Etat de l’évaluation de l’acupuncture en rhumatologie en 2015

Evaluation de l’acupuncture

 

 

 

 Objectifs

 Nous proposons dans cet article une actualisation de notre précédent travail concernant un état de lieux de l'évaluation de l'acupuncture dans le domaine de la rhumatologie [Goret 2007]. Il s'agit d'identifier dans la littérature médicale l'ensemble des revues structurées comportant les quatre critères suivants :

1.      recherche bibliographique explicite ;

2.      évaluation de la qualité méthodologique des essais inclus ;

3.      inclusion et analyse distincte des essais contrôlés randomisés (ECR) ;

4.      terme “acupuncture” ou équivalent dans le titre de la publication, ou apparaissant explicitement dans les conclusions.

Une revue structurée est une revue de la littérature qui annonce clairement ses objectifs, outils ou méthodes et qui procède selon une méthodologie explicite et reproductible. Il en existe deux types : la synthèse méthodique et la méta-analyse (qui comporte l’analyse quantitative statistique des données des essais inclus). Les revues structurées constituent le plus haut niveau de preuve pour une thérapeutique donnée [Gerlier 2004].

 

Résultats

 Au 1er janvier 2016 nous avons répertorié un total de 73 publications dans le domaine de la rhumatologie.  Les revues sont décrites en détail dans le tableau IV classé par pathologies. Il est rapporté pour chacune de ces revues le support de publication et son impact factor, les comparaisons effectuées et le nombre d'ECR par comparaison, l'échelle utilisée pour l'évaluation de la qualité méthodologique des essais et le pourcentage d'essais de haute qualité, les conclusions formulées par les auteurs. Nous avons choisi d'utiliser un système de cotation à 4 niveaux de ces conclusions afin de pouvoir rendre compte plus facilement de l'état de l'évaluation dans les différentes pathologies (tableau I). Ces cotations figurent ainsi dans le tableau de synthèse (tableau II) et à la suite des conclusions des auteurs dans le tableau descriptif (tableau IV).

 Tableau I. Cotation des conclusions des auteurs des revues méthodiques. 

☆☆☆

Recommandation de l'acupuncture dans l'indication, effet spécifique mis en évidence

☆☆

Données et conclusions en faveur d'une recommandation de l'acupuncture dans l'indication

Données positives mais quantitativement ou qualitativement insuffisantes

Absence de données ou données négatives ou données contradictoires

 

Tableau II. Tableau de synthèse.

 

Pathologie

Auteurs

Nbre

ECR

Nbre

patients

Conclusions

Douleurs

musculo-squelettiques

Law 2015 (laser-acupuncture)

49

2360

☆☆

Lee 2008 (venin d'abeille)

11

877

☆☆☆

Tough 2008 (trigger points)

7

564

Fibromyalgie

Yang 2014

9

523

☆☆

Cao 2013

16

1081

☆☆

Deare 2013

9

395

Wang 2011

6

323

☆☆

Cao 2010

20

1015

☆☆

Langhorst 2010

7

385

Mayhew 2006

5

316

Ø

Sim 2002

1

70

Berman 1999

3

149

Arthrose

Manyanga 2014

12

1963

☆☆

Manheimer 2010

16

3498

☆☆

Kwon 2006

18

1981

☆☆☆

Ernst 1997

13

497

☆☆

Polyarthrite rhumatoïde

Sun 2014 (moxibustion)

8

494

Choi 2011 (moxibustion)

4

347

Lee 2008

8

1002

Ø

Casimoro 2002

2

84

Ø

Arthropathie goutteuse

Lee 2013

10

852

☆☆

Epicondylalgie

Tang 2015 (fonction articulaire)

4

309

Ø

Gadeau 2014

19

1190

☆☆☆

Chang 2014

9

527

☆☆

Buchbinder 2007

5

nd

Bisset 2005

4

148

☆☆☆

Trinh 2004

6

282

☆☆

Green 2002

4

239

Ø

Epaule douloureuse

Dong 2015 (impingement syndrome)

2

516

☆☆

Wang 2015

9

 

☆☆

Vickers 2012

4

564

☆☆

Green 2005

8

525

Grant 2004

1

52

☆☆

Michener 2004

2

73

Johansson 2002 (syndrome sous-acromial)

1

52

☆☆

Epaule gelée

Peng 2007

6

608

☆☆

Cervicalgies et lombalgies

Smith 2000

13

537

Ø

Cervicalgies

Yuan 2015

23

1717

☆☆

Kan 2013 (aiguille scalpel)

13

1419

☆☆

Graham 2013

12

1157

☆☆

Moon 2013 (whisplash syndrome)

6

348

☆☆

Vickers 2012

5

3488

☆☆☆

Wang 2011 (acupuncture abdominale)

8

909

non interprétable

Fu 2009

14

4249

☆☆

Trinh 2007

10

661

Kjellman 1999

4

130

Ø

White 1999

14

722

Ø

Lombalgies 

Yuan 2015

42

7488

☆☆☆

Hu 2014

56

6616

☆☆

Xu 2013

13

2678

☆☆

Lam 2013

25

6078

☆☆☆

Vickers 2012

10

4932

☆☆☆

Hutchinson 2012

7

5609

☆☆

Yuan 2008

22

6359

☆☆

Manheimer 2005

33

2310

☆☆☆

Furlan 2005

35

2861

☆☆☆

Ernst 2002

12

629

☆☆

Strauss 1999

4

nd

Ø

Van Tulder 1999

11

544

Ernst 1998

12

629

☆☆

Lombalgies aigues

Lee 2013

11

4249

☆☆

Hernie discale lombaire

Li 2015 (aiguilles chaudes)

15

1146

☆☆

Luo 2005

10

1265

☆☆

Sciatique

Ji 2015

12

1842

☆☆

Qin 2015

11

962

☆☆

Luijsterburg 2007

1

30

Coxarthrose

Kwon 2006

3

144

Genou douloureux

Hou 2015

12

2535

☆☆

Corbett 2013

22

2167

☆☆☆

Cao 2012

14

3835

☆☆☆

Vickers 2012

9

2713

☆☆☆

Manheimer 2010

13

3360

☆☆☆

Manheimer 2007

9

2821

☆☆☆

White 2007

13

2362

☆☆☆

Bjordal 2007

7

933

☆☆

Kwon 2006

14

1735

☆☆☆

Fernandez 2002

4

230

Ezzo 2001

7

393

☆☆

Entorse de la cheville

Park 2013

17

1820

Talalgie

Clark 2012

5

249

☆☆

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Commentaires

73 publications sont répertoriées soit 43 supplémentaires par rapport à 2007. Ces publications concernent 17 pathologies contre 10 en 2007, soit 7 pathologies nouvelles : douleurs musculo-squelettiques, arthropathie goutteuse, épaule gelée, lombalgie aiguë, hernie discale lombaire, talalgie et entorse de la cheville. Les revues de Vickers 2012 et de Kwon 2006 portent sur plusieurs pathologies (cervicalgies- épaule douloureuse – cervicalgies – lombalgies - genou douloureux pour Vickers 2012 et arthrose – coxarthrose - gonarthrose pour Kwon 2006) mais dont les données sont analysées de façon distincte. Inversement la revue de Smith 2000 porte sur un ensemble cervicalgies- lombalgies dont les données ne peuvent être dissociées. 

En comptabilisant pour chaque pathologie le nombre d'ECR inclus dans la synthèse la plus complète, les données 2015 sont basées sur un total de 252 ECR contre 104 en 2007.  Le nombre d'ECR recensés dans notre base de données Acudoc2 (www.acudoc2.com) dans le domaine de la rhumatologie était 1691 en 2015 et de 981 en 2007.  C'est-à-dire que les revues structurées n'analysent que 15 % des données disponibles. Cela est lié à plusieurs facteurs :

- le champ des pathologies couvert par les ECR est naturellement plus large que celui des revues ;

- la non-inclusion pour des raisons pratiques des essais en langues asiatiques ;

- l'exclusion dans beaucoup de revues de la comparaison de deux techniques d'acupuncture (acupuncture versus acupuncture, voir tableau IV, colonne "comparaisons"). Cette exclusion que l'on n'observe pas dans l'évaluation des médicaments (par exemple comparaison de deux AINS) est un biais significatif dans l'approche de l'évaluation de l'acupuncture [Nguyen 2015].

Le pourcentage d'essais de haute qualité inclus a baissé (46% contre 69%). Cette baisse s'explique par l'apparition de revues structurées réalisées par des équipes chinoises qui incluent des essais chinois plus ou moins anciens et de moindre qualité méthodologique. Comme nous l'avons vu, ces essais n'étaient que rarement pris en compte avant 2007 car d'accès plus difficile.  

Sur l'ensemble des données récentes, on peut faire état de conclusions concordantes (au moins deux revues récentes de moins de 5 ans) favorables à l'acupuncture (☆☆) dans la fibromyalgie, l'arthrose, l'épicondylite, l'épaule douloureuse, les cervicalgies, les lombalgies et sciatiques, le genou douloureux.  Un effet spécifique versus acupuncture factice (☆☆☆) est mis en évidence dans des revues concordantes (au moins deux revues récentes de moins de 5 ans) dans l'épicondylalgie, les lombalgies et le genou douloureux.

Ces données sont pour le moins équivalentes sinon supérieures à nombre de thérapeutiques usuelles dans le champ conventionnel de la rhumatologie. Elles ne sont pourtant pas prises en compte dans les recommandations des sociétés savantes correspondantes.  C'est ainsi que dans le traitement du genou douloureux alors que l'acupuncture dispose d'un ensemble solide de données mettant en évidence une efficacité spécifique, l'OARSI (Osteoarthitis Research Society International) conclut à une efficacité "incertaine" et exclut l'acupuncture de ses recommandations [Mcalindon 2014].  On observe la même distorsion et inégalité dans l'analyse des données par rapport aux autres thérapeutiques dans les recommandations relatives à la prise en charge de la migraine de la SFEMC (Société française d’étude des migraines et des céphalées [Lanteri-Minet 2013]. Ce problème se retrouve sur un plan plus général dans le rapport de l'INSERM sur l’"Évaluation de l’efficacité et de la sécurité de l’acupuncture" [Barry 2014]. Cela doit amener les médecins acupuncteurs à une réflexion sur les raisons tant internes qu'externes de cet état de fait et sur les réponses à apporter [Nguyen 2015].  

Par rapport à 2007, nous observons l'apparition de revues structurées portant spécifiquement sur des techniques particulières d'acupuncture (acupuncture étant considéré comme le terme générique) : évaluation de la moxibustion [Coi 2011, Sun 2014, Gadeau 2014], des aiguilles chaudes [Li 2015], de la laser-acupuncture [Chang 2014, Law 2015], de l’acupuncture abdominale [Wang YW 2015], des points ashi ou des triggers points [Tough 2008, Wang KF 2015], de l'aiguille-scalpel [Kan 2013] ou encore de la chimiopuncture au venin d’abeille [Lee MS 2008].

 Tableau III. Evolution des données : tableau de synthèse comparatif des revues méthodiques  incluses par rapport à 2007.

 

 

2007

2015

Nombre de revues méthodiques

30

73

Nombre de pathologies

10

17

Nombre d’ECR

104

252

Pourcentage ECR haute qualité

69%

46%

Impact Factor moyen

3,49

2,92

Pourcentage de revues cotées ☆☆☆

20%

21%

Pourcentage de revues cotées ☆☆

37%

48%

Pourcentage de revues cotées

13%

18%

Pourcentage de revues cotées

30%

13%

Nombre de pathologies avec au moins deux  revues cotées  à ☆☆☆ ou ☆☆

5

10

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

           

 

 

 

 Dr Olivier Goret,

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  Dr Johan Nguyen. 

* : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

 

Pourquoi y-a-t-il encore une médecine traditionnelle chinoise et plus de physique traditionnelle chinoise ?

 

Il s’est construit en France le mythe d’une médecine chinoise qui serait une sorte d’antithèse de la médecine occidentale. Ce mythe s’est largement implanté ensuite dans le monde occidental. La conséquence principale est une disjonction avec la science et la fabrication d’un discours fondé sur le présupposé d’une altérité fondamentale, la médecine chinoise étant irrémédiablement ancrée dans l’écriture, la langue et la pensée chinoise. Cette culturisation et déscientifisation ouvre largement la voie à une emprise ésotérique[1]. Un glissement de sens est opéré entre la « médecine traditionnelle chinoise » (MTC) et les « médecines traditionnelles », puis vers les « sciences traditionnelles ». Le glissement se fait sur le terme « tradition » qui dans les trois expressions a des sens différents. Dans MTC, « tradition » est utilisé dans un sens neutre de simple continuité historique[2], dans « médecines traditionnelles » il implique une césure avec la modernité occidentale[3] et dans « sciences traditionnelles » il fait directement référence aux sciences ésotériques et occultes comme l'astrologie, l'alchimie ou encore la magie[4]. Ces « sciences traditionnelles », image inversée de la science moderne n’ont en tant que telles aucune réalité historique ou philologique en Chine comme en Occident[5]. La médecine chinoise est ainsi amalgamée dans une construction ésotérique occidentale.

 La tradition scientifique chinoise

 Il est très largement établi que la Chine ancienne a produit un important corpus scientifique dans tous les domaines (mathématique, astronomie, physique, chimie, botanique, médecine…) qui avait globalement atteint un niveau plus élevé que l'Occident[6]. Ce n'est qu'à partir des 17e – 18e siècles, moment où se produit en Europe la révolution scientifique, que dans les différentes disciplines l'Occident rattrape et dépasse la Chine[7]. Une « société traditionnelle » comme celle de la Chine ancienne a donc produit sur la nature, tout comme l'Occident, un important corpus savant de données empiriques[8] très éloigné de ce qui est décrit comme étant les « sciences traditionnelles » ésotériques. Le savant chinois, comme le savant occidental, observe, questionne, décrit, classe, analyse, dénombre, calcule, pèse, mesure, énonce, rectifie, critique, théorise, expérimente, débat, découvre, invente …  Une même rationalité est à l'œuvre[9].

On peut alors se poser la question de savoir pourquoi, dans l'ensemble des sciences chinoises, la médecine est la seule pour laquelle est affirmée une différence de nature, une altérité ou une incommensurabilité[10] par rapport à son équivalent occidental ? Il n’y a pas un astronome, un physicien ou un botaniste qui se réclamerait d’une astronomie, d’une physique ou d’une botanique chinoise traditionnelle inscrite dans la culture, la langue et la pensée chinoise et d’une altérité irréductible par rapport à leurs équivalents modernes, il n’y a plus que des médecins.

Les énoncés astronomiques, physiques ou botaniques traditionnels chinois ont simplement été incorporés dans la science universelle ou ont été éliminés au profit d'autres plus pertinents. C’est ce que Joseph Needham exprime par sa célèbre métaphore de la rivière de la science chinoise se jetant dans l’océan de la science moderne[11]. Historiquement, Needham décrit ainsi pour chaque discipline un point de dépassement, moment où l’Europe dépasse la Chine et un point de fusion moment où les versions chinoises et européenne d’une discipline ne font plus qu’une[12] (Figure 1). Si le point de fusion a été très rapidement atteint, en quelques décennies, pour les sciences fondamentales[13], il est plus tardif pour la botanique et, à l’évidence, n’a pas encore été atteint en médecine. C’est ce qui donne cette illusion d’altérité et d’incommensurabilité dans laquelle va se nicher l’ésotérisme.

Notons que la fusion des mathématiques, physique et astronomie se fait indépendamment de la pression impérialiste occidentale qui, bien sûr, n’existait pas à ce moment et qu’elle est menée par les savants chinois eux-mêmes. Karine Chemla observe ainsi que pour les mathématiques « il y a bien synthèse en Chine dès ce début de XVIème siècle, mais c'est le fait des Chinois »[14]. Loin de se sentir non concernée par les sciences occidentales ou de se réfugier derrière une altérité fondamentale, une communauté savante chinoise procède à une analyse critique et rationnelle pour progressivement aboutir à une fusion. Le même processus est enclenché par les médecins chinois dès la rencontre sur le terrain avec la médecine occidentale au XIXe siècle, constituant l’École de convergence sino-occidentale (Zhongxi huitong pai). À l’opposé d’être une soumission à l’Occident ou une réponse à une injonction politique du régime maoïste, la « scientifisation » de la médecine chinoise est un processus rationnel interne mené par une communauté savante tournée vers la réalisation de ses objectifs professionnels[15]

La particularité de la médecine

 Comme l'observe Needham, qui était biologiste, si la fusion n'a pas encore eu lieu en médecine c'est du fait de l'extrême complexité des phénomènes du vivant[16]. La fusion entre sciences chinoises et sciences occidentales s’effectue lorsqu’un consensus peut être établi au sein de la communauté savante. Cela a à voir avec la notion de preuve, et si la preuve est relativement facile à concevoir et à élaborer en astronomie ou en physique dans la précision de la prévision d’un phénomène, c’est autrement plus complexe en médecine. La médecine expérimentale ne s’établit que dans la deuxième moitié du XIXe siècle (Claude Bernard 1865). Les outils des neurosciences, essentiels dans la compréhension de l'acupuncture, tout comme les modalités de preuve en thérapeutique avec l’Evidence-Based Medicine n'apparaissent que dans le dernier quart du XXe siècle. Ces décennies marquent le passage d’une science jusque-là essentiellement spéculative quant à une analyse des phénomènes induits par l'acupuncture à une science véritablement expérimentale. Notons que c'est aussi le moment où s’affirme très ouvertement en France une acupuncture ésotérique antimoderne[17].

 La résurgence d’un ancien débat interne à la médecine occidentale

 En 1865, dans son « Introduction à l'étude de la médecine expérimentale », Claude Bernard s'interroge sur le fait que la méthode expérimentale soit développée dans toutes les sciences de la nature et non à ce moment-là en médecine et en biologie. Claude Bernard évoque pour ce retard, tout comme Needham pour la médecine chinoise, l'extrême complexité des phénomènes du vivant et le fait que d'un point de vue expérimental, la médecine est fortement dépendante des progrès des disciplines fondamentales. Mais Claude Bernard avance aussi le fait que la médecine concerne l’homme et ses croyances avec des implications idéologique et religieuses qui interfèrent fortement et parasitent le savoir scientifique. La biologie, la science de la vie, se trouve sur un terrain déjà occupé par la pensée religieuse et métaphysique qui oppose une forte résistance à la mise en question de ses dogmes. La médecine chinoise est en fait confrontée au même débat que la médecine européenne au XIXe siècle, celui de l’introduction de la méthode expérimentale telle qu’elle a été formulée dans les autres sciences. Ce sont les mêmes forces qui, à l'époque, s'y opposaient au nom d’un point de vue métaphysique sur la vie et l'homme qui, en Occident, se réinvestissent dans la médecine chinoise sous le couvert d'une altérité irréductible de la tradition.

 

 

 

Dr Johan Nguyen

192 chemin des cèdres

83130 La Garde

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Figure 1. « Schéma montrant les rôles respectifs de l'Europe et de la Chine dans le développement de la science œcuménique » (Needham J. Dialogue des civilisations Chine-Occident. Pour une histoire œcuménique des sciences. Paris: Éditions la Découverte. 1991. Page 293). Les point de dépassement (T) sont les moments où pour chaque discipline l’Europe dépasse la Chine et les points de fusion (F) les moments où les contenus des disciplines dans leur version chinoise et européenne d’une discipline ne font plus qu’un.  À partir de 1610 l’astronomie occidentale dépasse l’astronomie chinoise, la fusion se réalise en 1640, soit un écart de 30 ans entre dépassement et fusion.  On peut discuter les dates ou les notions elles-mêmes, mais il reste l’évidence centrale d’une convergence et d’une fusion des sciences occidentales et chinoises.

 

 

 

 

[1]. Nguyen J. Rompre avec le discours ésotérique dans notre champ professionnel : un impératif éthique. Acupuncture & Moxibustion. 2017;16(1-2):67-78.

[2]. Le terme couramment admis de « médecine traditionnelle chinoise » apparait pour la première fois en anglais dans un article du Chinese Medical Journal de 1955 pour désigner le corpus de savoirs et de pratiques de la médecine chinoise alors en cours d'institutionnalisation (Fu Lien-Chang. Why our western-trained doctors should learn traditional Chinese medicine. 1955;73(5):363-7). L'historien chinois Ma Kan-Wen est considéré comme le créateur de l’expression (Jewell JA, Hillier S. Kan-Wen Ma. BMJ. 2017. 356:j810). Le sens donné à « traditionnelle » est très éloigné d’un sens ésotérique.

[3]. Les « médecines traditionnelles » font référence à un point de vue anthropologique, ethnologique et sociologique et non à un questionnement médical et scientifique.

[4]. Faivre A. L'ésotérisme. Paris: PUF. 2007. Pages 98-101.

[5]. La discussion est classique par exemple dans l’évolution de l’alchimie vers la chimie. La chimie n’est pas l’antithèse, l’image en miroir de l’alchimie, elle en est le produit (Joly B. La frontière des sciences. Les Nouvelles d'Archimède. 2008;47:6-7).

[6]. L’œuvre de Joseph Needham, Science and Civilisation in China (1952-2003) est bien sûr centrale dans la mise en évidence de ce corpus scientifique.

[7]. Ce qui conduit à la « Grande question » de Joseph Needham : alors que les sciences chinoises étaient plus développées que leurs équivalents européens à l’époque médiévale, pourquoi la science moderne a-t-elle émergé en Occident et non en Chine ?

[8]. Dans le sens de « fondées sur l’expérience ».

[9]. « Le point de vue adopté ici suppose, cela va de soi, l’égalité de tous les hommes pour l’investigation des phénomènes naturels, la maitrise par tous d’un langage universel qui participe de l’œcuménisme de la science moderne et la reconnaissance que les sciences de l’Antiquité et du Moyen Age (malgré des traits culturels évidents) étaient concernées par le même monde physique que le nôtre, et, par conséquent peuvent être incluses dans la même philosophie naturelle œcuméniques. Needham J. Dialogue des civilisations Chine-Occident. Pour une histoire œcuménique des sciences. Paris: Éditions la Découverte. 1991. Page 296.

[10]. L’incommensurabilité est le fait pour deux réalités d'être sans rapport entre elles, d'être de nature différente. En épistémologie, le terme d'incommensurabilité est utilisé pour décrire le statut de deux paradigmes appliqués à une même science et dont la comparaison est impossible en raison de différences fondamentales dans leurs structures et les schèmes de pensée qu'ils introduisent.

[11]. « Par quelle métaphore décrire la manière dont les sciences médiévales de l'Occident et de l'Orient ont été subsumées en science moderne ? L'image qui vient naturellement à l'esprit de ceux qui travaillent dans ce champ est celle des fleuves et de la mer. Selon une vieille expression chinoise, « les fleuves font la cour à la mer », et l'on peut effectivement considérer les courants scientifiques anciens des diverses civilisations comme des fleuves se jetant dans l'océan de la science moderne. Celle-ci s'est constituée grâce aux apports de tous les peuples de l'Ancien Monde, a été sans cesse irriguée par eux, qu'il s'agisse de l'Antiquité grecque ou romaine, du monde arabe, ou des cultures de la Chine et de l'Inde ». Needham J. Ibid.  Traduit de Clerks and Craftsmen 1970.

[12]. Ce qu’il appelle la science œcuménique, science universelle.

[13]. « La fusion des mathématiques, de l'astronomie et de la physique d'Occident et d'Orient s'est opérée très vite après la rencontre des deux cultures. Dès 1644, à la fin de la dynastie Ming, on ne distinguait plus de différence sensible entre Chine et Europe dans ces domaines ; la coalescence était parfaite ». Needham J. Ibid.  Page 294.

[14]. Chemla K. Que signifie l'expression de "mathématiques européennes" vue de Chine ? in L'Europe mathématique, Goldstein C, Gray J Et Ritter J. Paris: Éditions de la Maison de l'homme. 1996:219-45.  

[15].  Anne Fagot-Largeault note que « l’émergence d’une médecine scientifique est un processus inhérent au développement de la médecine elle-même » (Fagot-Largeault A. L’émergence de la médecine scientifique. Paris: Éditions Matériologiques. 2012).  Il n’y a pas lieu de considérer que la médecine chinoise serait, on ne sait trop pourquoi, exclue du processus.

[16]. « On pourrait être tenté d’en déduire de tout cela et d’une façon tout à fait empirique une « loi d’oecuménogénèse » [d'universalité] établissant que, plus une science a pour objet la vie, plus la complexité des phénomènes auxquels elle s’intéresse est grande, plus l’intervalle entre le point de dépassement et de fusion est important Needham J. Ibid. page 294.

[17].  Nguyen J. 2017 ibid.

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