Du respect au bon usage des points interdits pendant la grossesse

La première notion enseignée par le Dr Christian Rempp dans le cadre d’une initiation à l’acupuncture obstétricale était celle des points contre-indiqués pendant la grossesse. Il insistait sur le fait que l’acupuncture n’était pas une médecine douce et que l’affirmation « l’acupuncture ne peut pas faire de mal » était fausse

La notion de points interdits s’impose au regard de la physiologie : la grossesse est une accumulation de yin dans le pelvis avec un certain équilibre de qi et de Sang.

L’accouchement qui est l’aboutissement de la grossesse est un mécanisme yang : le yin protecteur de la grossesse se transforme en yang ; ce mouvement vers le bas expulse le fœtus, le qi pousse le Sang et la porte de l’Utérus s’ouvre.

Le chapitre 47 du Suwen cité par B. Auteroche et P. Navailh  [1] dit « de ne pas endommager ce qui est en insuffisance et de ne pas avantager ce qui a du surcroît… Lorsqu’il y a un être dans le ventre, la dispersion donne issue à l’essence et le mal, régnant en maître sur l’organisme devient chronique ». Il ne faut pas nuire à l’équilibre yin/yang, Sang/Energie qui préside à chaque moment de la grossesse.

Si dans la littérature de nombreux points sont à éviter, nous nous sommes rendus compte que selon les auteurs certains pouvaient avoir une action tocolytique  (ils protègent la grossesse non à terme) ou ocytocique : il semblerait qu’ils ne déclenchent qu’en cas de grossesse à terme, ou arrêtée dans les fausses couches. Notre expérience dans le déclenchement du travail à terme ou en cas d’interruption thérapeutique de grossesse confirme ce point de vue : il n’est efficace qu’avec un score de Bishop supérieur ou égal à 7, ou quand la grossesse est arrêtée. Le Dr Jean-Marc Stéphan résume ces notions en parlant d’action cybernétique des points : leur action est variable en fonction des circonstances [2].

Nous avons voulu savoir quels points étaient réellement interdits. Seul un nombre limité de points est interdit dans pratiquement tous les atlas de points d’acupuncture : GI4, E12, E25, E36, Rte2, Rte6, V60, V67, VB21, VC4, VC5, VC9, VC10.

Le docteur Christian Rempp en particulier ne pratiquait pas tout à fait ce qu’il enseignait [3], et très prudent, il nous conseillait de nous abstenir d’une telle pratique dans un premier temps. En effet si les points non-contre-indiqués nous semblaient insuffisants, il valait mieux orienter la patiente éloignée du terme vers un acupuncteur expérimenté.

A noter qu’il se gardait bien de nous fournir une liste de ces fameux points, préférant nous orienter vers la littérature [4,5]. En 1990, dans la Revue Française de l’Acupuncture [6], il écrivait : « La femme enceinte est dans un état physiologique et pourtant inhabituel ; tout traitement par acupuncture doit la préserver d'un éventuel désordre énergétique qui pourrait mettre sa grossesse en péril. Les divers ouvrages et articles citent de nombreux points interdits pendant la grossesse, points qui ne sont pas toujours les mêmes selon les publications, ce qui peut susciter bien des angoisses chez le malheureux acupuncteur consulté par une femme enceinte. Par ailleurs, la grossesse peut s'accompagner de troubles qui s'échelonnent entre ce que de nombreux auteurs appellent les troubles physiologiques (les vomissements gravidiques par exemple), et les troubles les plus sévères, susceptibles de mettre en danger la vie de la mère ou celle de l'enfant, et ceci depuis le début de la grossesse jusqu'au terme. L'acupuncture intelligemment comprise doit trouver dans ces conditions un champ d'application des plus larges, même et surtout quotidienne au cabinet d'acupuncture ».

 

Cinq observations en particulier avaient attiré mon attention.

E36

 Une primipare enceinte de deux mois et demi consultait pour des nausées régulièrement accompagnées de vomissements. Le Docteur Rempp préconisait VC12, MC6 et Rn21 dans les nausées du premier trimestre, en nous déconseillant vivement d’autres points de la littérature tels E36 ou encore Rte4 qui étaient absolument contre-indiqués chez la femme enceinte, sauf à proximité du terme. Chez cette patiente, il a associé E36 aux trois points précédents. Devant mon regard perplexe, il s’est aussitôt justifié en m’expliquant que cette patiente était en Vide évident de Rate/Estomac, ce qui justifiait l’ajout du point E36 pour être suffisamment efficace. De plus, le qi remontait à contre-courant : nous n’étions pas en train de faire descendre le qi, mais de lui donner l’occasion dans le cadre de ce tableau clinique de s’abaisser physiologiquement.

 

 

V67

 Un autre exemple frappant concernant le V67 : ce point est indiqué pendant l’accouchement pour activer la descente fœtale, donc contre-indiqué pendant la grossesse ; or c’est également celui indiqué pour la malposition fœtale, que l’on puncture de préférence entre 32 et 35 SA, et non à terme. Le docteur Rempp l’associait au Rn9 protecteur de la grossesse pour prévenir l’apparition de contractions utérines. Il nous expliquait alors que le fait de chauffer l’aiguille amenait suffisamment de yang pour qu’à son apogée, il se retransforme en yin ; ainsi, son action se limite à placer la tête en bas (la tête, yang par rapport au siège yin est ainsi attirée vers le bas puisque le yang est appelé en bas). Pendant le travail, seul le yang est sollicité pour amener la tête vers le bas. Il serait donc dangereux de chauffer ce point pendant le travail (risque de brûlure) dans la mesure où la grossesse vient d’arriver à son terme, et que le yang n’est pas encore à son apogée pour redevenir yin protecteur de la grossesse : il ne pourra redevenir yin qu’après expulsion du fœtus. 

E44

 Dans le syndrome de Lacomme, il m’avait présenté E44 comme également contre-indiqué pendant la grossesse, et l’avait associé à Rn9 à 33 SA en m’expliquant que « shaoyin monte quand yangming descend ». Rn9 peut donc faire monter shaoyin si on ajoute E44 qui fait descendre yangming en rétablissant une circulation physiologique du qi antalgique : les deux effets sont contrebalancés et ne mettent pas la grossesse en péril.

 

F3

Lors d’une menace d’accouchement prématurée à 28 SA associée à une tension limite (14/9) dans le cadre d’une « grossesse précieuse » induite par FIV chez une primipare de 38 ans, il a choisi Rn9 et VC3 à l’aiguille dirigée vers le haut. A ma grande stupéfaction à l’époque, il avait ajouté le F3 qu’il m’avait enseigné en tant que « point qui fait lâcher le col, fortement contre-indiqué dans la grossesse ». Ce choix se justifiait par un pouls en corde évoquant une stagnation de qi du Foie. F3 en tonifiant le yin du Foie permettait en cela de retenir le yang en prévention d’une hypertension artérielle et de protéger la grossesse dans le cadre de ce tableau clinique.

 V60

 Un autre exemple lors de lombalgies de type taiyang de la grossesse : tandis qu’il nous présentait V60 comme contre-indiqué avant terme, il l’avait choisi à 32 SA chez une deuxième geste, associé à Rn9 pour « protéger la grossesse ». Il l’avait toutefois puncturé vers le haut pour ne pas « faire tomber le fœtus » en m’expliquant que comme il y avait trop d’Energie perverse xie qi à chasser, cela aurait pour effet de permettre à nouveau la circulation physiologique du qi et de calmer la douleur.

Aussi dans la pratique d’hier, en traitant en fonction du symptôme, les points supposés dangereux étaient rigoureusement évités. Aujourd’hui, l’expérience m’a incitée à m’intéresser à l’action physiologique du point plutôt qu’à son indication de symptômes, quitte à choisir un point interdit. Demain : les études actuelles semblent démontrer l’action cybernétique des points. Existe t-il dès lors des points interdits dans un contexte donné ?

Cette conclusion renvoie au champ d’application de la grossesse le plus large cher au Docteur Christian Rempp à qui je voulais rendre hommage. Cela ne signifie pas cependant que la prudence ne s’impose plus pendant la grossesse.

 

 


Mme Annabelle Pelletier-Lambert

Sage-femme

 « Les Myrtes » - Bâtiment A

15 avenue Roger Salengro, 83130 La Garde.

* Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

Références

 

1. Auteroche B, Navailh P. Acupuncture en gynécologie et obstétrique. Paris: éd. Maloine;1986. 

2. Stéphan JM. Pathologies du premier trimestre de grossesse accessibles à l’acupuncture. Acupuncture et Moxibustion. 2008;7(3):256-262.

3. Rempp C, Bigler A. La pratique de l’acupuncture en obstétrique. Paris: éd. La Tisserande; 1992.

4. Macciocia G. Gynécologie et obstétrique en médecine chinoise. Bruxelles: éd Satas; 2001.

5. Salagnac B. Naissance et acupuncture. Bruxelles: éd. Satas; 1998.

6. Rempp C. et al. Suivre, traiter et préparer la femme enceinte. Revue Française d'Acupuncture. 1990;64:5-15.

 

 

L’acupuncture a-t-elle sa place dans les coliques du nourrisson ?

 Evaluation de l’acupuncture

Landgren K, Hallström I, Tiberg I. The effect of two types of minimal acupuncture on stooling, sleeping and feeding in infants with colic: secondary analysis of a multicentre RCT in Sweden (ACU-COL). Acupunct Med. 2021 Apr;39(2):106-115.

 Résumé


Question

Dans cette récente publication en 2021 du même essai ACU-COL (déjà publié en 2017 [[1]]), les auteurs font une analyse secondaire de l’efficacité de deux types d’acupuncture minimaliste par rapport à l’absence d’acupuncture sur les habitudes de selles, de sommeil et d'alimentation chez des nourrissons atteints de coliques infantiles. 

Plan Expérimental

Essai randomisé à trois bras, réalisé en double aveugle chez 147 nourrissons, selon un protocole publié en 2015 [[2]].

- groupe A (n=48) : acupuncture standardisée au point 4GI (hegu) pendant 5 secondes,

- groupe B (n = 49) : acupuncture semi-standardisée en fonction des symptômes (5 points au maximum) pendant 30 secondes.

- groupe C (n = 48) : ne bénéficie pas d'acupuncture. 

Cadre

Quatre centres médicaux pédiatriques localisés dans quatre comtés en Suède, où sont proposés gratuitement pour tout bébé pendant les trois premiers mois de vie sept visites pour les peser et mesurer. Lors de ces visites, les parents reçoivent des conseils de prise en charge de routine. Les parents de nourrissons qui pleurent excessivement sont informés de l’essai par acupuncture. 

Patients

147 nourrissons âgés de 2 à 8 semaines recrutés entre janvier 2013 et mai 2015. 

Critères d’inclusion : Les nourrissons éligibles sont ceux qui, d’après les déclarations de leurs parents dans un journal lors de la semaine de référence ont présenté, pendant plus de trois jours, des pleurs et/ou une agitation pendant plus de trois heures par jour. Ils doivent être en bonne santé avec un gain de poids approprié. Par ailleurs, ils doivent avoir déjà essayé un régime excluant les protéines du lait de vache et/ou un régime approprié pendant au moins cinq jours. 

Critères d’exclusion : Sont exclus de l’étude les nourrissons nés avant 37 semaines de gestation, ou ayant déjà reçu tout type de prescription médicamenteuse ou ayant déjà essayé l'acupuncture. 

Intervention

Les parents qui veulent participer prennent contact avec le chef de projet et commencent à noter chaque jour de façon détaillée pendant une semaine (semaine de référence) les états d’agitation et les pleurs de leur bébé dans un journal santé. Si l'enfant remplit les critères, il/elle peut être inclus(e).

Les parents des bébés inclus continuent à noter de façon détaillée dans le journal pendant les deux semaines de traitement par acupuncture, ainsi que pendant la période de surveillance qui prend fin à la suite d’un entretien téléphonique se déroulant trois jours après le dernier jour de traitement par acupuncture. Ces données sont comparées à celles de la semaine de référence.

Lors de la première visite, l'infirmière recueille le consentement éclairé et les données de base. À chacune des visites suivantes (et par téléphone pour la période de surveillance), les parents sont interrogés sur les changements observés au niveau des pleurs, des selles et du sommeil de leur bébé, ainsi que tout effet secondaire associé à l'acupuncture.

- Groupe A : acupuncture standardisée. Aiguille insérée au point 4GI (hegu) à une profondeur d’environ 3 mm unilatéralement pendant 2 à 5 secondes, puis retirée sans stimulation.

- Groupe B : acupuncture personnalisée semi-standardisée, selon la pratique clinique de la MTC. Les acupuncteurs peuvent choisir n'importe quelle combinaison de points : sifeng[1], 4GI et 36E (zusanli), selon les symptômes rapportés dans le journal par les parents. Un maximum de cinq insertions est toléré par séance de traitement. Pour sifeng, quatre insertions, chacune à une profondeur d'environ 1 mm pendant 1 seconde. Aux points 4GI et 36E, les aiguilles sont insérées à une profondeur d'environ 3 mm, uni ou bilatéralement. Les aiguilles peuvent être laissées pendant 30 secondes. La sensation de deqi n'est pas recherchée.

- Groupe C : les nourrissons restent 5 min seuls avec l'acupuncteur sans recevoir aucun traitement par acupuncture.

Ainsi, parallèlement à la prise en charge habituelle, les nourrissons inclus bénéficient de quatre visites supplémentaires (deux fois par semaine pendant les deux semaines de traitement) à leur centre de santé habituel. Les mères qui allaitent sont encouragées à continuer l’allaitement maternel.

Lors de ces visites supplémentaires, les parents discutent pendant 20 à 30 minutes avec une infirmière sur les symptômes de leur bébé.

À chaque visite pendant les deux semaines de traitement, l'infirmière de l'étude porte l'enfant dans une salle de traitement séparée où l’enfant reste seul avec l'acupuncteur pendant 5 min. L’acupuncteur traite le bébé selon le groupe d'attribution et enregistre les procédures de traitement et tout événement indésirable. 

Critères de jugement

Les modifications de fréquence des selles et d'heures de sommeil par jour sont évaluées. Les données sont collectées en utilisant : (1) le journal santé soigneusement rempli par les parents à la semaine de référence, pendant les deux semaines de traitement et la semaine de surveillance ; (2) les questionnaires avec des composantes quantitatives et qualitatives, utilisés lors des deuxième et quatrième visites et lors de l’appel téléphonique de suivi. 

Résultats

D’après les données recueillies dans les journaux de suivi - concernant les selles, l'alimentation ou le sommeil - aucune différence entre les trois groupes n’a été observée. Cependant, lors de l'appel téléphonique de suivi, davantage de parents des groupes A et B (par rapport au groupe C) signalaient que l'alimentation et le sommeil avaient changé et que les symptômes de coliques s’étaient améliorés. 

Conclusion

Des études supplémentaires seraient nécessaires pour préciser les meilleurs emplacements des points d’insertion d’acupuncture, le temps de stimulation ainsi que la durée du traitement.

 


Commentaires

Dans la précédente étude publiée en 2017, les mêmes auteurs rapportaient une diminution de la durée du temps de pleurs dans les deux groupes traités par acupuncture (efficacité similaire) par rapport au groupe témoin ne recevant pas d’acupuncture. Dans cette nouvelle et récente publication parue en avril 2021 [[3]], ils rapportent les résultats complémentaires de l’analyse secondaire de cette étude AcuCol  de 2017 [1], concernant cette fois-ci les coliques infantiles.

L’analyse complémentaire [3] observe versus groupe témoin l'effet de ces deux types d'acupuncture (A et B) sur les habitudes de selles, de sommeil et d'alimentation chez les 147 nourrissons inclus parmi les 426 nourrissons examinés pour l'admissibilité. Finalement, aucune différence significative entre les trois groupes n’a été observée.

Néanmoins, les nourrissons inclus ont bénéficié de quatre visites supplémentaires en dehors des visites habituelles au centre de santé infantile.

Les modifications de fréquence des selles et d'heures de sommeil par jour ont été évaluées. Les données sont collectées en utilisant : (1) le journal santé rempli par les parents à la semaine de référence, pendant les deux semaines de traitement et la semaine de surveillance ; (2) des questionnaires avec composantes quantitatives et qualitatives, utilisés à la deuxième et quatrième visite et lors de l’appel téléphonique de suivi.

D’après les données recueillies dans les journaux tenus par les parents, aucune différence concernant les selles, l'alimentation ou le sommeil entre les trois groupes n’a été observée. En revanche, lors de l'appel téléphonique de suivi, davantage de parents des groupes A et B (par rapport au groupe C) ont signalé un changement dans l'alimentation et le sommeil et une amélioration des symptômes de coliques.

La colique infantile est une affection caractérisée par des pleurs excessifs au cours des premiers mois de la vie, entraînant une détérioration considérable de la qualité de vie des nourrissons et de leurs parents. Le nourrisson présente des paroxysmes de pleurs inconsolables dépassant trois heures par jour, trois jours par semaine, pendant plus de trois semaines. Les pleurs excessifs chez les nourrissons sont un problème pour 10 à 20% des familles, provoquant un climat de stress dans la cellule familiale. Les causes des coliques infantiles ne sont pas vraiment connues. On pense que cela peut être en rapport avec altération de la microflore fécale, une intolérance aux protéines ou au lactose du lait de vache, une immaturité ou une inflammation gastro-intestinale, une sécrétion accrue de sérotonine, une mauvaise technique d’alimentation, le tabagisme de la maman, etc. [[4]].

Dans certains cas, la colique peut être résolue si les protéines du lait de vache sont éliminées. Des compléments nutritionnels de Lactobacillus reuteri peuvent également être utilisés avec un certain succès. En revanche, l'efficacité et l'innocuité des autres types de traitements, comme la siméticone, la dicyclomine, les inhibiteurs de la pompe à protons (oméprazole..) restent à prouver. Il est plausible que l'acupuncture puisse avoir des effets positifs sur les coliques infantiles car elle est reconnue pour son effet calmant, pour réduire la douleur et restaurer la fonction gastro-intestinale [4].

Cakmak [[5]], quant à lui, pense que des indices physiopathologiques indiquent que la colique infantile est une pathologie partagée entre la mère et le bébé, en particulier dans le cas des mères allaitantes. La théorie qu’il propose implique les taux trop élevés de la TNFα (facteur de nécrose tumorale-alpha, importante cytokine impliquée dans l’inflammation) dans le lait maternel, ce qui influencerait le métabolisme de la mélatonine (en diminution) et de la sérotonine (en augmentation) chez le bébé, pouvant alors engendrer les coliques infantiles. La TNFα peut être normalisée soit en puncturant uniquement la mère qui allaite, soit, par puncture également du bébé. Et diminuer par acupuncture la concentration de TNFα engendrerait donc une augmentation de la production nocturne de mélatonine, normalisant ainsi les taux de sérotonine du nourrisson par effet inhibiteur du TNFα sur le recaptage de la sérotonine.

Le manque de connaissances sur la physiopathologie des coliques infantiles limite toutefois le développement de médicaments efficaces ainsi que des modalités de prise en charge par l'acupuncture.

L'acupuncture est utilisée en Scandinavie comme traitement des coliques infantiles. D’après les résultats d’un ECR en aveugle (n=90 nourrissons) réalisé en 2013 [[6]], concernant la mesure du temps des pleurs entre un groupe acupuncture (sur E36 - zusanli) versus un groupe témoin sans acupuncture, il est objectivé une tendance en faveur du groupe acupuncture, avec une réduction moyenne (par rapport à l’inclusion) de 13 minutes (IC à 95% -24 à + 51), mais non significative pour être considérée comme cliniquement pertinent.

Depuis la publication de l’étude AcuCol en 2017 [1], deux revues systématiques relatives aux coliques infantiles ont été réalisées.

La première méta-analyse réalisée en 2018 par des auteurs norvégiens et suédois sur le rôle de l'acupuncture dans le traitement des coliques infantiles est controversée dans le sens où les ECR disponibles sont à petits effectifs et présentent des résultats contradictoires ; et que d’autre part, d’un point de vue éthique, on ne peut disposer que du consentement des parents.

Ainsi sur les trois essais comparatifs randomisés (n=307), un seul a obtenu une mise en aveugle complète des évaluateurs des résultats dans les groupes d’acupuncture et témoin. La différence moyenne (MD) dans le temps de pleurs entre le groupe acupuncture et le groupe témoin était -24,9 min (intervalle de confiance de 95%, IC : -46,2 à -3,6) ; à mi-traitement, -11,4 min (IC à 95% : -31,8 à 9,0) et à la fin du traitement -11,8 min (IC à 95% : -62,9 à 39,2 sur un seul ECR) au suivi de 4 semaines. L’hétérogénéité était négligeable dans toutes les analyses. Bref, dans cette méta-analyse, on n’observe pas de différence cliniquement importante entre le groupe des nourrissons recevant l'acupuncture et le groupe témoin.

Par ailleurs, les données indiquent que l'acupuncture induit une certaine douleur de traitement chez de nombreux nourrissons. Les auteurs ont conclu que l'acupuncture percutanée à l'aiguille ne doit pas être recommandée pour le traitement des coliques infantiles de manière générale [[7]].

Également en 2018, des auteurs coréens ont publié une revue systématique sur le sujet, mais pas de méta-analyse, en raison de l'hétérogénéité clinique considérable des études réalisées chez des nourrissons âgés de 0 à 25 semaines atteints de coliques infantiles. Sur les 601 ECR identifiés, seuls quatre ECR, tous menés dans des pays d'Europe du Nord, ont été inclus. Une acupuncture minimaliste au point 4GI (hegu) ou 36E (zusanli) sans forte stimulation a été utilisée dans toutes les études. D'après l'analyse narrative des parents, l'acupuncture semble être efficace pour soulager les symptômes des coliques, y compris les pleurs et les problèmes d'alimentation et de selles, et ne présente que des effets indésirables mineurs. Cependant, les preuves cliniques n'ont pas pu être confirmées en raison de l'hétérogénéité clinique considérable et de la petite taille des échantillons des études incluses [[8]].

En septembre 2020, Hjern et coll. ont évalué toutes les preuves d’interventions, en prévention ou en thérapeutique pour les coliques infantiles. Ils confirment à nouveau que les quatre ECR d’acupuncture sont sans effet ou avec un effet minimal sur la durée des pleurs et que le Lactobacillus reuteri serait davantage un traitement prometteur pour les coliques infantiles mais à confirmer avec des ECR de plus grande puissance [[9]].

Néanmoins, il est plausible que l'acupuncture puisse avoir des effets positifs sur les coliques infantiles car elle est reconnue pour son effet calmant, pour réduire la douleur et restaurer la fonction gastro-intestinale. Dans les ECR, le traitement est de courte durée et standardisé et par conséquent ne reflète sans doute pas ce qui est pratiqué dans la vraie vie, comme on a pu le constater avec cette analyse secondaire de Landgren [3]. Des effets positifs de l'acupuncture ont été rapportés pour soulager la douleur et l'agitation lorsqu'elle est pratiquée par des acupuncteurs qualifiés qui adaptent chaque traitement à la symptomatologie du nourrisson telle que rapportée par les parents.

Les points 4GI et 36E, tous deux considérés comme importants dans le traitement des symptômes gastro-intestinaux et coliques infantiles, figurent parmi les points les plus utilisés. Par ailleurs, les points sifeng sont classiquement indiqués dans les troubles de la digestion chez l’enfant et sont considérés comme fournissant un stimulus plus efficace mais aussi plus douloureux. L'acupuncture minimaliste, une technique douce sans recherche de deqi est  principalement utilisée pour traiter les coliques infantiles.

Il n'existe actuellement aucune preuve concluante sur l'efficacité de l'acupuncture pour traiter les coliques infantiles. Des ECR à plus grand effectif et plus solides sur le plan méthodologique sont nécessaires pour préciser les meilleurs emplacements des points d’insertion d’acupuncture, le temps de stimulation ainsi que de la durée du traitement.

On peut toutefois noter que l’acupuncture japonaise chez le nourrisson (shonishin[2] pourrait être utile. Néanmoins, contrairement à l’acupuncture traditionnelle chez l’enfant dont l’efficacité commence à être évaluée, le shonishin ne l’est toujours pas [[10]].

 

Jean-Marc Stéphan, Tuy Nga Brignol


Notes 

[1]. Sifeng est un point hors-méridien (Ex-UE-10), situé sur la face palmaire de chaque doigt (à l’exception du pouce), au milieu des plis transversaux de l’articulation inter-phalangienne proximale. Il est considéré harmoniser la circulation du qi entre le Réchauffeur Supérieur et le Réchauffeur Moyen

[2]. Le shonishin se pratique essentiellement sur le nourrisson, le bébé et le jeune enfant. Le soin bref, variant d’une à cinq minutes, voire à une vingtaine de minutes pour un enfant plus vieux est réalisé par le médecin. Après un petit apprentissage, la mère ou le père pourront même poursuivre le traitement à la maison. Mise au point au XVIIe siècle, cette technique acupuncturale spécialisée pour les enfants était pratiquée à Osaka au Japon. Mais initialement, c’est dans le Huangdi neijing lingshu et spécialement dans le premier chapitre « Des neuf aiguilles » que l’on retrouve en fonction de leur forme et de leur emploi différents une catégorie d’aiguilles en forme de bâton : aiguilles à tête ronde (yuan) et aiguilles émoussées (ti), non blessantes, utilisées pour masser et presser les points.


Références

[1]. Landgren K, Hallström I. Effect of minimal acupuncture for infantile colic: a multicentre, three-armed, single-blind, randomised controlled trial (ACU-COL). Acupunct Med. 2017 Jun;35(3):171-179.

[2]. Landgren K, Tiberg I, Hallström I. Standardized minimal acupuncture, individualized acupuncture, and no acupuncture for infantile colic: study protocol for a multicenter randomized controlled trial - ACU-COL. BMC Complement Altern Med. 2015 Sep 14;15:325.

[3]. Landgren K, Hallström I, Tiberg I. The effect of two types of minimal acupuncture on stooling, sleeping and feeding in infants with colic: secondary analysis of a multicentre RCT in Sweden (ACU-COL). Acupunct Med. 2021 Apr;39(2):106-115.

[4]. Johnson JD, Cocker K, Chang E. Infantile Colic: Recognition and Treatment. Am Fam Physician. 2015 Oct 1;92(7):577-82.

[5]. Cakmak YO. Infantile colic: exploring the potential role of maternal acupuncture. Acupunct Med. 2011 Dec;29(4):295-7.

[6] . Skjeie H, Skonnord T, Fetveit A, Brekke M. Acupuncture for infantile colic: a blinding-validated, randomized controlled multicentre trial in general practice. Scand J Prim Health Care. 2013 Dec;31(4):190-6.

[7]. Skjeie H, Skonnord T, Brekke M, Klovning A, Fetveit A, Landgren K, Hallström IK, Brurberg KG. Acupuncture treatments for infantile colic: a systematic review and individual patient data meta-analysis of blinding test validated randomised controlled trials. Scand J Prim Health Care. 2018 Mar;36(1):56-69.

[8]. Lee D, Lee H, Kim J, Kim T, Sung S, Leem J, Kim TH. Acupuncture for Infantile Colic: A Systematic Review of Randomised Controlled Trials. Evid Based Complement Alternat Med. 2018 Oct 24;2018:7526234.

[9]. Hjern A, Lindblom K, Reuter A, Silfverdal SA. A systematic review of prevention and treatment of infantile colic. Acta Paediatr. 2020 Sep;109(9):1733-1744.

[10]. Stéphan JM. Recension. Shonishin : Japanese pediatric acupuncture par Stephen Birch. Acupuncture & Moxibustion. 2016;15(4):333.

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