par acupuncture.

La période d'étude complète est de 20 semaines, incluant une période de référence de quatre semaines, une période de traitement de quatre semaines et un suivi de douze semaines.

Les groupes d’acupuncture (G1, G2, G3) ont reçu 12 séances de traitement : une séance d’une durée de 30 minutes, trois fois par semaine pendant quatre semaines.

Tous les patients de l’étude ont poursuivi leurs traitements anti-angineux habituels au cours de l’essai, incluant les bêta-bloquants, l'aspirine, les statines et les inhibiteurs de l'enzyme de conversion. Ils ont aussi reçu des recommandations de modification du mode de vie telles que limiter la consommation d'alcool, arrêter de fumer, favoriser l’exercice, perte de poids, etc.

 

Cadre

Cinq centres en Chine (Université de médecine traditionnelle chinoise de Chengdu) ont participé à l’étude pendant 20 semaines en 2015.

 

Patients

404 participants inclus (âge moyen : 62,6 ans), dont près des deux tiers de la cohorte étaient des femmes.

Les participants présentent en moyenne 13,3 épisodes de douleur angineuse sur une période de référence de quatre semaines. Ils sont répartis en nombre égal dans les quatre groupes ayant des caractéristiques de base similaires.

Critères d'inclusion :

- Hommes et femmes âgés de 35 à 80 ans.

- Répondre aux critères diagnostiques d’angine de poitrine (selon l’ACG / AHA).

- L'apparition de l'angine de poitrine depuis 3 mois et plus, et fréquence des crises d'angor ≥ 2 par semaine.

Critères d'exclusion :

Les patients présentant d'autres affections graves, notamment des antécédents d'infarctus du myocarde, d'insuffisance cardiaque grave, de cardiopathie valvulaire, de pression artérielle mal contrôlée ou de diabète, ont été exclus.

 

Intervention

L’utilisation des points autres que ceux prescrits n’est pas autorisée. L'insertion bilatérale est suivie de stimulation manuelle de l’aiguille (0,25mm x 40mm ou 25mm) jusqu’à obtention de la sensation de deqi pour G1 et G2, et non pour G3. Par ailleurs pour les G1, G2 et G3, des aiguilles auxiliaires de 0,18mm x 13mm sont insérées à 2mm de l’aiguille principale sur une profondeur de 2 mm, latéralement à chaque point d'acupuncture, sans stimulation manuelle. Cette pratique permet d’assurer la stimulation électrique (appareil stimulateur HANS- LH 200A).de points locaux (fréquence 2 Hz, durée impulsion 600µs ; intensité variable de 0,1 à 2,0 mA jusqu'à ce que les patients se sentent encore à l'aise.

 

Critères de jugement

Le critère principal utilisé est le changement de la fréquence des crises d'angor.

Parmi les critères secondaires, on peut citer : sévérité de la douleur de l'angine de poitrine évaluée à l'aide d'une échelle visuelle analogique ; prise de médicaments d’appoint ; test de distance de marche de six minutes ; score du questionnaire sur l'angine de Seattle ; échelle de l'anxiété autoévaluée ; échelle de dépression autoévaluée ; incidence des épisodes cardiovasculaires (évolution en angor instable, infarctus aigu du myocarde, décès) ; variabilité de la fréquence cardiaque enregistrée par Holter.

L’évaluation est faite à 0 jour, 4 semaines, 8 semaines, 12 semaines et 16 semaines après l’inclusion. Les détails du traitement médicamenteux (noms, temps d'administration et posologie) sont documentés dans un agenda par les participants.

 

Résultats

Un total de 398 participants (253 femmes et 145 hommes ont été inclus dans les analyses en intention de traiter. Au cours des quatre semaines de référence, la moyenne de la fréquence des crises d'angor des participants est de 13,31. Pendant les semaines 4 à 16, la fréquence des crises est significativement plus faible dans G1 que celle des trois autres groupes. Elle a diminué de 7,96 crises dans G1, de 3,89 dans G2, de 2,78 dans G3, et de 2,33 dans G4. Une réduction plus importante a été observée dans G1 par rapport aux autres groupes : 4,07 crises de moins que G2, 5,18 de moins que G3 et 5,63 de moins que G4. Lors des semaines 8 à 16, à chaque évaluation le score d'échelle analogique visuelle est inférieur dans G1 par rapport à celui des autres groupes. En d’autres termes, une plus grande réduction des crises d'angor a été observée dans le groupe G1 versus le groupe G2 (différence : 4,07; IC à 95%, 2,43-5,71; p <0,001), dans le groupe GI vs le groupe G3 (différence : 5,18; IC 95%, 3,54-6,81; p <0,001), et dans le groupe GI vs le groupe G4 (différence : 5,63 attaques; IC 95%, 3,99- 7,27; P  <0,001).

Ainsi, pour les participants de G1, l'acupuncture présente des avantages supérieurs en termes de réduction de la fréquence de l'angine de poitrine et de l'intensité de la douleur par rapport aux autres groupes. Elle a aussi permis de mieux réguler l'anxiété et la dépression dans les 12 semaines suivant le traitement.

 

Conclusion

L’acupuncture pratiquée aux points 6MC et 5C comme traitement adjuvant au traitement anti-angineux pharmacologique a montré des avantages pour soulager l’angine de poitrine pendant les 16 semaines de l’essai.

 

COMMENTAIRES

Il s’agit d’un ECR pragmatique dont le protocole est publié sur le site américain Clinical Trials.gov géré par la National Library of Medicine en 2014, un an avant la réalisation de l’étude [1].

L'acupuncture est basée sur la théorie des méridiens et des points d'acupuncture. Le méridien et ses collatéraux sont, d’une part en rapport en interne avec les Organes/Viscères, et d’autre part en externe avec les extrémités des membres. La sélection des points sur le méridien spécifique est le principe de base de l'acupuncture. Dans cet essai sur l'ACS, les points situés sur le méridien du Cœur shaoyin et le méridien du Péricarde shoujueyin (Maître du Cœur) sont retenus pour traiter l’ACS. Un protocole standard est utilisé afin d’éviter des effets de biais d’efficacité liés à un traitement personnalisé basé sur l’expérience de l’acupuncteur. Ces deux principaux points sont déjà utilisés dans une étude suédoise ayant montré les effets bénéfiques supplémentaires de l'acupuncture chez des patients atteints d’angor [2].

L’électroacupuncture (EA) est appliquée en raison de ses avantages par rapport à l'acupuncture manuelle pour soulager la douleur et réduire les temps de réponse [3]. Comparée à l'acupuncture manuelle, l'EA se traduit par une plus grande reproductibilité de la stimulation. Par ailleurs, l’EA est utilisée en pré-traitement pour prévenir les lésions du myocarde chez des patients atteints de coronaropathie [4].

L’objectif de cette étude est d’évaluer l’efficacité et de confirmer l’existence de la spécificité des points d’acupuncture sur le méridien. La comparaison est faite par rapport aux points situés sur l’autre méridien non spécifique à l’ACS (méridien Poumons) et aux points factices (sham) ne correspondant pas à des points d’acupuncture. Les patients éligibles sont répartis au hasard dans les quatre groupes dans un rapport égal à 1:1:1:1 via un système de randomisation centrale. La randomisation est réalisée par une personne indépendante à chaque site d’essai, et non impliquée dans l’évaluation des résultats. Les patients dans les trois groupes d'acupuncture ne savent pas quel protocole d’acupuncture ils vont recevoir. Les évaluateurs, collecteurs de données et statisticiens sont aveugles pour les allocations de groupe au cours de l'étude.

 

Score de Jadad

On peut l’évaluer à 5 ce qui signifie une étude à méthodologie rigoureuse (tableau I).

 

Tableau I. Evaluation de la qualité méthodologique selon le questionnaire de Jadad.

Score de Jadad

1.       Randomisation citée, décrite et appropriée : 2 points

2.       Insu-patient : 1 point

3.       Insu-évaluateur. L’évaluateur est différent du thérapeute, et ignore à quel groupe appartient le patient dont on recueille les informations : 1 point

4.       Sorties d’essais : analyse en intention de traiter. Sur les 404 patients inclus, 16 ont abandonné (7 de G1, 5 de G2, 2 de G3, 1 de G4) : 1 point

Score 5/5 : méthodologie rigoureuse

 

L'angine de poitrine est un symptôme complexe pouvant être affecté par de nombreux facteurs autres que la simple ischémie myocardique suite au rétrécissement d’une artère coronaire. Il a été démontré que la dépression et l’anxiété peuvent aussi déclencher l’angor, quel que soit le degré d’ischémie. L’acupuncture peut être considérée comme faisant partie d’une approche globale de la prise en charge des patients atteints de coronaropathie et d’angine de poitrine.

Dans cet essai, l'acupuncture est administrée par des acupuncteurs possédant au moins trois ans d'expérience. Tous les patients ont poursuivi leurs traitements anti-angineux habituels au cours de l’essai, incluant les bêta-bloquants, l'aspirine, les statines et les inhibiteurs de l'enzyme de conversion. L'utilisation de médicaments d’appoint contre la douleur aiguë n’est pas quantifiée dans l'étude, mais simplement enregistrée par « oui » ou « non ». Par ailleurs, les auteurs n’ont pas effectué d'analyse en sous-groupe des effets de l'acupuncture sur les patients souffrant d'angine après une intervention coronarienne en raison du but initial de l'étude.

Au total, 16 patients ont signalé des effets indésirables en relation avec l’acupuncture, tous jugés légers ou modérés, incluant : hémorragie sous-cutanée au point d’insertion (n=5), sensation de fourmillements/picotements au point d’insertion (n=3) et insomnie au cours de l’étude (n=8). Un patient du groupe d’attente est décédé d'un infarctus du myocarde aigu et n'a reçu aucun traitement d'acupuncture.

Depuis plusieurs décennies, l'acupuncture est utilisée comme traitement non pharmacologique pour soulager les symptômes d'ischémie myocardique, pour améliorer la fonction cardiaque et pour prévenir la récurrence [2,5-7]. Des expériences sur des animaux ont validé l'effet protecteur de l'acupuncture pour l'ischémie cardiaque et pour le remodelage [8-10].

De petites études ont déjà montré que l'acupuncture est bénéfique dans le traitement de l'angine de poitrine [2,11]. Mais cette étude est la plus grande étude clinique multicentrique pour montrer l'effet bénéfique de la véritable acupuncture comme traitement d'appoint pour l’ACS pendant 16 semaines et pour explorer la spécificité des points d’acupuncture dans ce domaine. Les auteurs reconnaissent néanmoins trois limites : le protocole standard sans personnalisation du traitement comme on le pratique habituellement en médecine chinoise, un faible nombre de patients et des patients en bonne santé au départ (sans antécédents d’infarctus du myocarde ou d’insuffisance cardiaque). Les résultats sont cohérents néanmoins avec ceux d’une précédente revue systématique [12] sur l'efficacité de l'acupuncture combiné aux anti-angineux vs médicaments anti-angineux seuls.

Cette étude sur l’angine de poitrine a troublé les esprits en France où l’affaire des fake-medecine a fait grand bruit [13].

Ainsi, certaines personnes mettent en doute ces résultats. Un journaliste scientifique écrit sur le site Futura, média français du décryptage de l'actualité et du savoir scientifiques : « Une nouvelle étude prétend que l'acupuncture serait efficace pour réduire la survenue des crises d'angine de poitrine chronique en plus des traitements classiques. Pourtant, la méthodologie utilisée est peu convaincante comme souvent concernant ces pratiques ancestrales. ». Et de conclure « Néanmoins, on peut se demander si le fait que les praticiens, connaissant le groupe de patients qu'ils traitent, n'insère pas des biais de traitement au sein de l'étude. On peut aussi penser à un éventuel faux positif, étant donné le nombre d'études limité et de piètre qualité sur le sujet (groupe contrôle pas toujours présent et jamais de double aveugle) ne permettant que trop peu les comparaisons et les évaluations. Enfin, les patients suivant déjà des traitements peuvent être plus motivés à prendre soin d'eux. » [14]. Même son de cloche sur le site de la revue Science et Avenir [15].

Andrew Vickers, statisticien au centre anticancéreux Memorial Sloan Kettering de New York ajoute son grain de sel de scepticisme. Ainsi, lui qui a démontré dans une grande méta-analyse l’efficacité de l’acupuncture dans les douleurs chroniques [16] donne à l’AFP un avis tranché : « L'étude est impeccable sur le papier, mais la recherche menée en Chine a presque toujours exclusivement conclu que l'acupuncture fonctionnait. La qualité des études s'est améliorée depuis 20 ans, mais l'historique force à la prudence. Seule solution pour savoir si l'acupuncture marche vraiment contre l'angine de poitrine : plus d'études, sur plus de patients, en dehors de Chine. » [17].

Quoi qu’il en soit, on se doit de considérer que l’électroacupuncture comme traitement d'appoint pour les patients souffrant d'angine chronique stable peut constituer une bonne option pour soulager leurs symptômes.

 

 

Références

  1. Li D, Yang M, Zhao L, Zheng H, Li Y, Chang X, Cui J, Wang R, Shi J, Lv J, Leng J, Li J, Liang F. Acupuncture for chronic, stable angina pectoris and an investigation of the characteristics of acupoint specificity: study protocol for a multicenter randomized controlled trial. Trials.2014;15:50. doi: 10.1186/1745-6215-15-50.
  2. Richter A, Herlitz J, Hjalmarson A. Effect of acupuncture in patients with angina pectoris. Eur Heart J. 1991;12(2):175-178.
  3. Schliessbach J, van der Klift E, Arendt-Nielsen L, Curatolo M, Streitberger K. The effect of brief electrical and manual acupuncture stimulation on mechanical experimental pain. Pain Med. 2011;12 (2):268-275.
  4. Wang Q, Liang D,Wang F, et al. Efficacy of electroacupuncture pretreatment for myocardial injury in patients undergoing percutaneous coronary intervention: a randomized clinical trial with a 2-year follow-up. Int J Cardiol. 2015;194:28-35.
  5. Ballegaard S, Pedersen F, Pietersen A, Nissen VH, Olsen NV. Effects of acupuncture in moderate, stable angina pectoris: a controlled study. J Intern Med. 1990;227(1):25-30.
  6. Ho FM, Huang PJ, Lo HM, et al. Effect of acupuncture at nei-kuan on left ventricular function in patients with coronary artery disease. Am J Chin Med. 1999;27(2):149-156.
  7. Mehta PK, Polk DM, Zhang X, et al. A randomized controlled trial of acupuncture in stable ischemic heart disease patients. Int J Cardiol. 2014; 176(2):367-374.
  8. Gao J, FuW, Jin Z, Yu X. Acupuncture pretreatment protects heart from injury in rats with myocardial ischemia and reperfusion via inhibition of the beta(1)-adrenoceptor signaling pathway. Life Sci. 2007;80(16):1484-1489.
  9. Longhurst J. Acupuncture’s cardiovascular actions: a mechanistic perspective. Med Acupunct. 2013;25(2):101-113.
  10. Huang Y, Lu SF, Hu CJ, et al. Electroacupuncture at neiguan pretreatment alters genome-wide gene expressions and protects rat myocardium against ischemia-reperfusion. Molecules. 2014;19(10):16158-16178.
  11. Ballegaard S, Jensen G, Pedersen F, Nissen VH. Acupuncture in severe, stable angina pectoris: a randomized trial. Acta Med Scand. 1986;220(4): 307-313.
  12. Yu C, Ji K, Cao H, et al. Effectiveness of acupuncture for angina pectoris: a systematic review of randomized controlled trials. BMC Complement Altern Med. 2015;15:90.
  13. Collectif Fakemed. [Consulté le 07/12/2019]. Disponible à l’URL: http://fakemedecine.blogspot.com/.
  14. Hernandez J. L'acupuncture en plus des traitements : effets réels ou contextuels ? Futura santé. 11 août 2019. [Consulté le 07/12/2019]. Disponible à l’URL: https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/medecine-acupuncture-plus-traitements-effets-reels-contextuels-77090/.
  15. Gaubert C. L'acupuncture est-elle efficace pour soigner l'angine de poitrine ? 30 juillet 2019. [Consulté le 07/12/2019]. Disponible à l’URL: https://www.sciencesetavenir.fr/sante/coeur-et-cardio/acupuncture-une-efficacite-a-confirmer-dans-l-angine-de-poitrine_135984.
  16. Vickers AJ, Vertosick EA, Lewith G, MacPherson H, Foster NE, Sherman KJ, Irnich D, Witt CM, Linde K; Acupuncture Trialists' Collaboration. Acupuncture for Chronic Pain: Update of an Individual Patient Data Meta-Analysis. J Pain. 2018 May;19(5):455-474.
  17. AFP/Relaxnews. Doctissimo santé. L'acupuncture, efficace contre l'angine de poitrine. 30 juillet 2019. [Consulté le 07/12/2019]. Disponible à l’URL: https://www.doctissimo.fr/sante/news/acupuncture-contre-angine-poitrine.

À propos du 9Rn, zhubin, 筑宾 [築賓] : données factuelles et questionnements à l’usage des médecins acupuncteurs

Claude Pernice

À propos du 9Rn, zhubin, 筑宾 [築賓] : données factuelles et questionnements à l’usage des médecins acupuncteurs

Résumé. Cet article a pour objectif d’explorer le 9Rn zhubin, point secondaire des classes d’usage distinguées dans Sigma Sciences Médicales Chinoises. Il vise à confronter le contenu des diverses publications classiques et contemporaines que nous avons retenues sur ce point à la réputation particulière. Différentes thématiques sont présentées ici en détaillant les convergences et les divergences dans les énoncés et dans les descriptions des publications. Cette confrontation permet de relever les diverses questions soulevées par les usages de ce point et dans les pathologies qu’il est censé traiter. Sont mis en évidence les problèmes inhérents aux traductions des textes chinois, dont les différences entre les auteurs rendent compte ainsi que la nécessité pour les médecins acupuncteurs de distinguer les aspects philosophiques, anthropologiques, historiques, culturels, afin de dégager les enjeux des savoirs opérationnels de ce point pour le champ médical. Ces données factuelles n’apportent pas simplement des précisions médicales, elles sont plus que jamais indispensables car, sous cette forme, constituent un enjeu dans le contexte des diverses mises en cause que connaît actuellement l’acupuncture et sa reconnaissance institutionnelle comme spécialité thérapeutique. Mots-clés. 9Rn zhubin – classes d’usage – traductions – interprétations.

 

Summary. This article aims to explore the 9Rn zhubin, a secondary point of distinguished use classes in Sigma Chinese Medical Sciences. It aims to confront the content of the various classic and contemporary publications that we selected on this point to the particular reputation. Different themes are presented here detailing the convergences and discrepancies in the statements and descriptions of the publications. This confrontation makes it possible to raise the various questions raised by the uses of this point and in the pathologies that it is supposed to treat. The problems inherent in translations of Chinese texts, the differences between the authors, and the need for acupuncture physicians to distinguish philosophical, anthropological, historical and cultural aspects, in order to identify the stakes of the operational knowledge of the field, are highlighted. this point for the medical field. These factual data do not simply provide medical details, they are more than ever indispensable because, in this form, constitute an issue in the context of the various challenges that currently affects acupuncture and its institutional recognition as a therapeutic specialty. Keywords. 9Rn zhubin - usage classes - translations - interpretations.

 

Introduction

Après avoir exploré le 60V kunlun [1,2], point majeur dans la classe d’usage que nous avons définie et en suivant la même méthode, l’étude des points est poursuivie par l’examen du 9Rn zhubin. Ce dernier ayant été classé comme point secondaire [3], il s’agit ici, a contrario, de se saisir d’un point cité par moins d’un tiers de sources aussi bien classiques que contemporaines que nous avons retenues. En outre la réputation du 9Rn zhubin est de résoudre les problèmes « d’hérédité chargée » [4]. Cette réputation conduit à majorer les aspects symboliques. Elle ouvre la porte à toutes les interprétations situées hors du champ médical. Celles-ci ont pu paraître légitimes aux médecins acupuncteurs mais l’accès de plus en plus ouvert aux publications médicales chinoises nous invite à abandonner ce niveau interprétatif pour ne s’en tenir qu’aux données purement médicales. Comme dans l’article précédemment cité, notre objectif est donc de repérer les diverses dimensions descriptives du 9Rn zhubin, de dégager les éléments communs et les items problématiques afin de clarifier le savoir opérationnel propre à ce point. Nous commencerons par examiner les questions que posent les données de la localisation de ce point dans une sélection de publications contemporaines et classiques, complétées par les données sur les techniques de stimulation. En second lieu nous nous attacherons à clarifier le registre médical à travers les données sur les fonctions thérapeutiques et les indications de ce point, afin, là encore, de faire émerger les questions que la confrontation inter-auteurs soulève. Enfin nous discuterons des problèmes de traduction des caractères présentés selon les auteurs et des interprétations relevant le plus souvent des registres historiques et culturels.

 

Aspects techniques

Localisation

Les données

Sur les neuf publications contemporaines [5-13] que nous avons interrogées, nous avons dans un premier temps rassemblé l’ensemble des items de localisation :

- sur la face interne de la jambe [9,11,13] ;

- sur le trajet du méridien du Rein, entre le 3Rn taixi et le 10Rn yingu [11,12] ;

- 5 distances (cun) au-dessus du sommet de la malléole interne c'est-à-dire du 3Rn taixi [5-13] ;

- à la hauteur du 5F ligou en arrière [9,10] ;

- 2 distances au-dessus et 1,2 distance en arrière du 6Rt sanyinjiao [5] ;

- au bord interne et en-dessous du ventre musculaire du mollet. Dans les publications analysées des divers auteurs [6-9,12,13], leurs descriptions font état d’une diversité d’appellations du muscle triceps : triceps sural, qui est divisé en soléaire en profondeur et en gastrocnémien en surface, lui-même divisé en deux chefs : médial anciennement jumeau interne et latéral anciennement jumeau externe (non concerné ici).

Les textes classiques quant à eux rapportent les repères de localisation suivants :

- « Au-dessus de la cheville intérieure entre le muscle de la jambe[1] » [11]. Ces repères sont précisés dans le Classique d’Acupuncture et de Moxibustion Zheng Jiu Jia Yi Jing écrit par Huang Fu Mi à la fin du troisième siècle [14].

- Au-dessus du 8Rn jiaoxin et au-dessus et en arrière du 6Rt sanyinjiao, dans le ventre du muscle du mollet [15] mentionné dans Zhen Jiu Da Cheng : Great Compendium [16].

Deng [12] fait référence à quatre classiques : Zheng Jiu Jia Yi Jing (259) [14], Zhen Jiu Ju Ying (1529), Yi Xue Ru Men (1575) [17], Zhen Jiu Ji Cheng (1874) [18], mais localise le 9Rn zhubin par rapport au « triceps sural ». Or cette appellation du muscle du mollet ne peut être que l’appellation moderne attribuée par Deng aux textes classiques et non issue des textes classiques eux-mêmes. Il souligne en résumé que la localisation de ce point « n’est pas très claire » et aboutit à la conclusion qui exprime le consensus actuel sur cette localisation repris par l’OMS en 2009 [9].

Les rapports anatomiques du 9Rn zhubin sont de deux distances au-dessus du 6Rt sanyinjiao, et un peu en arrière (1 à 2 distances [10]), au niveau et en arrière du point 5F ligou, une distance au-dessous du 7Rt lougu.

Pour illustrer les rapports ponctuels induits par cette localisation, nous avons construit la figure 1 qui mentionne les points directement en rapport avec le 9Rn zhubin.

Sur la ligne joignant le 7Rn lougu, 3 distances au-dessous, et le 10Rn yingu, 8 distances au-dessus. Ceux-ci sont sur le trajet jambier du méridien du Rein, sur la verticale qui relie le 3Rn taixi au 10Rn yingu.

En avant et de bas en haut le 6Rt sanyinjiao, 2 distances en dessous et 1,2 distances en avant. Le 5F ligou, à la même hauteur que le 9Rn zhubin et 1 distance en avant sur l’arrête tibiale, et le 7Rt lougu 1 distance au-dessus et 0,2 à 0,5 distance en avant du 9Rn zhubin

Figure 1. Rapport ponctuel du 9Rn par rapport aux autres points.

 

À partir de cet ensemble de données techniques, plusieurs types de questions méritent d’être posées.

Les questions soulevées

- Les données de localisation issues des trois classiques Zhen jiu ju ying (1529), Yi Xue Ru Men (1575) [17], Zhen Jiu Ji Cheng (1874) [18] ne sont-elles pas une simple reprise de celles énoncées dans Zhen Jiu Jia Yi Jing (259) [14] ?

- Les différents repères de localisation distingués par les publications contemporaines et classiques ne sont-ils pas situés à divers niveaux : soit sur des régions corporelles, soit à des rapports avec d’autres points et des méridiens d’acupuncture, soit à des rapports anatomiques, soit enfin à des reliefs musculaires ?

- Ceux-ci ne sont-ils pas particulièrement illustrés par la manœuvre de localisation proposée par l’OMS [9] : « genou fléchi et flexion plantaire contre résistance, le muscle soléaire et gastrocnémien se dessine sur le bord médial de l'os tibial. Le 9Rn zhubin se trouve dans le creux qui apparaît sur la partie inférieure du ventre du chef médial du gastrocnémien »[2] ? Ne peut-on pas penser ici que les items pertinents de localisation concernent une connaissance théorique du point alors que la description de la manœuvre de localisation relève quant à elle d’un savoir opérationnel technique ?

- Les caractères chinois ont évolué dans le temps [19,20], tout comme le nom des muscles. N’aurions-nous pas là une première approche des difficultés que nous rencontrons dans la traduction des textes chinois ? Ces difficultés ne sont-elles pas au fondement même des interprétations que nous retrouverons à propos de la dénomination dans la troisième partie de cet article ?

- Qu’apportent, à la connaissance et au savoir opérationnel de ce point, les rapports anatomiques qui découlent d’une dissection ou d’une exploration radiologique par rapport à une description théorique de ces rapports ?

- Une fois connus les repères de localisation du point et les différentes questions qu’ils suscitent, comment le puncturer et le stimuler ?

Les techniques de stimulation

Les données

Dans ce registre, les différentes références que nous avons analysées indiquent pour la profondeur de la puncture des variations allant de 0,3 distance [8] à 2 distances [10]. Les moxas vont de 1 à 5 cônes et de 5 à 15 minutes de moxibustion à distance.

La sensation de puncture est une sensation irradiant à la cuisse ou à la plante du pied à type de gonflement [10], mais également de diffusion ou de décharge électrique [21]

 

Les questions soulevées

- La puncture recommandée est devenue de plus en plus profonde en l’espace de quelques siècles. Comment comprendre cette évolution sans passer par une étude diachronique ?

- Les auteurs contemporains accordent une certaine importance à la sensation locale ou propagée le long des méridiens. S’agirait-il d’une preuve de l’approfondissement et de la spécialisation de la connaissance médicale ?

Ce premier niveau d’analyse apporte un éclairage technique et nous entraine à entrer dans le registre de la thérapeutique.

 

Aspects médicaux

Fonctions thérapeutiques

Données

Point de départ du yinweimai, ce point a pour fonction de désobstruer ce méridien curieux [6-8], il est également le point d’intersection entre yinweimai et yinqiaomai [15].

 

Actions décrites par les auteurs

Sur le domaine ciblé

Dissipe [11]

Réduit [22]

La Chaleur (re)

Dissous [7, 11]

Transforme [8]

Les Glaires (tan)

Élimine [7]

Les Glaires-Humidité

Calme [8, 11]

Apaise [11, 22]

La peur ou terreur  

Le shen

Dissipe la chaleur [11]

Purifie [8]

Clarifie [7]

Le Cœur

Renforce les fonctions [21]

Tonifie et régularise [7, 22]

Des Reins

Le yin des Reins

Favorise [21]

La diurèse

Ouvre [22]

La poitrine

Renforce [23]

Régularise [22]

Les genoux et jambes

Le yinwei

 

Les questions soulevées

- Ne trouve-t-on pas, dans ce résumé par liste des fonctions thérapeutiques une intrication de symptômes, de syndromes et d’indications fonctionnelles, qu’il s’agirait de déconstruire ?

- Cette intrication n’est-elle pas alimentée également par la variabilité des associations (p. ex. Chaleur et Chaleur-Humidité) ?

- Que signifie la variation des expressions des auteurs quant aux actions thérapeutiques de la puncture du 9Rn zhubin ?

Ces questions posent le problème de la pertinence du choix de la nomination « fonction thérapeutique ». Cette catégorie générique se décline nominalement de manière différentielle chez les auteurs considérés : action [10], application clinique [24], indications fonctionnelles [8], indications thérapeutiques [7].

L’existence d’une pluralité de nominations réfère in fine aux actions « énergétiques » de la puncture et de la stimulation du point décrites par les auteurs sélectionnés. Ce constat nous conduit à interroger les indications thérapeutiques du 9Rn zhubin.

 

Indications

 

Données

Nous avons classé le 9Rn zhubin en point secondaire car il est cité par 6 auteurs sur un panel de 20 [3].

Parmi les auteurs contemporains, Soulié de Morant décrit les « effets directs : Hérédité chargée. Coupe toute transmission héréditaire ou ancestrale. Tonifier pendant la grossesse, de préférence deux fois, une à trois mois et une à six mois (une est déjà suffisant) donne un enfant au teint spécialement lumineux, dormant la nuit, riant le jour, ne prenant pas les maladies ou, s'il les prend, les guérissant en quelques heures ou quelques jours, selon les cas ; n'ayant aucune des mauvaises analyses des parents. Sain d'esprit, de morale et de corps. Préventif des fausses couches (fait aussitôt que possible, et même avant la conception). Empêche les spasmes de grossesse. » [4]. L’indication « hérédité chargée » a été critiquée par Guillaume : “cette indication [hérédité chargée] ne transparaît à aucun moment dans les textes que nous avons consultés. Il en va de même pour de nombreuses indications citées par cet auteur” [8].

Pour d’autres auteurs [5,8,10,11,13,22,25] nous relevons 44 indications. Parmi elles, toutes publications confondues, les maladies mentales ont une fréquence de citation relativement faible de 7. Dans les 37 autres pathologies et si on excepte les doublons, 16 indications ne ressortent pas du registre des maladies mentales. Elles concernent des pathologies locales (par ex. crampes du mollet, etc.) ou loco-régionales sur le trajet du méridien (par ex. hernies, orchite, inflammation du pelvis, etc.) ou encore des pathologies organiques (par ex. cystite, néphrite, etc.)

Dans la littérature ancienne [8,26], on retrouve ces quatre types de pathologies avec une terminologie sémantiquement imprécise auxquelles s’ajouteraient les lombalgies accompagnées de tristesse. Ces imprécisions sont particulièrement mises en évidence dans les divergences de traduction du chapitre 41 du Suwen [27].

Dans le registre des associations éventuelles de points, nous retrouvons les affections des voies urinaires, les vomissements parfois accompagnés de folie et les lombalgies.

Ces indications sont complétées et soutenues par les études cliniques qui décrivent hémorragies utérines, angine de poitrine, ulcère buccal [28] et dépendance à l’alcool [29]. Sur le plan gynécologique, on trouve les ruptures prématurées des membranes [30], le syndrome de Lacomme [31], et enfin les syndromes post traumatiques liés aux violences conjugales [32]. Dans les études expérimentales, nous notons la toxicomanie [33] et la déficience auditive iatrogène [34].

Les questions soulevées

- La question de la validité de l’indication « hérédité chargée » telle que formulée ne reste-t-elle pas posée ? La réputation de cette indication est-elle vraiment fondée autrement que dans les discours où elle prend valeur de rumeur ? Cette action eugénique alléguée par un seul auteur n’est-elle pas de ce fait mise en doute et ne peut-elle pas être une erreur de traduction ou d’adaptation ? L’interprétation « pont entre deux mondes » [35], par exemple ne dérive-t-elle pas de cette singularité ?

- Quel sens donner à la focalisation interprétative sur les maladies mentales alors que ces dernières sont minoritaires du point de vue de leur fréquence de citation ?

- Les imprécisions terminologiques dans la littérature ancienne n’ouvrent-elles pas le champ des interprétations possibles, alors même qu’elles tendent à ne pas sortir du champ médical ?

Ces diverses questions nous conduisent en dernier lieu à évoquer comment le contexte historique et culturel chinois est intégré au champ médical et a pu souvent paraître s’imposer à ce dernier dans le processus de compréhension des maladies et de leur traitement. La sinologie, l’anthropologie et la philosophie, utiles à la compréhension du monde chinois, n’ont-elles pas eu, dans le champ médical, des effets contre-productifs ? C’est en particulier à travers les enjeux de la dénomination que nous allons examiner ces questions.

Aspects historiques et culturels

Dénomination

Les données

- Diverses écritures.

Les caractères actuellement attribués au 9Rn zhubin, sont les suivants筑宾en caractères simplifiés et築賓en caractères dits traditionnels et s’écrivent en pinyin zhù bīn. Chaque phonème en pinyin peut être prononcé de quatre manières différentes en fonction des accentuations et sans tenir compte des accents régionaux ou étrangers. Ces caractères s’écrivent avec des lettres différentes selon la langue qui les transcrit de façon à rester aussi proche que possible de la prononciation « officielle ». On trouve ainsi dans les ouvrages médicaux sélectionnés les translittérations suivantes (Tableau I) dont on peut faire l’hypothèse qu’elles ne sont pas les seules.

 

Tableau I. Les translittérations.

Anglophone

Francophone

Japonais

Coréen

Vietnamien

Chu-Pin

Tso-pinn [4, 10] 
Tchou penn [25]

Chikuhin

Ch'ukpin

Ch'ukpin

 

Dans un but de simplification, des codes alpha-numériques ont été utilisés tels que K ou KI pour kidney, Re ou Rn pour Rein, le 9 étant placé pour les uns avant ces abréviations et pour d’autres après. Ce faisant l’existence de ces codes aux multiples applications a paradoxalement complexifié la compréhension au lieu de la simplifier.

Pour revenir à l’écriture des caractères chinois, des radicaux différents peuvent être adjoints à un même caractère (apparaissant en avant ou au-dessus) modifiant à la fois la prononciation et le sens. Ainsi, pour zhù bīn, si zhù ne prête pas à confusion puisque représentant un seul et unique caractère , bīn en revanche peut être le phonème de quatre caractères, modifiant profondément les significations que l’on peut donner à 9Rn zhù bīn 筑宾 (Tableau II).

- Les données des dictionnaires.

Dans le dictionnaire français de la langue chinoise Ricci [20] le caractère zhu 筑 correspond à Ricci 1147 et est traduit par : « 1. Battre la terre pour la tasser ; pilonner ; tasser. 2. Construire ; bâtir. 3. Construction ; Bâtiment ; maison. 4. Piquer ; percer. ». Quant à bin 宾, qui correspond à Ricci 4068 [21], ses significations sont les suivantes : « [a] 1. Hôte (celui qui reçoit l’hospitalité) ; visiteur ; invité. 2. Recevoir et traiter un hôte ; accueillir un visiteur. Hospitalité. 3. Se soumettre à ; reconnaître l’autorité de. 4. N. f. ». Mais également, en le précédant du radical 扌de shou, main 手 : « [b] Bìn n. 4059 摈 bìn 1. Rejeter ; renoncer à ; abandonner. 2. Expulser ; chasser. »

 

Tableau II. Résumé des significations.

Pinyin

Caractères

N° Ricci

Radicaux

Signification

Traductions proposées par

Zhù

1147

zhú bambou

1. Battre la terre pour la tasser ; pilonner ; tasser. 2. Construire ; bâtir. 3. Construction ; Bâtiment ; maison. 4. Piquer ; percer. 

Pan [6]

Laurent [7]

Bīn

4068

mián

Toit

[a]1. Hôte (celui qui reçoit l’hospitalité) ; visiteur ; invité. 2. Recevoir et traiter un hôte ; accueillir un visiteur. Hospitalité. 3. Se soumettre à ; reconnaître l’autorité de. 4. N. f. 

Pan [6]

Laurent [7]

Bìn

4059

手ou 扌shǒu main

1. Rejeter ; renoncer à ; abandonner. 2. Expulser ; chasser.

Ellis [15]

Bīn

4063

水ou 氵shuǐ eau

1. Bord de l’eau ; rive : rivage ; côte ; plage ; berge. 2. Border. En bordure de ; Près de. Proche ; attenant à.

Soulié de Morant [4], Guillaume [8]

 

Bìn

 

肉 ou月

ròu chair

1. Dans 膑⻣ bìn gǔ (Anat. – Méd. chin. trad.) Rotule : Patella. 2. Dans 膑脚 bìn jiǎo Couper la rotule (châtiment) ; (p. ext.) couper le pied.

WHO [9] mais il est présenté avec le radical宀mián toit

 

Sans trop insister sur les risques que présente l’aspect aléatoire des caractères chinois, objet de l’intérêt de recherche des sinologues, nous préférons faire appel aux traductions réalisées dans un certain nombre de publications médicales de diverses sources. Ainsi nous pouvons trouver comme traduction : « construction sur la plage » [5] ; « guest house » [15] ; « édifice construit pour accueillir l'invité » [6] ; « construit pour l'hôte » [7].

Cet ensemble de traductions montrent bien la difficulté des choix, leur incidence sur l’image que l’on peut se faire du point et l’interprétation que l’on peut en tirer.

La notion de rivage énoncée par Nguyen Van Nghi [5] est mise en relation par Guillaume [8] avec la notion de « berge » à laquelle ce dernier affecte un caractère bin différent 滨 (Ricci 4063) (le radical de la main est remplacé par celui 氵de l’eau shui 水) (tableau 3) et qu’il considère comme un nom secondaire issu du classique Yi Xue Ru Men Fondamental de Médecine Essentials of Medicine rédigé par Li Yan en 1816 [17].

Les questions soulevées

- Comment expliquer ces sens apparemment contradictoires dans ces traductions ? Par exemple, est-ce que la main qui accueille (radical de bin 4068) le visiteur, peut également le rejeter (radical de bin 4059) ? Si cette explication est un problème de spécialiste de sinologie, nous devons souligner que les interprétations occidentales qui tentent d’expliquer les traductions par des commentaires sont pléthores.

- Sur le plan médical, qu’apportent ces divers sens, les choix qu’ils induisent et qu’ils peuvent générer ? Y a-t-il un lien entre les noms du point, les significations qu’ils véhiculent et son activité thérapeutique ? Et si lien il y a, quelle en est la teneur, la solidité et la fiabilité ? Ces questions aux réponses délicates ou inaccessibles ont une première valeur : nous inciter à la prudence. Nous laisserons aux spécialistes, sinologues et anthropologues, le soin de résoudre la question de l’incidence de la période historique sur le sens que l’on peut attribuer à ces appellations dans le cadre de leur discipline.

- Au regard de ces données de traduction assez hétérogènes, pourquoi alors ne pas proposer « construit en bordure du zushaoyin pour donner source au yinweimai » ou « recevoir le yinweimai », explications du nom du point proposées par Pan [6]. Est-il utile dans le champ médical d’étendre ces traductions à des « significations possibles », tel que le propose Destribats avec par exemple « construire un nouvel être » qui devient une nouvelle « âme » s’incarnant dans un nouveau « corps » ou « monde » et rendant la « naissance comparable à la mort » [35] ? Quelle utilité peut représenter l’insertion de théories issues de la psychanalyse à la compréhension des points d’acupuncture ? Au-delà de ces interprétations, n’est-il pas essentiel de distinguer les actions du point 9Rn zhubin de celles du méridien yinweimai, même si ce point en est la Source [35] ?

Conclusion

Le travail sur le 9Rn zhubin a été réalisé à partir de la page qui lui est consacrée dans le site Sigma Sciences Médicales Chinoises [37] et alimenté par les questions posées à la lecture de l’article récent d’Alain Destribats [35]. En tentant de se défaire des interprétations d’auteurs dont les appartenances institutionnelles et disciplinaires (sinologie et anthropologie, entre autres) ne relèvent pas du champ médical le présent article se focalise sur les données proprement médicales. Sont ici mis en évidence des points de discussion collective qui accompagnent les questions que nous avons posées. Le recours à des références publiées et avec sources, les citations d’auteurs précises et contextualisées sont la base sur laquelle peuvent se bâtir les savoirs opérationnels des points d’acupuncture. Comprendre ne nécessite-t-il pas en effet d’aller chercher une information autant que possible vérifiée et fiable ? Il nous a également semblé impératif de distinguer dans la médecine chinoise l’impact du culturel de la fonction thérapeutique. Cette distinction peut se faire en gardant ou en proposant des définitions médicales et en excluant toute connotation philosophique et anthropologique, qui, pour légitimes qu’elles soient dans leur domaine respectif, ne disent rien sur les manières dont le médecin acupuncteur peut décliner son exercice professionnel. La confusion des champs médical, philosophique et anthropologique peut être illustrée par la définition de la théorie du yin-yang proposée par l’OMS [36] : « yin-yang theory 陰陽學說 : an ancient Chinese philosophical concept, dealing with two opposite aspects of matters in nature which are interrelated with each other. Its principle is widely applied to traditional Chinese medicine »[3]. Cette définition est basée sur l’histoire de la médecine chinoise et inclut des concepts culturels et philosophiques. Pour se dégager de ceux-ci, ne pourrions-nous pas proposer d’adopter la définition médicale suivante du yin-yang : « Tout phénomène naturel peut être décrit sous deux aspects. Ces deux aspects représentent ensemble la totalité du phénomène observé dont le contexte et le point de vue doivent être précisés. Dans le domaine de la médecine chinoise, ces phénomènes appartiennent à la physiologie du corps humain ainsi qu’au diagnostic et au traitement de ses maladies ».

Les médecins acupuncteurs occidentaux sont dans une position inconfortable à cheval entre leur formation médicale initiale et leur spécialisation en médecine chinoise. Longtemps présentés comme opposés, souvent comparés, ces deux savoirs ont généré des tentatives d’explication et d’interprétation empruntant des voies qui exacerbent ces oppositions : par ex. le recours à la richesse interprétative de la psychanalyse ou l’importation explicative de mécanismes neuro physiologiques. Ce faisant, sommes-nous si sûrs de ne pas avoir perdu la vocation même de l’acupuncture ?  Le caractère impérieux de ces comparaisons ne nous contraint-il pas à une mise en opposition ? Et si les différences, à l’évidence linguistiques et culturelles, ne concernaient pas la médecine mais simplement l’Histoire de chaque type de savoirs [38] ? L’exacerbation des différences des types de savoirs médicaux n’a-t-elle pas eu pour effet de générer les diverses étiquettes dont a été affublée l’acupuncture au cours de son histoire contemporaine en occident ?  N’est-il pas temps de se pencher sur les données factuelles de la médecine (chinoise puisqu’il s’agit de notre spécialité) pour retrouver les usages proprement thérapeutiques en excluant toute interprétation ou adaptation inhérentes à la nécessité de donner sens aux textes médicaux chinois ?

 

Dr Claude Pernice

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L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 

 

Références

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  10. 9RN zhubin 筑宾. [Consulté le 17/06/2019]. Disponible à l’URL:http://wiki-mtc.org/doku.php?id=acupuncture:points:points%20des%20meridiens:rein:9rn&#.
  11. Huard P, Bossy J et Mazars G. Les médecines de l'Asie. Seuil, Paris.1978. p.108.

 

 Notes

[1]. “above the inner ankle between the leg muscle”.

[2]. Cette formulation en français s’inspire de celle, en anglais, de WHO [9] : “With the knee flexed and the leg stretched (plantar flexion) against resistance, the soleus muscle can be seen more clearly along the medial border of the tibia bone”

[3]. Traduction automatique : « un ancien concept philosophique chinois, qui traite de deux aspects opposés de la nature, qui sont liés entre eux. Son principe est largement appliqué à la médecine traditionnelle chinoise »

 

1929 : la tentative avortée « d’abolition » de la médecine chinoise

Résumé : En 1929 un département du Ministère de la santé chinois propose une « abolition » de la médecine chinoise. Ce projet sera rapidement abandonné sous la pression des praticiens et de leurs organisations. La crise provoquée va conduire l’inverse du but recherché, la création d’un Institut de la médecine nationale marquant l’institutionnalisation, la professionnalisation et la scientifisation de la médecine chinoise. Cet épisode historique clé est souvent cité dans les récits, notamment à propos de l’acupuncture, mais interprété paradoxalement comme une interdiction effective, symptôme final d’une décadence progressive de la fin de la Chine impériale à la Chine républicaine. L’objet de l’article est de s’interroger sur le pourquoi de cette demande d’abolition de la médecine chinoise, sur les enjeux à l’époque et les conséquences immédiates et actuelles. La médecine chinoise est à la conjonction de trois débats de nature distincte sur la modernisation de la Chine, sur la professionnalisation de la médecine et sur la scientifisation de la médecine chinoise. La crise de 1929 est emblématique des enjeux idéologiques et professionnels qui interfèrent fortement avec la question scientifique, biaisant les débats et entretenant une fausse controverse. La pétition en 2018 contre les « fake-medicine » en est une réplique lointaine et dégradée. Mots-clés : -Chine républicaine – professionnalisation – scientifisation – institutionnalisation - controverse –

Summary : In 1929 a department of the Chinese Ministry of Health proposed an "abolition" of Chinese medicine. This project will be quickly abandoned under pressure from practitioners and their organizations. The crisis provoked will lead to the opposite of the desired goal, the creation of a National Institute of Medicine marking the institutionalization, professionalization and scientifization of Chinese medicine. This key historical episode is often cited in stories, especially about acupuncture, but paradoxically interpreted as an effective ban, the final symptom of a gradual decline from the end of imperial China to republican China. The purpose of the article is to examine why this request for the abolition of Chinese medicine was made, what was at stake at the time and what the immediate and current consequences were. Chinese medicine is at the intersection of three distinct debates on the modernization of China, on the professionalization of medicine and on the scientificization of Chinese medicine. The 1929 crisis is emblematic of ideological and professional issues that strongly interfere with the scientific question, biasing debates and fuelling false controversy. The petition in 2018 against the "fake-medicine" is a distant and degraded replica of it. Keywords : - Republican China - professionalization - scientifisation - institutionalization - controversy -

Le 25 février 1929 lors de la première conférence du Conseil national de la santé tenue dans les locaux du ministère de la santé à Nanjing est adoptée une "Résolution pour l'abolition de la médecine autochtone"[1]. Il s’agit dans les faits d’un projet rapidement abandonné, élaboré au sein d'une structure du tout premier ministère de la santé chinois de l'histoire créé seulement quelques mois auparavant (1er novembre 1928). Les réactions que provoque sa radicalité conduisent les années suivantes à l'institutionnalisation et la professionnalisation de la médecine chinoise, c'est-à-dire à l'inverse de son objectif annoncé d'abolition.

Cette résolution est très souvent citée et présentée comme le prolongement ou une réplique du décret de 1822 de l'Empereur Daoguang sur l'interdiction de l'acupuncture [1]. A la différence de ce qui se passe en 1822 dans les secrets de la Cité interdite, la tentative d’abolition de la médecine chinoise est au centre d’un vaste débat public sur lequel nous disposons d’une solide documentation [2-9]. L’objet de cet article est d’analyser les éléments et les enjeux de ce débat, ainsi que ses conséquences immédiates et actuelles.

Le contexte politique et international au début du XXème siècle est complétement bouleversé par rapport à celui qui prévalait en 1822. La Chine, "l'homme malade de l'Asie", focalise les ambitions coloniales et impérialistes des pays occidentaux puis du Japon forts de leurs supériorités technique et militaire. Incapable de faire face, l'Empire s'effondre et en 1912 la République est proclamée. La médecine chinoise se place, à ce moment, à la conjonction de trois débats de natures distinctes :

  • Débat politique sur la transformation de l'ancienne société et les réformes nécessaires, sur la modernisation de la Chine et ses modalités.
  • Débat social sur la professionnalisation de la médecine avec deux groupes de praticiens qui vont s'opposer dans la défense de leurs intérêts, les médecins de formation occidentale et les praticiens traditionnels.
  • Débat scientifique et épistémologique sur la nature de la médecine chinoise et son rapport à la science.

Ces trois débats sont bien sûr imbriqués et impliquent souvent à des niveaux différents les mêmes acteurs. D'un côté la professionnalisation de la médecine s'inscrit dans le cadre d'un processus politique de modernisation et d'un autre la science va être convoquée en tant que constituant essentiel de la modernité. Mais cadre politique, cadre professionnel et cadre scientifique doivent être clairement distingués parce qu'ils visent des objectifs différents avec des méthodes, des temporalités, des instances et des registres de vérité différents.

 

La modernisation

La chute de l'Empire était directement liée à son incapacité à réformer, et ce n'est pas la modernisation en elle-même qui est en discussion, mais ses modalités d'application à la Chine. S'opposent ainsi différents points de vue entre une modernisation radicale se calquant au plus près sur l'Occident et des formes plus sélectives s'interrogeant, tout comme au Japon, sur "comment être moderne sans être occidental" [10] ? La modernisation se fait sous le slogan "madame Science et madame Démocratie", science et démocratie étant considérées comme les clefs de voûte d’un pays moderne, fort et indépendant. La médecine est bien sûr partie prenante des sciences et des techniques. En 1911 après la terrible épidémie de peste en Mandchourie se tient le premier congrès international médical en Chine. Le vice-roi Xi Liang prononce le discours inaugural, discours considéré comme le moment de basculement dans la médecine en Chine :

« Nous estimons que les progrès de la science médicale doivent aller main dans la main avec l'avancement des savoirs, et que si le chemin de fer, le télégraphe, la lumière électrique, et d'autres inventions modernes sont indispensables au bien-être matériel de ce pays, nous devons également faire usage des merveilleuses ressources de la médecine occidentale pour le bien de notre peuple » [11].

 

La médecine occidentale devient ainsi un emblème et une avant-garde de la modernité alors que la médecine chinoise, qui a révélé toutes ses insuffisances durant l'épidémie, va symboliser l'ancienne société. La santé des individus, donc la médecine et l'hygiène, est une condition essentielle de la santé de la nation :

 

« La puissance d'une nation est liée à sa race et la force d'une race s'appuie sur la conscience de l'hygiène, de sorte que l'hygiène est le facteur le plus important pour le développement d'un pays. C'est l'ignorance de l'hygiène qui cause la faiblesse de notre peuple » [12].

 

 La médecine chinoise est prise pour cible dans des textes à grand retentissement par les intellectuels modernistes du mouvement du 4 mai (1919) comme Lu Xun ou Chen Duxiu, assimilée à tout ce qui, dans la culture chinoise, est arriération et superstition :

« Je me souvenais encore des théories et des ordonnances du médecin de naguère et, en les comparant avec ce que je savais désormais, je pris peu à peu conscience du fait que la médecine chinoise était une tromperie, intentionnelle ou non, et je compatissais avec les malades abusés et leur famille ; enfin, en lisant des livres d'histoire traduits, je compris comme une évidence que le mouvement des réformes au Japon avait pris son essor largement à partir de la médecine occidentale » (Lu Xun préface à Cris 1923 [13]).

 

« Nos médecins ne connaissent pas la science. Ils ne comprennent pas l'anatomie humaine et plus encore ne font aucune analyse sur la nature de la médecine. Ils n'ont même pas entendu parler des microbes et des maladies contagieuses. Ils ne parlent que des cinq éléments, de leur production et destruction, du chaud et du froid, du yin et du yang et prescrivent des médicaments selon d'anciennes formules. Toutes ces idées absurdes et ces croyances irrationnelles doivent être guéries avec l'aide de la science » (Chen Duxiu, Appel à la jeunesse 1919).

La médecine chinoise devient un enjeu symbolique et idéologique. Dans leur livre sur l'histoire de la médecine chinoise Wong Chimin et Wu Lien-teh [2] intitulent le chapitre concernant la période républicaine « Lutte entre les forces anciennes et nouvelles » et Croizier dans le sien « Médecine dans un contexte de confrontation culturelle » [3].

 

La professionnalisation

Comme partout dans le monde la modernisation passe par l'institutionnalisation des rapports entre le pouvoir et les citoyens. Dans le domaine de la santé l’enjeu est la régulation du marché médical et la professionnalisation des praticiens. La professionnalisation instaure un contrôle de l'état au travers d’une habilitation subordonnée à une formation diplômante. Pour les praticiens ce contrôle a des contreparties essentielles que sont l'autonomie, le monopole et le prestige social, ensemble de caractéristiques distinguant une profession d'une simple activité ou d'un simple métier [14]. L'enjeu est donc essentiel pour les acteurs du domaine de la santé. Mais la professionnalisation n'émerge pas de nulle part sur simple décision politique, elle est la résultante d'un processus. Elle exige une action collective d'un regroupement de praticiens ayant préalablement mis en place les éléments structuraux de la future profession dont il réclame la reconnaissance. La professionnalisation implique ainsi des prérequis [14, 15]. Des personnes partageant une même activité d'intérêt général doivent disposer d'un corpus commun de savoirs et de pratiques. Ce corpus doit être formalisé et systématisé, et enfin transmis au cours d'une formation supérieure commune. Il leur faut également définir un idéal de service sous la forme de normes professionnelles et d'une éthique.

 

La médecine chinoise

 

Au début du XXème siècle, Eugène Guillemet, médecin du consulat de France à Chongqing, comme tous les observateurs occidentaux note :

 « En Chine, la profession médicale est ouverte à tous, la liberté d'exercice complète. Aucun certificat n'est imposé, aucun examen n'est nécessaire » [16].

La médecine en Chine ne constituait pas un système structuré avec une régulation au niveau de l'état. La conséquence est son apparente absence d'unité et la coexistence d’une médecine savante avec une médecine populaire multiforme (médecine itinérante, médecine de foire, cultes des temples, guérisseurs, prêtres taoïstes, rebouteux, sorciers, chaman, devins …) [17], autorisant une certaine porosité. Mais observons que cela a été le cas en Occident encore tout au long du XIXème siècle et que c’est justement là l’enjeu de la professionnalisation. La particularité chinoise est que l'État va avoir à arbitrer un marché médical partagé non pas simplement en deux, la médecine savante et les différentes autres formes de pratiques, mais en trois avec l'irruption de la médecine occidentale, modifiant les termes du débat. Cet aspect est souvent occulté, médecine savante, pratiques populaires, ésotériques ou superstitieuses étant toutes amalgamées, amplifiant une divergence avec la médecine occidentale. La médecine savante chinoise parait également présenter un handicap structurel manifeste : l'absence d'une communauté professionnelle constituée, fondée autour d'institutions unificatrices comme les facultés de médecine, les sociétés savantes ou les revues médicales assurant un minimum d'expertises et de normes partagées. Mais, nous le verrons, ceci n’est plus tout à fait vrai au début du XXème siècle.

Si on se place dans une perspective historique, les handicaps de la médecine chinoise sont en fait à relativiser. La Chine a créé avec le Taiyiyuan, le Collège Impérial de Médecine, la première institution d'enseignement médical au monde dont l'objectif était d'assurer une formation spécialisée selon un cursus au contenu défini et systématisé, organisé en disciplines, avec concours d'entrée, examens et diplôme. Cette école médicale s'est maintenue du VIème au XXème siècle et même quelques années après l'abdication de l'Empereur [1]. Elle était essentiellement destinée à la formation des médecins de la cour mais des équivalents au niveau des provinces ou de préfectures ont également été créés au cours de l'histoire. Toutefois au XIXème siècle les institutions locales paraissent avoir quasiment disparues alors que le Taiyiyuan ne formait qu'une infime minorité de praticiens, l'immense majorité des praticiens étant formée à un niveau individuel, local et privé dans des lignées familiales pour la moitié, en autodidacte par la lecture de classiques médicaux ou de maitre à disciple pour les autres[2].

Mais cette absence d'unité dans les voies de formation est compensée par un corpus commun de livres médicaux constituant un savoir public, partagé et largement diffusé. Les praticiens lettrés étaient éduqués dans une culture classique particulièrement dans l'optique des concours mandarinaux, permettant la lecture et l'accès aux traités canoniques. Près de la moitié des praticiens du XIXème siècle recensés par Florence Bretelle-Establet possède un diplôme mandarinal [18]. Cela conduit à tracer les contours d'une communauté savante et professionnelle disposant d'un même bagage de savoirs et de techniques et ayant une forte conscience de soi par rapport aux pratiques populaires[3]. Certes on peut considérer le corpus classique lui-même comme hétérogène et soumis à des interprétations variables en fonction des lieux, des époques et construisant des traditions médicales aux aspects divers, mais cela a également été longtemps le cas en Occident[4].

Avec les encyclopédies médicales impériales dès le IIIème siècle, l'État chinois a lui-même directement et fortement contribué à la construction d'un corpus officiel de savoirs classifiés largement diffusé avec une vocation pédagogique. Exemplaire est Le Yi Zong Jin Jian (miroir doré de la médecine) publié en 1742, ouvrage collectif et institutionnel rédigé par une équipe de 80 rédacteurs, ordonné par l'Empereur Qianlong et sans équivalent au monde. Il restera en vigueur comme livre de référence pour les examens du Taiyiyuan jusqu'à la fin de l’Empire. L’État a également mis en place des établissements caritatifs pour assurer des soins et distribuer des médicaments, et des structures destinées à faire face aux épidémies et aux famines.

Ainsi, loin de s'être désintéressée du domaine de la santé, la Chine impériale a, au contraire, imaginé et façonné au cours de son histoire un idéal de responsabilité étatique. Si elle a échoué dans une mise en place durable et générale, elle a néanmoins précédé l'Occident dans la création d’éléments nécessaires à une professionnalisation de la médecine au sens moderne. Leur mobilisation à partir de la fin du XIXème siècle permettra une réponse rapide, et adaptée au mieux que possible à un nouveau contexte et à de nouvelles exigences.

Au cours du XIXème siècle l’élite des praticiens traditionnels prend pleinement conscience de l'importance de la question de l'enseignement et de l'apprentissage[5]. La Liji Yiyuan Xuetang considérée comme la première école de médecine chinoise sous une forme moderne avec un cursus sur cinq ans, est créé en 1885 par Chen Qiu à Wenzhou (Zhejiang) [19]. Une vingtaine d’années auparavant, les missionnaires avaient installé la première école de médecine occidentale à Canton (1866). A la suite de la Liji Yiyuan Xuetang de nombreux autres établissements vont être ouverts notamment à la fin des concours mandarinaux (1905) et en 1915 il est recensé trente-six écoles dans dix provinces. La plus importante se situe à Guangdong avec près de 500 étudiants ; la plus célèbre est à Shanghai crée par Ding Ganren. Une seule est mise en place par une autorité provinciale, toutes les autres par des personnes ou des intérêts privés (sociétés médicales savantes ou syndicats d’herboristerie).

L'apparition d’écoles de médecine chinoise peut être interprétée comme une réponse à la création de facultés de médecine occidentale. Mais il faut observer que dans beaucoup de provinces elles les précèdent et qu’en 1915 elles sont deux fois plus nombreuses. Il faut davantage y voir un mouvement plus général de réforme de l'enseignement à la fin des Qing qui touche tous les domaines bien au-delà de la médecine. Parallèlement aux premières écoles de médecine chinoise se mettent en place des établissements de soins (hôpitaux [19, 21], dispensaires ou établissements de charité) auxquels les écoles sont adossées. Se développent également des associations professionnelles et société savantes [22]. Le rapport Faber[6] en 1931 [24] fait état de 570 associations médicales dévolues à l’étude et au développement de la médecine chinoise. Plus de 200 périodiques de médecine chinoise ont été créés durant la Chine républicaine [23] contre 45 de médecine occidentale [2].

En 1929 la médecine chinoise parait disposer des structures et des acteurs lui permettant de répondre, au moins a minima, aux impératifs d’une professionnalisation dans un état moderne.

 

La médecine occidentale en Chine

 

S’il ne faut pas surestimer les faiblesses de la médecine chinoise, il ne faut pas non plus surestimer les forces de la médecine occidentale au début du XXème siècle.

La médecine occidentale s'installe en Chine à partir de 1820 avec l'ouverture d'un dispensaire à Macao. Durant tout le XIXème siècle l'essentiel de la pénétration de la médecine occidentale sera assurée par les missions protestantes anglo-saxonnes. En 1838 la Medical Missionary Society est fondée. Les missionnaires vont s'attacher à la création d'établissements hospitaliers puis d'écoles de médecine qui y sont associées. La première école est ouverte à Guangzhou en 1866 au Canton Missionary Hospital et en 1887 parait le China Medical Missionary Journal. Comme avec la mission jésuite en Chine au XVIIème et XVIIIème siècle, la science et la médecine sont des instruments d'évangélisation[7]. En 1887, 84 médecins missionnaires protestants étaient présents en Chine[8] et en 1897 seulement 300 médecins chinois de médecine occidentale avaient été formés et autant étaient en formation [2]. Au tournant du siècle les institutions médicales vont se multiplier avec l'entrée en jeu des Français, Allemands et Japonais. À Shanghai les français fondent l'Université Aurore (catholique) en 1903 et les Allemands la Deutzche Medizinschule (Tongji Medical School). Quasiment toutes les structures de médecine occidentale sont alors sous la direction de médecins occidentaux. En 1934, la formation des médecins est assurée dans 30 écoles de médecine dont 12 dépendent du gouvernement chinois (6 dont 2 militaires) ou du niveau provincial (6), les 18 autres des missions ou gouvernements étrangers. 214 établissements hospitaliers sont recensés, dont 150 dépendants des Missions, 14 de l’état et 50 sont des structures privées.

La faiblesse évidente de la médecine occidentale est sa démographie. Le rapport Faber de 1931 [23] évalue à 4 à 5000 médecins pour 400 millions d'habitants, soit 1 pour 80 à 100.000 habitants contre 1 pour 1.600 dans la France de l'époque. La plus grande partie est concentrée dans les grandes villes, 22% des médecins de formation occidentale exercent à Shanghai en 1935[9]. En comparaison, au même moment, les associations professionnelles de la médecine chinoise annoncent à Faber le chiffre de 1.200.000 praticiens traditionnels soit 1 praticien pour 300 habitants[10]. Cette démographie a évidemment des conséquences immédiates sur la consommation de soins médicaux. Une enquête en 1933 dans le district rural de Dingxian près de Beijing montre que sur une population de 390.000 personnes, 67% avaient recours aux praticiens de médecine chinoise contre seulement 4 % à la médecine occidentale, 28% n'ayant aucun accès aux soins [25].

L'autre faiblesse de la médecine occidentale est son extrême hétérogénéité. Elle est manifeste au niveau de la formation avec de multiples plans de clivages en fonction du lieu de formation (sur le territoire chinois ou à l'étranger[11]) et en fonction de la langue d'enseignement (anglais, allemand, japonais, français ou chinois). Cette hétérogénéité de formation induit de grandes différences de compétence entre les médecins formés selon les standards des universités occidentales, et ceux formés dans des écoles de médecine provinciales de second plan sans équipement et sans réelle capacité de formation clinique hospitalière. Le rapport Faber [24] évalue à seulement 13 le nombre de faculté délivrant un enseignement satisfaisant et formant au total seulement 180 médecins par an dans toute la Chine. Sur les 4.000 médecins de formation occidentale seuls 1.000 sont considérés comme ayant un niveau médical satisfaisant. Cette petite élite elle-même était soumise aux rivalités entre une majorité formée par les anglo-saxons, et les autres formés selon les normes et les habitudes d'enseignement françaises, allemandes ou japonaises. Un dernier élément de clivage est la distinction entre médecins chinois et médecins étrangers[12]. En 1915 est créée la National Medical Association of China avec 232 membres regroupant les seuls médecins chinois, les médecins étrangers n'étant admis qu'en tant que membres honoraires [2]. L'Association publie le National Medical Journal of China en deux éditions anglaise et chinoise et tient son premier congrès en 1916. En arrière-plan plan de la question de l’institutionnalisation et de la professionnalisation de la médecine se place ainsi celle de la sinisation des structures médicales[13] :

« Le temps est passé où la mise en place de nouvelles institutions médicales n'était déterminées que par des non-chinois ; la période est révolue où les institutions médicales étrangère pouvaient aider matériellement au développement de la médecine sans en référer aux chinois » (7ème conférence biennale de la National Medical Association janvier 1928 [2]).

Cette tension interne à la médecine occidentale a des conséquences sur sa relation à la médecine chinoise. Par rapport aux médecins occidentaux expatriés envoyés par leur gouvernement ou leur communauté religieuse, les médecins chinois n'ont pas les mêmes objectifs ni les mêmes intérêts professionnels. La nécessaire recherche d'une identité au niveau national de ce tout nouveau groupe professionnel va l’amener à essayer de pousser au maximum leur avantage sur la médecine chinoise dans un contexte politique leur paraissant favorable.

Observons qu’en Occident au début du XXème siècle la réglementation de l'exercice de la médecine est elle-même très récente voire un processus encore en cours. En France la loi Chevandier ne date que de 1892 :

« … entre la loi de Ventôse an XI (mars 1803) selon laquelle "nul ne pourra embrasser la profession de médecin, de chirurgien ou d'officier de santé sans être examiné et reçu comme il sera prescrit dans la présente loi" et celle de 1892 obligeant à la possession du doctorat d'État, la porte est restée ouverte à une pléthore de thérapeutes plus ou moins confirmés : des officiers de santé, des dentistes anciens mécaniciens ou serruriers, des herboristes, et toute une cohorte de thérapeutes moins chers et séduisants comme le guérisseur, le marchand d'orviétan, les religieuses, les prêtres, les vieilles, les sages-femmes et les pharmaciens » [18].

et aux USA Freidson observe :

« Ceux qui voulaient un diplôme pouvaient aisément l'obtenir en fréquentant une école médicale privée. A la fin du XIXe siècle, le nombre des "docteurs" aux États-Unis était de ce fait considérable et surtout il régnait une telle confusion dans le métier qu'il était on ne peut plus mal préparé à assimiler les progrès scientifiques de l'époque et à en faire bénéficier le public, ou tout simplement à se rendre sérieusement crédible auprès de lui. Il faut attendre le XXe siècle pour que l'autorisation d'exercer devienne aux États-Unis la règle générale et qu'elle soit soumise à une réglementation uniforme des études médicales. Avec l'uniformisation du cursus, un médecin diplômé est supposé nanti d'une formation technique élémentaire qui est à la fois à peu près équivalente chez tous les médecins et différente de celle de tous les guérisseurs » [14].

La réalité de ce qui se joue en Chine est bien plus nuancée qu’un conflit asymétrique entre un ensemble multiforme de praticiens traditionnels, figés dans leur histoire et ne luttant que pour leur survie au prix de toutes les concessions et un groupe organisé et uni de médecins de formation occidentale, certes peu nombreux, mais sûr d'eux, portés par la modernité et par la science. Il s'agit d'une compétition entre l'élite de deux groupes professionnels de structuration toute récente et avec des identités en voie de construction. Le bouleversement politique à la chute de l'empire est l'occasion pour ces élites d'une mise en avant de leurs objectifs et intérêts professionnels autant au niveau général et national qu'au niveau de leur propre groupe. Le conflit se double ainsi de rivalités et d'enjeux internes notamment autour de la scientifisation de la médecine chinoise et de la sinisation de la médecine occidentale.

 

1914-1929 : Le conflit de la professionnalisation

 

Au tournant du siècle, les écoles de médecine occidentale comme de médecine chinoise se mettent en place à travers la Chine. La question de leur habilitation par le nouveau régime républicain va rapidement être au premier plan[14]. Dès 1914 les praticiens traditionnels interviennent auprès du ministère de l’éducation. Mais cela concerne tout autant la médecine occidentale et les premières revendications de la jeune National Medical Association portent sur l’habilitation de ses écoles et de ses praticiens [4]. La question est toujours à l’ordre du jour lors de son congrès de 1928, et en 1932 dans le Chinese Medical Journal, organe de l’association, un rédacteur se plaint encore :

« Une condition préalable à l'enregistrement des médecins praticiens est l'enregistrement des facultés de médecine. Il est très décourageant de constater qu'il n'y a pas eu de législation efficace concernant cela » [27].

La question de la médecine chinoise est à replacer dans ce contexte d’une professionnalisation de l’ensemble du secteur de la santé où la position de la médecine occidentale est loin d’être stabilisée[15].

Très rapidement le gouvernement républicain va émettre des signaux favorables à la médecine occidentale. Le 30 septembre 1915 le président Yuan Shikai promulgue un décret "Exigences pour les fonctionnaires" qui fait référence pour les professions de santé à la nécessité d'un standard scientifique, mais sans mention directe à la médecine chinoise. Il est habituellement considéré comme la reconnaissance officielle de la médecine occidentale. Un an plus tôt la première demande de reconnaissance des écoles de médecine chinoise, s'était vu opposer un refus brutal par le ministre de l'éducation Wang Daxie : « J'ai décidé d'interdire la pratique de l’ancienne médecine et de supprimer l’herboristerie ».

Mais il ne s'agissait que d'une déclaration d'intention non suivie d'effet, et qui parait atténuée par l'avis de la commission de l'éducation chargée d’étudier la question et laissant une porte entrouverte[16] : énoncer une exigence scientifique n'est pas en soi une condamnation de la médecine chinoise, toute l'ambiguïté est dans la façon dont est pensé le rapport de la médecine chinoise à la science. Le gouvernement républicain formule un cadre mais, soumis aux pressions des deux groupes professionnels, va tergiverser durant près de vingt ans sur le statut à donner aux praticiens traditionnels.

En 1922 le ministère de l’intérieur tente de promulguer une première réglementation, considérée par les praticiens comme injuste et fortement préjudiciable à leurs intérêts. Son application est suspendue à la suite des protestations des organisations professionnelles. Inversement en 1926 la Conférence nationale de l’éducation adopte une résolution cette fois favorable à l’habilitation des écoles de médecine chinoise. Cette résolution entraine de fortes réactions de la National Medical Association, exhortant à défendre la médecine scientifique et à ne pas entraver la marche du progrès avec un retour à la vieille médecine. Toute la faiblesse du gouvernement dit de Beiyang (1913-1928) se reflète dans ces tergiversations et ce mouvement de balancier.

En avril 1927 le pouvoir républicain s’installe à Nanjing qui devient la nouvelle capitale chinoise, ouvrant la période de la décennie de Nanjing (1928-1938), cruciale pour la médecine chinoise : « C’est la seule période avant 1949 où le pouvoir central a été en mesure d’exercer un certain contrôle sur la nation et de présider à la construction d'un système de santé moderne » [25].

Le 1er novembre 1928 est créé le tout premier ministère chinois de la santé et de nombreux médecins y occupent des fonctions. Cette création est perçue comme le couronnement de la « nouvelle médecine » et dans ce contexte apparemment favorable, la faction dure va avancer ses pions Cette faction est constituée principalement autour de médecins formés au Japon comme Yu Yunxiu, et fortement influencés par l’évolution de la médecine dans ce pays[17].

Le 25 février 1929 lors de la première conférence du Conseil national de la santé tenue dans les locaux du ministère de la santé à Nanjing est adoptée une résolution présentée par le Dr Yu Yunxiu « Résolution pour l'abolition des pratiques autochtones ». La résolution propose la fermeture de toutes les écoles de formation à la médecine chinoise, l'enregistrement obligatoire des praticiens en exercice avant le 31 décembre 1930, accompagnée d’une certification dans les cinq ans liée au suivi d’un cours élémentaire de médecine. Les praticiens âgés de plus de cinquante ans et avec au moins vingt ans d’expérience sont dispensés de certification, obtenant une licence pour une durée limitée à 15 ans. Ces deux mesures, fermeture des écoles et enregistrement des praticiens en exercice, visaient l'extinction progressive de la médecine chinoise par le simple non renouvellement de ses praticiens.

Comme en 1922, mais avec une plus grande intensité du fait de l'extrême gravité de la situation, la résolution va entrainer une réaction des organisations professionnelles de la médecine chinoise. Durant trois jours un grand meeting est organisé à Shanghai à partir du 17 mars 1929 auquel participent 262 délégués représentant 131 organisations de 13 provinces et qui voit la création d’une Fédération nationale des sociétés médicales et pharmaceutiques [2]. Une grève est organisée avec une fermeture des cabinets et des établissements de soins accompagnée d’une campagne de presse dans des quotidiens de premier plan. Une délégation est envoyée à Nanjing au ministère de la santé et auprès de l’assemblée.

Cette action collective de grande ampleur des professionnels de la médecine chinoise conduit à l’abandon de la résolution de Yu Yunxiu. Plus encore, dans la continuité de leur mouvement, ils obtiennent 17 mars 1930, un an jour pour jour après le meeting de Shanghai, la création du Bureau de médecine nationale (guoyi guan) dont le premier directeur est Jiao Yitang, par ailleurs membre éminent du Yuan Législatif (le parlement). Dans le conseil d’administration figurent les frères Chen Lifu[18] (directeur du conseil) et Chen Guofu, tous deux également figures éminentes du Kuomintang [3]. Une professionnalisation est bien, comme le note Freidson, le résultat d’une action collective d’une élite professionnelle en connexion avec une partie de l’élite dirigeante qui lui est favorable [14].

En 1935 est publiée la législation qui acte la professionnalisation de la médecine chinoise avec une formation supérieure au niveau national. Ce texte est confirmé par un décret présidentiel « Zhongyi tiaoli » du 22 janvier 1936. En 1939 est publié le premier programme national d’enseignement de la médecine chinoise devant être appliqué dans toutes les écoles de médecine. Ce programme met en place une formation nationale sur cinq ans avec 1640 heures de cours, 1932 de travaux pratiques et 461 de pratique clinique[19] [8].

La décennie de Nanjing a consacré l’institutionnalisation et la professionnalisation de la médecine chinoise. C’est ce cadre qui sera confirmé et valorisé dans la Chine Populaire après 1949.

La scientifisation

La résultante de la crise de 1929 est que la médecine chinoise institutionnalisée est placée dans le cadre de la science, devient objet de science. L’article 1er du Bureau de Médecine nationale édicte en 1931 :

« Le Bureau a pour objet d'adopter des normes scientifiques de réévaluation de la médecine nationale et d'améliorer les méthodes de traitement et de composition des médicaments » [2].

Le programme national de 1939 consacre cette orientation dans la mesure où il comporte un enseignement de base de médecine occidentale (anatomie, physiologie, pharmacologie…) [8]. Il faut y voir bien autre chose que le résultat d’une simple stratégie de survie de la part des praticiens de médecine chinoise qui auraient ainsi réussi à préserver leurs pratiques dans un contexte socio-historique défavorable.

Ecole de convergence médicale sino-occidentale

Dès la rencontre des deux médecines au XIXème siècle, la question du rapport de la médecine chinoise à la médecine occidentale est posée. Ce questionnement se met en place spontanément dans les cercles savants bien avant qu’une concurrence professionnelle entre les deux ne se manifeste avec acuité. Un point de vue rationnel est porté par ce qui sera appelée Ecole de convergence médicale sino-occidentale (Zhongxi huitong pai) et dont les grandes figures sont Tang Zonghai (1846-1897) et Zhang Binglin (1868-1936). Médecine occidentale et médecine chinoise ont le même objet (le corps humain, son organisation, son fonctionnement comme ses dysfonctionnements) et le même objectif (traiter et prévenir ses pathologies) et une mise en relation de leurs savoirs et leurs pratiques parait comme une évidence. La « scientifisation » est le résultat d’un processus commencé dès la fin du XIXème siècle au sein de la médecine chinoise par une partie de ses élites. Comme Tang Zonghai, des praticiens s’initient à la médecine occidentale. L’incorporation d'éléments de médecine occidentale dans la formation à la médecine chinoise est très précoce, dès les premières écoles de médecine chinoise sont inclus des cours d’anatomie et d’hygiène (Wenzhou 1885) ou encore de thérapeutique, notamment sur les médicaments occidentaux (Shanghai 1906). Observons qu’inversement le programme de la première école de médecine occidentale mise en place par les missionnaires (1866) incluait des cours de médecine chinoise et que les premiers étudiants sont des praticiens de médecine chinoise ou de famille de praticiens chinois [2], la convergence pouvait ainsi être pensée initialement des deux côtés. Ceci-dit, il existe de nombreuses variantes sur ce qui est entendu par la « convergence » des deux médecines, comme un courant conservateur qui lui est hostile.

A l’analyse et d’un point de vue médical actuel, de nombreuses idées développées par les différents acteurs paraissent contestables ou naïfs. Mais ces idées vont évoluer sur toutes les années qui conduisent à la crise. On voit progressivement se dessiner et se préciser les contours d’une méthode d’approche rationnelle et systématique de la médecine chinoise.

Deux documents fondamentaux illustrent le débat autour de la proposition d’interdiction de la médecine chinoise : le texte même de la résolution de Yu Yunxiu votée par la commission du ministère de la santé qui représente l’acmé de la crise (1929) et le texte cadre de Lu Yuanlei et Tan Cizhong qui d’une certaine façon en marque la fin (1933).

 

L’abolition de la médecine chinoise (Yu Yunxiu 1929)

La proposition d’abolition de la médecine chinoise de Yu Yunxiu comporte un ensemble de mesures législatives visant à son objectif, mais elle énonce également les motifs qui la fondent [2]. Quatre arguments explicitement numérotés sont mis en avant |voir annexe]. Les deux premiers contiennent une critique virulente des énoncés théoriques de la médecine chinoise considérés comme spéculations absurdes : le yin yang, les cinq éléments, 6 atmosphères, les zang-fu, les méridiens (point 1) et le diagnostic par les pouls (point 2). Les deux autres arguments en tirent les conséquences : la médecine chinoise est incapable de répondre aux impératifs de santé publique (point 3) et en perpétuant superstitions et croyances populaires elle est un obstacle à la diffusion de la science (point 4).

Figure 1. Yu Yunxiu (1879-1954).

Cet argumentaire est un concentré des prises de position de Yun Yunxiu durant les années précédentes et développées dans un ensemble de textes à partir de 1917 où il publie une critique systématique du Lingshu. Yu Yunxiu a particulièrement étudié la médecine chinoise et ses textes montrent une très bonne connaissance des traités classiques, connaissance qu’il met au service de sa cause. Sa condamnation de la médecine chinoise est entièrement centrée sur le corpus théorique dont il juge évidente la nature irrationnelle. Dans son argumentaire il faut noter une grande absente : la thérapeutique. La médecine est à la fois une profession savante et à la fois une profession consultante avec ainsi un double objectif : produire des savoirs et produire des soins [14]. En occultant du débat la thérapeutique Yu Yunxiu masque de fait la faiblesse d’alors de la médecine occidentale dans une composante centrale. Le troisième argument reflète le regard des médecins en Chine focalisé sur les questions de santé publique et de prévention dans un contexte de grands épisodes épidémiques. L’anatomie, l’hygiène et la bactériologie sont des domaines qui établissent avec évidence la supériorité de la médecine occidentale. Mais cela s’estompe quand on se déplace au niveau de la santé individuelle et du traitement des pathologies du quotidien. Près d’un siècle après, la plupart des thérapeutiques de la médecine occidentale dont pouvait disposer Yu Yunxiu ont disparues, alors que nombre de thérapeutiques de la médecine chinoise sont couramment utilisées au niveau mondial et font l’objet d’une recherche clinique et expérimentale intensive.

Si Yu Yunxiu omet dans son argumentaire la question de la thérapeutique, le paradoxe apparent est qu’il utilise la phytothérapie chinoise dans sa pratique quotidienne, qu’il fonde un institut de recherche pharmaceutique et qu’il compile lui-même des éléments de la littérature relative à la pharmacopée chinoise [8]. En visant l’interdiction de la pratique de la médecine chinoise, tout en faisant de la matière médicale un élément important de son champ de travail, Yu Yunxiu entend procéder, en quelque sorte, au nom de la science, à une expropriation des praticiens chinois et à une confiscation de leurs biens estimés utilisés à mauvais escient. Il découple la pratique (l’efficacité thérapeutique potentielle et l’expérience collective) de tout aspect théorique traditionnel, « théories et faits sont des choses distinctes et différentes » [6]. Mais ce découplage est opéré à son seul profit, les praticiens traditionnels étant eux irrémédiablement assimilés et assignés à leurs théories, ce qui l’autorise à vouloir les interdire de pratique.

La science est l’élément central d’une rhétorique identitaire des médecins de formation occidentale. Cela les conduit naturellement à prétendre à son monopole et à en refuser ou entraver l’accès au groupe rival. Les médecins reprochent aux praticiens de médecine chinoise leur ignorance de l’anatomie et de l’hygiène, mais ils s’inquiètent quand ces matières sont enseignées dans les premières écoles de médecine chinoise. Cette monopolisation des savoirs se prolonge par la monopolisation des pratiques, des outils et des dénominations. Ils interviennent pour se réserver l’utilisation des médicaments occidentaux, des stéthoscopes ou des seringues. Ils revendiquent le monopole des dénominations « docteur », « hôpital », « collège » ou « université ». C’est bien un débat identitaire qui se déroule avec la question de la désignation de l’autre comme de soi. Dans un contexte de nationalisme anti-occidental les médecins vont ainsi récuser le terme « médecine occidentale » au profit de celui de « nouvelle médecine ». De même pour désigner l’autre ils récusent les termes de « médecine chinoise » ou « médecine nationale » qui suggèrent un lien institutionnel à l’état, et utilisent les termes péjoratifs de « médecine autochtone (indigène) » ou « vielle médecine ».

Dans les discours une équivalence est faite entre « médecine occidentale » et « science » et entre « médecine chinoise » et « non science ». Un plan de clivage est ainsi tracé sur ce déplacement de sens qui ne va pas de soi en l’absence de définition claire de critères de scientificité et de démarcation entre science et non science[20]. Lei Hsiang-Lin rapporte l’utilisation courante durant la controverse de l’ancienne expression chinoise « ni âne ni cheval » (feilu feima) pour stigmatiser la prétention à « scientifiser » la médecine chinoise, le produit de la convergence ne pouvant être qu’une mule inféconde [6]. Cette médecine bâtarde « sino-occidentale » parait comme une corruption de la science, une ruse des partisans de l'ancienne société pour perpétuer leurs idées fausses et périmées. Pourtant, plusieurs décennies après, en 1981 est publié le premier numéro du Chinese Journal of Integrated Western and Traditional Medicine, première revue de médecine chinoise éditée en Chine à être indexée dans la grande base de données biomédicale PubMed. Cette indexation marque un aboutissement symbolique du mouvement initié en 1892 par Tang Zonghai avec son livre posant le principe d’une convergence (Zhongxi Huitong Yijing Jingyi)[21]. Dans son quatrième et dernier argument Yu Yunxiu énonce la médecine chinoise comme « obstacle au progrès et à la science ». Près d’un siècle après, la Chine est le deuxième pays au monde en matière de production scientifique tout en ayant préservé et porté sa médecine à un niveau de développement et de diffusion sans précédent.

La scientifisation de la médecine chinoise (Lu Yuanlei et Tan Cizhong 1933)

 

Figure 2 . Lu Yuanlei (1894-1955) et Tan Cizhong (1887-1955).

  Après l’échec de la résolution de Yu Yunxiu (1929) et la création de l’institut de médecine nationale (1930), les responsables de la médecine chinoise vont avoir à définir le cadre, les principes directeurs et les contenus d’une formation supérieure au niveau national. Une commission est chargée de ce travail au sein de laquelle Lu Yuanlei rédige le projet ensuite amendé par Tan Cizhong[22]. Ce texte, « Une ébauche de plan pour l'organisation de la médecine nationale » [8] comporte explicitement cinq points pouvant être formulés ainsi :

  • Le savoir académique (incluant la théorie et la pratique) est vrai ou faux. On ne peut préjuger d’une théorie qu’elle soit vrai ou fausse, d’une pratique qu’elle soit efficace ou non du simple fait qu’elles soient occidentales ou chinoises, modernes ou anciennes.
  • Chaque chose a une seule définition correcte, il ne peut y avoir deux définitions pour une même chose. S’il y a plusieurs définitions pour une même chose, nous devons déterminer laquelle est correcte, les autres devant être considérées comme fausses. Il n’y a qu’une réalité, il ne peut y avoir deux réalités parallèles.
  • L’objet de la médecine est de soigner, pas de répondre à des objectifs culturels (la préservation de la culture chinoise) ou politiques (les intérêts économiques nationaux). La scientifisation de la médecine chinoise n’est pas la destruction de la culture chinoise, et inversement l’utilisation de médicaments occidentaux n’est pas une atteinte à l’intérêt économique de la Chine[23].
  • Beaucoup de phénomènes ne sont pas expliqués par la science actuelle. Des méthodes de la médecine chinoise montrent leur intérêt dans la pratique mais elles ne reposent pas sur des preuves scientifiques. Il faut utiliser les méthodes scientifiques pour développer la médecine chinoise et cela n’est pas sacrifier la médecine chinoise à la science.
  • La médecine est constituée d’aspects pratiques et d’aspects théoriques. Dans le processus de réforme de la médecine chinoise, les théories devront être modifiées, alors que pour les thérapeutiques il faut identifier les plus efficaces et répertorier les maladies qu’elles sont aptes à traiter.

Les trois premiers points énoncent des caractéristiques fondamentales de la science : l’universalisme (il ne peut y avoir une science occidentale et une science chinoise), le réalisme scientifique (la science comme description du réel et l’unicité du réel), le désintéressement (mise à distance des intérêts idéologiques et économiques). Ils énoncent la science comme valeur et comme méthode : c’est à la science de faire le tri entre ce qui est vrai et ce qui est faux, la valeur d’un énoncé ou d’une pratique ne pouvant être déduite a priori ni de son pays d’origine ni de son époque de production.

Les quatrième et cinquième points répondent à la critique sur les théories de la médecine chinoise tout en actant l’évidence de leurs insuffisances. La science est pensée comme un processus (la science en marche) et non comme un aboutissement (la science établie). Les théories sont des approximations et l’objectif de la méthode scientifique est justement de les confronter au réel pour les faire évoluer ou en proposer de plus pertinentes. En l’état, il n’y a pas lieu d’éliminer a priori tout un corpus savant sans analyse scientifique précise de l’ensemble de ses énoncés. Ces derniers sont d’abord à envisager dans leur valeur opératoire, et les théories de la médecine chinoise ne sont pas réductibles au cadre général des cinq éléments ou du yin-yang. A partir du moment où l’Occident rend disponibles de nouveaux savoirs et de nouvelles méthodes, le réexamen de ces théories devient non seulement réalisable mais indispensable.

Le texte est un renversement où Lu Yuanlei et Tan Cizhong prennent de la hauteur, ceux sont eux les scientifiques renvoyant Yu Yunxiu à la posture du syndicaliste. La « scientifisation » est l’adoption d’une méthode de questionnement et d’un cadre de référence, et non pas l'élimination ou la dénaturation du corpus médical chinois. Elle est pensée comme un plus porteur d’avenir, ouvrant de larges perspectives et non comme un moins conduisant à sa disparition. Le texte est programmatique et visionnaire. Il centre la médecine chinoise sur l’objectif thérapeutique et pose clairement les questions qui seront celles de l’évaluation médicale des décennies plus tard : déterminer les thérapeutiques efficaces, leurs domaines d’application et leurs modalités d'utilisation. Là aussi Lu Yuanlei et Tan Cizhong renversent la perspective dogmatique de Yu Yunxiu et mettent en avant un point de vue pragmatique où la question des théories n’est qu’une question seconde à celle de l’efficacité. En énonçant la médecine chinoise comme objet de science, ils préservent l’avenir et perçoivent que les questions scientifiques se résolvent sur le temps long, et non dans l’immédiateté des débats politiques et professionnels.

La portée du texte-cadre est immédiatement relevée par … Yu Yunxiu lui-même dans une réponse remarquable à Lu Yuanlei :

« Vos pensées surpassent les opinions des autres dans cette génération, les questions préalables sont les plus importantes. Si nous suivons ce que vous dites, alors la partie inepte de la médecine chinoise sera supprimée et la vérité restera, le faux sera enlevé et le vrai restera, et alors la scientifisation de la médecine chinoise aura un chemin approprié, tout comme le dicton un charpentier fait ses outils d'abord et ensuite il peut construire une forme carrée ou ronde »[8].

Cette réponse où Yu Yunxiu se range aux arguments de ses adversaires clôture la crise qu’il avait ouverte. Le Chinese Medical Journal en 1935, au moment de la publication de la législation sur la médecine chinoise et oubliant la responsabilité directe des médecins, observe  :

 « Les règlements régissant leur profession [la pratique de la médecine chinoise], publiés par le Yuan législatif [le parlement] aux fins d'application de la loi, ont définitivement scellé la défaite d’un groupe de dirigeants gouvernementaux qui avaient défendu avec acharnement une interdiction complète de leur pratique » [32].

Conclusions

1929 est indiscutablement une date clé dans l’histoire de la médecine chinoise. La crise qui se produit à ce moment-là conduit directement, dès l'année suivante, à la mise en place de sa professionnalisation, institutionnalisation et scientifisation. Dans l’historiographie occidentale habituelle de la fin du XXème siècle ce tournant est placé non pas dans la Chine républicaine, mais dans la Chine communiste, vingt ans plus tard. Dans les récits sur l’acupuncture le sens des évènements est même inversé pour nous décrire une abolition effective en 1929, « ignominie finale » [33] qui ponctue un long déclin les siècles précédents. 1929 est ainsi présenté comme une réplique finale de 1822 qui avait vu l’interdiction de l’acupuncture par l’empereur Dao Guang [1]. Ce récit d’une involution de la médecine chinoise à la fin de la Chine impériale et achevée dans la Chine républicaine permet de voir la période de la Chine communiste comme le moment d’une refondation, mais au prix de son instrumentalisation par le régime, de sa scientifisation (au sens de dénaturation de la tradition) et de son institutionnalisation (au sens de standardisation et simplification des savoirs). L’histoire d’une « tradition inventée » résultant d’une injonction politique du régime communiste pour des raisons purement idéologiques (nationalisme, anti-impérialisme, scientisme marxiste) ou pragmatiques (pénurie d’établissements et de personnels de médecine occidentale) nous est ainsi racontée. Mais ce qui est mis en place dans la Chine populaire des années cinquante est dans une évidente continuité avec le cadre et les principes directeurs élaborés durant la Chine républicaine. Cette continuité se retrouve dans la continuité des hommes : nombre d’acteurs majeurs des débats des années trente sont en position de responsabilité dans les instances de la Chine populaire. C’est le cas par exemple de Qin Bowei qui devient conseiller au Bureau de médecine chinoise du Ministère de la santé au début des années 50, ou de Lu Yuanlei qui participe à la rédaction des premiers traités institutionnels d’enseignement.

La scientifisation loin d’avoir été imposée politiquement par le régime communiste aux praticiens chinois parait au contraire un acquis préservé et valorisé de leur action collective sous le régime précédent. Il s’agit bien d’une évolution interne débutée dès la fin du XIXème siècle au sein d’une communauté médicale et qui va traverser tous les régimes politiques. Tout Etat moderne contrôle légitimement l’organisation sociale et économique de la médecine. Il peut même exercer momentanément de très fortes contraintes sur les aspects directement savants et techniques, mais ces contraintes ne peuvent qu’être limitées dans le temps et dans l’espace. Sur la longue durée, les objectifs professionnels et éthiques de la médecine, ceux de savoirs plus assurés et de pratiques plus efficaces, sont amenés à reprendre le dessus. La scientifisation s’est révélée possible sur le temps long jusqu’à nos jours : (1) parce que la médecine chinoise était effectivement porteuse d’une dimension rationnelle et d’énoncés de nature scientifique, (2) parce que l’élite de la communauté médicale chinoise étaient convaincue de la science comme valeur et comme méthode. Sans ces prérequis, quel que soit le régime politique, la scientifisation aurait fait long feu.

De même, loin d’être une soumission à la puissance de la médecine occidentale, la scientifisation se réalise au contraire dans la Chine républicaine malgré la forte opposition des médecins de formation occidentale. En l’espace de seulement deux décennies à la chute de l’Empire les praticiens chinois sont amenés à définir collectivement leur relation à la science et à la médecine occidentale. Dans l’analyse de ce débat il ne faut pas oublier que la scientifisation de la médecine occidentale elle-même n’était pas une évidence établie, s’agissant d’un processus récent et constamment en discussion. A peine quelques décennies avant, en 1865, dans son Introduction à la médecine expérimentale, Claude Bernard dénonçait tous les obstacles sociaux, culturels et idéologiques s’opposant à la démarche expérimentale en médecine. Inversement la même année 1929 où Yu Yunxiu demande l’abolition de la médecine chinoise, cette scientificité de la médecine est très fortement contestée en France par René Allendy qui publie « Orientation des idées médicales », manifeste princeps du néohippocratisme, mouvement de remise en question de la science et de la rationalité en médecine [34].

A la question de la scientificité de la médecine chinoise se pose ainsi en miroir celle de la scientificité de la médecine occidentale. Depuis quand la médecine occidentale peut-elle être considérée comme « scientifique » ? Dans quelle mesure l’est-elle pleinement ? Ses énoncés sont-ils aussi solidement établis que le pense Yu Yunxiu ? Yu Yunxiu s’illusionne sur la scientificité de ses propres pratiques, mais tout comme s’illusionnent les pétitionnaires contre les « fake-medicine » dans la controverse qui a traversé les médias ces derniers mois [35]. A quatre-vingts ans d’intervalle ils sont porteurs d’une même vision mythifiée de la science en médecine, leur argumentation est similaire, tout comme leur objectif naïf d’exclusion de la médecine chinoise du champ médical. Cette permanence est révélatrice des enjeux idéologiques et professionnels qui interfèrent constamment avec la question médicale et scientifique en Chine comme en Occident, à l'époque comme maintenant. Dans les débats, en 1929 comme en 2018, la médecine chinoise est d’abord un objet symbolique, une image inversée de la médecine occidentale, elle-même image symbolique de la science et de la modernité. Cette construction fantasmée d'une médecine chinoise irréductiblement non scientifique et non moderne permet à un courant spiritualiste et ésotérique de s’y nicher [36] et à un courant « sceptique », de Yu Yunxiu aux pétitionnaires anti - « fake medicine » de s’y opposer [1]. L’anthropologie post-moderne, elle, y voit la confirmation que la science n’est qu’une construction sociale de la modernité occidentale, et que d’autres cultures ont produit des connaissances de valeur équivalente[24] [1]. Dans ces controverses, la médecine chinoise est un terrain d’affrontement de points de vue divergents sur la science, sa nature et sa valeur. Le présupposé commun de ces points de vue est la mise « hors la science » de la médecine chinoise qui s'accompagne, dans les récits, de l'occultation du rejet de cette assignation par la communauté médicale chinoise.

En réalité, tout comme en Occident, cette communauté a opéré de façon autonome des choix rationnels adaptés à ses objectifs savants et professionnels.  La médecine chinoise s’inscrit dans une histoire générale de la médecine, qui s'inscrit elle-même dans une histoire générale des sciences. Ce qui se déroule en Chine autour de 1929 en une ou deux décennies est, sous une forme concentrée, ce qui se déroule en Occident sur un ou deux siècles. La scientifisation est un processus interne en œuvre dans toute la médecine ; ce processus suscite partout et toujours les mêmes tensions en périphérie.

 

Dr Johan Nguyen

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Références

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  34. Nguyen J. La Réception de l'acupuncture en France, une biographie revisitée de George Soulié de Morant (1878-1955), Paris: L'Harmattan. 2012.
  35. https://fakemedecine.blogspot.com/
  36. Nguyen J. Rompre avec le discours ésotérique dans notre champ professionnel : un impératif éthique. Acupuncture & Moxibustion. 2017;16(1):67-78. .

 


Annexe . Résolution de Yu Yunxiu, 25 février 1929 (d’après la traduction anglaise de Wong [2, page 162-3]).


Objet: abolir la pratique ancienne afin d'éliminer les obstacles à la médecine et à la santé publique.

Motifs : La médecine d'aujourd'hui est passée du stade curatif au stade préventif, de la médecine individuelle à la médecine collective, de la médecine personnelle à la médecine communautaire. Les services modernes de santé publique reposent entièrement sur les connaissances médicales scientifiques avec le soutien politique approprié. Je me propose ici de présenter quatre raisons sur l'opportunité d'abolir la pratique autochtone

Premièrement: la médecine ancienne de Chine adopte les doctrines du principe Yin Yang, des cinq éléments, des six atmosphères, des viscères et des trajets des vaisseaux. Ce sont de pures spéculations qui n'ont pas le moindre brin de vérité.

Deuxièmement: pour le diagnostic, ils (les praticiens de l’ancienne médecine) dépendent entièrement des signes du pouls, divisant arbitrairement une partie de l'artère en trois - pouce, « coudée » et barrière - correspondant aux organes internes. De telles théories absurdes sont trompeuses pour eux-mêmes et pour les autres. Elles peuvent être classées dans la même catégorie que l’astrologie.

Troisièmement: Puisqu'ils ne connaissent pas fondamentalement le diagnostic, il leur est impossible de certifier les causes des décès, de classer les maladies, de combattre les épidémies, pour ne pas dire que l'eugénisme et l'amélioration de la race sont au-delà de leur conception. Ils sont donc incapables d'assumer la grande responsabilité de problèmes aussi importants que les conditions d'existence de la population et ses progrès, et ainsi d'aider le gouvernement.

Quatrièmement: L'évolution de la civilisation est du surnaturel à l'humain, du philosophique au pratique. Alors que le gouvernement s'efforce de combattre la superstition et d'abolir les idoles afin d'amener la pensée du peuple vers la voie appropriée de la science, les praticiens de l’ancienne médecine trompent quotidiennement les masses avec leur guérison par la foi. Pendant que le gouvernement éduque le public sur les avantages de la propreté et de la désinfection et sur le fait que les microbes sont à l'origine de la plupart des maladies, les praticiens de l’ancienne médecine diffusent des théories telles que « quand on attrape froid en hiver, la typhoïde apparaît au printemps » ; « quand on souffre de la chaleur en été, la malaria apparaît en automne ». Ces pensées réactionnaires sont le plus grand obstacle au progrès scientifique.

En bref, tant que les praticiens autochtones ne disparaitront pas, les pensées de de la population ne pourront changer, de nouvelles réformes ne pourront être introduites et les mesures de santé publique seront impossibles à réaliser. J'ai étudié cette question depuis plus de dix ans, je connais les tenants et aboutissant du système autochtone et j'ai écrit de nombreux articles à ce sujet. Dans l'intérêt de l'amélioration de la race et de l'amélioration des conditions d’existence de la population, nous ne pouvons éviter d'employer des moyens radicaux pour traiter cette question. C'est un problème national et non l’opinion d'un individu. Maintenant, c'est le tournant. Je vous prie, messieurs, d'examiner cette proposition.


 Notes

[1] L’expression « guo yi » pour désigner la médecine chinoise a le sens de médecine « nationale » mais aussi un sens péjoratif traduit en anglais par « native medicine » (médecine autochtone ou indigène [2]) ou par « Old [Chinese] medicine » (vieille médecine [chinoise] [5,8].

[2] Analysant les biographies de 422 médecins publiées dans les chroniques locales (difangzhi) des trois provinces du Sud, Yunnan, Guangxi et Guangdong, à partir de 1875 (ère Guanxu) Florence Bretelle-Establet montre que seuls quatre praticiens avaient reçu une formation au sein d'établissements équivalents à une école de médecine [18].

[3] Les exemples sont multiples dans les livres médicaux de paragraphes dénonçant les charlatans et les superstitions populaires.

[4] Comme le rappelle l’exemple de la querelle sur le vitalisme entre Montpellier et Paris au XIXème siècle.

[5] Florence Bretelle-Establet souligne que cette question est abordée dans la plupart des préfaces des livres médicaux de la fin de la dynastie Qing [20].

[6] E, 1931, le médecin danois Faber rédige un rapport sur la situation médicale en Chine à la demande du gouvernement chinois et dans le cadre de la Société des Nations,

[7] Dans le premier numéro du China Medical Missionary Journal à côté des articles spécifiquement médicaux figurent des articles comme « L'Aspect évangélique d'une mission médicale » ou « Le Travail médical comme aide aux Missions ».

[8] 41 américains et 33 britanniques [2].

[9] On dénombre à Shanghai 1.182 médecins pour une ville de 1.5 millions d'habitants soit le standard d'une ville européenne [4].

[10] Alors que la plus haute densité médicale en occident était de 1 pour 800h aux USA. En 1931 Faber dénombre 3.000 praticiens à Shanghai pour 1.5 millions d'habitants (1 pour 500h), en 1908 Feray comptabilise 400 praticiens à Kunming alors peuplé de 80.000 habitants (1 pour 200h) [26]. Mais cette pléthore parait inhérente à l’impossible distinction entre médecine savante et médecine populaire.

[11] En 1935 sur 5390 médecins recensés, 83% ont été formés en Chine et 17% à l’étranger.

[12] En 1935 13% des médecins sont des étrangers.

[13] La sinisation concerne les structures mais également la terminologie médicale du fait de l’absence de nomenclature chinoise unifiée. En 1934 dans un quart des écoles de médecine l'enseignement se fait intégralement en langue étrangère anglais, allemand français ou japonais [2].

[14] « Selon Merton (1957), la professionnalisation désigne le processus historique par lequel une activité (occupation) devient une profession du fait qu’elle se dote d’un cursus universitaire qui transforme des connaissances empiriques acquises par l’expérience en savoirs scientifiques appris de façon académique et évalués de manière formelle sinon incontestable » [15].

[15] L‘absence d’habilitation des écoles de médecine au niveau national n'empêche pas les initiatives locales de certification et d’enregistrement des praticiens notamment pour des raisons fiscales. A la fin de l’empire, en 1908 avait été mis en place temporairement à Nanjing un processus de certifications de 900 praticiens traditionnels avec un classement en cinq niveaux, les deux derniers étant interdits d’exercer [2]. Mais la question concerne également les praticiens de médecine occidentale. En 1926 à Shanghai 400 sont enregistrés à côté de 1.300 praticiens traditionnels sur la base de compétences professionnelles [2].

[16] La commission de l’éducation énonce « L'objectif n'est pas d'imposer des restrictions injustes aux praticiens de l'ancien, mais d'élever le niveau de l'éducation médicale afin de "se conformer aux progrès du monde". C'est par des moyens tels que les mesures de santé publique et la médecine préventive que les actions peuvent être efficacement menées. Par conséquent, la demande d'un règlement distinct pour les écoles de médecine autochtones ne peut être considérée » [2].

[17] Le décret du 18 aout 1874, sous l’ère Meiji, vise à couper les ponts avec la médecine traditionnelle en adoptant un système exclusivement occidental via le contrôle étatique de la compétence professionnelle. Un certain nombre de dérogation étaient néanmoins admises pour les praticiens traditionnels qui leur permirent de survivre |28]. Yukikaku Sakurazawa [Georges Oshawa] évoque dans son livre coécrit avec Soulié de Morant « la célèbre loi tyrannique » à propos de ce décret [29] .

[18] Chen Lifu (1900-2001), secrétaire de Tchang Kaï-chek, puis ministre de l’éducation de 1938 à 1944 |30].

[19] La thérapeutique par acupuncture fait partie du cursus avec 64 heures en 4ème année et stage hospitalier en 5ème année [8].

[20] Observons que 1929 est aussi l’année de la publication du « Manifeste du Cercle de Vienne », texte clé de l’épistémologie sur la question des critères de la science [31].

[21] Durant la période républicaine est publiée par exemple la revue « Médecine Sino-Occidentale ».

[22] Tan Cizhong dans son texte « Corrections à l’ébauche de plan de Lu Yuanlei » précise : « ce projet d'ébauche est assez similaire à mon opinion ; cependant, il y a quelques erreurs de texte qui devraient être corrigées » [8]). Il s’agit plus de précisions, de reformulations et commentaires ne modifiant pas radicalement le texte.

[23] Dans les débats apparaissent des enjeux commerciaux entre l’industrie pharmaceutique occidentale et les organisations professionnelles de l’herboristerie chinoise, Yu Yunxiu étant accusé de compromission avec les intérêts étrangers.

[24] La plupart des historiens ou des anthropologues qui ont documenté l’histoire de la médecine durant la période républicaine interprètent la scientifisation comme un processus dépréciatif externe subi et non comme un processus interne autonome et revendiqué. Il nous est ainsi parlé de l’imposition « avec force de l'idéologie dominante du scientisme à la médecine chinoise» [6] ou de « la subordination de la médecine chinoise à un point de vue scientifique du monde » [9].

 

Part de l'acupuncture dans la prise en charge des acouphènes : une solution d'avenir ?

 

Résumé : Introduction : la prise en charge actuelle des acouphènes ne peut s'envisager sans être globale et multidisciplinaire devant la multiplicité des contextes cliniques rencontrés. Cette prise en charge globale de l'individu est un des piliers de la Médecine Traditionnelle Chinoise. L'objectif ici est de faire un état des lieux des traitements allopathiques connus, d'évaluer l'apport thérapeutique de l'acupuncture dans l'état actuel des connaissances et de relater les essais cliniques déjà réalisés à ce sujet. Méthodes : description des connaissances actuelles allopathiques et acupuncturales, concernant le traitement des acouphènes, revue de littérature. Résultats : la totalité des essais analysés présente des biais méthodologiques. Conclusion : il n'est pas possible de conclure quant à un éventuel apport thérapeutique de l'acupuncture dans le traitement des acouphènes à l'heure actuelle. Mots-clés : acupuncture – acouphènes - revue de littérature - essai randomisé.

Summary: Introduction : the current management of tinnitus cannot be considered without being global and multidisciplinary in the face of multiplicity of clinical contexts encountered. This comprehensive care is one of the pillars of Chinese Traditional Medicine. The objective here is to make an inventory of known allopathic treatments, to evaluate the therapeutic contribution of acupuncture in the current state of knowledge an to report the clinical trials already carried out. Methods: description of the current allopathic and acupunctural knowledge, concerning the treatment of tinnitus, literature review. Results: the totality of analyzed trials presents methodological biases. Conclusion: it's not possible to conclude with regard to a pôssible contribution of acupuncture in the treatment of tinnitus at present. Keywords: acupuncture – tinnitus - literature review - randomized trials.

 

Introduction

Les acouphènes constituent un motif de consultation fréquent en médecine générale. Cette pathologie, plus ou moins invalidante et ayant un retentissement plus ou moins important sur la qualité de vie des patients, suscite encore à notre époque beaucoup d'interrogations. Ils peuvent être définis comme la perception personnelle et exclusive d'un bruit, sans qu'il n'y ait eu de stimulation extérieure à l'appareil auditif (comparable à un "mirage sonore"). On peut le ressentir de manière unilatérale ou bilatérale [1]. En Médecine Traditionnelle Chinoise, il est parfois désigné sous le terme de "chant d'oreille".

Prévalence

Différentes études estiment que la prévalence des acouphènes dans la population générale varie de 10 à 15%. Les acouphènes dits invalidants, c'est-à-dire entrainant une franche altération de la qualité de vie, toucheraient en France environ 1% de la population générale, soit plus de 600 000 personnes [2,3].

Facteurs de risque

Il existerait différents facteurs de risques liés à leur apparition: l'âge (leur prévalence augmenterait régulièrement au cours de la vie, probablement en lien avec l'apparition de la presbyacousie), l'exposition régulière au bruit (qu'elle soit d'origine professionnelle ou non), l'association à une hypoacousie quelqu'en soit son origine (les patients acouphéniques présenteraient plus volontiers une altération de la fonction auditive), certaines affections ORL ou stomatologiques chroniques (otites moyennes, sinusites, dysfonctionnement de l'articulation temporo-mandibulaire, pose de drains transtympaniques dans l'enfance...), les facteurs psychologiques de comorbidité (anxiété, dépression...), certains  facteurs de risque cardio-vasculaire (Hypertension Artérielle, tabagisme, dyslipidémies...), certains facteurs environnementaux (conditions socio-économiques défavorables) [4-6].

Physiopathologie

Plusieurs hypothèses existent concernant la physiopathologie des acouphènes. Ils résulteraient d'une activité neuronale aberrante qui serait perçue comme un son par les centres auditifs. L'atteinte pourrait avoir différentes origines. Ils pourraient être la conséquence d'un trouble de conduction sur les voies nerveuses de l'audition ; ou d'une atteinte des structures périphériques de l'audition (cellules ciliées externes, cellules ciliées internes, nerf auditif) ou de structures extrasensorielles ; voire d'une atteinte centrale [7].

 

Etiologies en médecine allopathique

De nombreuses étiologies sont évoquées. On peut les répertorier selon que les acouphènes soient subjectifs (perçus uniquement par le malade) ou objectifs (pouvant être perçus par un auditieur extérieur).

Acouphènes subjectifs

On distingue les atteintes de l'oreille externe (bouchon de cérumen, otite externe, ostéome ou exostose du conduit), de l'oreille moyenne (otite moyenne aigue, otite séromuqueuse, choléstéatome, otospongiose), de l'oreille interne (maladie de Ménière, traumatismes, exposition sonore excessive, presbyacousie, surdité brusque, origine toxique ou médicamenteuse, labyrinthite infectieuse), des voies nerveuses de l'audition (neurinome de l'acoustique, maladie de Paget, atteinte du système nerveux central), les atteintes cervico-faciales (pathologies de l'articulation temporo-mandibulaire, cervicales voire sinusiennes), les causes générales (hypertension artérielle, hypotension orthostatique, anxiété, dépression, facteurs de risque cardio-vasculaires...) [8].

Acouphènes objectifs

Citons les acouphènes pulsatiles, liés à une origine vasculaire (fistules artério-veineuses, anévrysmes) ou tumorale (tumeurs glomiques notamment), et les acouphènes d'origine mécanique, à bruit de cliquetis (atteinte de la trompe d'Eustache, de l'articulation temporo-mandibulaire, du voile du palais, des muscles de l'oreille moyenne).

Ainsi, devant la multiplicité des contextes rencontrés, l'interrogatoire, l'examen physique (dont les tests à visée ORL : acoumétrie, audiométrie tonale et vocale, tympanométrie) et les examens complémentaires (IRM, bilans biologiques, mesure des otoémissions acoustiques, des Potentiels Evoqués Auditifs) revêtent toute leur importance [9].

Traitements en médecine allopathique

Le traitement des acouphènes ne peut s'envisager sans être pluridisciplinaire. On associe souvent aux traitements étiologiques, quand ils sont possibles (par exemple la chirurgie, le cas échéant) d'autres thérapeutiques telles la thérapie sonore (appareillages ayant pour but de "masquer" les acouphènes selon différentes techniques), les techniques d'occlusodontie telles la pose de gouttières (le cas échéant), la psychothérapie de soutien ou cognitivo-comportementale, le counselling ( dans le cas des acouphènes, consiste surtout en une information du patient sur ses acouphènes par séances dédiées ; on l'appelle Tinnitus Retraining Therapy si associé à la thérapie sonore), le biofeedback, la sophrologie, l'hypnose [10,11].

 

Rapport des méridiens avec l'oreille

En Médecine Traditionnelle Chinoise, l'oreille est un lieu de convergence de plusieurs méridiens. On peut citer le lingshu, 28 : "l'oreille est un lieu où s'assemblent les mai ancestraux", mai signifiant "vaisseau" en mandarin. Certains méridiens présentent donc des rapports anatomiques étroits avec l'oreille, que cela soit par leur trajet principal, leur méridien distinct, leur méridien luo de communication ou leur méridien tendino-musculaire [12].

Méridien du Triple Réchauffeur

Une branche interne part du thorax (point danzhong (17RM), où il recontre le méridien du Maître du Cœur), s'achemine vers le creux sus-claviculaire au point quepen (12E), puis remonte le long du cou et du muscle sterno-cléïdo-mastoïdien vers le point tianyou (16TR). Ensuite, elle passe en arrière de la mastoïde et de l'oreille jusqu'à son apex au point jiaosun (20TR). Du point yifeng (17TR) (ou du point jimo (18TR) selon certains auteurs dont Nguyen Van Nghi), une branche rentre dans l'oreille, puis en ressort en avant du tragus en croisant le point tinggong (19IG), vers ermen (21TR) puis heliao (22TR). Selon certains auteurs, cette branche croise shangguan (3VB), selon d'autres, elle passe en avant de tinghui (2VB).

Méridien de la Vésicule Biliaire

Le trajet externe du méridien passe par tinghui (2VB), point situé juste en avant de l'oreille. Plus loin, il contourne l'oreille en décrivant une courbe au-dessus et en arrière, de shuaigu (8VB) à wangu (12VB). À noter qu'il croise le méridien du Triple Réchauffeur au niveau du point jiaosun (20TR). Pour certains auteurs, la branche pénétrant dans l'oreille depuis le méridien du Triple Réchauffeur serait issue de fengchi (20VB). Enfin, il existerait un dernier rameau qui pénètrerait dans l'oreille, à partir de touqiaolin (11VB) ou de wangu (12VB).

Méridien de l'Intestin Grêle

Le point tinggong (19IG) présente d'étroites relations avec les deux méridiens du niveau énergétique shaoyang. De plus, dans le trajet externe du méridien, celui-ci, après avoir croisé les autres méridiens yang au point dazhui (14DM), part vers le creux sus-claviculaire et le point quepen (12E). De là, une branche chemine le long du cou vers quanliao (18IG). Selon certains auteurs, une branche profonde y pénètrerait dans l'oreille ; selon d'autres cette branche profonde serait issue de tinggong (19IG).

Méridien de la Vessie

Après avoir croisé le méridien du dumai au point baihui (20DM), une branche part du méridien de la Vessie vers l'extrémité supérieure du pavillon en croisant le méridien de la Vésicule Biliaire sur tous ses points de qubin (7VB) à wangu (12VB).

Méridien de l'Estomac

Après avoir rencontré le méridien du renmai et le méridien controlatéral de l'Estomac au point chengjiang (24RM), il va vers l'angle inférieur de la mandibule au point daying (5E). D'où partent deux branches : l'une monte en avant de l'oreille en passant successivement par les points shangguan (3VB), xuanli (6VB), xuanlu (5VB), hanyan (4VB), puis touwei (8E) sur la région temporale avant de se terminer sur le front au niveau du point shenting (24DM) ; l'autre descend vers la fosse sus-claviculaire et quepen (12E), puis vers dazhui (14DM) où elle rencontre les autres méridiens yang.

Méridien luo du Gros Intestin

Concernant les méridiens luo de communication, un seul présente des rapports étroits avec l'oreille : le luo du Gros Intestin. En effet, à partir de jianyu (15GI), celui-ci arrive au creux sus-claviculaire et quepen (12E) puis au cou et à l'angle de la mandibule où il se déploie en deux branches : l'une vers les dents, l'autre vers l'oreille. Celle-ci communique avec les autres méridiens qui arrivent à l'oreille.

Méridien distinct (jingbie) du Maître du Cœur

Concernant les méridiens distincts, là encore, un seul présente des rapports avec l'oreille : le méridien distinct du Maître du Cœur. De tianchi (1MC), où il nait, il se dirige à l'horizontale vers yuanye (22VB), puis pénètre dans la poitrine vers le Cœur où il se divise en deux branches : l'une se connecte avec les trois Réchauffeurs ; l'autre monte au cou au point lianquan (23RM) puis chemine vers tianyou (16TR) où il se connecte au méridien principal et au méridien distinct du Triple Réchauffeur ; puis il se relie, au-dessus de wangu (12VB), avec les méridiens du Triple Réchauffeur et de la Vésicule Biliaire. Il s'agit du Cinquième Accord ou Cinquième Confluence (liaison Enveloppe du Cœur-Triple Réchauffeur, en vertu du rapport interne-externe).

Méridiens tendino-musculaires

Méridien tendino-musculaire de la Vessie

Une sous-branche issue du creux sus-claviculaire et quepen (12E), se divise en deux branches : l'une part vers la mastoïde et wangu (12VB), l'autre parcourt la joue jusqu'à quanliao (18IG) où elle croise les autres méridiens tendino-musuclaires yang du pied.

 

Méridien tendino-musculaire de la Vésicule Biliaire

À partir du creux sus-claviculaire et quepen (12E), il monte sur le bord latéral du cou et contourne l'oreille, derrière laquelle il se divise en deux branches : l'une passe derrière l'apex de l'oreille vers le sommet du crâne et baihui (20DM), l'autre descend de la tempe vers la joue et la mandibule où elle rencontre les autres méridiens tendino-musuclaires yang du pied

 

Méridien tendino-musculaire de l'Estomac

Il chemine vers l'angle de la mandibule à partir du creux sus-claviculaire et quepen (12E), puis se divise en trois branches : l'une vers l'oreille, la seconde vers quanliao (18IG) où elle croise les autres méridiens tendino-musuclaires yang du pied, la troisième encercle la bouche et monte vers le nez et les yeux.

 

Méridien tendino-musculaire de l'Intestin Grêle

Une branche se déploie sur la scapula, puis part vers la face latérale du cou où elle se situe entre, d'une part, le méridien tendino-musuclaire de l'Estomac en avant, et d'autre part, les méridiens tendino-musuclaires de la Vessie et de l'Intestin Grêle en arrière. Puis, elle s'y divise en deux branches : une branche antérieure vers l'angle de la mandibule qui longe la mandibule vers l'oreille, et une branche postérieure qui se fixe au processus mastoïdien (d'où une petite branche part vers l'oreille), puis encercle l'oreille afin de relier la branche antérieure avant d'aller vers la joue.

 

Méridien tendino-musculaire du Triple Réchauffeur

Depuis l'angle de la mandibule, une sous-branche monte devant l'oreille puis passe du canthus externe de l'œil vers la tempe et benshen (13VB) où elle croise les autres méridiens tendino-musuclaires de la main.

Méridiens curieux

Vaisseau yang du Talon (yangqiaomai)

Depuis la fosse sus-claviculaire, il atteint la face en passant successivement par les points dicang (4E), juliao (3E), chengqi (1E), puis jingming (1V) où il croise le yinqiaomai, avant d'aller vers le vertex.

 

Vaisseau yang de Liaison (yangweimai)

Depuis jianjing (21VB), il monte vers le cou, puis vers l'oreille. Ensuite, il atteint le front puis décrit une courbe au niveau du crâne en empruntant tous les points du méridien de la Vésicule Biliaire de benshen (13VB) à fengchi (20VB) ; pour certains auteurs, il "se répand à l'oreille". Ensuite, il chemine vers fengfu (16DM) et se termine à yamen (15DM).

 

Vaisseau Gouverneur (dumai)

Certains trajets énergétiques gagnent la mastoïde depuis fengfu (16DM). De plus, baihui (20DM) est étroitement interconnecté avec des branches qui gagnent l'oreille, comme vu précédemment.

Oreille et viscères

Concernant les rapports de l'oreille avec les Entrailles (fu), il semble que l'oreille soit fondamentalement liée aux Reins. De nombreux textes classiques tels le lingshu ou le suwen traitent de l'influence directe de ce Viscères (zang) sur l'oreille et la fonction auditive. De plus, il convient de noter le rôle joué par le Cœur, car il existe une étroite connection entre le Cœur et les Reins, sur un plan énergétique, mais également sur un plan bien plus profond. L'Orifice (qiao) de l'écoute étant les Reins, l'Orifice de l'entendement étant le Cœur.

Place des acouphènes au sein des tableaux syndromiques

Par conséquent, au vu des rapports entretenus par l'oreille avec les méridiens et les Entrailles, on peut émettre des interprétations quant à la place du symptôme "acouphènes", au sein de tableaux cliniques, dans le cadre de l'affection d'un méridien adjacent ou dans le cadre de la théorie des zangfu. Citons l'importance des travaux menés par le Docteur Bernard Cygler. À travers différents ouvrages, il a décrit, de manière empirique, les résultats obtenus après acupuncture pour des acouphènes et répertorié des milliers de cas auxquels il a été confronté durant plus de trente ans de pratique. Les hypothèses émises pourraient servir de base de réflexion.

Acouphènes et atteinte des méridiens

Ainsi, dans un premier ouvrage, il décrit l'association d'acouphènes avec d'autres symptômes comme pouvant évoquer l'atteinte de certains méridiens. Il s'agit :

- du méridien de l'Intestin Grêle : association avec surdité, otalgie irradiant vers la mandibule, œil jaune, larmoiement, enflure de la joue, raideur du cou, douleurs sur le trajet du méridien (face postéro-externe du cou, mâchoire, face postérieure des membres supérieurs) ;

- du méridien du Triple Réchauffeur : association avec surdité, douleurs devant les oreilles, diverses affections de la gorge (enflure, douleurs, obstruction, aphonie), troubles visuels, fixité du regard, agitation mentale, spasmes palpébraux et musculaires, vomissements ;

- du méridien de la Vésicule Biliaire : assciation avec surdité, fièvre intermittente, céphalées, douleurs oculaires, voire impossibilité d'ouvrir l'œil controlatéral, troubles visuels, douleurs de la partie latérale des côtes et de l'abdomen, douleurs sur le trajet du méridien (hanche, genoux, face externe des membres inférieurs) ;

- du méridien du Foie : association avec surdité, céphalées, troubles visuels (dont strabisme, larmoiement, flou visuel), vertiges, étourdissements, nausées, sensation d'obstruction de l'oesophage, distension abdominale, myalgies.

D'autres composantes des méridiens prinicpaux (méridien luo du Gros Intestin, méridien tendino-musuclaire de l'Intestin Grêle, méridiens distincts du Foie, du Gros Intestin, du Triple Réchauffeur, du Maître du Cœur) pourraient être incriminées.

Aspects importants de l'interrogatoire

Dans un second ouvrage, le Docteur Cygler émet l'hypothèse d'autres étiologies, mêlant médecine occidentale et énergétique chinoise selon la théorie des zangfu [13]. Il décrit également les composantes selon lui importantes de l'interrogatoire au sujet des acouphènes en Médecine Traditionnelle Chinoise. Les points importants :

- L'ancienneté de l'acouphène : classiquement, un acouphène (souvent d'installation progressive) correspondrait à un tableau de type Vide, tandis qu'un acouphène plus récent (souvent de début plus brutal) correspondrait à un tableau de type Plénitude. Même s'il ne s'agirait pas ici d'une règle générale.

- Le caractère unilatéral ou bilatéral : il est prioritaire d'éliminer un neurinome de l'acoustique, par des examens adaptés si l'acouphène est unilatéral et le reste. Il faut connaître également la présence de signes associés (surdité, vertiges) en cas d'acouphènes bilatéraux. Penser à l'apparition d'une nouvelle étiologie si l'acouphène était unilatéral et devient bilatéral. Le côté d'apparition, pourrait, selon certains auteurs, constituer un élément d'orientation (selon E. Soulié de Morant : des acouphènes à gauche témoigneraient d'un Vide de Sang, de yin, ou d'un excès de Chaleur par excès relatif de yang; des acouphènes à droite témoigneraient d'un Vide de qi ou d'une atteinte par les Glaires, le Vent ou le Froid par excès relatif de yin) [27].

- Le caractère continu ou intermittent : les acouphènes quels qu'ils soient, continus ou discontinus indiquent la recherche immédiate d'un neurinome de l'acoustique. Le passage d'intermittent à continu est un signe d'aggravation.

- Les éventuelles variations d'intensité des acouphènes unilatéraux : systématiquement aggravés le matin ou le soir, penser à un trouble des méridiens curieux qiao. Penser à la Rate s'ils fluctuent avec le stress. Penser aux méridiens curieux s'ils évoluent par cycles.

- La tonalité : de nombreuses tonalités différentes ont été décrites, qui pourraient orienter vers certaines étiologies.

- La présence d'une sensation d'oreille bouchée : effectuer la manoeuvre de Valsalva (souffler par le nez, les deux narines bouchées) pourrait constituer un élément d'orientation. Si les oreilles se libèrent, il s'agit d'une stagnation de yang au niveau du nez et de l'œil et d'un vide de yang au niveau des oreilles. Penser alors à tongziliao (1VB). Si elles ne se libèrent pas, il s'agit du cas inverse (stagnation de yang au niveau des oreilles et vide de yang au niveau des yeux et du nez), tinghui (2VB) serait alors plutôt indiqué. Tinggong (19IG) peut être associé pour son indication dans les symptômes de plénitude endocrânienne.

- L'association à une éventuelle hyperacousie.

Etiologies des acouphènes en Médecine Traditionnelle Chinoise

Il est à noter que dans ces indications, les points "ministériels" sembleraient avoir plus d'efficacité que les points shu dorsaux (beishu).

Les atteintes de la charnière cervico-occipitale

Ainsi, il décrit différentes étiologies et, selon son expérience, certains points ayant montré une efficacité sur les symptômes. La première d'entre elles, les acouphènes d'origine cervicale. Bernard Cygler fait la distinction entre les atteintes de la charnière cervio-occipitale et les atteintes de la Barrière Supérieure.

Concernant les atteintes de la charnière cervico-occipitale, il s'agit d'une atteinte mécanqiue de cette zone qui correspond à l'empilement de l'os occipital, de l'atlas et de l'axis. On retrouve des signes projetés (otalgies à tympan normal, douleurs dentaires ou de la face sans origine organique évidente). Les points pouvant être efficaces sont souvent locaux : fengfu (16DM), fengchi (20VB), wangu (12VB), touqiaoyin (11VB), tianzhu (10V), jianliao (14TR), danzhong (17RM), voire d'autres points en fonction du contexte clinique.

Les atteintes de la Barrière Supérieure

L'atteinte de la Barrière Supérieure concernerait plutôt le développement personnel et spirituel de l'individu. S'y croisent le yangqiaomai, le méridien prinicpal du Gros Intestin, le méridien tendino-musuclaire de la Vésicule Biliaire. La Barrière Supérieure, qui se situe à fengfu (16DM), serait un lieu bloqué par toutes les pensées arrêtées, rigides, les idées préconçues, l'arrogence intellectuelle ou au contraire les sentiments d'infériorité, le manque de mémoire, l'excès ou l'insuffisance d'abstraction. Les points pouvant être utiles sont ceux la constituant : yamen (15DM), fengfu (16DM) et naohu (17DM).

Les acouphènes d'origine Rate

Les acouphènes d'origine Rate seraient dûs à un vide de qi de celle-ci. Ils surviendraient dans des contextes de ruminations, pensées obsessionnelles ou surmenage intellectuel. Les acouphènes seraient continus mais fluctuants avec les stress, aggravés par la prise d'alcool, survenant souvent sur terrain de spasmophilie ou de claustrophobie. Les points pouvant être efficaces : shangqu (17R, point "ministériel" de la Rate), dadu (2Rte, point de tonification, point rong), taibai (3Rte, point Terre et yuan). Ajouter daling (7MC) pour les patients méticuleux ou perfectionnsites, obsessionnels du rangement. Autres points possibles selon le contexte : sanyinjiao (6Rte), zhangmen (13F), pishu (20V)...

Les acouphènes d'origine Foie

Les acouphènes d'origine Foie pourraient survenir en contexte de Feu du Foie (faisant suite à une stagnation du qi du Foie) ou de Vide de Sang du Foie. Ils fluctueraient avec les accès de colère extériorisée comme de colère refoulée, et on retrouverait souvent chez ces patients des antécédents hépatiques ou de lithiases biliaires. Points pouvant être utiles : zhongdu (6F, point xi, serait plus efficace pour les explosions de colère), youmen (21R), point "ministériel, serait plus efficace pour les colères refoulées). Autres points possibles selon le contexte : taichong (3F), ganshu (18V), qimen (14F)...

Les acouphènes d'origines Reins

Pour les acouphènes d'origines Reins, il existerait deux cas de figure. Soit, il s'agit d'un vide de yin avec Chaleur Vide (et éventuellement un Vide de yang secondaire), ou à l'inverse d'un Vide de yang avec Vide de yin secondaire. On les retrouve souvent secondairement à d'autres pathologies (traumatismes sonores, presbyacousie, surdités héréditaires, surdités brusques...). Dans ce cas, l'acupuncture ne donnerait pas de résultats probants. Soit, il s'agit d'acouphènes déclenchés par excès de peur ou de crainte. Ceux-ci semblent plus accessibles au traitement. Les points qui seraient utiles sont : siman (14R, point "ministériel"), taixi (3R, point Terre, yuan, shu), rangu (2R, point rong, Feu et point de départ du yinqiaomai). Fuliu (7 Rn) pourrait être efficace dans la peur de l'eau ou des inondations. Autres points possibles selon le contexte : shenshu (23V), mingmen (4DM), guanyuan (4RM), qihai (6RM)...

Les acouphènes d'origine Estomac

Le contexte clinique des acouphènes d'origine Estomac serait souvent évocateur : soit il existe une pathologie gastrique (ulcère...), soit une situation de vie que l'on a du mal à "digérer" : certaines injustices, contrariétés, stress... Les points possiblement efficaces : liangmen (21E, point "ministériel", serait plus indiqué dans les troubles organiques), shangguan (3VB, serait plus indiqué dans les situations psychologiques), gongsun (4Rte, point luo). Bulang (22Rn) pourrait être utilisé pour les patients indignés par l'injustice.

Les acouphènes d'origine Vésicule Biliaire

Les acouphènes d'origine Vésicule Biliaire surviendraient chez des patients hésitants, ayant des difficultés à la prise de décision. Il peut également exister un contexte de pathologie des voies bilaires. On pourrait penser à guanmen (22E, point "ministériel"), danshu (19V, point shu dorsal), qimen (14F), diwuhui (42VB).

Les acouphènes d'origine Vessie

Les acouphènes d'origine Vessie pourraient concerner des patients ayant des pathologies des liquides endolabyrinhiques, associées à des pathologies vésicales (cystites récidivantes). On peut alors songer à shuidao (28E, point "ministériel" de la Vessie).

Les acouphènes d'origine yinweimai

Certains méridiens curieux pourraient également être impliqués. Ainsi, les acouphènes d'origine yinweimai possèderaient d'autres symptômes associés tels des douleurs thoraciques cardiaques transfixiantes ou à type de "coups d'aiguilles", des céphalées mal systématisées, des symptômes pelviens... Il s'agit souvent de patients émotifs, ayant des difficultés à prendre leurs distances par rapport à leurs sentiments. Points pouvant être efficaces : zhubin (9R, point xi et point de départ du méridien), neiguan (6MC, point d'ouverture), gongsun (4Rte couplé à neiguan), dadun (1F), yutang (18RM).

Les acouphènes d'origine yangweimai

Les acouphènes d'origine yangweimai seraient, à l'instar des douleurs rhumatismales associées, sensibles à l'influence de la météorologie, et s'aggraveraient dès que le temps change (patients "baromètres"). Ces patients seraient très sensibles à l'atmosphère d'un groupe : un rien les blesse, ou au contraire, leur fait plaisir. Points possibles : waiguan (5TR, point d'ouverture), zulinqi (41VB, couplé à waiguan), fengchi (20VB, croisement avec le Méridien du Triple Réchauffeur), jinmen (63V, point xi). Kufang (14E) serait utile en cas de douleurs névralgiques ou de symptômes psychologiques.

Les acouphènes de type yinqiaomai

Il semblerait que les acouphènes de type yinqiaomai soient plus fréquents que ceux de type yangqiaomai, c'est pourquoi nous nous attarderons plus sur eux. Il existerait un contexte de phobies, repli sur soi, dépression. On peut également retrouver d'autres symptômes associés au yinqiaomai : symptômes pulmonaires (asthme, sensation de gorge serrée), urinaires et gynécologiques (incontinence, troubles utérins), douleurs sur le trajet du méridien (face interne des membres inférieurs). Les symptômes évolueraient de manière intermittente avec résurgence la nuit. Comme points possiblement utiles, citons zhaohai (6R, point d'ouverture), lieque (7P, couplé à zhaohai), rangu (2R, point de départ). Qihai (6RM) serait utile en cas de problèmes avec les parents dans l'enfance.

Les acouphènes de type chongmai

Le contexte des acouphènes de type chongmai est évocateur : individus immobiles, profondément fatigués moralement, physiquement, sexuellement, ayant perdu l'envie de "lutter". Il n'y a pas d'idées suicidaires et les symptômes sont souvent consécutifs à un changment de vie. Points possibles : gongsun (4Rte, point d'ouverture), neiguan (6MC couplé à gongsun), qichong (30E, point d'émergence à la surface du corps), guanyuan (4RM).

Les acouphènes de type renmai

Pour les acouphènes de type renmai, les patients adoptent souvent une présentation autoritaire, pleine d'aisance voire de vantardise. Ils donnent l'impression d'être à l'aise. Ils occultent souvent de nombreux détails de leur vie à l'interrogatoire. On pense surtout aux points sus et sous ombilicaux du méridien, ainsi que les points thoraciques, voire d'autres selon le contexte.

Les acouphènes de type dumai

Concernant les acouphènes de type dumai, on rencontre deux types de symptômes : d'une part, des symptômes vertébraux chez des sujets à l'attitude voûtée depuis l'enfance. Ces patients souffrent d'une absence de force physique et mentale (ils "ne se gouvernent pas"). D'autre part, une impossibilité à s'affrimer, à dire "je", avec des problèmes d'identité ou de dépression. Les points les plus utiles semblent être les points crâniaux et faciaux, voire d'autres selon le contexte.

Les acouphènes liés à la maladie de Ménière

D'autres étiologies peuvent aussi être évoquées, notamment la malaide de Ménière. En Médecine Traditionnelle Chinoise, elle est la plus fréquente des pathologies des liquides de l'oreille et n'existe pas en tant qu'entité morbide, car une distinction est faite entre les pathologies de l'"oreille-audition" (surdité et acouphènes) et celles de l'"oreille-équilibre", pathologie de l'endocrâne (vertiges). De plus, acouphènes et surdité sont vus comme deux stades évolutifs de la même pathologie ("boudonnements pouvant devenir surdité"). Xiaxi (43VB) et zuqiaoyin (44VB) comportent cette notion dans leur symptomatologie associée. Il est important de savoir l'ordre d'apparition des symptômes afin de savoir s'il s'agit d'une pathologie d'origine "oreille" ou d'origine "endocrâne". À noter la fréquente présence de signes "Rate" associés. De nombreux points pouraient être efficaces, ils dépendent du contexte clinique.

Les acouphènes des pathologies de l'endocrâne

Les pathologies de l'endocrâne regroupent une grande variété de contextes cliniques : troubles de l'intelligibilité avec ou sans presbyacousie, surdités héréditaires, surdités brusques, traumatismes sonores... De nombreux mécanismes physiopathologiques peuvent être évoqués : plénitude de yin ou de yang endocrânien, Vide de yin du Foie, stagnations, glaires, troubles des méridiens curieux... Les acouphènes sont souvent bilatéraux, décrit par le patient comme les "ayant dans la tête". On note souvent des signes nasaux ou orificiels associés. Les points sont sélectionnés selon le contexte, à noter une possible efficacité des points Fenêtre du Ciel sous la base du crâne dont fengchi (20VB) et tianzhu (10V) et de certains points crâniaux, notamment tongtian (7V) et luoque (8V).

Les acouphènes pulsatiles

Les acouphènes pulsatiles correspondent à des battements synchrones au pouls, et sont relatifs au Sang. Là encore, de nombreux mécanismes physiopathologiques peuvent être impliqués. Les points utilisés dépendent du contexte, à noter la relative efficacité de toulinqi (15VB), qui ferait circuler les Stases de Sang à la tête.

Les acouphènes lors des surdités brusques

Lors d'une surdité brusque, il est primordial, comme pour les acouphènes pulsatiles, d'effectuer les examens complémentaires adaptés afin d'éiminer une pathologie tumorale, ainsi que d'instaurer des traitements allopathiques d'urgence si nécessaire, notamment en raison du risque médico-légal. Notons les limites de l'acupuncture face à cette pathologie. Tianyou (16TR) aurait une relative efficacité, en tant que point Fenêtre du Ciel.

Les acouphènes des traumatismes sonores

Face à un traumatisme sonore, le contexte est souvent très évocateur. L'acupuncture est souvent peu efficace mais peut entraîner des améliorations des acouphènes dans certains cas. Il peut s'agir d'un blocage de la barrière "Crâne-Face" : chengguang (6V), shangguan (3VB), et xiaguan (7E), qui sont les points qui la constituent ; ou de symptômes Rate, endocrâniens...

Les acouphènes lors de la presbyacousie

La presbyacousie correspond à l'altération physiologique de l'audition liée à la sénescence. Des acouphènes sont souvent associés. Cela correspond à une origine "Endocrâne". Les points pouvant être utiles : xinhui (22DM, qui contrôle le Sang au niveau de l'endocrâne et de la tête, selon J.M. Kespi [28]), yanglao (6IG), baihui (20DM).

Les acouphènes des dysfonctions tubaires

Les acouphènes sur dysfonction tubaire surviennent souvent dans les suites d'une infection ORL et témoignent d'une otite séreuse. On retrouve souvent une sensation d'oreille bouchée. Dans ce cas, il faut effectuer la manoeuvre de Valsalva : si l'oreille se débouche, piquer tongziliao (1VB), sinon, piquer tinghui (2VB).

Les acouphènes avec symptômes "solaires" associés

Certains acouphènes se manifestent dans un contexte d'angoisse, avec sensation de "boule à l'estomac". Il s'agit des symptômes "solaires". Le contexte psychlogique est souvent semblable aux acouphènes de type Estomac. Les points possiblement utiles : juque (14RM, point mu du Cœur), taiyi (23E, "la terre du Cœur" selon Kespi), liangmen (21E, point "ministériel" de l'Estomac), shenmen (7C), yanggu (5IG), points thoraciques du renmai...

Autres étiologies

D'autres étiologies peuvent être évoquées, mais sont en général peu accessibles à l'acupuncture : otospongiose, surdité héréditaire à révélation tardive, barotraumatismes, fibromyalgie, acouphènes "béquille" (le malade ne peut vivre sans son symptôme), hallucinations auditives, maladie d'Alzheimer, neurinome de l'acoustique.

Essais comparatifs randomisés sur l'acupuncture dans le traitement des acouphènes

Maintenant, terminons par quelques mots sur les essais comparatifs randomisés (ECR) qui ont été réalisés sur le sujet des acouphènes. Ces essais comportent tous des biais, les principales critiques que l'on peut adresser portant sur des questions méthodologiques : biais de sélection (groupes sélectionnés hétérogènes, variabilité des critères d'inclusion et d'exclusion), diversité des protocoles employés (points utilisés, fréquence et nombre de séances, choix de l'acupuncture manuelle ou de l'électroacupuncture, choix ou non d'une acupuncture adaptée à chaque patient), choix des groupes contrôles (acupuncture placebo : critères utilisés discutables) [14]. La taille des effectifs, l'impossibilité du double aveugle atténuent la puissance statistique de même que l'impossibilité d'obtenir un placebo totalement inactif [15], et la nécessité que ce placebo reste crédible aux yeux des patients (nécessité de l'emploi d'une échelle de crédibilité du placebo telle l'échelle de Vincent [16]) posent également d'autres problèmes. De plus, actuellement, ces essais sont peu nombreux (environ dix à quinze résultats lors des recherches sur les bases de données sur les trente dernières années) [17-26]. Ainsi la dernière revue systématique concernant électroacupuncture et acouphènes a permis d’identifier cinq ECR (n=322) dont la qualité méthodologique montre aussi un risque élevé de biais de sélection et de performance [29]. De ce fait, il n’existe pas de preuve convaincante que l’électroacupuncture soit bénéfique dans les acouphène. Il est nécessaire de réaliser des ECR de haute qualité méthodologique et de plus grande puissance [30].

Conclusion

Il est donc, à notre époque, très difficile de conclure que l'acupuncture possède, ou non, des effets spécifiques dans le traitement des acouphènes. Il faudra que d'autres essais paraissent, que peut-être les normes méthodologiques des ECR évoluent ou qu'apparaissent des outils d'évaluation objective, ce qui impossible pour le moment dans l'état actuel des connaissances. Cependant, les résultats en pratique clinique, encourageants, indiquent que la Médecine Traditionnelle Chinoise est peut-être une voie d'avenir pour traiter ces symptômes.

 

 

Dr Alexandre Denis

237, rue Nationale, 59800 Lille

Tél : 03 20 54 71 17

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Conflit d’intérêt: aucun

 

 

 

 

Références

 

  1. Montain B. Du bruit dans les oreilles : les acouphènes. Ed Guy Tredaniel; 1997.
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