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L’acupuncture au Vietnam, d’Halong à Cholon

 

Qu’il est loin le temps où le DLasserre décrivait avec étonnement les acupuncteurs de Cholon, autrefois ville jumelle de Saïgon et maintenant partie des 5ème et 6ème arrondissements de Hô-Chi-Minh-Ville. Avec des aiguilles transmises de père en fils, ces acupuncteurs chinois assis sur les talons à la mode asiatique, traitaient leurs patients installés de la même façon ou sur un petit tabouret, au coin d’un brasero sur lequel reposait une marmite remplie d’eau [1]. Pourtant en flanant dans le quartier chinois de Cholon qui en 1864 abritait six-mille Chinois, on découvre encore des scènes similaires où les Hoa (Vietnamiens d’origine chinoise) prospèrent le long des rues bordées de petits commerces et d’artisans. On y trouve ainsi à toute heure du jour et de la nuit un choix incroyable de marchandises y compris des produits de médecine chinoise. On peut même manger des en-cas dans les petites gargotes ornées de minuscules tabourets rouges en plein milieu de la rue, où les serveuses attendent patiemment le client. Négoce, mais aussi religion sont au centre de la vie spirituelle comme en témoignent les très nombreuses pagodes chinoises. Ainsi celle de Pho Mieu est un sanctuaire, situé au 710 de la rue Nguyên-Trai, dédié à la déesse Tien Hau pour qui on brûle les bâtonnets d’encens.

A ce jour, l’acupuncture s’est éloignée de la rue et a été intégrée dans les hôpitaux que ce soit au Nord à Hanoï, non loin de la fameuse baie d’Halong ou de celle d’Along terrestre de Tam Coc [2], soit au Sud à Hô-Chi-Minh-Ville dans l’hôpital polyvalent «Nguyên Tri-Phuong» dans le quartier de Cholon. Le Dr Tuy-Nga Brignol nous décrit bien dans son reportage les applications des traitements d’électroacupuncture souvent invasifs dans un service de Médecine Traditionnelle et de Réadaptation. Le point commun à ces deux centres séparés par la route de près de 1800 km est que les protocoles ont été élaborés par le Pr Nguyên Tai-Thu, sommité de l’acupuncture. Déjà en 1982, il nous apprenait dans son « Histoire de l’acupuncture vietnamienne » [3] que le Vietnam est un des pays d’Asie où apparut précocément la pratique de l’acupuncture, dès la période Hong-Bang (2879-258 AEC), qui se rapproche de l’une des périodes du néolithique dont nous parle Pierre Dinouart-Jatteau dans son article.  

 

Jean-Marc Stéphan

Références



1. Lasserre. L’acupuncture à Cholon. Bulletin de la Société d'Acupuncture. 1957;23:19-21. 

2. Moal P. Acupuncture à Hanoï. Proceedings of the 13ème Congrès national d'Acupuncture de la FA.FOR.MEC : le Mouvement; 27 et 28 Novembre 2009; Lille, France; 2009. Available from: URL: http://www.acupuncture-medicale.org/faformec%20lille.

3. Nguyen Tai Thu. Histoire de l’acupuncture vietnamienne. Méridiens. 1982;59-60:83-90. 

 

 

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Yanagiya Sorei et la Keiraku chiryo

Yanagiya Sorei (1906-1959), photographié devant un temple japonais en 1948 est le fondateur de l’école Keiraku chiryo, encore dénommée thérapie méridienne japonaise. Il s’agit d’un mouvement de «retour aux Classiques » par la pratique clinique moderne [1]. La thérapie méridienne qu’il a créée et développée au Japon à la fin des années 1920, s'appuie sur le Huangdi neijing (dont vous découvrez dans ce numéro le Lingshu 1.1 traduit et analysé par Ernesto Nastari-Micheli, ainsi que la recension de son ouvrage) mais surtout sur le Nanjing, le Classique des difficultés. Elle a pour but de diagnostiquer une atteinte des Cinq Phases (Terre, Métal, Eau, Bois et Feu) grâce à la sphygmologie et le diagnostic abdominal (hara). La palpation des pouls au niveau des six loges du poignet correspondant aux douze méridiens principaux est essentielle au diagnostic. L'objectif est la régulation du qi dans le Méridien atteint.

La sphygmologie du Keirakuchiryo est comme pour celle de George Soulié de Morant décrite plus tardivement dans ses ouvrages [2,3], un élément central du diagnostic, « base unique de la thérapeutique [4]» qui a pour but fondamental de rééquilibrer les pouls. La puncture superficielle des points recherchés par une palpation soigneuse et précise avec des aiguilles guidées très fines permet ensuite le traitement du déséquilibre de la « racine » qui doit précéder le traitement de la « brindille » symptomatique. On doit même en cours et fin de séance objectiver le changement dans la palpation du pouls ou dans le hara. Il faut noter que l’examen de la langue ne fait pas partie des éléments de diagnostic, comme dans la médecine chinoise et que la palpation à la recherche du point d’acupuncture revêt une importance considérable, car celui-ci peut avoir une situation variable [5]. La technique des quatre aiguilles autorise la régulation « énergétique » par l'utilisation du cycle de domination (ke) et celui d’engendrement (sheng), en fonction de la règle Mère-Fils selon la 69ème difficulté du Nanjing. Soit on tonifie, soit on disperse un élément selon la Loi des Cinq Eléments [6,7]. Une autre possibilité de traitement est juste d’utiliser le point Source du Méridien en déficience. Après l’insertion de l’aiguille, l’acupuncteur vérifie le pouls pour observer un éventuel changement positif. Si la réponse est inadéquate, on puncture le point de tonification ou on revient à la technique des quatre aiguilles.

Il est indéniable comme le fait remarquer Johan Nguyen [3] et dont vous lirez la recension de son ouvrage en fin de revue, qu’il existe de nombreuses similitudes entre l’acuponcture française de Soulié de Morant et l’acupuncture japonaise du Keiraku chiryo. D’ailleurs, il est à noter que Yanagiya Sorei fut reçu en France par le Dr André Duron, membre de l’Association Scientifique des Médecins Acupuncteurs de France (ASMAF), émanation des élèves de Soulié de Morant. Il a observé de ce fait la pratique européenne de l’acupuncture et écrivait d’ailleurs : « En Europe, j’ai remarqué une tendance à vouloir voir dans l’acupuncture et la moxibustion quelque chose de mystique. Mais en réalité elles n’ont aucun rapport avec un mysticisme. L’aspect parfois mystérieux de ces disciplines vient de ce que l’être «  vivant » qu’est l’homme auquel elles sont appliquées, est encore loin d’être dépourvu de tout mystère. Ainsi ces disciplines elles-mêmes qui n’ont rien de mystérieux en leur essence peuvent et doivent être l’objet d’études proprement scientifiques.»[5]. Tout un programme qui peut expliquer notre dualité et penser que la Tradition permet à la Modernité de se construire !

 

Jean-Marc Stéphan


1. Stéphan JM. Abrégé de l’histoire de la médecine chinoise. Acupuncture & Moxibustion. 2011;10(2):138-146.

2Soulié de Morant G. Précis de la vraie acuponcture chinoise. 1ère éd. Mercure de France; 1934.

3Soulié de Morant G. L’Acuponcture Chinoise. Tomes I et II. 1ère éd. Mercure de France; 1939-1941.

4. Nguyen J. La réception de l'acupuncture en France - Une biographie revisitée de George Soulié de Morant (1878-1955). Paris: L'Harmattan; 2012.

5Yanagiya Sorei, trad. Mori A. Les points de puncture dans la médecine chinoise, leur nombre et leurs fonctions. Bulletin de la Société d'acupuncture; 1956;21:18-20.

6. Stéphan JM. Traitement informatique de la théorie des Zi Wu Liu Zhu associée à celle des points saisonniers. Application aux techniques thérapeutiques des Jing Jin, des Jing Bie et à la méthode de Yanagiya Soreï. Méridiens. 1991;93,15-63.

7Duron A. Essai sur l’utilisation pratique des points des 5 éléments selon l’ouvrage de Maître Honma. Bulletin de la Société d'Acupuncture. 1961.42:21-54.

 

 

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