Du respect au bon usage des points interdits pendant la grossesse

La première notion enseignée par le Dr Christian Rempp dans le cadre d’une initiation à l’acupuncture obstétricale était celle des points contre-indiqués pendant la grossesse. Il insistait sur le fait que l’acupuncture n’était pas une médecine douce et que l’affirmation « l’acupuncture ne peut pas faire de mal » était fausse

La notion de points interdits s’impose au regard de la physiologie : la grossesse est une accumulation de yin dans le pelvis avec un certain équilibre de qi et de Sang.

L’accouchement qui est l’aboutissement de la grossesse est un mécanisme yang : le yin protecteur de la grossesse se transforme en yang ; ce mouvement vers le bas expulse le fœtus, le qi pousse le Sang et la porte de l’Utérus s’ouvre.

Le chapitre 47 du Suwen cité par B. Auteroche et P. Navailh  [1] dit « de ne pas endommager ce qui est en insuffisance et de ne pas avantager ce qui a du surcroît… Lorsqu’il y a un être dans le ventre, la dispersion donne issue à l’essence et le mal, régnant en maître sur l’organisme devient chronique ». Il ne faut pas nuire à l’équilibre yin/yang, Sang/Energie qui préside à chaque moment de la grossesse.

Si dans la littérature de nombreux points sont à éviter, nous nous sommes rendus compte que selon les auteurs certains pouvaient avoir une action tocolytique  (ils protègent la grossesse non à terme) ou ocytocique : il semblerait qu’ils ne déclenchent qu’en cas de grossesse à terme, ou arrêtée dans les fausses couches. Notre expérience dans le déclenchement du travail à terme ou en cas d’interruption thérapeutique de grossesse confirme ce point de vue : il n’est efficace qu’avec un score de Bishop supérieur ou égal à 7, ou quand la grossesse est arrêtée. Le Dr Jean-Marc Stéphan résume ces notions en parlant d’action cybernétique des points : leur action est variable en fonction des circonstances [2].

Nous avons voulu savoir quels points étaient réellement interdits. Seul un nombre limité de points est interdit dans pratiquement tous les atlas de points d’acupuncture : GI4, E12, E25, E36, Rte2, Rte6, V60, V67, VB21, VC4, VC5, VC9, VC10.

Le docteur Christian Rempp en particulier ne pratiquait pas tout à fait ce qu’il enseignait [3], et très prudent, il nous conseillait de nous abstenir d’une telle pratique dans un premier temps. En effet si les points non-contre-indiqués nous semblaient insuffisants, il valait mieux orienter la patiente éloignée du terme vers un acupuncteur expérimenté.

A noter qu’il se gardait bien de nous fournir une liste de ces fameux points, préférant nous orienter vers la littérature [4,5]. En 1990, dans la Revue Française de l’Acupuncture [6], il écrivait : « La femme enceinte est dans un état physiologique et pourtant inhabituel ; tout traitement par acupuncture doit la préserver d'un éventuel désordre énergétique qui pourrait mettre sa grossesse en péril. Les divers ouvrages et articles citent de nombreux points interdits pendant la grossesse, points qui ne sont pas toujours les mêmes selon les publications, ce qui peut susciter bien des angoisses chez le malheureux acupuncteur consulté par une femme enceinte. Par ailleurs, la grossesse peut s'accompagner de troubles qui s'échelonnent entre ce que de nombreux auteurs appellent les troubles physiologiques (les vomissements gravidiques par exemple), et les troubles les plus sévères, susceptibles de mettre en danger la vie de la mère ou celle de l'enfant, et ceci depuis le début de la grossesse jusqu'au terme. L'acupuncture intelligemment comprise doit trouver dans ces conditions un champ d'application des plus larges, même et surtout quotidienne au cabinet d'acupuncture ».

 

Cinq observations en particulier avaient attiré mon attention.

E36

 Une primipare enceinte de deux mois et demi consultait pour des nausées régulièrement accompagnées de vomissements. Le Docteur Rempp préconisait VC12, MC6 et Rn21 dans les nausées du premier trimestre, en nous déconseillant vivement d’autres points de la littérature tels E36 ou encore Rte4 qui étaient absolument contre-indiqués chez la femme enceinte, sauf à proximité du terme. Chez cette patiente, il a associé E36 aux trois points précédents. Devant mon regard perplexe, il s’est aussitôt justifié en m’expliquant que cette patiente était en Vide évident de Rate/Estomac, ce qui justifiait l’ajout du point E36 pour être suffisamment efficace. De plus, le qi remontait à contre-courant : nous n’étions pas en train de faire descendre le qi, mais de lui donner l’occasion dans le cadre de ce tableau clinique de s’abaisser physiologiquement.

 

 

V67

 Un autre exemple frappant concernant le V67 : ce point est indiqué pendant l’accouchement pour activer la descente fœtale, donc contre-indiqué pendant la grossesse ; or c’est également celui indiqué pour la malposition fœtale, que l’on puncture de préférence entre 32 et 35 SA, et non à terme. Le docteur Rempp l’associait au Rn9 protecteur de la grossesse pour prévenir l’apparition de contractions utérines. Il nous expliquait alors que le fait de chauffer l’aiguille amenait suffisamment de yang pour qu’à son apogée, il se retransforme en yin ; ainsi, son action se limite à placer la tête en bas (la tête, yang par rapport au siège yin est ainsi attirée vers le bas puisque le yang est appelé en bas). Pendant le travail, seul le yang est sollicité pour amener la tête vers le bas. Il serait donc dangereux de chauffer ce point pendant le travail (risque de brûlure) dans la mesure où la grossesse vient d’arriver à son terme, et que le yang n’est pas encore à son apogée pour redevenir yin protecteur de la grossesse : il ne pourra redevenir yin qu’après expulsion du fœtus. 

E44

 Dans le syndrome de Lacomme, il m’avait présenté E44 comme également contre-indiqué pendant la grossesse, et l’avait associé à Rn9 à 33 SA en m’expliquant que « shaoyin monte quand yangming descend ». Rn9 peut donc faire monter shaoyin si on ajoute E44 qui fait descendre yangming en rétablissant une circulation physiologique du qi antalgique : les deux effets sont contrebalancés et ne mettent pas la grossesse en péril.

 

F3

Lors d’une menace d’accouchement prématurée à 28 SA associée à une tension limite (14/9) dans le cadre d’une « grossesse précieuse » induite par FIV chez une primipare de 38 ans, il a choisi Rn9 et VC3 à l’aiguille dirigée vers le haut. A ma grande stupéfaction à l’époque, il avait ajouté le F3 qu’il m’avait enseigné en tant que « point qui fait lâcher le col, fortement contre-indiqué dans la grossesse ». Ce choix se justifiait par un pouls en corde évoquant une stagnation de qi du Foie. F3 en tonifiant le yin du Foie permettait en cela de retenir le yang en prévention d’une hypertension artérielle et de protéger la grossesse dans le cadre de ce tableau clinique.

 V60

 Un autre exemple lors de lombalgies de type taiyang de la grossesse : tandis qu’il nous présentait V60 comme contre-indiqué avant terme, il l’avait choisi à 32 SA chez une deuxième geste, associé à Rn9 pour « protéger la grossesse ». Il l’avait toutefois puncturé vers le haut pour ne pas « faire tomber le fœtus » en m’expliquant que comme il y avait trop d’Energie perverse xie qi à chasser, cela aurait pour effet de permettre à nouveau la circulation physiologique du qi et de calmer la douleur.

Aussi dans la pratique d’hier, en traitant en fonction du symptôme, les points supposés dangereux étaient rigoureusement évités. Aujourd’hui, l’expérience m’a incitée à m’intéresser à l’action physiologique du point plutôt qu’à son indication de symptômes, quitte à choisir un point interdit. Demain : les études actuelles semblent démontrer l’action cybernétique des points. Existe t-il dès lors des points interdits dans un contexte donné ?

Cette conclusion renvoie au champ d’application de la grossesse le plus large cher au Docteur Christian Rempp à qui je voulais rendre hommage. Cela ne signifie pas cependant que la prudence ne s’impose plus pendant la grossesse.

 

 


Mme Annabelle Pelletier-Lambert

Sage-femme

 « Les Myrtes » - Bâtiment A

15 avenue Roger Salengro, 83130 La Garde.

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Références

 

1. Auteroche B, Navailh P. Acupuncture en gynécologie et obstétrique. Paris: éd. Maloine;1986. 

2. Stéphan JM. Pathologies du premier trimestre de grossesse accessibles à l’acupuncture. Acupuncture et Moxibustion. 2008;7(3):256-262.

3. Rempp C, Bigler A. La pratique de l’acupuncture en obstétrique. Paris: éd. La Tisserande; 1992.

4. Macciocia G. Gynécologie et obstétrique en médecine chinoise. Bruxelles: éd Satas; 2001.

5. Salagnac B. Naissance et acupuncture. Bruxelles: éd. Satas; 1998.

6. Rempp C. et al. Suivre, traiter et préparer la femme enceinte. Revue Française d'Acupuncture. 1990;64:5-15.

 

 

Le XXIIIe Congrès d’acupuncture de l’AFERA

Le XXIIIe Congrès d’acupuncture de l’AFERA s’est déroulé à Nîmes les 21 & 22 mars 2014 sur le thème « La femme dans tous ses états ».

Devant une nombreuse assistance (190 inscriptions dont 80 sages-femmes), les orateurs ont fait partager leur expérience avec des communications pédagogiques et pratiques qui se sont succédé en un rythme bien dosé permettant un échange dynamique et fructueux (figure 1). 

 

Figure 1. L’amphithéatre du congrès de l’AFERA.

Le Docteur Fabrice Jordan débute ces journées en présentant une analyse des troubles de la Femme au cours de deux périodes de sa vie : au moment d’avoir des enfants et au temps de la ménopause.

Puis, le Docteur Sonia Barrucand illustre les variations émotionnelles de la femme en tant que manifestations du trouble du yin [] qui aboutit à une dé-structuration et à une dé-régularisation de celui-ci. Il faut alors harmoniser le yin [] en douceur : peu de points, séances régulières toutes les quatre semaines ; le Docteur Barrucand met en avant l’utilisation des points PO7 lieque ,RA10 xuehai(il « cajole le yin [] » !) et ES36 zusanli dans ces indications.

Le Docteur Jean-Pierre Giraud fait alors part de son expérience de la prise en charge des bouffées de chaleur de la ménopause ; il pose à l’assistance une question restée jusqu’à maintenant sans réponse : « Dans un certain nombre de cas observés, comment peut-on expliquer que la chaleur diffuse, à partir de la tête, vers le bas du corps ? ».

 

Le Docteur Edith Aussedat nous parle ensuite avec passion de la femme du signe astrologique (typologique) du Cheval (figure 2).   

 

Figure 2. Le Docteur Edith Aussedat en compagnie du Dr Taillandier.

 

Passionné lui aussi, par l’étude de la langue, le Docteur Bernard Verdoux présente une étude comparative de la sémiologie de la langue selon le sexe à partir de photographies de langues de 50 femmes et de 50 hommes choisis de façon aléatoire dans une population commune : les processus de Chaleur et les atteintes du Sang semblent plus fréquents chez la femme ; les processus de Froid et les atteintes des Liquides Organiques semblent plus fréquents chez l’homme.

Le Docteur Karine Aleido Remillet nous fait ensuite pénétrer dans le monde des migraines cataméniales où la dépression corticale envahissante, support de l’aura migraineuse évoluant sur le cortex occipital, évoque dans nos esprits la notion de Vent feng [] (figure 3).

Figure 3. Le Dr Aleido Remillet et l'aura migraineuse.

 

Monsieur Georges-Emmanuel Roth, sage-femme, présente les premiers résultats d’une étude sur l’incidence sur l’issue obstétricale de la pose d’un cathéter de péridurale au point DM4 mingmen   [], dans le Pôle de Gynécologie-Obstétrique les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg.

Le Docteur Bernard Desoutter nous parle ensuite du daimai [] et la femme ; puis le Docteur Philippe Pion précise l’intérêt de tonifier et mobiliser le qi [] pendant la grossesse.

Madame Catherine Laureaux Mérieux, sage-femme, présente alors son expérience de la moxibustion du point FO9 yinbao [] afin d’améliorer le bien-être du fœtus pendant la grossesse (troubles de la croissance) et au cours du travail (altération du rythme cardiaque notée au monitoring).

Le Docteur Hélène Roquere présente de façon très didactique la dynamique de l’accouchement ; elle rappelle qu’il y a une augmentation globaledu yin [] et du yang [] au cours de la grossesse et que l’étude de la température rectale est importante à étudier chez la femme enceinte, la chute de température étant essentielle pour initier la délivrance.

Puis le Docteur Jean-Baptiste Thouroude évoque, avec tact et humour, les troubles du désir chez la femme ; il insiste sur la prise en charge, en parallèle, du compagnon de celle-ci et, notamment, sur la prise en charge du futur père (figure 4).

 

 

Figure 4. Le Dr Jean-Baptiste Thouroude au micro avec à sa droite le Dr Lafont et à sa gauche le Dr Desoutter.

 

Pour terminer ces deux journées fort riches en informations et en partage, le Docteur Jean-Louis Lafont présente de manière claire et pratique les points de traitement de l’infertilité chez la femme, tout en insistant sur la stimulation, lors de la première partie du cycle menstruel, du point FO11 yinlian   [] dans cette indication.

Un rendez-vous est pris pour le XXIVe Congrès d’acupuncture de l’AFERA en 2015, année qui verra l’AFERA souffler ses quarante bougies !

 

Dr Jacques Covin

Président ASOFORMEC

' : 17270 Montguyon

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Conflit d’intérêts : aucun

 

 

 

 

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