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Part de l'acupuncture dans la prise en charge des acouphènes : une solution d'avenir ?

 

Résumé : Introduction : la prise en charge actuelle des acouphènes ne peut s'envisager sans être globale et multidisciplinaire devant la multiplicité des contextes cliniques rencontrés. Cette prise en charge globale de l'individu est un des piliers de la Médecine Traditionnelle Chinoise. L'objectif ici est de faire un état des lieux des traitements allopathiques connus, d'évaluer l'apport thérapeutique de l'acupuncture dans l'état actuel des connaissances et de relater les essais cliniques déjà réalisés à ce sujet. Méthodes : description des connaissances actuelles allopathiques et acupuncturales, concernant le traitement des acouphènes, revue de littérature. Résultats : la totalité des essais analysés présente des biais méthodologiques. Conclusion : il n'est pas possible de conclure quant à un éventuel apport thérapeutique de l'acupuncture dans le traitement des acouphènes à l'heure actuelle. Mots-clés : acupuncture – acouphènes - revue de littérature - essai randomisé.

Summary: Introduction : the current management of tinnitus cannot be considered without being global and multidisciplinary in the face of multiplicity of clinical contexts encountered. This comprehensive care is one of the pillars of Chinese Traditional Medicine. The objective here is to make an inventory of known allopathic treatments, to evaluate the therapeutic contribution of acupuncture in the current state of knowledge an to report the clinical trials already carried out. Methods: description of the current allopathic and acupunctural knowledge, concerning the treatment of tinnitus, literature review. Results: the totality of analyzed trials presents methodological biases. Conclusion: it's not possible to conclude with regard to a pôssible contribution of acupuncture in the treatment of tinnitus at present. Keywords: acupuncture – tinnitus - literature review - randomized trials.

 

Introduction

Les acouphènes constituent un motif de consultation fréquent en médecine générale. Cette pathologie, plus ou moins invalidante et ayant un retentissement plus ou moins important sur la qualité de vie des patients, suscite encore à notre époque beaucoup d'interrogations. Ils peuvent être définis comme la perception personnelle et exclusive d'un bruit, sans qu'il n'y ait eu de stimulation extérieure à l'appareil auditif (comparable à un "mirage sonore"). On peut le ressentir de manière unilatérale ou bilatérale [1]. En Médecine Traditionnelle Chinoise, il est parfois désigné sous le terme de "chant d'oreille".

Prévalence

Différentes études estiment que la prévalence des acouphènes dans la population générale varie de 10 à 15%. Les acouphènes dits invalidants, c'est-à-dire entrainant une franche altération de la qualité de vie, toucheraient en France environ 1% de la population générale, soit plus de 600 000 personnes [2,3].

Facteurs de risque

Il existerait différents facteurs de risques liés à leur apparition: l'âge (leur prévalence augmenterait régulièrement au cours de la vie, probablement en lien avec l'apparition de la presbyacousie), l'exposition régulière au bruit (qu'elle soit d'origine professionnelle ou non), l'association à une hypoacousie quelqu'en soit son origine (les patients acouphéniques présenteraient plus volontiers une altération de la fonction auditive), certaines affections ORL ou stomatologiques chroniques (otites moyennes, sinusites, dysfonctionnement de l'articulation temporo-mandibulaire, pose de drains transtympaniques dans l'enfance...), les facteurs psychologiques de comorbidité (anxiété, dépression...), certains  facteurs de risque cardio-vasculaire (Hypertension Artérielle, tabagisme, dyslipidémies...), certains facteurs environnementaux (conditions socio-économiques défavorables) [4-6].

Physiopathologie

Plusieurs hypothèses existent concernant la physiopathologie des acouphènes. Ils résulteraient d'une activité neuronale aberrante qui serait perçue comme un son par les centres auditifs. L'atteinte pourrait avoir différentes origines. Ils pourraient être la conséquence d'un trouble de conduction sur les voies nerveuses de l'audition ; ou d'une atteinte des structures périphériques de l'audition (cellules ciliées externes, cellules ciliées internes, nerf auditif) ou de structures extrasensorielles ; voire d'une atteinte centrale [7].

 

Etiologies en médecine allopathique

De nombreuses étiologies sont évoquées. On peut les répertorier selon que les acouphènes soient subjectifs (perçus uniquement par le malade) ou objectifs (pouvant être perçus par un auditieur extérieur).

Acouphènes subjectifs

On distingue les atteintes de l'oreille externe (bouchon de cérumen, otite externe, ostéome ou exostose du conduit), de l'oreille moyenne (otite moyenne aigue, otite séromuqueuse, choléstéatome, otospongiose), de l'oreille interne (maladie de Ménière, traumatismes, exposition sonore excessive, presbyacousie, surdité brusque, origine toxique ou médicamenteuse, labyrinthite infectieuse), des voies nerveuses de l'audition (neurinome de l'acoustique, maladie de Paget, atteinte du système nerveux central), les atteintes cervico-faciales (pathologies de l'articulation temporo-mandibulaire, cervicales voire sinusiennes), les causes générales (hypertension artérielle, hypotension orthostatique, anxiété, dépression, facteurs de risque cardio-vasculaires...) [8].

Acouphènes objectifs

Citons les acouphènes pulsatiles, liés à une origine vasculaire (fistules artério-veineuses, anévrysmes) ou tumorale (tumeurs glomiques notamment), et les acouphènes d'origine mécanique, à bruit de cliquetis (atteinte de la trompe d'Eustache, de l'articulation temporo-mandibulaire, du voile du palais, des muscles de l'oreille moyenne).

Ainsi, devant la multiplicité des contextes rencontrés, l'interrogatoire, l'examen physique (dont les tests à visée ORL : acoumétrie, audiométrie tonale et vocale, tympanométrie) et les examens complémentaires (IRM, bilans biologiques, mesure des otoémissions acoustiques, des Potentiels Evoqués Auditifs) revêtent toute leur importance [9].

Traitements en médecine allopathique

Le traitement des acouphènes ne peut s'envisager sans être pluridisciplinaire. On associe souvent aux traitements étiologiques, quand ils sont possibles (par exemple la chirurgie, le cas échéant) d'autres thérapeutiques telles la thérapie sonore (appareillages ayant pour but de "masquer" les acouphènes selon différentes techniques), les techniques d'occlusodontie telles la pose de gouttières (le cas échéant), la psychothérapie de soutien ou cognitivo-comportementale, le counselling ( dans le cas des acouphènes, consiste surtout en une information du patient sur ses acouphènes par séances dédiées ; on l'appelle Tinnitus Retraining Therapy si associé à la thérapie sonore), le biofeedback, la sophrologie, l'hypnose [10,11].

 

Rapport des méridiens avec l'oreille

En Médecine Traditionnelle Chinoise, l'oreille est un lieu de convergence de plusieurs méridiens. On peut citer le lingshu, 28 : "l'oreille est un lieu où s'assemblent les mai ancestraux", mai signifiant "vaisseau" en mandarin. Certains méridiens présentent donc des rapports anatomiques étroits avec l'oreille, que cela soit par leur trajet principal, leur méridien distinct, leur méridien luo de communication ou leur méridien tendino-musculaire [12].

Méridien du Triple Réchauffeur

Une branche interne part du thorax (point danzhong (17RM), où il recontre le méridien du Maître du Cœur), s'achemine vers le creux sus-claviculaire au point quepen (12E), puis remonte le long du cou et du muscle sterno-cléïdo-mastoïdien vers le point tianyou (16TR). Ensuite, elle passe en arrière de la mastoïde et de l'oreille jusqu'à son apex au point jiaosun (20TR). Du point yifeng (17TR) (ou du point jimo (18TR) selon certains auteurs dont Nguyen Van Nghi), une branche rentre dans l'oreille, puis en ressort en avant du tragus en croisant le point tinggong (19IG), vers ermen (21TR) puis heliao (22TR). Selon certains auteurs, cette branche croise shangguan (3VB), selon d'autres, elle passe en avant de tinghui (2VB).

Méridien de la Vésicule Biliaire

Le trajet externe du méridien passe par tinghui (2VB), point situé juste en avant de l'oreille. Plus loin, il contourne l'oreille en décrivant une courbe au-dessus et en arrière, de shuaigu (8VB) à wangu (12VB). À noter qu'il croise le méridien du Triple Réchauffeur au niveau du point jiaosun (20TR). Pour certains auteurs, la branche pénétrant dans l'oreille depuis le méridien du Triple Réchauffeur serait issue de fengchi (20VB). Enfin, il existerait un dernier rameau qui pénètrerait dans l'oreille, à partir de touqiaolin (11VB) ou de wangu (12VB).

Méridien de l'Intestin Grêle

Le point tinggong (19IG) présente d'étroites relations avec les deux méridiens du niveau énergétique shaoyang. De plus, dans le trajet externe du méridien, celui-ci, après avoir croisé les autres méridiens yang au point dazhui (14DM), part vers le creux sus-claviculaire et le point quepen (12E). De là, une branche chemine le long du cou vers quanliao (18IG). Selon certains auteurs, une branche profonde y pénètrerait dans l'oreille ; selon d'autres cette branche profonde serait issue de tinggong (19IG).

Méridien de la Vessie

Après avoir croisé le méridien du dumai au point baihui (20DM), une branche part du méridien de la Vessie vers l'extrémité supérieure du pavillon en croisant le méridien de la Vésicule Biliaire sur tous ses points de qubin (7VB) à wangu (12VB).

Méridien de l'Estomac

Après avoir rencontré le méridien du renmai et le méridien controlatéral de l'Estomac au point chengjiang (24RM), il va vers l'angle inférieur de la mandibule au point daying (5E). D'où partent deux branches : l'une monte en avant de l'oreille en passant successivement par les points shangguan (3VB), xuanli (6VB), xuanlu (5VB), hanyan (4VB), puis touwei (8E) sur la région temporale avant de se terminer sur le front au niveau du point shenting (24DM) ; l'autre descend vers la fosse sus-claviculaire et quepen (12E), puis vers dazhui (14DM) où elle rencontre les autres méridiens yang.

Méridien luo du Gros Intestin

Concernant les méridiens luo de communication, un seul présente des rapports étroits avec l'oreille : le luo du Gros Intestin. En effet, à partir de jianyu (15GI), celui-ci arrive au creux sus-claviculaire et quepen (12E) puis au cou et à l'angle de la mandibule où il se déploie en deux branches : l'une vers les dents, l'autre vers l'oreille. Celle-ci communique avec les autres méridiens qui arrivent à l'oreille.

Méridien distinct (jingbie) du Maître du Cœur

Concernant les méridiens distincts, là encore, un seul présente des rapports avec l'oreille : le méridien distinct du Maître du Cœur. De tianchi (1MC), où il nait, il se dirige à l'horizontale vers yuanye (22VB), puis pénètre dans la poitrine vers le Cœur où il se divise en deux branches : l'une se connecte avec les trois Réchauffeurs ; l'autre monte au cou au point lianquan (23RM) puis chemine vers tianyou (16TR) où il se connecte au méridien principal et au méridien distinct du Triple Réchauffeur ; puis il se relie, au-dessus de wangu (12VB), avec les méridiens du Triple Réchauffeur et de la Vésicule Biliaire. Il s'agit du Cinquième Accord ou Cinquième Confluence (liaison Enveloppe du Cœur-Triple Réchauffeur, en vertu du rapport interne-externe).

Méridiens tendino-musculaires

Méridien tendino-musculaire de la Vessie

Une sous-branche issue du creux sus-claviculaire et quepen (12E), se divise en deux branches : l'une part vers la mastoïde et wangu (12VB), l'autre parcourt la joue jusqu'à quanliao (18IG) où elle croise les autres méridiens tendino-musuclaires yang du pied.

 

Méridien tendino-musculaire de la Vésicule Biliaire

À partir du creux sus-claviculaire et quepen (12E), il monte sur le bord latéral du cou et contourne l'oreille, derrière laquelle il se divise en deux branches : l'une passe derrière l'apex de l'oreille vers le sommet du crâne et baihui (20DM), l'autre descend de la tempe vers la joue et la mandibule où elle rencontre les autres méridiens tendino-musuclaires yang du pied

 

Méridien tendino-musculaire de l'Estomac

Il chemine vers l'angle de la mandibule à partir du creux sus-claviculaire et quepen (12E), puis se divise en trois branches : l'une vers l'oreille, la seconde vers quanliao (18IG) où elle croise les autres méridiens tendino-musuclaires yang du pied, la troisième encercle la bouche et monte vers le nez et les yeux.

 

Méridien tendino-musculaire de l'Intestin Grêle

Une branche se déploie sur la scapula, puis part vers la face latérale du cou où elle se situe entre, d'une part, le méridien tendino-musuclaire de l'Estomac en avant, et d'autre part, les méridiens tendino-musuclaires de la Vessie et de l'Intestin Grêle en arrière. Puis, elle s'y divise en deux branches : une branche antérieure vers l'angle de la mandibule qui longe la mandibule vers l'oreille, et une branche postérieure qui se fixe au processus mastoïdien (d'où une petite branche part vers l'oreille), puis encercle l'oreille afin de relier la branche antérieure avant d'aller vers la joue.

 

Méridien tendino-musculaire du Triple Réchauffeur

Depuis l'angle de la mandibule, une sous-branche monte devant l'oreille puis passe du canthus externe de l'œil vers la tempe et benshen (13VB) où elle croise les autres méridiens tendino-musuclaires de la main.

Méridiens curieux

Vaisseau yang du Talon (yangqiaomai)

Depuis la fosse sus-claviculaire, il atteint la face en passant successivement par les points dicang (4E), juliao (3E), chengqi (1E), puis jingming (1V) où il croise le yinqiaomai, avant d'aller vers le vertex.

 

Vaisseau yang de Liaison (yangweimai)

Depuis jianjing (21VB), il monte vers le cou, puis vers l'oreille. Ensuite, il atteint le front puis décrit une courbe au niveau du crâne en empruntant tous les points du méridien de la Vésicule Biliaire de benshen (13VB) à fengchi (20VB) ; pour certains auteurs, il "se répand à l'oreille". Ensuite, il chemine vers fengfu (16DM) et se termine à yamen (15DM).

 

Vaisseau Gouverneur (dumai)

Certains trajets énergétiques gagnent la mastoïde depuis fengfu (16DM). De plus, baihui (20DM) est étroitement interconnecté avec des branches qui gagnent l'oreille, comme vu précédemment.

Oreille et viscères

Concernant les rapports de l'oreille avec les Entrailles (fu), il semble que l'oreille soit fondamentalement liée aux Reins. De nombreux textes classiques tels le lingshu ou le suwen traitent de l'influence directe de ce Viscères (zang) sur l'oreille et la fonction auditive. De plus, il convient de noter le rôle joué par le Cœur, car il existe une étroite connection entre le Cœur et les Reins, sur un plan énergétique, mais également sur un plan bien plus profond. L'Orifice (qiao) de l'écoute étant les Reins, l'Orifice de l'entendement étant le Cœur.

Place des acouphènes au sein des tableaux syndromiques

Par conséquent, au vu des rapports entretenus par l'oreille avec les méridiens et les Entrailles, on peut émettre des interprétations quant à la place du symptôme "acouphènes", au sein de tableaux cliniques, dans le cadre de l'affection d'un méridien adjacent ou dans le cadre de la théorie des zangfu. Citons l'importance des travaux menés par le Docteur Bernard Cygler. À travers différents ouvrages, il a décrit, de manière empirique, les résultats obtenus après acupuncture pour des acouphènes et répertorié des milliers de cas auxquels il a été confronté durant plus de trente ans de pratique. Les hypothèses émises pourraient servir de base de réflexion.

Acouphènes et atteinte des méridiens

Ainsi, dans un premier ouvrage, il décrit l'association d'acouphènes avec d'autres symptômes comme pouvant évoquer l'atteinte de certains méridiens. Il s'agit :

- du méridien de l'Intestin Grêle : association avec surdité, otalgie irradiant vers la mandibule, œil jaune, larmoiement, enflure de la joue, raideur du cou, douleurs sur le trajet du méridien (face postéro-externe du cou, mâchoire, face postérieure des membres supérieurs) ;

- du méridien du Triple Réchauffeur : association avec surdité, douleurs devant les oreilles, diverses affections de la gorge (enflure, douleurs, obstruction, aphonie), troubles visuels, fixité du regard, agitation mentale, spasmes palpébraux et musculaires, vomissements ;

- du méridien de la Vésicule Biliaire : assciation avec surdité, fièvre intermittente, céphalées, douleurs oculaires, voire impossibilité d'ouvrir l'œil controlatéral, troubles visuels, douleurs de la partie latérale des côtes et de l'abdomen, douleurs sur le trajet du méridien (hanche, genoux, face externe des membres inférieurs) ;

- du méridien du Foie : association avec surdité, céphalées, troubles visuels (dont strabisme, larmoiement, flou visuel), vertiges, étourdissements, nausées, sensation d'obstruction de l'oesophage, distension abdominale, myalgies.

D'autres composantes des méridiens prinicpaux (méridien luo du Gros Intestin, méridien tendino-musuclaire de l'Intestin Grêle, méridiens distincts du Foie, du Gros Intestin, du Triple Réchauffeur, du Maître du Cœur) pourraient être incriminées.

Aspects importants de l'interrogatoire

Dans un second ouvrage, le Docteur Cygler émet l'hypothèse d'autres étiologies, mêlant médecine occidentale et énergétique chinoise selon la théorie des zangfu [13]. Il décrit également les composantes selon lui importantes de l'interrogatoire au sujet des acouphènes en Médecine Traditionnelle Chinoise. Les points importants :

- L'ancienneté de l'acouphène : classiquement, un acouphène (souvent d'installation progressive) correspondrait à un tableau de type Vide, tandis qu'un acouphène plus récent (souvent de début plus brutal) correspondrait à un tableau de type Plénitude. Même s'il ne s'agirait pas ici d'une règle générale.

- Le caractère unilatéral ou bilatéral : il est prioritaire d'éliminer un neurinome de l'acoustique, par des examens adaptés si l'acouphène est unilatéral et le reste. Il faut connaître également la présence de signes associés (surdité, vertiges) en cas d'acouphènes bilatéraux. Penser à l'apparition d'une nouvelle étiologie si l'acouphène était unilatéral et devient bilatéral. Le côté d'apparition, pourrait, selon certains auteurs, constituer un élément d'orientation (selon E. Soulié de Morant : des acouphènes à gauche témoigneraient d'un Vide de Sang, de yin, ou d'un excès de Chaleur par excès relatif de yang; des acouphènes à droite témoigneraient d'un Vide de qi ou d'une atteinte par les Glaires, le Vent ou le Froid par excès relatif de yin) [27].

- Le caractère continu ou intermittent : les acouphènes quels qu'ils soient, continus ou discontinus indiquent la recherche immédiate d'un neurinome de l'acoustique. Le passage d'intermittent à continu est un signe d'aggravation.

- Les éventuelles variations d'intensité des acouphènes unilatéraux : systématiquement aggravés le matin ou le soir, penser à un trouble des méridiens curieux qiao. Penser à la Rate s'ils fluctuent avec le stress. Penser aux méridiens curieux s'ils évoluent par cycles.

- La tonalité : de nombreuses tonalités différentes ont été décrites, qui pourraient orienter vers certaines étiologies.

- La présence d'une sensation d'oreille bouchée : effectuer la manoeuvre de Valsalva (souffler par le nez, les deux narines bouchées) pourrait constituer un élément d'orientation. Si les oreilles se libèrent, il s'agit d'une stagnation de yang au niveau du nez et de l'œil et d'un vide de yang au niveau des oreilles. Penser alors à tongziliao (1VB). Si elles ne se libèrent pas, il s'agit du cas inverse (stagnation de yang au niveau des oreilles et vide de yang au niveau des yeux et du nez), tinghui (2VB) serait alors plutôt indiqué. Tinggong (19IG) peut être associé pour son indication dans les symptômes de plénitude endocrânienne.

- L'association à une éventuelle hyperacousie.

Etiologies des acouphènes en Médecine Traditionnelle Chinoise

Il est à noter que dans ces indications, les points "ministériels" sembleraient avoir plus d'efficacité que les points shu dorsaux (beishu).

Les atteintes de la charnière cervico-occipitale

Ainsi, il décrit différentes étiologies et, selon son expérience, certains points ayant montré une efficacité sur les symptômes. La première d'entre elles, les acouphènes d'origine cervicale. Bernard Cygler fait la distinction entre les atteintes de la charnière cervio-occipitale et les atteintes de la Barrière Supérieure.

Concernant les atteintes de la charnière cervico-occipitale, il s'agit d'une atteinte mécanqiue de cette zone qui correspond à l'empilement de l'os occipital, de l'atlas et de l'axis. On retrouve des signes projetés (otalgies à tympan normal, douleurs dentaires ou de la face sans origine organique évidente). Les points pouvant être efficaces sont souvent locaux : fengfu (16DM), fengchi (20VB), wangu (12VB), touqiaoyin (11VB), tianzhu (10V), jianliao (14TR), danzhong (17RM), voire d'autres points en fonction du contexte clinique.

Les atteintes de la Barrière Supérieure

L'atteinte de la Barrière Supérieure concernerait plutôt le développement personnel et spirituel de l'individu. S'y croisent le yangqiaomai, le méridien prinicpal du Gros Intestin, le méridien tendino-musuclaire de la Vésicule Biliaire. La Barrière Supérieure, qui se situe à fengfu (16DM), serait un lieu bloqué par toutes les pensées arrêtées, rigides, les idées préconçues, l'arrogence intellectuelle ou au contraire les sentiments d'infériorité, le manque de mémoire, l'excès ou l'insuffisance d'abstraction. Les points pouvant être utiles sont ceux la constituant : yamen (15DM), fengfu (16DM) et naohu (17DM).

Les acouphènes d'origine Rate

Les acouphènes d'origine Rate seraient dûs à un vide de qi de celle-ci. Ils surviendraient dans des contextes de ruminations, pensées obsessionnelles ou surmenage intellectuel. Les acouphènes seraient continus mais fluctuants avec les stress, aggravés par la prise d'alcool, survenant souvent sur terrain de spasmophilie ou de claustrophobie. Les points pouvant être efficaces : shangqu (17R, point "ministériel" de la Rate), dadu (2Rte, point de tonification, point rong), taibai (3Rte, point Terre et yuan). Ajouter daling (7MC) pour les patients méticuleux ou perfectionnsites, obsessionnels du rangement. Autres points possibles selon le contexte : sanyinjiao (6Rte), zhangmen (13F), pishu (20V)...

Les acouphènes d'origine Foie

Les acouphènes d'origine Foie pourraient survenir en contexte de Feu du Foie (faisant suite à une stagnation du qi du Foie) ou de Vide de Sang du Foie. Ils fluctueraient avec les accès de colère extériorisée comme de colère refoulée, et on retrouverait souvent chez ces patients des antécédents hépatiques ou de lithiases biliaires. Points pouvant être utiles : zhongdu (6F, point xi, serait plus efficace pour les explosions de colère), youmen (21R), point "ministériel, serait plus efficace pour les colères refoulées). Autres points possibles selon le contexte : taichong (3F), ganshu (18V), qimen (14F)...

Les acouphènes d'origines Reins

Pour les acouphènes d'origines Reins, il existerait deux cas de figure. Soit, il s'agit d'un vide de yin avec Chaleur Vide (et éventuellement un Vide de yang secondaire), ou à l'inverse d'un Vide de yang avec Vide de yin secondaire. On les retrouve souvent secondairement à d'autres pathologies (traumatismes sonores, presbyacousie, surdités héréditaires, surdités brusques...). Dans ce cas, l'acupuncture ne donnerait pas de résultats probants. Soit, il s'agit d'acouphènes déclenchés par excès de peur ou de crainte. Ceux-ci semblent plus accessibles au traitement. Les points qui seraient utiles sont : siman (14R, point "ministériel"), taixi (3R, point Terre, yuanshu), rangu (2R, point rong, Feu et point de départ du yinqiaomai). Fuliu (7 Rn) pourrait être efficace dans la peur de l'eau ou des inondations. Autres points possibles selon le contexte : shenshu (23V), mingmen (4DM), guanyuan (4RM), qihai (6RM)...

Les acouphènes d'origine Estomac

Le contexte clinique des acouphènes d'origine Estomac serait souvent évocateur : soit il existe une pathologie gastrique (ulcère...), soit une situation de vie que l'on a du mal à "digérer" : certaines injustices, contrariétés, stress... Les points possiblement efficaces : liangmen (21E, point "ministériel", serait plus indiqué dans les troubles organiques), shangguan (3VB, serait plus indiqué dans les situations psychologiques), gongsun (4Rte, point luo). Bulang (22Rn) pourrait être utilisé pour les patients indignés par l'injustice.

Les acouphènes d'origine Vésicule Biliaire

Les acouphènes d'origine Vésicule Biliaire surviendraient chez des patients hésitants, ayant des difficultés à la prise de décision. Il peut également exister un contexte de pathologie des voies bilaires. On pourrait penser à guanmen (22E, point "ministériel"), danshu (19V, point shu dorsal), qimen (14F), diwuhui (42VB).

Les acouphènes d'origine Vessie

Les acouphènes d'origine Vessie pourraient concerner des patients ayant des pathologies des liquides endolabyrinhiques, associées à des pathologies vésicales (cystites récidivantes). On peut alors songer à shuidao (28E, point "ministériel" de la Vessie).

Les acouphènes d'origine yinweimai

Certains méridiens curieux pourraient également être impliqués. Ainsi, les acouphènes d'origine yinweimai possèderaient d'autres symptômes associés tels des douleurs thoraciques cardiaques transfixiantes ou à type de "coups d'aiguilles", des céphalées mal systématisées, des symptômes pelviens... Il s'agit souvent de patients émotifs, ayant des difficultés à prendre leurs distances par rapport à leurs sentiments. Points pouvant être efficaces : zhubin (9R, point xi et point de départ du méridien), neiguan (6MC, point d'ouverture), gongsun (4Rte couplé à neiguan), dadun (1F), yutang (18RM).

Les acouphènes d'origine yangweimai

Les acouphènes d'origine yangweimai seraient, à l'instar des douleurs rhumatismales associées, sensibles à l'influence de la météorologie, et s'aggraveraient dès que le temps change (patients "baromètres"). Ces patients seraient très sensibles à l'atmosphère d'un groupe : un rien les blesse, ou au contraire, leur fait plaisir. Points possibles : waiguan (5TR, point d'ouverture), zulinqi (41VB, couplé à waiguan), fengchi (20VB, croisement avec le Méridien du Triple Réchauffeur), jinmen (63V, point xi). Kufang (14E) serait utile en cas de douleurs névralgiques ou de symptômes psychologiques.

Les acouphènes de type yinqiaomai

Il semblerait que les acouphènes de type yinqiaomai soient plus fréquents que ceux de type yangqiaomai, c'est pourquoi nous nous attarderons plus sur eux. Il existerait un contexte de phobies, repli sur soi, dépression. On peut également retrouver d'autres symptômes associés au yinqiaomai : symptômes pulmonaires (asthme, sensation de gorge serrée), urinaires et gynécologiques (incontinence, troubles utérins), douleurs sur le trajet du méridien (face interne des membres inférieurs). Les symptômes évolueraient de manière intermittente avec résurgence la nuit. Comme points possiblement utiles, citons zhaohai (6R, point d'ouverture), lieque (7P, couplé à zhaohai), rangu (2R, point de départ). Qihai (6RM) serait utile en cas de problèmes avec les parents dans l'enfance.

Les acouphènes de type chongmai

Le contexte des acouphènes de type chongmai est évocateur : individus immobiles, profondément fatigués moralement, physiquement, sexuellement, ayant perdu l'envie de "lutter". Il n'y a pas d'idées suicidaires et les symptômes sont souvent consécutifs à un changment de vie. Points possibles : gongsun (4Rte, point d'ouverture), neiguan (6MC couplé à gongsun), qichong (30E, point d'émergence à la surface du corps), guanyuan (4RM).

Les acouphènes de type renmai

Pour les acouphènes de type renmai, les patients adoptent souvent une présentation autoritaire, pleine d'aisance voire de vantardise. Ils donnent l'impression d'être à l'aise. Ils occultent souvent de nombreux détails de leur vie à l'interrogatoire. On pense surtout aux points sus et sous ombilicaux du méridien, ainsi que les points thoraciques, voire d'autres selon le contexte.

Les acouphènes de type dumai

Concernant les acouphènes de type dumai, on rencontre deux types de symptômes : d'une part, des symptômes vertébraux chez des sujets à l'attitude voûtée depuis l'enfance. Ces patients souffrent d'une absence de force physique et mentale (ils "ne se gouvernent pas"). D'autre part, une impossibilité à s'affrimer, à dire "je", avec des problèmes d'identité ou de dépression. Les points les plus utiles semblent être les points crâniaux et faciaux, voire d'autres selon le contexte.

Les acouphènes liés à la maladie de Ménière

D'autres étiologies peuvent aussi être évoquées, notamment la malaide de Ménière. En Médecine Traditionnelle Chinoise, elle est la plus fréquente des pathologies des liquides de l'oreille et n'existe pas en tant qu'entité morbide, car une distinction est faite entre les pathologies de l'"oreille-audition" (surdité et acouphènes) et celles de l'"oreille-équilibre", pathologie de l'endocrâne (vertiges). De plus, acouphènes et surdité sont vus comme deux stades évolutifs de la même pathologie ("boudonnements pouvant devenir surdité"). Xiaxi (43VB) et zuqiaoyin (44VB) comportent cette notion dans leur symptomatologie associée. Il est important de savoir l'ordre d'apparition des symptômes afin de savoir s'il s'agit d'une pathologie d'origine "oreille" ou d'origine "endocrâne". À noter la fréquente présence de signes "Rate" associés. De nombreux points pouraient être efficaces, ils dépendent du contexte clinique.

Les acouphènes des pathologies de l'endocrâne

Les pathologies de l'endocrâne regroupent une grande variété de contextes cliniques : troubles de l'intelligibilité avec ou sans presbyacousie, surdités héréditaires, surdités brusques, traumatismes sonores... De nombreux mécanismes physiopathologiques peuvent être évoqués : plénitude de yin ou de yang endocrânien, Vide de yin du Foie, stagnations, glaires, troubles des méridiens curieux... Les acouphènes sont souvent bilatéraux, décrit par le patient comme les "ayant dans la tête". On note souvent des signes nasaux ou orificiels associés. Les points sont sélectionnés selon le contexte, à noter une possible efficacité des points Fenêtre du Ciel sous la base du crâne dont fengchi (20VB) et tianzhu (10V) et de certains points crâniaux, notamment tongtian (7V) et luoque (8V).

Les acouphènes pulsatiles

Les acouphènes pulsatiles correspondent à des battements synchrones au pouls, et sont relatifs au Sang. Là encore, de nombreux mécanismes physiopathologiques peuvent être impliqués. Les points utilisés dépendent du contexte, à noter la relative efficacité de toulinqi (15VB), qui ferait circuler les Stases de Sang à la tête.

Les acouphènes lors des surdités brusques

Lors d'une surdité brusqueil est primordial, comme pour les acouphènes pulsatiles, d'effectuer les examens complémentaires adaptés afin d'éiminer une pathologie tumorale, ainsi que d'instaurer des traitements allopathiques d'urgence si nécessaire, notamment en raison du risque médico-légal. Notons les limites de l'acupuncture face à cette pathologie. Tianyou (16TR) aurait une relative efficacité, en tant que point Fenêtre du Ciel.

Les acouphènes des traumatismes sonores

Face à un traumatisme sonorele contexte est souvent très évocateur. L'acupuncture est souvent peu efficace mais peut entraîner des améliorations des acouphènes dans certains cas. Il peut s'agir d'un blocage de la barrière "Crâne-Face" : chengguang (6V), shangguan (3VB), et xiaguan (7E), qui sont les points qui la constituent ; ou de symptômes Rate, endocrâniens...

Les acouphènes lors de la presbyacousie

La presbyacousie correspond à l'altération physiologique de l'audition liée à la sénescence. Des acouphènes sont souvent associés. Cela correspond à une origine "Endocrâne". Les points pouvant être utiles : xinhui (22DM, qui contrôle le Sang au niveau de l'endocrâne et de la tête, selon J.M. Kespi [28]), yanglao (6IG), baihui (20DM).

Les acouphènes des dysfonctions tubaires

Les acouphènes sur dysfonction tubaire surviennent souvent dans les suites d'une infection ORL et témoignent d'une otite séreuse. On retrouve souvent une sensation d'oreille bouchée. Dans ce cas, il faut effectuer la manoeuvre de Valsalva : si l'oreille se débouche, piquer tongziliao (1VB), sinon, piquer tinghui (2VB).

Les acouphènes avec symptômes "solaires" associés

Certains acouphènes se manifestent dans un contexte d'angoisse, avec sensation de "boule à l'estomac". Il s'agit des symptômes "solaires". Le contexte psychlogique est souvent semblable aux acouphènes de type Estomac. Les points possiblement utiles : juque (14RM, point mu du Cœur), taiyi (23E, "la terre du Cœur" selon Kespi), liangmen (21E, point "ministériel" de l'Estomac), shenmen (7C), yanggu (5IG), points thoraciques du renmai...

Autres étiologies

D'autres étiologies peuvent être évoquées, mais sont en général peu accessibles à l'acupuncture : otospongiose, surdité héréditaire à révélation tardive, barotraumatismes, fibromyalgie, acouphènes "béquille" (le malade ne peut vivre sans son symptôme), hallucinations auditives, maladie d'Alzheimer, neurinome de l'acoustique.

Essais comparatifs randomisés sur l'acupuncture dans le traitement des acouphènes

Maintenant, terminons par quelques mots sur les essais comparatifs randomisés (ECR) qui ont été réalisés sur le sujet des acouphènes. Ces essais comportent tous des biais, les principales critiques que l'on peut adresser portant sur des questions méthodologiques : biais de sélection (groupes sélectionnés hétérogènes, variabilité des critères d'inclusion et d'exclusion), diversité des protocoles employés (points utilisés, fréquence et nombre de séances, choix de l'acupuncture manuelle ou de l'électroacupuncture, choix ou non d'une acupuncture adaptée à chaque patient), choix des groupes contrôles (acupuncture placebo : critères utilisés discutables) [14]. La taille des effectifs, l'impossibilité du double aveugle atténuent la puissance statistique de même que l'impossibilité d'obtenir un placebo totalement inactif [15], et la nécessité que ce placebo reste crédible aux yeux des patients (nécessité de l'emploi d'une échelle de crédibilité du placebo telle l'échelle de Vincent [16]) posent également d'autres problèmes. De plus, actuellement, ces essais sont peu nombreux (environ dix à quinze résultats lors des recherches sur les bases de données sur les trente dernières années) [17-26]. Ainsi la dernière revue systématique concernant électroacupuncture et acouphènes a permis d’identifier cinq ECR (n=322) dont la qualité méthodologique montre aussi un risque élevé de biais de sélection et de performance [29]. De ce fait, il n’existe pas de preuve convaincante que l’électroacupuncture soit bénéfique dans les acouphène. Il est nécessaire de réaliser des ECR de haute qualité méthodologique et de plus grande puissance [30].

Conclusion

Il est donc, à notre époque, très difficile de conclure que l'acupuncture possède, ou non, des effets spécifiques dans le traitement des acouphènes. Il faudra que d'autres essais paraissent, que peut-être les normes méthodologiques des ECR évoluent ou qu'apparaissent des outils d'évaluation objective, ce qui impossible pour le moment dans l'état actuel des connaissances. Cependant, les résultats en pratique clinique, encourageants, indiquent que la Médecine Traditionnelle Chinoise est peut-être une voie d'avenir pour traiter ces symptômes.

 

 

Dr Alexandre Denis

237, rue Nationale, 59800 Lille

Tél : 03 20 54 71 17

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Conflit d’intérêt: aucun

 

 

 

 

Références

 

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  2. Tunkel DE et al. Clinical practice guideline : tinnitus. Otolaryngologic Head Neck Surgery. 2014 Oct;151(2 Suppl):S1-S40.
  3. Litré CF et al. Feasability of auditory cortical stimulation for the treatment of tinnitus. Three case reports. Elsevier Masson; 2010 Mar.
  4. Park RJ. et al. Prevalence and risk factors of tinnitus : the Korean National Health and Nutrition Examination Survey 2010-2011, a cross-sectional study. Clinic Otolaryngologic. 2014 Apr;39(2):89-94.
  5. Martines F. et al. Clinical observations and risk factors for tinnitus in a Sicilian cohort. Eur Arch Otorhinolaryngologic; 2014 Sep.
  6. Mahboubi H. Et al. The prevalence and characteristics of tinnitus in the youth population in the United States. Larygoscope. 2013 Aug;123(8):2001-8.
  7. (proceedings) Zenner HP, Pfister M. Systematic classification of tinnitus. Proceedings of the Sixth International Tinnitus Seminar; 1999.
  8. Coulon E. Les acouphènes ou l'impossible silance : étiologie, physiopathologie, et tentatives de traitement [dissertation]. Faculté de Médecine de Rouen; 2002.
  9. Richard W. Et al. Diagnostic approach to tinnitus. Am Fam Physician. 2004 Jan 1;69(1):120-126.
  10. National Research Council (US), Comitee on Hearing, Bioacoustics, and Biomechanics. Tinnitus: Facts, Theories and Treatments. National Academies Press (US); 1982.
  11. Phillips JS, Mc Ferran D. Tinnitus Retrainig Therapy (TRT) for tinnitus. Cochrane Database of systematic reviews. 2010 Mar 17;(3):CD007330.
  12. Cygler B. Acouphènes et acupuncture ou les chants d'oreille de la médecine traditionnelle chinoise. Ed Frisons-Roche; 1996.
  13. Cygler B. Acouphènes et médecine traditionnelle chinoise. Ed La Tisserande; 2012.
  14. Gerlier JL. Quelques (yi) fen de méthodologie. Les limites d'un essai contrôlé randomisé. Revue française de médecine traditionnelle chinoise. 2000;(188):41-2.
  15. Gerlier JL. L'acupuncture placebo est-elle crédible? Acupuncture et Moxibustion. 2003;2:88-89.
  16. Vincent CA. Credibility assessments in trials of acupuncture. Complement Med Res. 1990;4(1):5-11.
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  18. Furugård S, Hedin PJ, Eggertz A, Laurent C. Acupuncture worth trying in severe tinnitus. Lakkartidningen. 1998 Apr 22;95(17):1922-8.
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  30. Brignol TN, Stéphan JM. Brèves d’acupuncture : Pas de preuve convaincante que l’électroacupuncture soit bénéfique dans les acouphènes. Acupuncture & Moxibustion. 2016;15(2):115-119.

 

 

Anosmie, à propos d’un cas clinique : intérêt de l’acupuncture et techniques associées

 

Résumé. Introduction. L’anosmie, secondaire à une destruction du neuroépithélium olfactif peut avoir pour étiologies les rhinites, sinusites liées à des infections virales, les obstructions nasales en rapport avec une allergie, les tumeurs, la destruction des voies centrales comme la maladie d'Alzheimer, la sclérose en plaques ou les traumatismes crâniens. En dehors des traitements liés à l’obstruction du flux nasal, aucune thérapeutique n’a prouvé son efficacité. Qu’en est-il de l’acupuncture et techniques associées ? Méthodes. A partir d’une étude de cas d’une femme de 58 ans présentant une anosmie associée à une agueusie, survenue dix ans auparavant à la suite d’un accident de ski, un protocole de soins s’intéressera à traiter le Mouvement taiyin (Poumons-Rate) et le couple shouyangming - shoutaiyin en électroacupuncture (EA) à une fréquence de 1,2 Hz sur les points sanyinjiao (Rt6), gongsun (Rt4), hegu (GI4), yingxiang (GI20) mais aussi par acupuncture manuelle sur quchi (GI11), zhongfu (P1), shangyang (GI1), yinbai (Rt1), zhangmen (F13), lieque (P7), yintang (M-HN-3), zhongwan (VC12), tianzhu (V10). Ce protocole est discuté à lumière des mécanismes physiopathologiques selon la médecine chinoise, la médecine fondée sur les preuves et également selon l’acupuncture expérimentale. Résultats. L’amélioration des troubles olfactifs et dans une moindre mesure l’agueusie, est obtenue en quelques séances et maintenue de manière durable. L’effet pourrait s’expliquer par une action via les facteurs neurotrophiques, comme le  facteur de croissance nerveuse (NGF) ou le facteur neurotrophique dérivé du cerveau (BDNF). Conclusion. L’acupuncture et EA, sans effets indésirables, peut être une option à envisager dans ces anosmies secondaires.  Mots clés. Anosmie- agueusie – acupuncture - électroacupuncture – taiyin – NGF – BDNF.

 Anosmia, about a case study: interest in acupuncture and related techniques

Summary. Introduction. The anosmia, secondary to a destruction of the olfactory neuroepithelium can have for etiologies rhinitis, sinusitis linked to viral infections, nasal obstructions in connection with an allergy, tumors, destruction of the central pathways such as Alzheimer's disease, multiple sclerosis or head trauma. Apart from the treatments linked to the obstruction of the nasal flow, no therapy has proven its effectiveness. What about acupuncture and related techniques? Methods. Based on a case study of a 58-year-old woman with an anosmia associated with ageusia, which occurred ten years ago following a ski accident, a treatment protocol will focus on treating the Taiyin Movement ( Lung-Spleen) and the shouyangming - shoutaiyin couple in electroacupuncture (EA) at a frequency of 1.2Hz on the points sanyinjiao (SP6), gongsun (SP4), hegu (LI4), yingxiang (LI20) but also by manual acupuncture on quchi ( LI11), zhongfu (LU1), shangyang (LI1), yinbai (SP1), zhangmen (LIV13), lieque (LU7), yintang (M-HN-3), zhongwan (REN12), tianzhu (BL10). This protocol is discussed in light of the pathophysiological mechanisms according to Chinese medicine, evidence-based medicine and also according to experimental acupuncture. Results. The improvement of the olfactory disorders and to a lesser extent the ageusia, is obtained in a few sessions and maintained sustainably. The effect could be explained by an action via neurotrophic factors, such as nerve growth factor (NGF) or brain derived neurotrophic factor (BDNF). Conclusion. Acupuncture and EA, without side effects, may be an option to consider in these secondary anosmias. Keywords. Anosmia - ageusia - acupuncture - electroacupuncture - taiyin - NGF - BDNF. 

 


Introduction

 

L'anosmie est la perte complète de l'odorat. De plus, les patients atteints se plaignent souvent d'une agueusie, d’une perte de goût pour la nourriture alors qu’ils ont une perception normale des saveurs salées, sucrées, acides et amères, même s’il leur manque une certaine finesse du goût dépendant largement de l'olfaction.

L'anosmie survient en cas d'œdème intranasal ou d'une autre cause d'obstruction nasale qui empêche l'accès au système olfactif.

Le système olfactif comprend le neuroépithélium et nerf olfactif qui tapissent le toit des fosses nasales, la partie supérieure du septum nasal et des cornets supérieurs (figure 1) ; les bulbes et tractus olfactifs qui entrent en contact avec les nerfs olfactifs ; les aires corticales et sous-corticales olfactives avec les stries médiales qui se dirigent vers les noyaux septaux de l’aire sous-calleuse, les stries latérales qui s’orientent vers la face médiale des lobes temporaux et les stries intermédiaires qui aboutissent dans les tubercules olfactifs [[1]].

 

Figure 1. Le nerf olfactif (coloré en jaune) Par Patrick J. Lynch, medical illustrator — Patrick J. Lynch, medical illustrator, CC BY 2.5, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=1498125.

 

Le nerf olfactif est le premier nerf crânien. Son rôle, uniquement sensoriel, est de véhiculer l'odorat. Chez l'homme, le nerf olfactif prend naissance au niveau de la muqueuse olfactive dans la partie antérosupérieure de la cavité nasale. Il traverse la plaque criblée de l'os ethmoïde et innerve le bulbe olfactif situé à la base du cerveau. Notons que le nerf olfactif présente la particularité d’avoir des neurones ayant la possibilité de se régénérer et qu’il est centripète en envoyant les informations de la périphérie vers le centre.

Les étiologies principales comprennent donc les destructions de ce neuroépithélium olfactif (rhinite atrophique, sinusite chronique, les infections virales, comme le SARS-CoV-2), l’obstruction nasale (rhinite allergique, polypose nasale), tumeurs (cause rare), destruction des voies centrales comme la maladie d'Alzheimer, la sclérose en plaques et les traumatismes crâniens [[2]].

Ainsi, l’anosmie apparaîtrait dans 7% de tous les traumatismes crâniens et dans 30% des traumatismes crâniens graves avec fractures de l’ethmoïde ou lésions des zones olfactives [[3]].

Certains médicaments aussi peuvent favoriser une anosmie chez les patients sensibles.

Tous les patients doivent bénéficier d'une tomodensitométrie (TDM) de la tête (comprenant les sinus) avec injection de produit de contraste pour éliminer la possibilité d'une tumeur ou d'une fracture du plancher de la fosse antérieure du crâne. L'IRM est également utilisée pour rechercher des lésions intracrâniennes et peut également être nécessaire, en particulier chez les patients ne présentant aucune pathologie nasale ou sinusienne lors de la TDM.

Si les causes spécifiques peuvent être traitées avec un odorat qui peut être récupéré plus ou moins, il n'existe malheureusement aucun traitement efficace de l'anosmie. Qu’en est-il de l’acupuncture et des techniques associées ?

 

Présentation d’un cas clinique

 

Mme B. Martine, 58 ans, est vue pour la première fois le 15 mai 2019. Elle se plaint d’anosmie et d’agueusie survenue à l’hiver 2009 à la suite d’un accident de ski ayant par ailleurs engendré une fracture du fémur droit. Elle est veuve, ménopausée depuis 2013, après avoir eu trois enfants. On note dans ses antécédents une allergie aux poils de chien, chat, pomme et lidocaïne qui a déclenché un œdème de Quincke. Elle bénéficie d’un traitement anti-dépresseur escitalopram 5 mg, nébivolol en raison d’une hypertension artérielle et de simvastatine en rapport avec une hypercholestérolémie athérogène.

Elle présente également une asthénie et a tendance à la constipation. Son indice de masse corporel est normal à 22 (1m60 pour 56kgs). Elle présente une capsulite rétractile de l’épaule gauche depuis six mois dont elle ne souffre pas trop, mais qui limite la fonction. L’agueusie est globale mais elle arrive à détecter toutes les saveurs (sucrées, salées, acides et pimentées), même si elle est incapable de déterminer à quoi cela correspond. Elle se dit plus ennuyée par l’anosmie. Son odorat a totalement disparu.

Le bilan ORL complet est revenu négatif : pas de polypose naso-sinusienne, pas d’obstruction des fosses nasales. Cependant, malgré l’imagerie médicale (IRM et tomodensitométrie nasosinusienne) négative, l’otorhinologiste s’orientait de ce fait vers une lésion des nerf olfactifs lors de son accident de ski et non un problème allergique.  

Le diagnostic chinois objective une langue pâle avec empreintes des dents. Les pouls sont faibles (ruo), vide (xu), mais interprétation à caution du fait de la prise du bêtabloquant.  On peut s’orienter selon la différenciation des syndromes (bianzheng) vers un Vide de qi des Poumons associé à un Vide de qi de Rate. Bref, il s’agira de traiter le Grand Méridien, encore appelé selon les auteurs Mouvement ou Niveau Energétique, taiyin (Poumons-Rate) et le Méridien Gros Intestin (shouyangming) couplé au Méridien des Poumons (shoutaiyin). Les points sanyinjiao (6Rt), gongsun (4Rt), hegu (4GI), yingxiang (20GI) sont stimulés pendant 20 mn par électroacupuncture (stimulateur électrique Agistim duo Sédatelec® à une intensité supportable par la patiente ; fréquence 1,2Hz ; durée d’impulsion 500µs) ; par acupuncture manuelle avec recherche du deqi pour certains points : quchi (11GI), zhongfu (1P), shangyang (1GI), yinbai (1Rt), zhangmen (13F), lieque (7P), yintang (M-HN-3), zhongwan (12VC), tianzhu (10V).

Revue le 23 mai, elle dit avoir un soupçon de reprise d’odorat, car a senti pour la première fois l’odeur du maroilles (fromage à odeur caractéristique et saveur corsée dont la production et la transformation s'effectuent dans la Thiérache française), et puis la litière de son chat. Mais l’agueusie est toujours présente. Le même traitement est pratiqué. Elle revient en septembre, juste à la fin de l’été. Elle est ravie car elle parvient pour la première fois depuis 10 ans à sentir les odeurs de la lavande, du citron et de la fraise en plus de l’odeur du maroilles et des excréments de son chat. L’agueusie est toujours là. Une autre séance en octobre et en janvier 2020 n’apporte pas plus d’amélioration, malgré le traitement identique. En revanche à la dernière séance du 6 février, si le trouble de l’olfaction n’a pas été davantage amélioré, on avance sur l’agueusie, car enfin le goût de la banane est revenu. Au terme de ces quelques semaines de traitement, le résultat est tangible et permet à M. B d’apprécier à nouveau la nourriture. D’autres séances sont programmées à distance, après la crise de la pandémie Covid-19.

Discussion

Quels sont les mécanismes physiopathologiques à l’origine de l’anosmie selon la médecine chinoise ?

Pourquoi ce choix des points à puncturer ? Quels sont les mécanismes d’action théoriques à l’origine d’une éventuelle efficacité de l’acupuncture et techniques associées ? Une preuve est-elle fournie selon les essais comparatifs randomisés à la lumière de la médecine factuelle (evidence based medicine) ? Autant de questions auxquelles, nous essayerons de donner des éléments de réponse.

Tout d’abord voyons l’anosmie selon les théorie de la médecine chinoise.

 

L’anosmie selon la Médecine Chinoise

 

Mécanismes physiopathologiques

Le jing (l’Essence, la quintescence) hérité par les parents à la conception, qui obéit à des cycles de huit ans chez l’Homme et  sept ans chez la femme, est à la base du qi du Rein, lié à yuanqi (qi Originel). Le zongqi, dit « qi Ancestral » qui a aussi le sens de fondamental, d’essentiel est produit par le guqi (qi des aliments, mis en circulation par la Rate et l’Estomac) et sa combinaison avec l’air inhalé par les Poumons. Zongqi renforce la fonction du Poumon et celle du Cœur sur la circulation du Sang. Sous l’action du yuanqizonqi se transforme en zhenqi qui se présente sous deux formes : le yinqi (Energie nourricière) et le weiqi (Energie de défense). Yinqi accomplit une révolution en 24h dans les Méridiens en commençant, selon le Lingshu16 au Poumon à trois heures du matin (« la grande circulation énergétique ») [[4]].

L’anosmie est donc selon la Médecine Chinoise en rapport avec zonqi, mais aussi le jing du Méridien Poumon [[5]]. Ainsi, dans chapitre 4 du Huangi Neijing Suwen, le Poumon est associé au nez, tout comme il est précisé plus loin dans le chapitre 5 : « L’Ouest engendre la sécheresse qui produit le Métal dont la saveur âcre nourrit le poumon. Le poumon nourrit l’épiderme qui sustente le rein, il domine le nez… » [[6]]. Il faut aussi noter que l’olfaction est indissociable du goût comme le note le Lingshu au chapitre 4 : « Le sang et le souffle des douze méridiens (jingmai) et des 365 luo montent tous au visage et passent par les cavités. Le souffle du yang essentiel (jing yangqi) monte se déverser au yeux et fait la vision ; son souffle séparé (bieqi) va à l’oreille et fait l’audition ; son souffle général (zongqi) monte pour sortir au nez et fait l’olfaction ; son souffle trouble sort à l’estomac, va aux lèvres, à la langue et fait  la gustation. » [[7]].

 

Traitements proposés selon les auteurs

Tan Trung explique que « dans les troubles de l’olfaction, s’observe une perte de connexion des orifices nécessitant le rétablissement de l’équilibre énergétique du Poumon et du Gros Intestin ». Il préconise alors du fait que le Poumon commande le yin, de traiter le Gros Intestin (yang) par les points 4GI (hegu) et 20GI (yingxiang) ». Le jing du Poumon (l’Essence ou la quintessence du Poumon) entretient l’odorat, d’où à tonifier. Le jing de la Rate, liée au Poumon selon le système Mère-Fils va également intervenir dans le goût, à tonifier également [[8]].

Cygler propose de son côté dans le tableau de « l’anosmie-poumon » de puncturer 20GI (yingxiang), 19GI (kouheliao), 9P (taiyuan), 17VC (shanzhong) et 30E (qichong) et d’y associer 42V (pohu) dans le tableau de « l’anosmie-métal » en rapport avec atteinte de « l’âme viscérale » po du Poumon, le 52V (zhishi), 7GI (wenliu) et 6P (kongzui) en cas d’état dépressif [[9]].

Pour Fumagalli et Nguyen, le Niveau Énergétique taiyin (Poumons-Rate) avec la prééminence du Poumon sur la Rate en déficience explique l’anosmie. Il faut renforcer l’organe Poumon et éventuellement l’organe Rate pour agir sur l’agueusie. Ils indiquent comme points à utiliser de ce fait : 20GI (yingxiang), neiyingxiang (M-HN-35/Ex-HN-9) point hors méridien à l’intérieur du nez, 23VG (shangxing) et 4GI (hegu), avec pour l’agueusie le 23VC (lianquan) et shanglianquan (M-HN-21) sur la ligne médiane de la langue et 7MC (daling) [[10]].

 

Essais et cas  cliniques

Il n’existe à ce jour aucun essai comparatif randomisé concernant l’anosmie complète. En revanche, la littérature nous offre quelques études de cas cliniques. Ainsi Putensen présente en 1956 le cas d’une patiente de 15 ans anosmique et guérie en une seule séance. Les points utilisés : 4GI (hegu), 20GI (yingxiang), 22VG (xinhui), 8V (luoque), 9V (yuzhen) et 10V (tianzhu) [[11]].

De Smul en 1987 traitait une série de dix-neuf patients par électroacupuncture (EA) à basse fréquence pendant des séances de 10 mn aux points 4GI et 20GI. La guérison fut définitive pour huit d’entre eux (42%). Les onze autres n’avaient pas de changements ou insuffisants [[12]].

Fumagalli et al. décrivaient trois cas cliniques avec une anosmie en rémission pour un cas et guérison complète pour les deux autres en utilisant la thérapeutique décrite plus haut [10].

Yang et al. en 1999 ont traité vingt-trois cas de rhinite atrophique dont l’un des symptômes était l’anosmie associée à une sécheresse et atrophie de la muqueuse nasale. Les points utilisés yintang et bitong/shangyingxiang (M-HN-14 / Ex-HN-8) permettaient d’obtenir une guérison chez dix patients, une amélioration significative chez sept autres et inefficacité chez les six patients restants [[13]].

Enfin le dernier cas clinique retrouvé dans la littérature concerne une femme de 55 ans sans antécédents particuliers, hormis la perte d’odorat deux ans avant la séance d’acupuncture. Aucune allergie. On note toutefois une hypercholestérolémie nécessitant la prise quotidienne d’atorvastatine. Le bilan ORL et neurologique était normal. Yintang (M-HN-3), 20GI (yingxiang) et 23VG (shangxing) permirent une guérison complète en une semaine. Revue sept et vingt-mois mois plus tard, la guérison persistait [[14]]. Le tableau I récapitule tous les points préconisés dans toutes les études. On pourra remarquer que les points communs à ces études est l’utilisation quasi constante de 4GI (hegu) et 20GI (yingxiang).

 

Tableau I. Les points utilisés selon les auteurs. EA = électroacupuncture.

Tan Trung [8]

 4GI (hegu), 20GI (yingxiang)

Cygler [9]

20GI (yingxiang), 19GI (kouheliao), 9P (taiyuan), 17VC (shanzhong), 30E (qichong) ; 42V (pohu), 52V (zhishi), 7GI (wenliu), 6P (kongzui)

Fumagalli, Nguyen [15]

20GI (yingxiang), neiyingxiang (M-HN-35/Ex-HN-9), 23VG (shangxing), 4GI (hegu), 23VC (lianquan), shanglianquan (M-HN-21),7MC (daling).

Putensen [11]

4GI (hegu), 20GI (yingxiang), 22VG (xinhui), 8V (luoque), 9V (yuzhen) et 10V (tianzhu)

De Smul [12]

4GI (hegu), 20GI (yingxiang) en EA basse fréquence

Yang et al. [13]

yintang et bitong/shangyingxiang (M-HN-14 / Ex-HN-8)

Michael [14]

yintang (M-HN-3), 20GI (yingxiang) et 23VG (shangxing)

 

Commentaires

On sait que le neuroépithélium olfactif a la capacité unique de se régénérer. Tous les types de cellules épithéliales olfactives, y compris les neurones récepteurs réels, vont se régénérer à partir des cellules basales après une blessure ou lors d'un renouvellement cellulaire naturel, et cela se réalise tous les trois à six mois, à condition que les cellules basales restent saines. Toutes les troubles olfactifs liés à l’obstruction du flux nasal, comme une rhinosinusite chronique, une  rhinite allergique, une polypose ou même une tumeur peuvent être traités avec plus ou moins de succès. En revanche, comme dans ce cas clinique, une perte sensorielle secondaire aux lésions des nerfs olfactifs, des récepteurs olfactifs au bulbe olfactif en passant par les centres corticaux, comme un traumatisme crânien, les toxines, la démence, la maladie d'Alzheimer, la sclérose en plaques ne se prêtent généralement pas au traitement [[15]]. Et pourtant comme on peut le constater, il est possible d’avoir un résultat.

Dans ce cas clinique, le terrain allergique et les médicaments n’ont pas été retenus comme causes possibles de l’anosmie. En effet, madame B. prend de l’escitalopram, simvastatine et nébivolol. Seul l’escitalopram peut entraîner un effet indésirable peu fréquent ((≥ 1/1000 à < 1/100) : une dysgueusie. Les autres molécules n’engendrent ni anosmie, ni agueusie. De ce fait, le traumatisme violent lié à l’accident de ski a été retenu comme cause.

On peut se poser la question des mécanismes d’action théoriques de l’action de l’acupuncture et techniques associées ?

 

Acupuncture expérimentale

Aucune étude expérimentale sur animal n’a été réalisée concernant l’anosmie.

Mais, on peut penser que la régénération du nerf olfactif, que l’on sait possible, peut être en rapport avec des facteurs de croissance, comme le facteur de croissance nerveuse (Nerve Growth Factor – NGF), le facteur neurotrophique dérivé du cerveau (BDNF - brain-derived neurotrophic factor).

Le facteur de croissance nerveuse (NGF) est membre de la famille des facteurs neurotrophiques qui peuvent prévenir la mort des cellules nerveuses. Le NGF exerce son action sur la croissance et la survie des neurones sensoriels et sympathiques périphériques et sur un certain nombre de neurones cérébraux, en particulier les neurones cholinergiques du système nerveux central [[16]].

Le NGF peut exercer des effets neurotrophiques sur les cellules nerveuses lésées et favoriser ainsi la neurogenèse, processus de génération des neurones à partir de cellules souches. Durant un processus de régénération, le NGF est capable de favoriser la récupération fonctionnelle des cellules nerveuses lésées, de stimuler la prolifération et la différenciation des propres cellules souches du patient et réguler la réponse inflammatoire locale. Et ensuite le BDNF peut prendre le relais. Ces facteurs neurotrophiques peuvent ainsi s’opposer à la dégénérescence neuronale comme la maladie d’Alzheimer, la sclérose en plaques et les polyneuropathies diabétiques [[17],[18]].

Il a été observé par exemple que dans les séquelles de traumatismes vertébro-médullaires, dans la sclérose en plaques ou la maladie de Parkinson, l’électroacupuncture peut accélérer la régénération axonale avec stimulation du facteur neurotrophique NT-3, du BDNF et du NGF [[19],[20],[21],[22],[23]]. 

Mais beaucoup plus intéressant est l’apport de l’EA sur les neurones sensoriels.

Les neurones sensoriels constituent le premier niveau cellulaire du système nerveux de la perception. Via la transduction, le signal physique comme la lumière, le son, etc.. est converti en signal biochimique puis transmis à un neurone postsynaptique qui convertira à son tour le message en signal nerveux [[24]].

Les photorécepteurs comme les cônes, les bâtonnets, sont un des meilleurs exemples qui traduit le photon en un signal neurochimique.

Dans une étude expérimentale sur un modèle de rats atteints de rétinite pigmentaire héréditaire, l’utilisation de l’EA à la fréquence de 2Hz pendant 25 minutes et durant onze jours consécutifs versus un groupe de rats témoins non traités a permis d’observer son action neurotrophique sur les photorécepteurs rétiniens. L’EA engendre une  augmentation de l’expression du facteur de croissance nerveuse (NGF) et de son récepteur tyrosine kinase A (TrkA) (figure 2) ; du facteur neurotrophique dérivé du cerveau (BDNF) et de son tyrosine kinase B. De surcroît, l’EA améliore la vascularisation par action sur le facteur de croissance endothélial vasculaire (VEGF) au niveau de la rétine. De ce fait, l’EA retarde la perte de cellules rétiniennes, par action sur les facteurs neurotrophique (NGF, BDNF) et/ou de leur récepteurs [[25]].

Figure 2. Structure du site de liaison du facteur de croissance nerveuse (NGF) sur son récepteur tyrosine kinase A (TrkA) [[31]].

 

 

Aucune étude expérimentale n’a été réalisée sur l’action de l’acupuncture ou de l’EA sur le système olfactif, mais néanmoins compte-tenu de l’action de l’EA sur les photorécepteurs, et en raison de nombreuses études montrant que la restauration de l’olfaction chez l’animal fait intervenir les facteurs neurotrophiques : NGF, BDNF [[26],[27],[28],[29],[30]], on peut émettre l’hypothèse que l’acupuncture et l’EA aient une action similaire sur le système olfactif.

  

Conclusion

 

Ce cas clinique met en lumière l’intérêt de l’acupuncture et de l’électroacupuncture dans une pathologie oubliée de la pharmacologie occidentale. Aucune thérapeutique n’est proposée pour ces anosmies liées à une perte sensorielle secondaire aux lésions du système olfactif. Or il apparait que les points 4GI (hegu) et 20GI (yingxiang), points communs à toutes les études offrent une amélioration sensible de l’olfaction, d’autant plus active s’ils sont stimulés par EA à une fréquence basse de 1,2Hz à 500µs (équivalent à 2Hz pour une durée d’impulsion de 300µs) comme démontré dans notre cas clinique. On notera aussi qu’il est possible d’avoir une action sur l’agueusie. La théorie physiopathologique laisse supposer que le mécanisme d’action se ferait via les facteurs neurotrophiques, comme le  facteur de croissance nerveuse (NGF) ou le facteur neurotrophique dérivé du cerveau (BDNF). En conclusion, l’acupuncture et l’EA sont une option à envisager dans ces anosmies secondaires, à dissocier des anosmies congénitales isolées et syndromiques comme le syndrome de Kallmann-De Morsier. On peut espérer qu’une étude comparative randomisée puisse être réalisée un jour selon les normes de la médecine factuelle. Notons toutefois qu’une étude clinique de cohorte (n=50) portant à la fois sur hypo et anosmie post-virale (datant de 1 à 96 mois) utilisant 20GI (yingxiang) et EX-HN8 (shangyingxiang) a montré une amélioration statistiquement significative (p=0,031) de la fonction olfactive chez onze patients traités par acupuncture contre quatre patients dans le groupe témoin sans traitement placebo [[32]].

 


Références

 

[1]. Leboucq N, Menjot de Champfleur N, Menjot de Champfleur S, Bonafé A. Le système olfactif. Journal de Radiologie diagnostique et interventionnelle. 2013;94(10):992-999.

[2]. Fried MP. L’anosmie. Manuel MSD. Version pour professionnels de la santé. 2018 [consulté le 03/05/2020]. Disponible à l’adresse URL: https://www.msdmanuals.com/fr/professional/affections-de-l-oreille,-du-nez-et-de-la-gorge/prise-en-charge-du-patient-qui-pr%C3%A9sente-des-sympt%C3%B4mes-nasaux-et-pharyng%C3%A9s/anosmie#v946415_fr.

[3]. Maci L. Prise en charge des troubles de l’olfaction. Camip. Revue de la santé au travail. 2009 [consulté le 03/05/2020]. Disponible à l’adresse URL: http://www.camip.info/etudes-et-recherches/numeros-precedents/2009/2009-4/Prise-en-charge-des-troubles-de-l/Etiologie.

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[8]. Truong Tan Trung. Rhinorrhée / anosmie/ agueusie. Revue Française de MTC.1996;172:181-184.

[9]. Cygler B. Nez, gorge, oreille en médecine traditionnnelle chinoise. Paris: 1e Ed. Springer-Verlag France; 2006.

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[11]. Putensen O. Guérison d’une anosmie par une seule séance d’acupuncture. Bulletin de la Société d'Acupuncture.1956.21:33.

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[13]. Yang J, Zhang Q. Twenty-three cases of atrophic rhinitis treated by deep puncture at three points in the nasal region. J Tradit Chin Med. 1999;19(2):115-7.

[14]. Michael W. Anosmia treated with acupuncture. Acupunct Med. 2003;21(4):153-4.

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[17]. Brachet A. Le facteur de croissance nerveuse NGF : rôle dans la plasticité et la maintenance fonctionnelle de la cellule neuronale. Médecine Sciences. 1990;6:854-862.

[18]. Manni L, Albanesi M, Guaragna M, Barbaro Paparo S, Aloe L. Neurotrophins and acupuncture. Auton Neurosci. 2010 Oct 28;157(1-2):9-17.

[19]. Stéphan JM. Electroacupuncture dans la régénération axonale : intérêt dans les séquelles de traumatismes vertébro-médullaires. Acupuncture & Moxibustion. 2009;8(4):238-249.

[20].  Chen J, Qi JG, Zhang W, Zhou X, Meng QS, Zhang WM, Wang XY, Wang TH. Electro-acupuncture induced NGF, BDNF and NT-3 expression in spared L6 dorsal root ganglion in cats subjected to removal of adjacent ganglia. Neurosci Res. 2007;59(4):399-405

[21]. Stéphan JM. Sclérose en plaques : synthèse à propos d’un cas clinique traité par zhenjiu (针灸) et électroacupuncture. Acupuncture & Moxibustion. 2016;15(1):18-27.

[22]. Stéphan JM. A propos d’un cas clinique : intérêt de l’acupuncture dans la maladie de Parkinson. Acupuncture & Moxibustion. 2008;7(4):322-330

[23]. Liang XB, Liu XY, Li FQ, Luo Y, Lu J, Zhang WM, et al. Long-term high-frequency electro-acupuncture stimulation prevents neuronal degeneration and up-regulates BDNF mRNA in the substantia nigra and ventral tegmental area following medial forebrain bundle axotomy. Brain Res Mol Brain Res. 2002;108(1-2):51-9.

[24]. Stéphan JM. Acupuncture, récepteurs transmembranaires à tyrosine-kinases, à cytokines et transduction. Acupuncture & Moxibustion. 2007;6(1):79-86.

[25]. Pagani L, Manni L, Aloe L. Effects of electroacupuncture on retinal nerve growth factor and brain-derived neurotrophic factor expression in a rat model of retinitis pigmentosa. Brain Res. 2006 May 30;1092(1):198-206.

[26].  Jo H, Jung M, Seo DJ, Park DJ. The effect of rat bone marrow derived mesenchymal stem cells transplantation for restoration of olfactory disorder. Biochem Biophys Res Commun. 2015 Nov 13;467(2):395-9

[27]. Spilker C, Nullmeier S, Grochowska KM, Schumacher A, Butnaru I, Macharadze T, Gomes GM, Yuanxiang P, Bayraktar G, Rodenstein C, Geiseler C, Kolodziej A, Lopez-Rojas J, Montag D, Angenstein F, Bär J, D'Hanis W, Roskoden T, Mikhaylova M, Budinger E, Ohl FW, Stork O, Zenclussen AC, Karpova A, Schwegler H, Kreutz MR. A Jacob/Nsmf Gene Knockout Results in Hippocampal Dysplasia and Impaired BDNF Signaling in Dendritogenesis. PLoS Genet. 2016 Mar 15;12(3):e1005907.

[28]. Tucker K, Fadool DA. Neurotrophin modulation of voltage-gated potassium channels in rat through TrkB receptors is time and sensory experience dependent. J Physiol. 2002;542(Pt 2):413-29.

[29]. Baba M, Itaka K, Kondo K, Yamasoba T, Kataoka K. Treatment of neurological disorders by introducing mRNA in vivo using polyplex nanomicelles. J Control Release. 2015;201:41-8.

[30]. Gardiner J, Barton D, Overall R, Marc J. Neurotrophic support and oxidative stress: converging effects in the normal and diseased nervous system. Neuroscientist. 2009;15(1):47-61.

[31]. Robertson AG, Banfield MJ, Allen SJ, Dando JA, Mason GG, Tyler SJ, Bennett GS, Brain SD, Clarke AR, Naylor RL, Wilcock GK, Brady RL, Dawbarn D. Identification and structure of the nerve growth factor binding site on TrkA. Biochem Biophys Res Commun. 2001;282(1):131-41.

[32]. Dai Q, Pang Z, Yu H. Recovery of Olfactory Function in Postviral Olfactory Dysfunction Patients after Acupuncture Treatment. Evid Based Complementary Alternat Med.2016:4986034.

 

Van Gogh : revue de littérature de ses diverses pathologies et essai d’analyse du déséquilibre énergétique à travers ses peintures

 

Résumé : Après une revue de la littérature sur les divers diagnostics selon la médecine allopathique attribués à Van Gogh, une analyse de ses peintures est réalisée selon une grille de lecture basée sur la correspondance entre les couleurs, les Cinq Eléments, les Cinq Emotions et les Sept Sentiments. Une corrélation a pu être établie entre les diverses pathologies dont souffrait le célèbre artiste selon le diagnostic occidental et les déséquilibres énergétiques révélés par les couleurs de ses œuvres, vus sous l’angle de la différenciation des syndromes bianzheng). La prédominance de jaune, de vert et de bleu dans l’ensemble de ses peintures pourrait être attribuée à ses troubles traduits en termes de déséquilibres énergétiques selon la médecine chinoise. Mots-clés : Cinq Eléments - couleurs - déséquilibre énergétique - bianzheng - Van Gogh

Summary: After a review of the literature on various diagnoses according to allopathic medicine, an analysis of Van Gogh’s paintings is performed, on the basis of correspondence between colors and the Five Elements, the Five Emotions et the Seven Feelings. A correlation hasbeenestablished between the diverse diseases of the famous artist, according to Western diagnosis, and energy imbalances revealed by the color of his paintings, from the perspective of pathophysiological syndromes (bianzheng). The predominance of yellow, green and blue in his artwork may be attributed to his disorders, in terms of energy imbalances according to Chinese medicine. Keywords: Five Elements - colors - energy imbalance biangzheng - Van Gogh

   

Introduction

 Hésitant un temps entre vocation artistique et vocation religieuse, Vincent Van Gogh choisit de se consacrer à la peinture. Tout le monde s'accorde à voir en Van Gogh le mythe absolu du génie, du fou, du miséreux, artiste méconnu et condamné au malheur. Sa carrière n'a duré qu'à peine dix ans, et il se serait suicidé [1] en laissant derrière lui une œuvre considérable. Malgré de graves troubles neuropsychologiques, Van Gogh ne s’est quasiment jamais arrêté de peindre. En dix ans, il a réalisé près de neuf-cents tableaux et un millier de dessins.

Son style très coloré présente une vitalité et une tension particulière qui n’ont pas fini de marquer les esprits. Il applique les couleurs par touches de pinceaux, sans mélanger sur la palette. Sous le soleil de Provence, son style de peinture se modifie. Ses toiles sont plus colorées. Il peint par larges touches courbes et utilise abondamment les couleurs jaune, vert et bleu.

La relation entre les trois disciplines, science, médecine et art, a longtemps été un domaine d’exploration fascinant avec leurs contrastes étonnants et leurs frontières mal délimitées. La confrontation des problèmes médicaux chez les artistes (beaux-arts, musique, etc.) a toujours fait couler beaucoup d’encre. On peut pratiquement dire qu’aucune personnalité n’a été autant diagnostiquée à titre posthume que Vincent van Gogh.

Cet article ne vise ni à ajouter une nouvelle maladie à la longue liste déjà établie à ce jour, ni à argumenter sur le «bon diagnostic». Il se propose, à partir des couleurs utilisées par Van Gogh, de faire une « lecture énergétique » basée sur la correspondance entre les couleurs et les Cinq Eléments, les Cinq Emotions et les Sept Sentiments. Un déséquilibre énergétique, dans le cadre de la différenciation des syndromes (bianzheng) selon la médecine traditionnelle chinoise, peut-il influencer sur le choix des couleurs dans toute création artistique ? 

 

Multiplicité de pathologies et de diagnostics en médecine allopathique

 

Vincent Van Gogh (1853-1890) donnait dans son art une essence profonde de la vie, et de façon unique. Plus de cent-cinquante psychiatres et médecins de différentes spécialités ont tenté d'identifier «la maladie» de l’artiste et de multiples diagnostics ont été proposés.

Cependant, comment les troubles neurologiques dont il souffrait ont-ils pu influencer son art ? Ceci n’est pas encore clair. La combinaison de sa personnalité excentrique, irascible, ses humeurs instables et sa créativité prolifique rendent la compréhension de sa pathologie très complexe. Cela pose un grand défi à ceux qui essaient d’analyser les relations existant entre «l'esprit artistique», le cerveau et la maladie. En fait, la plupart des diagnostics proposés pour Van Gogh au cours du siècle dernier ne sont pas basés sur des preuves médicales, mais sont seulement en partie vérifiables à partir d’analyses de ses tableaux et des données biographiques.

D’après une récente publication [2] datant de 2013, une analyse de la maladie de Van Gogh a été réalisée à la lumière de sa correspondance, dont la qualité littéraire est largement reconnue. L’auteur s’est basé sur les antécédents médicaux de l’artiste à travers les nombreuses citations dans ses lettres, pour voir comment Vincent a exprimé ses plaintes, ses émotions liées à sa maladie. Les symptômes sont devenus plus précis après décembre 1888. Au début, Van Gogh avait beaucoup hésité à parler de sa maladie, mais peu à peu, il décrivait dans ses lettres ses expériences tout au long de ses psychoses cycloïdes. Selon l’auteur, il existe des signes de synesthésie, de prosopagnosie et d’agnosie spatiale. L'affinité de Van Gogh pour la poésie, déjà au début de sa vingtaine, rend plausible l'hypothèse d'une excitation du lobe temporal par des décharges épileptiques, ce qui pourrait expliquer en partie le fonctionnement complexe de son esprit créatif et torturé par la souffrance. L’auteur a tenté de placer les diagnostics effectivement réalisés au cours de la vie de l’artiste dans leur contexte historique et culturel. Il est évident que ceux qui établissent un diagnostic et ceux qui le reçoivent sont impliqués dans le même contexte culturel, en tenant pour acquis les modes médicales de leur temps, y compris les biais incorporés. Par ailleurs, à partir des archives de la faculté de médecine de Montpellier et de la correspondance de Van Gogh, le Pr François-Bernard Michel [3] a reconstitué les relations de l’artiste avec ses trois psychiatres (les Drs Jean-Félix Rey, Théophile Peyron et Paul Gachet), de 1888 à son suicide en 1890. Il a montré comment tous les trois ont raté la prise en charge du génie, ne laissant à Van Gogh aucun espoir de guérison.

Il existe une certaine tendance de la part des médecins et des groupes de patients à mouler « la maladie » de Van Gogh dans un schéma propre à leur spécialité ou à leur maladie [4].

Parmi les diagnostics énoncés dans plus d’une douzaine d’articles retrouvés dans Pubmed (dont la 1ère date de 1981 et les derniers en 2013), on peut citer : glaucome, xanthopsie induite par la digitaline, dyschromatopsie acquise, maladie de Ménière, épilepsie du lobe temporal, trouble bipolaire, saturnisme, intoxication à la thuyone, saturnisme, psychose cycloïde (voir tableau I). Chacune de ces maladies pourrait être responsable des troubles neuropsychologiques qui auraient été aggravés par la malnutrition, le surmenage, l'insomnie et un penchant pour l'alcool, en particulier pour l’absinthe.

 Tableau I. Symptômes/pathologies dont souffrait Van Gogh (PubMed).

 

Symptômes

Références

Institution/Pays

Halos colorés attribués au glaucome

[5] Lanthony P, Bull Soc Ophtalmol Fr.

Service de Physiologie – CNO des XV-XX Paris France

Xanthopsie et cataracte

[6] Arnold WN, Loftus LS. Eye (Lond).

Department of Biochemistry and Molecular Biology, University of Kansas Medical Center, Kansas City 66103.USA

Xanthopsie due à intoxication digitalique

[7] Lee TC. Jama.

[8] Elliott DB, Skaff A. Ophthalmic Physiol Opt.

 

 

[9] Lanthony P. J. Fr Ophtalmol.

 

USA

Centre for Sight Enhancement, School of Optometry, University of Waterloo, Ontario, Canada

 

Service de Physiologie – CNO des XV-XX Paris France

Dyschromatopsie acquise

[10] Hart WM Jr. Surv Ophthalmol.

Department of Ophthalmology, Washington University School of Medicine, St. Louis, Missouri, USA

Maladie de Ménière (épilepsie controversée) : vertiges et étourdissements épisodiques, déséquilibre physique, symptômes auditifs, acouphènes ainsi que réaction présumée psychologique, secondaire à sa symptomatologie physique

 

[11] Arenberg IK et al. Jama.

[12] Arenberg IK et al, Acta Otolaryngol Suppl.

International Meniere's Disease Research Institute, Colorado Neurologic Institute, Englewood 80110. USA

Epilepsie

Remarque : Epilepsie : Diagnostic rédigé par le Dr Peyron, médecin à l'asile de Saint Rémy (France), dans lequel le 9 mai 1889, Van Gogh s'est volontairement engagé à l'asile pour épileptiques et déments

 

[13] Meissner WW. Bull Menninger Clin.

 

 

[14] ter Borg M, Trenité DK. Epilepsy Behav.

Boston Psychoanalytic Institute, Boston College, MA. USA

 

Epilepsy Institute of the Netherlands Sein, Pays-Bas

Trouble bipolaire,

symptômes maniaco-dépressifs ou cyclothymiques

[15] Janka Z. Orv Hetil.

Pszichiátriai Klinika. Hongrie

Psychopathologie due à une intoxication chronique au plomb (saturnisme) : débilitation débutante, stomatite avec perte de dents, douleurs abdominales récurrentes, anémie (avec un « teint de plomb"), neuropathie radiale, encéphalopathie saturnine avec crises d'épilepsie, altérations progressives du caractère et périodes de délire, de trouble mental

[16] González Luque FJ, Montejo González ALActas Luso Esp Neurol Psiquiatr Cienc Afines.

 

Espagne

Saturnisme

[17] Weissman E. J Med Biogr.

 

Department of Internal Medicine, University of Virginia, USA

 

Frontière entre psychose et épilepsie

[18] Lemke S, Lemke C. Nervenarzt.

 

Klinik für Psychiatrie und Neurologie Hans Berger, Friedrich-Schiller-Universität Jena. Allemagne

Epilepsie du lobe temporal avec des oscillations maniaques, humeur dépressive aggravée par l'absinthe, le brandy, la nicotine et de la térébenthine.

 

[19] Morrant JC. Can J Psychiatry.

Shaughnessy Hospital, Vancouver

Canada

Dépendance à l’absinthe (thuyone) : hallucinations, convulsions, sensations de désinhibition

[20] Arnold WN. Jama.

Department of Biochemistry, University of Kansas Medical Center, Kansas City 66103. USA

Psychose cycloïde

[2]Voskuil PH. Front Neurol Neurosci.

 

Hans Berger Clinic for Epilepsy, Oosterhout, Pays-Bas

  Le trouble bipolaire selon les critères DSM-IV

 D’après l’analyse de deux neurologues [21] en 2005, Bogousslavsky J (Neurologie, INSERM Unit 549) et Boller F (Neurologie et Psychiatrie, CHUV Centre Paul Broca, Lausanne, Suisse), il est fortement probable que Van Gogh souffrait de trouble bipolaire ayant causé sa mort par suicide selon les critères DSM-IV. Bien qu'aucun diagnostic définitif n’ait pu être déterminé, les deux auteurs se sont basés sur des preuves extrapolées à partir des échanges de courrier du célèbre artiste. En 2005, les deux neurologues ont rapporté les faits suivants.

Entre février 1886 et octobre 1888, lorsque Van Gogh vivait à Paris, ses lettres ont révélé tous les symptômes de la maladie bipolaire même s’il est difficile à reconstruire la durée exacte de la dépression et des phases maniaques.

Avant 1886, Van Gogh a présenté des épisodes dépressifs majeurs et mineurs alternant avec des phases hypomaniaques ou maniaques, souvent avec des cycles rapides. Les deux épisodes de dépression ont été suivis par des périodes prolongées d'énergie et d'enthousiasme, d'abord comme un évangéliste, puis en tant qu'artiste.

Un épisode dépressif de longue durée a eu lieu à Londres, après une déception amoureuse, quand il a été expulsé de l'église, et au moment de sa séparation d'avec Sien, une prostituée et son fils. Un épisode d’hypomanie durable ou des phases maniaques ont coïncidé avec ses débuts comme évangéliste, ainsi qu’à ses débuts d’artiste.

Au cours des années passées à Paris (1886-1888), il a abusé de l'alcool, consommé beaucoup d'absinthe. L'anxiété, l'irritabilité, l'hostilité, l'excentricité et divers symptômes somatiques se sont manifestés. A Arles (1888), il a connu l'angoisse, la mélancolie, le remords, l'insomnie et l'épuisement physique, à l’origine de son comportement insalubre. La veille de Noël en 1888, au cours de ce qui a été le premier épisode de sa crise psychotique (dont il est resté amnésique), il a coupé une partie de son oreille gauche. En mai 1889, après deux brèves crises psychotiques, il s’est volontairement inscrit à l'asile de Saint-Rémy. A Saint-Rémy, au cours de l'année suivante, il a vécu des épisodes dépressifs sévères et trois crises psychotiques, dont au moins deux étaient concomitantes avec ses visites temporaires à Arles. La dernière de ces crises, caractérisée par des délires religieux et paranoïaques, ainsi que des hallucinations auditives, a persisté pendant trois mois (février-avril 1890) et a laissé quelques souvenirs très vifs. Quittant l'asile en mai 1890 comme étant guéri, il s'installe à Auvers-sur-Oise. Là se sont manifestés des cycles rapides de symptômes maniaques et dépressifs. Le 27 Juillet, il se serait tiré une balle dans la poitrine et il est mort deux jours plus tard.

  La xanthopsie de Van Gogh

 Certaines hypothèses médicales ont laissé entendre que le goût de Van Gogh pour l'utilisation de la couleur jaune pourrait être lié à son addiction à l'absinthe. En effet, cet alcool contient la thuyone, substance neurotoxique qui, à fortes doses, peut causer la xanthopsie, un trouble de la vision amenant à voir les objets en jaune. Toutefois, une étude a mis en évidence qu'une consommation d'absinthe aurait entraîné le buveur dans l'inconscience en raison de la teneur en alcool avant qu’il ait pu ingérer suffisamment de thuyone pour souffrir de xanthopsie.

Une autre hypothèse suggère que le Dr Gachet aurait prescrit de la digitaline à Van Gogh pour traiter l'épilepsie, substance qui pourrait entraîner une vision teintée de jaune et des changements dans la perception de la couleur d'ensemble [5,9]. Cependant, il n'existe aucune preuve directe que Van Gogh ait consommé de la digitaline, même si Van Gogh a peint la toile «Portrait du Dr Gachet avec branche de digitale».

Il ne semble donc pas exister d’explication médicale en médecine allopathique pouvant expliquer pourquoi Van Gogh avait une forte prédilection pour la couleur jaune dans ses peintures. D’après l’analyse d’Arnold WL [6], cette attirance par le jaune ne pourrait être expliquée que par une question de goût personnel, fondé sur une sensibilité personnelle. Dans quelle mesure le concept "Les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas" est-il justifié ? Nos inclinations naturelles dictent nos goûts. Mais dans quelle mesure nos inclinations naturelles pour certaines couleurs seraient-elles le reflet de nos « équilibres/déséquilibres énergétiques » selon la théorie des Cinq Eléments à un temps t donné ?

 Relation entre médecine occidentale et médecine chinoise

 Les Cinq Emotions et les Sept Sentiments

 

Les Cinq Emotions sont réparties sur les Cinq Eléments et sont considérées comme physiologiques quand elles ne se manifestent pas de façon excessive, répétée ou permanente. Elles correspondent à un mode d’adaptation aux aléas de la vie.

Les Sept Sentiments représentent le caractère pathologique des émotions. Aux Cinq Emotions sont ajoutées la tristesse (bei) associée aux Poumons et la frayeur (jing) associée au Cœur et aux Reins.

« Par suite de la séparation avec les parents, de la désespérance, de l’accumulation des soucis et de la concentration, de la rancune d’une part ; du chagrin, de la crainte, de la joie et de la colère, d’autre part, les Organes deviennent alors en état de vide et le Sang et l’Energie quittent leur emplacement naturel » (Suwen, 77).

« Au niveau du Cœur demeure le shen. Les exagérations de la crainte, l’inquiétude, la méditation ou le souci atteignent facilement le shen » (Lingshu, 8).

« La tristesse, l’affliction, les soucis nuisent au Cœur » (Nanjing, 49e difficulté).

Les sentiments en excès lèsent la circulation du qi, ce qui va léser le qi, le Sang, le yin, le yang et les Liquides organiques.

Chaque sentiment peut dérégler son Organe respectif en engendrant et aggravant une maladie et réciproquement, la pathologie d’un Organe peut être révélée par un dérèglement des Sentiments. Chaque sentiment en excès peur se transformer en Feu.

 

Les fonctions des Organes

Les trois Organes les plus touchés par les Sentiments sont le Cœur, le Foie et la Rate, entraînant les syndromes suivants :

-        vide de qi et de Sang blessant la Rate pour le qi, le Cœur et le Foie pour le Sang ;

-        échange entravé entre Cœur (Feu) et Reins (Eau) : mouvements verticaux du Feu et de l’Eau de l’axe shaoyin perturbés ;

-        Foie et Rate en dissonance.

 La Rate 

L’excès de réflexion (soucis, rumination mentale) blesse la Rate et noue le qi. Les fonctions de l’harmonisation-transport du qi, du Sang et des Liquides organiques et de la montée-descente du pur et de l’impur sont entravées. L’Humidité n’est plus éliminée et se transforme en mucosités qui montent au Cœur.

 Le Foie

Le Foie assure la mise en mouvement. La colère, l’énervement, l’irritabilité entravent la libre circulation du qi, provoquant une stagnation du qi du Foie, mucosités impures comprises. D’autre part, le Bois du Foie attaque la Terre de la Rate.

 

Le Cœur

Comme le Cœur n’est plus nourri par le Sang, l’impur stagne, affaiblit le Cœur et le shen, et ferme les orifices, ce qui ralentit le psychisme et provoque les troubles mentaux.

Dans les conditions physiologiques normales, la joie détend et fait circuler le qi et le Sang, procurant une sensation de légèreté, de bien-être et de bonheur. Il s’agit de la joie interne, spontanée, inhérente à l’individu, à différencier avec la joie liée à une cause externe qui peut désorganiser la conscience.

 Dépression et troubles psychiques en médecine chinoise

 -        Les excès et déséquilibres alimentaires, les soucis et pensées obsédantes, le surmenage, entraînent un Vide de qi de Rate (jaune). Celle-ci ne peut plus fabriquer le qi à partir des aliments (yingqi) ni transformer le qi en Sang. La transformation et le transport ne sont plus correctement pourvus, l’Humidité n’est plus chassée et s’installe. A la longue, celle-ci se transforme en Mucosités impures qui montent au Cœur et obstruent ses Orifices.

Le yingqi n’étant plus produit, il ne peut nourrir le Cœur (rouge) qui est la demeure du shen.

Le shenming (clarté de l’Esprit) est affaibli, ce qui provoque les troubles psychiques et engendre la dépression.

-        La dépression et les facteurs émotionnels engendrent une stagnation du qi du Foie (vert) qui envahit la Rate (jaune). Les facteurs psychiques aggravent le Vide du Cœur, ce qui provoque les troubles mentaux.

-        Le refoulement des émotions, la parole non exprimée entraîne une stagnation du qi du Foie qui attaque la Rate par le cycle de soumission. Au cours du temps, cette stagnation de qi peut se transformer en stase de Sang.

-        A cause de la stagnation du qi du Foie, les Mucosités provenant de la Rate s’accumulent dans le Cœur. Le shen est déplacé de sa demeure provoquant les troubles psychiques et la dépression. Si la stagnation du qi du Foie se prolonge, elle se transforme en Feu du Foie. Quand le qi du Foie monte à contre-courant au Cœur, il blesse le Cœur et le shen. Lorsque la stagnation du qi et l’atteinte du Cœur se prolongent, la Rate est touchée, entraînant le Vide de Cœur et de Rate : la Rate ne produit pas le Sang pour nourrir le Cœur qui est la demeure du shen, d’autant plus que les facteurs psychiques aggravent son Vide, ce qui aggrave les troubles mentaux.

Les symptômes de ces déséquilibres sont d’apparition progressive : signes de ralentissement psychique : mutisme, visage inexpressif, regard fixe (cf. Autoportraits de Van Gogh), léthargie, dépression, introversion, confusion mentale, intellect affaibli.

 

Analyse des peintures de Van Gogh

 Méthodologie

 Dans cette étude, les peintures de Van Gogh sont analysées selon une grille de lecture basée sur :

La correspondance entre :

- les couleurs et les Cinq Eléments,

- les couleurs et les Cinq Organes,

- les couleurs et Cinq Emotions et les Sept Sentiments (tableau II),

- les symptômes/diagnostics de Van Gogh selon la médecine occidentale et la physiopathologie en médecine chinoise (tableau III).

Une théorie en chromothérapie selon laquelle nous sommes instinctivement attirés par les couleurs qui nous permettraient de corriger un déséquilibre d’énergie pouvant engendrer des problèmes physiques, mentaux ou émotionnels [22].

 Tableau II. Correspondance entre les couleurs, les Cinq Eléments, les Organes, les Cinq Emotions et les Sept Sentiments.

 

Couleur

Elément

Organe

Cinq Emotions et Sept Sentiments

Vert

Bois

Foie

Colère – Enervement – Irritabilité – Irascibilité – Courroux – Fureur

Rouge

Feu

Cœur

Joie - Frayeur

Jaune

Terre

Rate

Souci- Rumination mentale – Contrariété – Préoccupations - Appréhension

Blanc

Métal

Poumons

Chagrin –Tristesse – Affliction

Noir

(Bleu)

Eau

Reins

Inquiétude – Peur - Crainte – Frayeur - Effroi - Panique

 

 Tableau III. Correspondance des troubles de Van Gogh selon la médecine allopathique et la médecine chinoise.

 

Symptômes selon la médecine allopathique

Déséquilibre énergétique selon la médecine chinoise

Halos colorés attribués au glaucome

Xanthopsie et cataracte

Xanthopsie due à intoxication digitalique

Dyschromatopsie acquise

Foie : Atteinte de   l’organe sensoriel visuel

Maladie de Ménière : vertiges et étourdissements épisodiques, déséquilibre physique, symptômes auditifs, acouphènes

Rein : atteinte de l’organe sensoriel auditif

Epilepsie

 

Rein : Vide du qi 

Foie/Vésicule biliaire : chaleur humide

Foie : montée de yang

Trouble bipolaire, symptômes maniaco-dépressifs ou cyclothymiques,

Psychose cycloïde

Psychopathologie due à une intoxication chronique au plomb (crises d'épilepsie, altérations progressives du caractère, périodes de délire, troubles mentaux)

Dépendance à l’absinthe (thuyone) : hallucinations, convulsions, sensations de désinhibition

Rein - Cœur : atteinte de l’axe shaoyin 

  

Symptomatologie de Van Gogh selon la médecine chinoise

 Les signes de dépression, stress, insomnie de Van Gogh peuvent correspondre aux syndromes suivants :

-        syndrome de yin vide, Feu florissant,

-        syndrome Vide de Cœur et de Rate : correspondant au vide de Sang,

-        syndrome Stagnation du qi de Foie et accumulation de mucosités.

La stagnation de qi se transforme en Feu, donnant les signes de Feu : irritabilité, colère facile, acouphènes.

Le Vide de yin du Cœur, conséquence de la Chaleur du Foie et du non-échange avec l’Eau des Reins pourrait être à l’origine des insomnies.

Le qi du Foie blesse le Cœur-Esprit, entraînant des signes de Cœur et de shen blessés : colère, insomnies, confusion mentale, hallucinations, illusions sensorielles.

Van Gogh présentait aussi des signes de Vide de Sang à la tête (acouphènes, vertiges) et de Vide de Sang du Cœur (insomnies).

Le yin déficient et le Feu en plénitude peuvent expliquer sa dépression.

Par ailleurs, on peut aussi noter des signes de Chaleur-Vide :

-        du Cœur (vide de yin) : insomnie, agitation anxieuse

-        du Foie (élévation du yang) : colère, vertiges

-        des Reins (vide de yin) : vertiges

La stagnation de qi et l’accumulation de mucosités sont à l’origine de :

-        signes de mucosités du Cœur : agitation mentale, insomnie ou sommeil perturbé.

-        signes de stagnation de qi du Foie : dépression, abattement, alternance de l’humeur.

En conclusion, les symptômes de Van Gogh pourraient correspondre à l’atteinte de   :

-        Rate et Reins : vide de yin ;

-        Foie : vide de Sang et montée du yang ;

-        Cœur : Plénitude de Feu suite au vide du Rein yin.

 Les couleurs utilisées par Van Gogh

 On peut noter une prédominance de jaune et de bleu, et en proportions moindres du vert dans les peintures de Van Gogh.

-        Le vide du yin de Rate pourrait être à l’origine de son attirance pour la couleur jaune (ex. : Les tournesols ; Epis de blé).

 

Epis de blé (juin 1890)                                                                                                                               
Huile sur toile 64,5 x 48.5 cm

Rijksmuseum, Amsterdam

 

 

Vase avec quinze tournesols (Arles, août 1888).

National Gallery, Londres, Angleterre

 

 -        Le vide de Sang du Foie pourrait expliquer une certaine prédominance de vert dans ses oeuvres (ex : Les bords de l’Oise à Auvers).

 

 

Les bords de l'Oise à Auvers (juillet 1890)
Huile sur toile 73,3 x 93,7 cm.
Detroit, The Detroit Institute of Arts

 

-        Le bleu prédomine dans de nombreuses œuvres de Van Gogh (ex : La nuit étoilée ; Branches fleuries d’amandier ; Champ de blé sous un ciel orageux).

 

La nuit étoilée (Cyprès et village) / (juin 1889)
Huile sur toile, 73.7 x 92.1 cm
New York, MOMA

 

La couleur bleue n’existe pas dans le tableau classique de correspondances des couleurs avec les Cinq Eléments. Selon le Feng Shui, le bleu est assimilé à l’élément Eau, donc à l’organe Rein. Ce qui pourrait expliquer la prédominance du bleu par le vide du yin des Reins.

Mais si l’on rapproche le bleu du vert en se référant à une certaine similitude d’écriture en chinois, l’attirance par la couleur bleue chez Van Gogh pourrait alors être assimilée au vide de Sang du Foie. 

-        La plénitude de Feu de Cœur (suite au vide du Rein yin) pourrait être l’explication de la quasi-absence de couleur rouge dans ses œuvres (exception : La vigne rouge ; Le café de nuit, place Lamartine, Arles).

 La vigne rouge (novembre 1888)
Huile sur toile, 75 x 93 cm
Moscou, Musée Pouchkine


Le Café de nuit (septembre 1888)

70 x 89 cm

Yale University Art Gallery, New Haven, Connecticut, USA

 Tableau IV. Correspondance entre les couleurs des œuvres de Van Gogh et les Cinq Eléments/Organes

 

Couleurs prédominantes

Organes /Elément

Peintures

Marron

Rate/Terre

Les mangeurs de pommes de terre (avril 1885)

Jaune

Rate/Terre

Tournesols dans un vase (août 1888);

Jaune/Marron & Bleu

 

Le semeur au coucher du soleil (juin 1888) ; Moissons en Provence (juin 1888) ; Terrasse du café le soir (septembre 1888) ; Chambre de Vincent à Arles (octobre 1888) ; Souvenir du jardin à Etten (novembre 1888) ; Iris (mai 1889) ; Portrait du docteur Gachet (juin 1890)

Vert & Bleu

Foie/Bois & Reins/Eau

Les bords de l’Oise à Auvers (juillet 1890) ; Champ de blé sous un ciel orageux (juillet 1890)

Bleu/Noir

Reins/Eau

La nuit étoilée (juin 1889) ;

Autoportrait à l’oreille bandée (1889) ; Autoportrait à Saint-Rémy (septembre 1889) ; Le semeur (1889) ; Branches fleuries d’amandier (février 1890) ; Route avec un cyprès et une étoile (1890)

 


Le semeur au coucher du soleil (novembre 1888)
Huile sur jute sur toile, 73,5 x 93
Zurich, Fondation collection E. G. Bührle

 


Les mangeurs de pommes de terre (avril 1885)
Huile sur toile, 82 x 114 cm
Amsterdam, Musée Vincent Van Gogh

 

 Autoportrait à Saint Remy (septembre 1889)
Huile sur toile, 65 x 54 cm
Paris, Musée d'Orsay

 

 

Branches fleuries d'amandier (février 1890)
Huile sur toile, 73,5 x 92 cm
Rijksmuseum, Amsterdam

 

Portrait du docteur Gachet (juin 1890)
Huile sur toile, 66 x 57 cm
Collection privée (Christie's New York, 1990)

 

Iris (mai 1889)
huile sur toile, 71 x 93 cm
Malibu, Paul Getty Museum

 


Champ de blé sous un ciel orageux (juillet 1890)
Huile sur toile 50 x 100,5 cm.
Amsterdam, Rijksmuseum Vincent Van Gogh

 

 Conclusion

 Il existe une concordance entre les divers diagnostics allopathiques attribués à Van Gogh et les déséquilibres énergétiques vus sous l’angle de syndromes physiopathologiques en médecine traditionnelle chinoise. La prédominance de jaune, vert et bleu dans l’ensemble de ses peintures pourrait être attribuée à ses troubles traduits en termes de déséquilibres énergétiques selon la médecine chinoise (tableau IV).

 

 

Dr Tuy Nga Brignol

Rédactrice en chef d'Acupuncture & Moxibustion

Rédactrice en chef de la revue « Les cahiers de myologie »

* Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 Conflit d’intérêts : aucun

 Références

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2- Voskuil PH.. Van Gogh's disease in the light of his correspondence. Front Neurol Neurosci. 2013;31:116-25.

3- Michel FB, « Van Gogh, psychologie d’un génie incompris », Ed Odile Jacob, 2013.

4- Voskuil P. Diagnosing Vincent van Gogh, an expedition from the sources to the present "mer à boire". Epillpsy Behav. 2013;28(2):177-80.

5- Lanthony P, [Van Gogh's xanthopsia], Bull Soc Ophtalmol Fr. 1989 Oct;89(10):1133-4. 

6- Arnold WN, Loftus LS, Xanthopsia and van Gogh's yellow palette, Eye (Lond). 1991;5 ( Pt 5):503-10.

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12- Arenberg IK, Countryman LL, Bernstein LH, Shambaugh GE Jr, Vincent's violent vertigo. An analysis of the original diagnosis of epilepsy vs. the current diagnosis of Meniére's disease, Acta Otolaryngol Suppl. 1991;485:84-103.

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22- Norris S – Chromothérapie – Série Découverte et Initiation – 224 p – The Ivy Press Limited 2001.

 

Nos remerciements au Ciné-Club de Caen (Partie Beaux-Arts) pour l’iconographie.

Visitez leur site : http://www.cineclubdecaen.com/peinture/materiel/grandspeintres.htm