Résumé de l’étude de cas
Un rare cas de sacro-iliite pyogénique due à Staphylococcus aureus au cours de la période post-partum immédiate chez une femme de 33 ans a été rapporté par une équipe du Département de Médecine interne de l’hôpital universitaire George Washington (Washington, USA). La patiente souffrait de sciatique et a reçu plusieurs séances d’acupuncture pendant sa grossesse au niveau de l’articulation sacro-iliaque. Sans antécédents médicaux notables, elle avait développé une sciatique du côté droit pendant le troisième trimestre de sa grossesse, pour laquelle elle a été traitée par acupuncture à plusieurs reprises. Un des points d’insertion des aiguilles se trouvait sur le dos, au niveau de S2, à 5cm à droite de la ligne médiane, ce qui correspond à l’interligne articulaire au-dessus de sa sacro-iliaque droite. Une semaine après son dernier traitement par acupuncture, elle a accouché par voie vaginale sans complications. Le bébé était en bonne santé et pesait 4,54 kg. Aucune anesthésie épidurale n’a été utilisée. Cinq jours après l’accouchement, elle avait développé rapidement une aggravation des douleurs au niveau de sa fesse droite, l’empêchant de marcher et nécessitant une hospitalisation. Elle déclarait n’avoir eu ni fièvre ni frissons, ni traumatisme à la colonne vertébrale, ni consommation de drogues illicites. Au moment de l’admission, sa température était à 37,7° C. Sa fréquence cardiaque était de de 90 / minute, et elle avait une tension artérielle égale à 121/74 mm Hg. L’examen physique n’a révélé aucun œdème ou érythème à la hanche ou à la colonne vertébrale. Mais la douleur était prononcée en flexion, hyperextension, abduction, adduction, ainsi qu’en rotation externe et interne de la hanche droite. Il n’y avait pas d’autres sites inflammatoires et elle ne présentait pas de souffle cardiaque. Les examens para-cliniques ont montré : nombre de globules blancs égal à 13 400, taux de sédimentation (VS) à 105, et protéine C réactive à 192,5. Une IRM vertébrale lombo-sacrée objective une altération de l’articulation sacro-iliaque droite. Parallèlement, la patiente a développé une fièvre de 39° C. Une ponction au niveau de l’articulation sacro-iliaque a été réalisée sous tomodensitométrie. Le germe S. aureus sensible à la méthicilline a été identifié à la fois dans le liquide de ponction et dans le sang. L’analyse d’urine ainsi que les cultures à partir de l’urine étaient normales. L’ECG n’avait pas montré d’anomalies valvulaires. La patiente a été traitée par nafcilline administrée par voie intraveineuse. L’amélioration a été rapide et elle est sortie d’hospitalisation pour terminer chez elle le traitement antibiotique sur une durée de six semaines. Il n’y a pas eu de récidive après arrêt du traitement. La douleur au niveau de l’articulation sacro-iliaque a disparu et la douleur à la hanche avait considérablement diminué ; elle a pu récupérer la marche et le dosage des marqueurs biologiques de l’inflammation était considérablement amélioré. Les auteurs concluaient que l’acupuncture réalisée chez une femme enceinte en raison de lombalgies pouvait représenter un facteur de risque à ne pas méconnaître en cas de complication infectieuse relativement rare survenant en postpartum.
article source : Millwala F, Chen S, Tsaltskan V, Simon G. Acupuncture and postpartum pyogenic sacroiliitis : a case report. J Med Case Rep. 2015 ; 9 : 193. Published online 2015 Sep 11. doi : 10.1186/s13256-015-0676-7
Commentaire
Fréquence de sacro-iliite chez la femme enceinte
Les auteurs ont rapporté ici un cas de sacro-iliite pyogénique post-partum due à Staphylococcus aureus, dans lequel l’acupuncture pourrait avoir joué un rôle de facteur de risque supplémentaire dans la survenue de l’infection. La sacro-iliite pyogénique est une forme relativement rare de l’arthrite septique, et représente environ 1% de tous les cas d’arthrite septique [1]. Les facteurs sous-jacents qui peuvent prédisposer au développement de cette infection comportent les traumatismes, l’usage de drogues par voie intraveineuse et les infections génito-urinaires. La grossesse a également été citée comme un facteur de risque potentiel pour le développement de sacro-iliite pyogénique [2]. L’incidence de sacro-iliite septique chez les femmes enceintes est relativement élevée. La sacro-iliite septique représente 1 à 1,5% de l’ensemble des arthrites septiques. Environ 10% ou plus de ces infections surviennent chez les femmes pendant la grossesse ou dans le post-partum ou pendant la période post-avortement. Dans une grande série rapportée par Vyskocil et al, quatre des 41 (9,7%) des femmes souffrant de sacro-iliite étaient enceintes [3]. Dans une autre série, cinq des 23 femmes (22%) étaient dans leur période post-partum. Almojahed et al. ont rapporté quinze cas de sacro-iliite pyogénique chez des femmes avec une grossesse associée [2] dont six ont eu lieu pendant la grossesse, et six et trois, respectivement, ont eu lieu dans les trois semaines suivant l’accouchement ou l’avortement.
Les lombalgies et les douleurs pelviennes sont des affections courantes pendant la grossesse et après l’accouchement. Une modalité courante de traitement non médicamenteux utilisée par de nombreuses femmes en cours de grossesse est l’acupuncture.
La pathogénie de sacro-iliite septique implique une extension directe soit par une infection locale [4], soit, plus fréquemment par voie sanguine. Le développement hématogène des infections osseuses ou articulaires a tendance à se produire dans les articulations qui, à la suite d’un processus local, sont prédisposées à l’infection, par exemple le cas de la polyarthrite rhumatoïde. Les lésions au niveau local constituent un site de moindre résistance, dans lequel les bactéries circulantes peuvent s’installer et commencer à proliférer. La fréquence de sacro-iliite septique chez les femmes enceintes suggère que pendant la grossesse, l’articulation sacro-iliaque (SI) devient un site de moindre résistance. Au cours de la période puerpérale, il existe des facteurs locaux qui peuvent contribuer à la prédisposition de l’articulation SI pendant la grossesse. Des changements anatomiques mineurs dans l’articulation SI peuvent se produire en raison de la pression exercée sur l’articulation SI par la croissance de l’utérus gravide ou suite à un traumatisme lors de l’accouchement [5]. Ces changements peuvent affecter la microvascularisation des principales articulations, entraînant des zones de lésions microscopiques à la surface articulaire qui rendent le périoste plus sensible à l’invasion bactérienne [6].
L’acupuncture, facteur de risque infectieux chez la femme enceinte ?
La question qui se pose est de savoir si, comme pourrait le laisser sous-entendre Millwala et coll., l’acupuncture favorise les infections pendant la grossesse. Pelletier-Lambert [7] montrait que la crainte des effets indésirables de l’acupuncture concernait principalement l’action tocolytique ou ocytocique et que même les points dits interdits ne l’étaient pas réellement. Ainsi certains points sont fortement déconseillés et d’autres le sont de manière relative ou temporaire, non pas pour un risque infectieux mais en fonction de circonstances en rapport avec une éventuelle menace d’avortement ou d’accouchement prématuré [8].
Mais qu’en est-il de la possibilité de l’acupuncture à engendrer des infections sévères comme cette sacro-iliite rapportée par cette étude de cas ?
On sait qu’il existe un taux de complications spécifique à la population des femmes enceintes, quel que soit le type d’intervention. Depuis la revue de Bart et al. [9] qui rapporte quatre autres études de cas de sacro-iliites infectieuses aux quinze cas précédemment décrits en 2003 [2], trois autres cas ont été présentés [10],[11],[12]. Aucune de ces études ne présentait l’acupuncture comme un facteur de risque infectieux.
En effet, l’acupuncture est considérée comme sûre pendant la grossesse avec quelques effets indésirables [13]. Dans la revue de Park et al., cent-cinq études ont été incluses. Ont été identifiés 429 effets secondaires signalés dans vingt-sept articles (25,7%) et représentant 22 283 séances d’acupuncture chez 2460 femmes enceintes. Trois-cent-vingt-deux effets indésirables ont été considérés comme légers (douleur, saignements, ecchymose, fatigue, céphalées, somnolence, nausées, prurit, contractions utérines avec ou sans douleurs abdominale, irritabilité, paresthésie au niveau de la puncture , trouble du sommeil etc.). Six effets indésirables ont été répertoriés comme modérés : perte de connaissance et chute transitoire de la pression. Quatre-vingt-dix-neuf effets indésirables furent sévères mais tous considérés comme peu susceptibles d’avoir été causés par un traitement acupunctural : complications maternelles comme l’hypertension artérielle et / ou la pré-éclampsie, l’accouchement prématuré entre 20 et 37 semaines d’aménorrhée, fausse couche, rupture prématurée des membranes, hémorragie antepartum due à un placenta praevia, interruption de grossesse pour des raisons non précisées, césarienne, tachycardie et arythmie sinusale auriculaire.
L’incidence totale des effets secondaires chez la femme enceinte est de 1,9%, mais qui tombe à 1,3% si on limite l’incidence aux effets indésirables évalués comme certains, probables ou possibles. Ce qui est similaire au reste de la population [14].
On notera qu’aucune complication (ou effet secondaire) d’ordre infectieux n’a jamais été signalée dans cette revue de Park et al., au contraire de la population générale [14].
Les auteurs qui ont rapporté ce cas de sacro-iliite pyogénique post-partum due à Staphylococcus aureus ont donné comme explication que S. aureus pouvant être présent sur la peau, aurait été directement inoculé dans l’espace articulaire par l’aiguille d’acupuncture. Mais cette hypothèse est peu probable car le développement des symptômes articulaires a eu lieu plus de dix jours après la dernière séance d’acupuncture. L’inoculation directe des bactéries dans l’espace articulaire aurait conduit à un développement plus rapide des symptômes. L’apparition retardée des symptômes locaux serait plus en faveur d’une diffusion hématogène vers l’articulation SI, considérée comme site de moindre résistance.
Conclusion
D’une façon générale, en ce qui concerne la sécurité de l’acupuncture pendant la grossesse, les résultats des études publiées à ce jour sont rassurants et fournissent aux praticiens des données fondées sur des preuves pour pouvoir conseiller efficacement leurs patientes enceintes. Par ailleurs, il est important d’appliquer les recommandations de bonnes pratiques médicales, à savoir aiguilles à usage unique et lavage des mains [15]. Et du fait de la fréquence accrue de la sacro-iliite chez la femme enceinte, il y a lieu de recommander une désinfection cutanée avant tout acte d’acupuncture [16]. Cependant, il faut souligner que la preuve de l’absence de préjudice (bien que robuste) n’est pas synonyme de preuve de sécurité sans équivoque. Cela aurait nécessité des études incluant jusqu’à des dizaines de milliers de participantes, pour pouvoir exclure en toute confiance tous les effets indésirables rarissimes de l’acupuncture chez la femme enceinte.
Références
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[2]. Almoujahed MO, Khatib R, Baran J. Pregnancy-associated pyogenic sacroiliitis : case report and review. Infect Dis Obstet Gynecol. 2003 ; 11(1):53-7.
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[15]. Stéphan JM et Nguyen J. 13 recommandations des bonnes pratiques médicales. Acupuncture & Moxibustion. 2008 ;7(1):49-51.
[16]. Stéphan JM. Désinfection cutanée et acupuncture. Acupuncture & Moxibustion. 2004 ;3(1):47-51